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Friday 13 October 2023

Unmovable

 
I have built entire cities
blown rivers off their course
levelled mountains to nought
wrote whole libraries
shaped universes

the only thing I couldn't move
which proved too much
for my hands and my heart

was you
 

Saturday 30 September 2023

Lire les cartes

 
Maman me disait toujours de ne pas toucher
– on ne savait pas où ça avait traîné.

Ce n’est que plus tard que j’ai su dire
que si on touche les lignes,
les ombres des objets, leur forme,
on peut discerner leur intention,
leur fin en soi en elles inscrite.

Maman ne voyait pas tout ça – les histoires –
les longs trajets pour venir jusqu’à nous,
que le cercle de café laissé par la tasse
cartographie un dessein en croix rouge et tirets
– pour elle un hic sunt dracones –
– pour moi un coffre au trésor.

Elle ne voyait pas que les humeurs des objets,
que leurs couleurs, leurs textures et sonorités
n’étaient qu’expressions d’origine et de destination
– la tasse joyeuse dans son clinquement de faïence
– la table de cuisine au bois de chêne fatigué des ans
– l’ombre de la cuiller, suspendue insolente dans le vide
– le blanc jauni du tapis à l’entrée, ses tâches de sang
en filigrane qu’on n’a jamais réussi à ôter tout-à-fait.

Alors je touchais, malgré l’interdit et les froncements :
découvrir, savoir, valaient toutes les réprimandes
– le goût, la texture, l'inclinaison du café
– le chaud de la tasse, le froid de l’anse
– l’instabilité acquise de napperon
– l’infime défaut dans la porcelaine
toutes ces clefs de cartes ont un sens
un but et une fin empreints de direction,
à qui prend le temps d’apprendre à les lire.

Ce n’est que bien après que j’ai su que les gens étaient aussi des histoires,
– on voit l’ombre hésitante, la ligne des mains hargneuses
– les commissures des yeux chantantes, pleines de soleil
– la tristesse des paupières lasses, l’abattement des lèvres
– le dessin des fronts des dormeurs, et ceux des veilleurs.

Malgré la vieille injonction je touche donc les gens,
pour lire leurs cartes avec un œil curieux et tolérant,
avec des paroles qui les caressent comme une main amie,
des attentions de pied-de-vent, des subtilités de canopée
qui révèlent les lignes, les humeurs, les creux et les pleins
– d’où les gens viennent, où ils vont, pour quoi, pourquoi –
parce que déchiffrer vaut tous les heurts du monde
– il est des sentes de peine et des percées de fierté
qu’on ne soupçonne pas, cachées en l’œil fuyant, défiant
– des tranchées de faille et des lignes de fête dans les rides
– dans les plis où la lumière affleure, comme prudente.

Maman n’est plus là pour me dire de ne pas toucher,
m’interdire de révéler où justement ça avait traîné
– parce que mes coffres étaient ses dragons –
avec le temps j’ai appris à apprécier la charge des champs
– que des choses et des gens ont des cartes qui envoûtent,
comme des promesses d’histoires d’amour et de colère,
entières de sensations d’horizons dénudés,
– tandis que d’autres ont une force d’étreinte de quasar
– et d’autres des griffes de trou blanc qui harponnent
– oui, il y a de quoi avoir peur, mais il y a aussi de quoi aimer –

À bien y réfléchir, elle me disait de ne pas toucher
peut-être parce qu’elle savait, qu’elle avait senti
le poids des cartes en dépliant les sens,
par cet instinct à double tranchant de découverte,
– le poids du bruit de pas au mitan de la nuit –
– la saveur d’un fruit qui a mûri trop vite –
et en bonne mère voulait me prémunir du ballast
– celui dont la force de la gravité plombe et agrippe comme un aimant
– celui dont le temps qui le compose, plus visqueux que la mélasse,
pèse sur les épaules comme un joug de misère –
– lest maudit souvent, amalgamant rêve et réalité,
faisant surgir des dragons de coffres –

peut-être que oui, j’aurais dû suivre l’ordre
– je serais encore adéquat, peut-être,
libre de coffres et de dragons,
ignorant certes, mais ici,
présent, et désinvolte.

 

Wednesday 26 April 2023

>TI<

 

Si demain tu te sens seule

pense à moi

et embrasse-moi

comme cette nuit-là


si demain tu te sens seule

cherche-moi 

au fond de ton cœur

au fond de ton corps

et embrasse-moi


tous deux à portée de mots

à se perdre dans les sens

enlacés, éternels, sans maux

pendant des milliers d’instants


perdus, retrouvés, ancrés

en chacun, insoucieux

des autres, des années,

dans l’échancrure du temps

dans l’absence de lieu


ici, ailleurs, partout, présents



à CMA

Sunday 30 June 2019

Sur le fil


En équilibre sans l'être soi-même
toujours sur le fil, à scruter devant,
derrière, dessous, partout, contre le vent
et jamais serein, toujours en dilemme,
sur le fil, des crampes au cœur
à regarder les autres et leur bonheur.

