Wednesday 17 November 2010

De l'or raffiné et de l'art brut.

Mon weekend parisien, mis à part l'exposition "L'or des Incas" à la Pinacothèque, une petite expo sur Théodore Monod au Jardin des Plantes, celle plus grande du "Trésor des Médicis" au musée Maillol et le Ballet de Hambourg qui interprétait Parzifal - Episodes et Echo (John Neumeier) à l'Opéra Garnier, fut relativement calme.

J'ai sciemment omis d'inclure dans la liste des choses faites la Halle Saint Pierre (18ème) qui abrite jusqu'au 2 janvier une exposition sur l'art brut japonais ma foi fort intéressante, voire captivante, dans le sens maladif du terme.


Tout le monde connaît l'art brut, donc je n'ai pas besoin d'écrire qu'il a été abondamment décrit par Mister Dubuffet the painter, qui en a inventé le terme, soit dit en passant. Il regroupe tous les gens qui n'ont aucune formation artistique mais qui font quand même de l'art, pour faire simple(iste?). Comme dirait Brassens : les besogneux, les gueux, les réprouvés. Et autres malades mentaux, prisonniers, déficients intellectuels, psychotiques, délirants, internés etc. Tout une ribambelle de personnes qui n'ont pas ou plus trop mis les pieds dans notre réalité depuis un certain temps.

La première fois que j'ai mis un pied (mouillé) dans un musée dédié à l'art brut, c'était à Lausanne. Grosse claque dans ma figure pleine de gouttes de pluie. Dehors, il tombait des trombes d'eau mais il faisait beau comparé à la tempête qui soufflait (souffle encore pour la plupart) dans la tête de ces pauvres âmes.

Celui qui m'a accueilli était ce cher Wölfli, déjà croisé à Vienne alors que je n'y connaissais goutte à l'art brut de décoffrage.



Remarquez qu'il y a de quoi être titillé de la glande esthétique. Surtout par cette figure récurrente (on peut l'apercevoir au centre de ce tableau, et sur les côtés du tableau précédent) qui se retrouve dans tous ses tableaux, dessins etc.



Mais pas de Wölfli à Paris, que des japonais, dont un certain Yuji Tsuji (pas du tout noyé dans la masse des plus de soixante artistes exposés dans la Halle). Ce type, visiblement dérangé, dessine au crayon ou au marker des quartiers entiers d'une ville non pas imaginaire, mais qui se trouve être dans sa tête, en vue aérienne. En voici un exemple :


(Source)

 Et un autre exemple :

(Source)

Malheureusement, aucun de ces deux formats ne rend justice à l'incomparable minutie du détail, à l'impression quasi-hypnotique que cette ville existe, que nous avons sous nos yeux le polaroïd d'une ville japonaise lambda à un moment donné de son existence, à cette volonté pathologique de montrer un monde particulier, d'ouvrir une porte sur une âme torturée. J'en ai eu le souffle coupé. Surtout lorsque je me suis penché littéralement sur le troisième ou quatrième tableau de cette série intitulée "Ma ville vue de mon cœur" : il faut voir la précision du geste, le rendu des voies de chemin de fer. Le tout paraît inextricable, mais ce n'est pas comme ces jeux où il faut amener la petite fille avec son panier plein de gâteaux à la maison de sa mère-grand en la faisant passer par le bon chemin, perdu au milieu d'une pelote de fils - non, ici il y a ordre, méthode, perspective, et surtout rien n'est mélangé, comme dirait Thom Yorke : "Everything in its right place".

Je vous conseille, si vous avez un peu de temps et de curiosité (maladive ou pas, il n'y a bien qu'en anglais où la curiosité a tué quelqu'un ou quelque chose - le chat en l'occurrence), d'aller visiter cette exposition troublante (si vous passez par Lausanne également, le musée d'art brut est un must du genre, si ce n'est le best) et pas trop mal présentée. Je regrette qu'il n'y ait pas, à l'instar de Lausanne, de résumé (quasi-clinique parfois) du parcours des artistes accompagnant les œuvres. Toujours est-il que quand on ressort de ce genre de musée, on se dit que ceux qui nous trouvent bizarres ou excentriques ou timbrés feraient bien d'y aller à leur tour. On se dit au final qu'on n'est pas malheureux, qu'on est bien portants et pas fous - et que quelque part c'est dommage parce que du coup on est banals.

