Olivier
Le groupe se disperse au fur et à mesure des croisements, au fur et à mesure des immeubles ; chacun rentre chez soi pour ce midi. Par un quelconque fruit du hasard, Olivier habite plus loin que tout le monde, dans une rue que seul le montant des loyers isole; ainsi termine-t-il toujours le trajet seul. Mais il n’aime pas être seul, il n’a jamais aimé l’être, depuis tout petit. C’est pourquoi il sait s’entourer d’une bande de garçons. Il se fiche pas mal de savoir s’ils le craignent ou le respectent, l’important est qu’ils restent autour de lui. Et aujourd’hui Olivier est las d’achever son retour seul: il aimerait avoir un peu de compagnie pour la dernière ligne droite. Il regarde autour de lui, mais il sait bien que personne de son âge ne passe par ici, pour la simple raison que personne de son âge n’habite le quartier. Tout le monde est à la soupe.
Il n’y a là que des vieux, des croulants tirant leur misérable vieillesse ridée et cabocharde et leur caddie bariolé à trois roues les jours de marché, ne semblant attendre qu’une chose : que leurs paupières fripées se ferment enfin – que ce soit dans la maladie ou dans le sommeil – comme ses grands-parents. Puis une pensée l’arrête : que ferait-il si un jour il devait se retrouver seul, sans parents, sans frère, sans amis ? Il réprime un frisson et secoue la tête vigoureusement. Il se remet en marche et, en son for intérieur, il se fait la promesse de ne jamais être seul. Immédiatement, il se rend à l’évidence qu’une telle promesse est impossible à tenir, il ne pourrait soumettre perpétuellement ses copains de classe à sa volonté. Il n’arrivait jamais à garder ses amis bien longtemps, aussi forçait-il le destin en forçant la main de ses compatriotes. Il se demande comment il doit faire pour se procurer un ami qui lui soit fidèle, un peu comme Achille et son pote.
Alors, il lève les yeux au ciel bleu, qui est surprenant aujourd’hui, tout comme la chaleur presque estivale, tout comme l’éclipse de soleil qui se prolonge dans cette mer bleue et dont personne ne parlera aux informations; il ferme les paupières tout en continuant à marcher et souhaite ne jamais être seul dans le futur, quoi qu’il fasse et où qu’il soit. Et, à voix haute, comme un appel pour le monde entier, la parole suit sa pensée : «Je voudrais ne jamais être seul, quoi que je fasse et où que je sois.» Il rouvre les yeux à temps pour éviter de justesse de tomber dans le caniveau – manque se tordre la cheville et crache un juron bien senti, comme il les aime – et, tandis qu’il regarde la tâche ronde du ciel bleu s’estomper sur sa rétine et gêner un instant sa vue, il se demande si son frère est rentré de la caserne, il a tellement envie de lui parler.
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