Les deux extrémités du fil si loin –
on a passé tant de temps sans bouger
et sans dormir qu'on a pu voltiger
que la fin est le début est la fin.
On est resté ainsi longtemps, longtemps –
et puis, d'un bond, soudain, on suit le vent.
 

Tuesday 11 June 2019

Revenir


On revient de la vanité du corps
comme de l'urgence de la chair

on apprend la vanité de l'esprit
amarré à l'œil du cyclone

on revient des illusions du vin
comme de l'absence des morts

on comprend la vanité du soi
dans l'abandon à l'autre

on surprend la capacité d'aimer
dans la renonciation à tout

surtout lorsqu'on renonce à tout

alors on revient de tout ce qu'on a pu être
même de la plus triste des tristesses
même blotties dans la tempête

par nos mains astrolabes de nos cœurs

on réalise que mille voies
ne sont qu'un seul chemin

qu'on est capitaines de nos corps
qu'on est navires en quête de vagues

que revenir, en fait, c'est aller.
 

Tuesday 27 November 2018

Histoires


Les histoires, on préfère les raconter qu'en faire
les écouter du bord du sommeil,
certains les écrivent au fer
rouge, d'autres à l'encre du soleil.
Certaines histoires ne vivent qu'un soir,
d'autres pour s'écrire attendent la veille,
pour d'autres, encore, on a besoin de boire.

Les histoires, il y en a autant que de gens,
même s'il n'y en a parfois qu'une qui compte.
Elles se créent toutes en se multipliant.
Certaines sont fières, d'autres nous font honte,
d'autres tiennent à l'oubli d'un gant,
d'autres s'effacent alors que l'eau monte,
et toujours, toujours une autre qui attend.
 
 

Friday 3 August 2018

Ensemble


On n'y fait rien, ici, sauf y filer du temps.
Sans patience parce qu'elle n'a pas lieu d'être :
on ne s'émeut plus, on attend, on attend,
on ne cherche rien parce qu'on croit tout connaître.

On s'est défilés il y a longtemps.
Le temps défile en photos ratées :
on se moque l'un de l'autre, on se ment,
on ne se regarde plus que pour trinquer.

Puis on contemple son assiette lentement,
ou la télévision, ou le mur d'en face :
on ne croyait pas devoir se haïr autant –
le portrait à deux est pourtant bien en place.

On fuit alors qu'on croyait aller de l'avant,
on s'étreint parce qu'on a signé un contrat :
on s'éteint, on s'éteint toujours plus lentement –
on s'endort bien à l'abri dans de beaux draps.

Wednesday 25 July 2018

Faire avec


« On doit faire avec, » c'est ce qu'on me dit.
On fait avec les grincements de dents,
les noms-dits, les ouï-dire, les maux dits –
ceux qu'on crie quand on est à un tournant.

On fait avec le désamour, l'absence ;
on accepte sans broncher la routine,
celle à rebours du sens, qui bute les sens.
On doit faire semblant à travers les mines.

Faire avec, c'est un peu comme faire sans,
comme si c'était un luxe de choisir,
comme si ça devait être dans le sang
de se taire, de n'avoir aucun désir ;

c'est prendre le risque de rester seul.
Faire avec c'est parfois faire un enfant :
c'est croire qu'on est mieux quand on n'est plus seul,
c'est s'aveugler face au gouffre cinglant.

Faire avec, c'est penser qu'on est maudits
alors qu'on peut toujours faire autrement.

Tuesday 24 July 2018

La plage


Tous en menhirs couchés sur la plage
alignés en quinconce solaire face à l'océan
sarcophages de chair brûlante sans âge
immobiles taches dans le jaune néant
offrandes à la mer, au ciel, aux mirages.

Moutons broutant la lumière qui les tue
occultes arrangements de couleur
dessinant des glyphes visibles des nues
stoïques et réjouis malgré la chaleur
ils s'offrent au soleil, à l'horizon nu.

Ils ont tous les pieds rivés au rivage
stèles votives frappées de stupeur
comme pour suivre en premier le naufrage
ou alors tétanisés par la peur
faisant mine d'ignorer les ravages.

Thursday 12 July 2018

Tinder is the night


Tu voulais pourtant le swiper à gauche
mais ton pouce était semble-t-il bourré.
Le mec te parle et putain qu'il est moche !
Dans quel pétrin tu t'es encore fourrée ?

Tu voulais celui d'avant, ou d'après,
d'autant que celui-là a l'air bien cloche.
Tu comprends pas comment tu t'es gourée,
même pas en rêve, c'est mort, grave il se touche.

Moins tu réponds et plus le mec s'accroche,
c'est tout toi de tomber sur un taré,
il a du croire que c'était dans la poche,
désolée mec, j'en ai rien à carrer.