Je ne pourrais conclure ce billet sans vous enjoindre, une fois le pied posé dans notre belle capitale encrassée et anonyme, d'aller voir les autres expositions (même celle sur Théodore Monod, car aussi courte soit-elle, elle est située au Jardin des Plantes), surtout celle sur "L'or des Incas" qui vaut son pesant de cacahuètes. Du grand or, en somme. Tout comme le Trésor des Médicis, très bien faite, très fournie en tableaux de maîtres (Botticelli (dont l'Adoration des mages), Fra Angelico, Michel-Ange etc), très détaillée (parfois un peu trop...). Beaucoup de pièces uniques à admirer sous tous les angles, surtout dans le cabinet de curiosité.

Pour finir ce long billet, je vous laisse avec les mots de Baudelaire : "J’aime passionnément le mystère, parce que j’ai toujours l’espoir de le débrouiller." Le Spleen de Paris (1862).

33 comments:

  1. Baudelaire et l'art brut, ensemble, dans ce post, c'est parfait.

    ReplyDelete
  2. Merci "Anonyme", tu entretiens d'ailleurs très bien le mystère.

    ReplyDelete
  3. J'aime passionnément le mystère, et j'ai réèllement toujours l'espoir de le débrouiller. Mais, il y a des mystères plus hermétiques que d'autres, plus sauvages.

    ReplyDelete
  4. "passionnément", "hermétique", "sauvage"...voilà qui respire les fleurs du mal. La patience apprend le, voire donne son prix au, mystère. L'épaisseur du brouillard aussi. Courtiser le mystère est un travail à temps plein, n'est-ce pas?

    ReplyDelete
  5. Vous acquiescez à tout? Voilà qui me semble désépaissir un mystère pour en épaissir un autre.

    ReplyDelete
  6. On débrouille un mystère pour un brouiller un autre.
    Et non, vous savez bien, je n'acquiesse jamais à tout.

    ReplyDelete
  7. Ah, je me disais aussi...il y a des mystères dont on attend une certaine épaisseur, de peur d'être déçus.

    ReplyDelete
  8. Qu'importe l'épaisseur du mystère. Ou du brouillard. Aucune déception en vue. Jamais.
    Il faut juste prendre le temps de le débrouiller.

    ReplyDelete
  9. Le temps, on l'a toujours, il suffit de le prendre. La patience, la patience...on en a tous plus, ou moins, à revendre.

    ReplyDelete
  10. Qui disait "il faut laisser le temps au temps"?
    Doit-on prendre le temps ou laisser le temps nous prendre?
    La patience est une vertu qui sied bien à qui sait l'accepter comme moyen de débrouiller les mystères.
    J'aime la patience au moins autant que les mystères.

    ReplyDelete
  11. Le temps n'est certes qu'un construit humain, mais il aide autant à jalonner qu'à nous maintenir dans les rangs. Le mystère construit et n'est pas assujetti au temps. Le mystère libère là où le temps musèle.

    ReplyDelete
  12. Rabelais disait que "le temps est père de la vérité"
    Dubuffet aurait-il pu dire que dans le mystère se trouve la vérité?
    "Le mystère libère là où le temps musèle" est, en l'occurence, criant de vérité!

    ReplyDelete
  13. Je ne saurai dire avec certitude si mystère et vérité sont comme question et réponse. L'un et l'autre sont liés de manière inextricable. Ici le vocable perd son sens dans la réalisation du mystère. Et je n'ai pas écrit "résolution".

    ReplyDelete
  14. De si bon matin je citerai Nietzsche "il désire connaitre son élément incompréhensible, son secret, énigmatique [mystère] parce qu'il sait qu'il obtiendra en échange son propre matin, sa propre rédemption [la vérité]

    ReplyDelete
  15. De si bon matin, je citerai ma grand-mère m'expliquant comment faire "son" omelette : "tu casses tes œufs, tu les bats, sel, poivre, ciboulette; tu fais cuire, voilà, y'a pas de mystère." Et pourtant, aucune omelette au monde n'a ce goût, cette odeur, cette texture...unique et irremplaçable. Le mystère nous attend autant dans le sacré que le profane, autant dans l'instant unique que dans le quotidien.