Bordel, qu'est-ce qu'il attend pour se barrer ?
Il croit qu'il va se vider les baloches ?
C'est ta faute mais t'es pas désespérée.
Tu les sens venir bientôt, les reproches.

Tu rêves ou le type tente une autre approche ?
Il est teubé ou il le fait exprès ?
Il croit que je suis la mère de ses mioches...
Bon, OK mec, tu m'as bien fait marrer

mais il est grand temps de me supprimer,
je suis pas une fille pour toi donc décroche....
j'aurai toujours aqua-poney en soirée.
J'aurai toujours autre chose à faire : cinoche

course à pied, ou me coller une taloche.
Tu sais, ça nous arrive de s'égarer
mais mec on n'est pas que de la bidoche,
faut parler avant de s'énamourer.

Alors toi t'apprends à liker à gauche
et moi j'apprends à ne pas me gourer,
comme ça personne ne loupe le coche,
chacun de son côté pour mieux se marrer.

Thursday 24 May 2018

L'orage


I
Outre les tremblements du présent
la lumière jaillit en feuilles.

Marcher suffit
un rocher, du papier, un crayon
et l'écrasante métaphore du monde à démêler.

Le lichen plus pierre que pierre
les fenêtres ouvertes attendent l'orage
la façade écaillée comme un vieil iguane
avant sa dernière mue
quelques vieilles ratiches sur un coin de friche
s'élancent poignarder le projet d'urbanisation –
ici on reconstruit le passé
calqué sur le papir buvard du présent.

Le murmure des sacs à main en terrasse.

Se griffer au crépi de la ville
on en connait les moindres bruits

Les lignes droites obliquées forcent la perspective
le pas de côté pour déformer l'angle
mais le banc de la nuit reste horizontal
l'accoudoir de la bienséance, on s'en est accommodé
les grues en équilibre sur un pied narguent
nuages gris, grues grèges et gravité grisante
les diagrammes de métal échafaudent la ruine
orchestrent l'archie et la texture du renouveau.

L'herbe trop faible pour embrasser
l'imminence de l'ondée
le lierre, résistant didactique,
les pigeons, bien assis dans leur royaume,
attendent eux-aussi l'orage –
pourtant le lac reste imperturbé
solide dans ses limites de juin.

Les veines aux tempes palpitent comme l'été
la sueur au pli du coude abritant le regard
la peau qui se pigmente au feu de la sieste
c'est l'année de la flanelle et de la soie.

Le matin balayé de larges lavis de brume.

Au seuil de l'étoffe la cigarette se consume
l'excentricité de la chair affranchie de l'étoffe rugueuse.


II
L'orage arrive, l'air flétrissant la torpeur
le pas des badauds pressant le pavé
la peau se grêle avant son arrivée
l'insouciant, lui, finit son discours
les ronds de mousse cerclant la paroi du verre
l'après-midi s'étire plus encore
l'orage amène au seuil du soir.

Dans l'indolence de la digestion.

Le ressouvenir de Vergina et son air crépitant de cigales
abasourdi de touffeur
la nuit le souffle rauque de l'air conditionné
à aucun moment le silence
l'été débardant des stères de lumière
dévalant les collines du Pyrée à bride abattue
tabula-rasant pour mieux préparer la prochaine moisson.

La chair est faible dans la poigne estivale.


III
Le lointain tonnerre noyé dans l'expectoration du traffic
on ne voit jamais bien que le ventre des nuages
ondulant comme la peau de l'océan
danse du ventre aux ruminements menaçants
ils nous rappellent à notre mortalité
les pigeons, eux, ont déserté la terrasse
si appétissantes des touristes que rien n'étonne
alors que le tonnerre tonne, chappe de plomb
pressurant l'atmosphère et nos instincts
forçant le regard à s'élever par-dessus le champ des toits –
oui, les pigeons sont partis.

L'ouest flamboyant de noirceurs
épaisses et poisseuses, suintant de mélancolie.

L'enfant en équilibre sur son ombre
soucieuse du gouffre
s'offre une paire d'ailes de bronze
comme le saint Michel trônant sur l'église
rêveillant sa propre mort et sa propre résurrection
avec d'intranquilles battements de cœur
et de paupières, le corps fléchi
et l'esprit contreplongé dans l'eau de la forge.

Les petits romanichels au visage adulte
le sourcil constamment froncé.


IV
La ligne droite existe aussi peu que le bleu du ciel
ou que le noir de la nuit
l'illusion entretenue par la rémanence rétinienne,
par la permanence cristalline de la perspective
incohérence physique de notre physiologie
et beoins viscérale de notre esprit de croire,
de croître en ce qu'il voit,
malgré l'impermanence des états de la matière
malgré l'entropie et notre désir d'équilibre
l'impossibilité du noir et du blanc
l'indomptabilité du boson,
combattre notre tendance à l'accrétion
notre préférence de la prévalence
notre vouloir être au centre d'un tout.

La marée basse des nuages.

On se croit amarré au bonheur des terrasses
chamarré d'impatience des devantures
d'aventures méritées en des terres au plus loin
le malheur nous terrasse d'habitudes millimétrées
pave nos ventricules de manque à gagner
nous igonrons le nœud dans la gorge
en grands boustrophédons que nous sommes.

Nous traçons donc le médian de Schrödinger,
esquivant le déplaisant de la réalité de comptoir
parce qu'on n'aura pas louvoyé le grand arbre
phylogénétique pour se saborder au vide de la tombe.

L'immédiateté du verbe.

La tension de la brèche
la fissure dans la maçonnerie témoigne
du déficit de cette tension que l'araignée investit
qu'elle entoile non par cette peur du vide
qui nous empoigne
mais parce que les jours comptent et n'existent pas
entre les tremblements du présent,
entre les calques du verbe conjuguable.

Les frémissements du sens sous les mailles du vent
dans l'échoc des silex des phonèmes.

L'étincelle de la connaissance ouvre les bogues.

Les meules des nuages pointillent le champ du ciel.


V
L'emprise araignée épouse l'anfractuosité
pavés sculptés par la foudre des talons.

La chair de l'olive est une gorgée d'été
lorsque la soif prend
son noyau, lui, occupe la bouche affamée de l'hiver

c'est au dehors qu'a lieu la discorde
il faut rompre la chantage de l'équilibre
le pas ferme au milieu des ruines
et au plus près du combat
la danse à même de raviver les braises.

Il est temps d'agir
lorsqu'on laisse le jour aux acouphènes.

Il nous faut essarter nos consciences
même si cela doit se faire par l'orage.

Les matins de lune insomnieuse amarrent la volonté
accentuent la soif plus que de raison
l'ennui enfile sa cagoule noire
d'un coup d'oeil sait où la chair
est la plus tendre.

Fardé d'empoie mais le regard direct
le débardeur choisi révèle la gêne
et la blessure aux cuticules n'a pas encore croûté.

VI
La ville, saisie à la dune de sa torpeur,
laisse tomber son quotidien à peine parcouru
et deux siècles intenses de lumières
rappelée à l'ordre de la barbarie
ne pouvant laisser filer une si belle opportunité
de se dédouaner de sa propre cruauté
l'eau manque mais les bulles de savon s'envole
en un geste éolien difficile à comprendre
détaché de son effroyable contexte
pourtant la ville s'est construite sur la destruction
l'acharnement à l'harnachement des ressources
qui ont toujours été ailleurs.
L'origami du temps à oublier
la honte saisie au creux du pli
d'une forme si parfaite que la déplier
réveille la bête qui a mû le maître
l'orage surprend la fenêtre ouverte au dehors
sans avoir pensé qu'il pouvait y entrer.
Le coup de tonnerre semonce les insouciants
la moitié de la ville apprend la peur
l'autre enfile veste et chapeau, éteint les lumières
et prie un dieu qu'on détache du mur
vademecum qui surprend la poche
et du même coup la déforme.
La panique amène le cœur au bord des livres
le moindre haut-le-cœur et finitatum est
elle pourtant aussi experte en enjambement
de cadavres que de raisonnements
la ville tremble, se rassemble sur la place
où est né le sentiment de liberté
comme les animaux sauvages dans la clairière
quand la secousse est trop grande
le toît ne protège plus et il devient stèle,
comme le petit cherchant la mamelle sèche
le lait y coulant parfois encore.

L'arbre retrouve sa texture et sa divinté
la ville le rélègue dès lors aux parcs
oublie que la forêt dort sous le bitume
ourlant la moindre brèche de lierre ou de lichen
dans son infatiguable et invisible travail de sape.
Elle détruit moins qu'elle n'affirme.

Il est temps de se lever, le chemin attend.

VII
Le vent roidit le corps déjà engourdit de solitude.
On s'abstient de montrer la défaite du visage
on ne croise plus le regard de peur d'être vu
la traque continue, implacable.

Le seul nénuphar de l'étang est en fleur,
patient, attendu et rubis sur l'ongle
ne déçoit pas le jardinier, premier et
second à l'admirer pour boire à sa lie
coupe fraîche d'amertume blanche
un vrai vin dyonisiaque au cœur de la ville.
Le poète, lui non plus, n'en attend pas moins.
La fleur de digitale, elle, émergeant d'entre les barreaux
flétrit à vue de printemps.
L'armoise attend son tour, son heure de gloire,
au fond d'un verre surprenant d'âpreté.
Le temps délie les langues pâteuses
l'eau manque et le noyau d'olive,
net comme un squelette de désert,
vient d'être craché d'impatience :
l'orage ne doit pas décevoir.
Les conversations se font murmures
sur le ton tragique de la confidence
l'étiage résonne comme une malédiction
– on a pris les marques pour les journaux intimes –
le badaud s'étonne de l'étonnement
se fait shaman, thaumaturge, druide, présentateur météo –
le boiteux le sent dans sa guibolle
bien avant tout ce petit monde.
Il rit. Il rit dans sa barbe usée,
jaunie à la gitane,
brûlée au siècle de la grappe et du houblon.
Il jette un dernier coup d'œil amusé au poète
mais il a d'autres jeux à jouer,
d'autres dieux à exploiter, plus dociles.