    ReplyDelete
  16. Je suis tarie... L'intervention de l'omelette.

    ReplyDelete
  17. Alors remontez directement à la source.

    ReplyDelete
  18. Pour qui sait attendre, aussi épais et sauvage soit-il, le mystère pourrait se révèler d'une incommensurable valeur.
    Le mystère ne déçoit que rarement, et seulement les empressés. Il s'agit d'apprendre à composer avec celui-ci, à le
    débrouiller sans le presser. La révèlation, et non pas la résolution; n'en sera que plus "unique et irremplaçable".
    Comme l'omelette, en somme.

    ReplyDelete
  19. Il semblerait que le concept de mystère n'en ait plus pour vous. Mais savez-vous faire une bonne omelette?

    ReplyDelete
  20. L'omelette n'a aucun... mystère pour moi!
    L'un et l'autre sont ma spécialité.

    ReplyDelete
  21. Une fois goûté au mystère, on ne s'en passe plus. Mais je demande à sonder les arcanes omelettiennes, en bon chercheur de mystères.

    ReplyDelete
  22. Il est facile de sonder ces arcanes. Il suffit de frapper à la bonne porte.

    ReplyDelete
  23. La mienne est ouverte, de porte, mais cela n'est plus un mystère pour vous. J'ai des œufs, mais pas de ciboulette.

    ReplyDelete
  24. "Prendre son temps, apprécier" (dernier post): Nerval disait que la patience est "la plus grande des vertus des initiés antiques". Pour qui le mystère est un secret qu'on ne doit pas révèler (c'est le principe même du secret...) Pour vous qui parlez grec, "muein" (mystère) signifie "fermer la bouche, rester muet".
    Le mystère lutte pour garder ses secrets, pour garder les portes fermées. Mais que dissimule-t-il?

    Ah! Le mystère de l'omelette reste entier!

    ReplyDelete
  25. "Un secret vaut ce que valent les personnes qui doivent le garder." Carlos Ruiz Zafón, L'Ombre du vent.
    Le mystère certes ne se donne pas, il se laisse convaincre. Il ne dit pas même s'il suggère. Le mystère est le mal et le remède, distillant autant qu'instillant sa présence et sa quasi-impossibilité de résolution.

    ReplyDelete
  26. Il est d'ailleurs tout aussi intéressant de noter qu'une autre étymologie de "mystère" est ministerium (en tant qu'office religieux), qui a donné ensuite mestier, puis métier. Comme quoi il n'y a pas de sot mystère. A bon entendeur...

    ReplyDelete
  27. Il tient à nous de le convaincre de nous offrir les clés de sa quasi-possibilité de résolution.
    La patience, encore...

    ReplyDelete
  28. Vous le disiez vous-même plus haut : cultiver le mystère (ou d'ailleurs le mystère lui-même désormais) est un travail à temps pleinA A durée indéterminée.

    ReplyDelete
  29. Yuji Tsuji est trés impressionnant en "vrai". Ce qu'il crée tient du mystère, et je pense sincèrement qu'il ne faut pas chercher à le débrouiller celui-là.
    Il manquait quand-même toutes les bios à cette expo ; dommage.

    ReplyDelete
  30. Je vous l'avais bien dit. Moins bien ficelée que Lausanne (et les bios manquent sacrément)

    ReplyDelete
  31. C'est une presque-déception.
    Qui sont ces artistes? Pourquoi en sont-ils arrivés là?
    J'ai quand-même beaucoup aimé la naïveté criante de Matsumoto et celle brutale de Kon.

    ReplyDelete
  32. Il ne s'agit pas seulement de savoir casser, puis battre les oeufs. Il semblerait que le mystère de l'omelettre réside ailleurs.
    Il n'y a certainement ni bonne, ni mauvaise omelette ; tout réside, à mon avis, dans le choix des oeufs...

    "Je suis heureuse, Monsieur, si cette recette vous fait
    plaisir"
    Annette Boutiaut, aka La Mère Poulard.

    ReplyDelete

Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question

The first day of spring

There is a shocking violence  in the birds singing this morning – this quiescent sunday morning – perhaps they think that after so many rai...