Le soir s'éteint au seuil du lotus
ses pétales arrangés en nuages corollés
le messager du vent aux joues de silex
fronce son marteau, horloge déréglée
sonnant l'écart à tout-va, au tout-venant.


VIII
Plus d'écart. Le poète respire à peine
claquemuré dans le sourire de la dépression
drainé des ultimes gouttes d'amour personnel.
Il regarde la vie trépidante, goulue,
se dandiner aux fenêtres bourgeoises,
aux fenêtres des HLM, narquoise,
petits pas chassés sur la pointe des pieds
et d'un revers de main antique
lui faire la plus pittoresque nique.

Tous ces regards tournés vers lui
qui ne le regardent pas vraiment
qui espèrent mais pas autant que lui,
la solitude comme une presse d'imprimeur
qui aurait toujours peur de ne pas serrer assez fort
les lettres s'encrant à chaque tour plus profondément
pour ne pas cesser finalement leur pression
qu'après avoir buté contre l'os.
La passion du mot brûle le cœur
sable sous les paupières de l'humanité
et les badauds se moquent, dénient,
échangent un mot, un geste vindicatif
et comme si l'illusion de leur bonheur
en dépendait, harponnent un message de haine
sur sa porte et s'en vont, se frottant la panse
comme après un bon repas.

Lui attend, les mains jointes au bout des doigts,
comme laissant suffisamment d'espace
à des espaces dans des espaces
du vide dans du vide dans du vide :
le plus sûr moyen d'en avoir assez pour créer.
La matière en suspension en puissance
les particules nécessaires créées depuis
la grande division euclidienne –
trame de la trame – plus précisément –
trame toujours renouvelée de la trame usée –
bien en désordre planifié
n'attendant qu'un ultime bloc
pour façonner l'arrangement.
Il n'aurait qu'à claquer les paumes
pour entamer le long voyage
aux confins de la solitude,
comme un coup de tonnerre
dans la nuit d'ivoire
dernier refuge avant la traversée.

Devant l'absolue nécessité du vide
il appréhende chaque interaction
chaque contact avec la matière
avec une précaution de tétrodon.


IX
Il a peur. Peur.
De cette solitude magnifique
magnifiée par la douleur,
les quolibets, les qu'en-dira-t-on,
l'échec de l'impression
la débâcle sordide du baiser.

L'avoir essayé, dernier clou au cercueil.
Il se dit qu'il peut encore attendre –
l'attente rallonge la sensation du temps
mais n'oblige pas à vivre :
il préserve la profondeur de champ
sans contraindre à la récolte.
Oui, il se dit qu'il peut faire ça,
faire semblant d'attendre l'orage
faire semblant de tendre les filets
de rentrer au port, un noyau d'olive en bouche,
s'attabler pour écrire, laissant le temps s'écrouler
tout en observant ces visages attentifs
et ces nuages s'étirant à perte de vue
cherchant l'omission dans l'oraison muette
tout en serrant les points tout en pleurant.

Le vent du nord, cendreux, force l'imaginaire
des clairs-obscurs des banc publics
sur la même place où deux cents ans plus tôt
la tête du roi tombe telle une comète
aux cris de liesse d'une foule abasourdie.

Les groupes dansent au gré des affinités,
des sourires timides, des regards entendues –
grand ballet au tiré de rideau du jour
torpeur que l'herbe et la pierre n'oublient pas –
les amoureux transis seuls sont laissés
à la tranquillité rayonnant des clins d'œil
et le poète, parce qu'il observe,
conserve à la mémoire la joie rassasiée
garant de la clôture indifférente du jour
témoin de la palsiante fraîcheur
qui s'explique et pourtant qui surprend
peintre fatigué d'un tableau banal
vu mille fois à chaque porte du monde.
Sont-ils déçus, peut-être,
mais jamais les acteurs ne voient la pièce.


X
Derniers coups de langue de lumière
lappant les vitres luisantes sur les toits.
Au pavé soudain les peaux se grêlent.

L'hésitation de granit au frémissement de juin
rappelle ces coups de fusil tonitruants
que personne pourtant ne semble entendre
provenant de la grange pleine de foin sombre.

La nuit s'est faite et la pluie
appuyée des prières les plus pressantes
lave les toits de la ville.

L'ombre est familière dans le canevas de la sorgue
équarrie au millimètre près par la mémoire
alors que l'œil ne l'a pas encore reconnue.

Les passants filent comme un ciel de traîne
les couleurs meurent dans l'asphyxie des briques
la foule comme des vagues qui ne s'échouent
qu'en dehors du champ de vision
chaînes d'atomes en roue libre
impétus orbital centrifuge
axe hors des gonds sans réel contrôle
bientôt un lointain souvenir
les ouvrages de pierre et de métal-cénotaphes.

La nuit dort contre les flancs de la bête
la ville ceinte des torpeurs d'un été improbable
appuie sa tête languide sur son ventre
dans cet amas de respirations lentes
le poète écoute chaque souffle pour le conter.
Il ne reste plus qu'un pas à faire
pour saisir le seuil et sentir le suin
de la nuit laver la sueur du jour
sceller le corps dans la stupeur de juin.

Récolter la nuit attardée sous les pierres
dans les combes en longs filins chanvrés
qu'on amènera à la rivière pour les rouir,
cette nuit qui a le goût de terre
pour rien au monde on ne l'échangerait
même si on n'a pas pu en jouir.

Plus le matin est clair, plus sombre est le thé.
Au mitan des ténèbres il est d'une pâleur de spectre.

L'oreille collée au flanc régulier
le battement s'estompe dans l'aurore
la bête rythmant les souffles
vient d'ouvrir un œil.
 

Wednesday 23 May 2018

Souffle II


Plus tard hier, il fait nuit blanche
et l'envie de voir la mer, forte,
tentait l'ombre de ses doigts filigranes

elle, danseuse à sensations,
était responsable de cette envie
car penser à elle retenait le temps
en courbant l'échine de la lumière

plus tôt demain, il faisait l'harmattan
la lueur de la page cessait d'être alléchante
recoulait le lait dans la jarre
chassait les corbeaux des gouttières de toit

le courage retrouvé dans un verre de vin
sur le plancher silencieux du matin
vidé il y a cent ans par pure jalousie
il n'y avait plus d'hésitation
plus d'envie de percer les mystères
finie la vie à songer, à mordre
le voyage immobile n'était plus
il fallait à présent parcourir
insensément fini et infini
faire fossile des ballasts
aller, laisser, vibrer le cycle
étreindre la voie du tout
à défaut de le pouvoir comprendre

de son rire de fin du monde
coulait une rivière folle
comme un rideau battant contre la tempe
emportait les équations
effaçait les souvenirs
rendait le temps et l'espace
insupportablement présent
 

Tuesday 19 September 2017

Le veilleur de lumière


Le vieil homme assis imagine qu'il peut
fasciner la lumière en de longs filins
la rendre plus malléable, plus vibrante
les faire passer à travers le givre de la vitre
à travers le chas impassible de la serrure
pour tresser une natte de photons
qu'on retiendra d'une corde fine
qu'on ondulera autour d'un vase de verre
à travers la page manuscrite filigranée
écourtés à la limite de la rupture chromatique
comme la pâte levée du pain quotidien
gorgé autrefois de l'entière lumière du jour
de celle qui fait plisser la paupière de l'oeil clair
qui creuse les rides, la mélancolie et la vallée
de celle qui cache et qui révèle
comme le souvenir d'une morte au coucher
démontrés comme un éventail de partitions
pourtant toujours nouvelles à travers le tesson
ce sable diurne cuit dans la fournaise de la nuit
de celle qui cache et qui révèle
à travers les élytres des satellites, des libellules
qu'on étendra sur le linge encore humide
pour les faire passer, constants, dans l'inconstance
en porte-à-faux avec l'espace, et le temps
ondulés comme et contre l'inertie galiléenne
cerner la lumière pour la mieux diffuser
la cacher pour la mettre en valeur
comme une monstruosité invisible
de celle qui cache et qui révèle
le vieil homme assis dans son étude imagine
qu'il est lui-même source de lumière
un cercle photonique ayant tout d'un monocle
à travers lequel il brillerait par, en et sur sa propre brillance
symétrie des symétries y gagnant en luminosité
à mesure qu'il s'approcherait de lui-même
voyant, inventant, se souvenant de tout dans une fulgurance
gardien, otage, maître et esclave de ce qui l'éclaire
 

Sunday 17 September 2017

De la meilleure façon de perdre utilement son temps #1


Je pratique au quotidien
la perte de temps utile,
celle qui ignore le temps qui file,
qui fait tout d'un petit rien :
lire des dizaines d'articles
sur des animaux disparus,
sur la reproduction des bernicles
ou des trucs encore plus incongrus :
sur les méthodes de survie
en cas d'attaque de zombies,
sur la meilleure façon de cuire
un cookie si on n'a pas de four ;
mon mur entier de Facebook
a de quoi réjouir tout bon plouc :
tout est possible après un tutoriel
même écrit sans aucune voyelle.

Je passe donc mes journées
à ne rien faire utilement,
comme compter lentement
le nombre de secondes écoulées
depuis que je suis né,
parce qu'au fond, j'ai le temps.
 

Sunday 10 September 2017

Granite


L'hésitation du granite aux frémissements de juin
de consommer la fissure attiédie de beaux jours,
dont l'intrusion s'est faite à l'origine de l'origine,

complétion dont l'homme peut enfin témoigner
– comme ce coup de fusil qui prend ses aises dans la plaine,
qu'on fait d'abord mine de confondre avec la foudre –
provenant de la grange pleine de foin sombre,
au pourpre du départ des manœuvres,
le coucou ayant sonné la fin de la moisson –

on accourt pourtant, on mesure l'interstice,
et l'on voudrait soi-même empoigner la pierre
pour la finir de fendre qu'on ne le pourrait,

alors on observe, et on attend le craquement final
qui survient un soir de fin de fauchage,
alors que sur le tard un ouvrier traine.
On a d'abord cherché l'éclair du regard
puis on a plongé dans le mica de l'œil incrédule
passant par les portes de la grange ouvertes en grand –

car qui aurait cru, sa dureté à l'épreuve du temps établie,
se pouvoir trancher ainsi le coin le rondin
ou bien météoriser en grus sur l'enclume des tempêtes,

qui a construit de ces monuments qu'on passe fier et serein
aux générations qui regardent la montagne immuable
et ne peuvent déceler le laccolite de peine
parce que le grenu de la croûte
a été consciencieusement gratté
chaque matin dès le réveil.

Le bloc de granite succombant à la pression caniculaire
s'affaisse en deux en un bruit sourd, la fissure devenant surface,
forme à jamais perdue, mais parfaite pour la légende.

Friday 8 September 2017

La Marche


A couvert du murmure des ramondies
l'ombre du vent louvoie l'air de rien
entre les pierres chaudies d'après-midi
obombre les fourbes ophidiens.
Intranquille, l'enfant suit son père,
foule sa foulée, comme instruit ;
il suit son regard aux cieux,
mimant l'inquiétude, mais curieux
des signes décryptés par son père –
Regarde bien, c'est un jour de vipère,
les nuages ne mentent pas comme
le font si souvent les hommes –
la marche alourdie, pesante,
est aussi un signe de serpent.
L'air est sifflant, touffu, crissant au toucher.
L'ombre de l'enfant dans l'ombre paternelle
frémirait si elle avait des ailes –
l'envie d'empoigner cette énorme main calleuse,
cette pogne pleine d'une volonté féroce,
est si forte qu'elle en noue sa gorge –
mais le colosse au cœur de roche veille,
il sent la peur de son enfant qui le suit
couler comme la lumière sur la treille,
il avance comme son père avant lui –
sa bouche est pâteuse comme après l'hostie,
pourtant il est plus confiant à suivre son père
que le berger des grandes eucharisties,
dans le sillage de l'idole aux pieds de fer,
de battement de cœur en battement de cœur,
la peur un poids qui sale les perles de sueur.
Et en un instant,
l'herbe n'est plus herbe, le champ devient ciel,
le ciel devient champ devient herbe
devient le soleil seul œil à ne pas cligner
devient le chant oppressant des criquets
suspendu ou accompli
l'horizon aboli
un pas après l'autre,
un pas devient l'autre,
un éclair, peut-être noir, peut-être bleu
divise soudain le vaste monde en deux.
 

Tuesday 18 April 2017

Song for the dead


J'étais qu'un pauvre cul-terreux
Dans un village poussiéreux
Ma belle toi t'étais un torrent
Qui balaie tout en un instant

Je t'aimais et tu brisais le temps
On était tous les deux
On se dit que l'amour est émouvant
Quand on veut être vieux

Parce que l'amour faisait pas semblant
Il était chaleureux
Il voulait nous donner des enfants
Il était sulfureux

On était portés par un grand vent
On n'était plus frileux
Mais l'orage s'est levé brusquement
Puis y'a eu un grand creux

J'étais qu'un pauvre cul-terreux
Dans un village poussiéreux
Ma belle toi t'étais un torrent
Qui balaie tout en un instant

On a l'envie d'aller de l'avant
Oui, l'envie d'être heureux,
Pourtant faire le moindre pas devant
C'est déjà dangereux

J'ai parfois fait le mort, oui, avant,
Pour éviter les bleus
Les coups bas, on s'en est pris tellement
Parce qu'on est amoureux

J'ai traversé les sables mouvants
Je voulais être à deux
Mais t'étais un putain d'ouragan
Et moi trop généreux

J'étais qu'un pauvre cul-terreux
Dans un village poussiéreux
Ma belle toi t'étais un torrent
Qui balaie tout en un instant

L'amour du coup devient décevant
Respirer douloureux
Et toi t'avances, tu dis : « Au suivant. »
Et moi je suis comme un gueux

On a des balafres de survivant
Je croyais que tout irait mieux
Mais je marchais comme un mort-vivant
Comme un vrai miséreux

Alors j'ai fait la guerre dans le vent
Avec les yeux vitreux
J'étais comme un bateau dérivant
Et qui sauve ce qu'il peut

Je suis toujours qu'un cul-terreux
Y'a rien dans mon coeur poussiéreux
Qui attend le prochain torrent
Pour être balayé en un instant.
 

Friday 10 March 2017

Au temps la mer


On attend que le vent change
on serre les dents en attendant
que le grain passe
on tourne on chavire
ficelé dans la nasse
on flotte dans des maillons étranges
on s'attend au pire
on n'est plus dans son assiette
pourtant rien ne s'arrête
on ourdit des plans
qui tombent à l'eau
on tisse des rêves de liberté
en un instant
qui file comme une éternité
et qui revient au point de départ
on veut changer le sens du vent
on veut changer l'essence du vent
on s'emmêle dans les contretemps
rebattus par la galerne
les lames vont et viennent,
battent contre le vent qui durcit
battent contre le ventre qui s'endurcit
les franges laineuses des vagues
comme des nuages de semonce
on tisse, on tisse, on défait l'ouvrage
l'orage détrempe les fils
on panique, on retisse
les foules se tordent malaisées
on rapièce le bateau de Thésée
du mieux qu'on peut
et puis, avec le mauvais temps,
progressivement,
on se détache du fil du temps
on se laisser porter par la houle
par la foule par ces flots
brodés de mille fils d'une eau
ni tout-à-fait verte, ni tout-à-fait bleue
et à perte de vue au loin, l'écheveau
des nuages qui rumine
déjà une autre ruine.

 

Wednesday 8 March 2017

Sur la colline


Nous sommes les enfants qui jouent sur la colline
tombe la pluie, tourne le vent
nous jouons dans les blés qui côtoient les vignes
à colin-maillard presque tout le temps
tombe la pluie, tourne le vent

Nous faisons des rondes jusqu'à l'ivresse
tourne le vent, tombe la pluie
nous dormons tard souvent car rien ne presse
nos souliers trempés aux flaques de nuit
tourne le vent, tombe la pluie

Nous échangeons des baisers et des regards
tourne, tourne le vent !
nous jouons à cache-cache dans le brouillard
nos mains cherchant, nos mains cherchant
tourne, tourne le vent !

Parfois il arrive que l'un d'entre nous meurt
tombe, tombe la pluie !
tombé de la colline, petit dormeur
petit sauteur, tombé du nid
tombe, tombe la pluie !

Nous ne connaissons pas la tristesse
vive la vie, vive le vent
nos cœurs sans cesse bercés d'allégresse
nous sommes tous bien vivants
vive la vie, vive le vent

Nous célébrons les levers de soleil
sombre la vie, triste le temps
nous admirons les lunes vermeilles
nous chantons à nos cœurs palpitants
sombre la vie, triste le temps

Mais chaque réveil décuple nos ardeurs
triste la vie, sombre le temps
nous dessinons des fleurs aux mille couleurs
nous nous embrassons haletants
triste la vie, sombre le temps

Nous sommes les enfants qui jouent sur la colline
tristes et sombres et joyeux et lents
portés par la vie et chantant la pluie opaline
peu soucieux du monde et du temps
tombe le vent, tombe le vent

Wednesday 22 February 2017

Le port


Dans le lointain de ténèbres le fanal scintille
comme une étoile trouant les nuages
le voyage s'achève à l'orée du canal
les mains, crispées au bastingage,
font les cent pas, intranquilles,
il n'a rien perdu, rien trouvé,
s'en est allé conquérir les cartes
pour revenir au point de départ
le navire usé, lui l'échine courbée

la voilure claque comme une vague de nuit
et le vent et le ressac ne peuvent cesser
ni les mers d'huile ni les vagues scélérates

rentrer au plus vite, au plus court,
le pressentiment plus fort que le sommeil
retrouver ceux qu'il sait déjà morts
le courrier passé par une frégate

son bélandre bas en eau, chargé de négoce,
il le voudrait rempli de plus encore
de ces draperies lourdes de Damas,
de ces écorces d'or du pays noir
de ces gemmes bleues du Sri Lanka,
de ce bois précieux de Sumatra,
pour envoyer par le fond, vain sabord,
la folie de cette course et de ces trésors

il voudrait lui-même plonger dans l'abyme
finir dans la vase du temps
mais ce dont la mer ne veut pas, d'une grime
elle le laisse en sillons sur l'estran

toujours cette impression, rentrant
d'un ailleurs toujours plus distant,
que le port arrive à lui, et non l'inverse
en bon marin que seul le roulis berce
il sait que c'est la terre qui se déplace
la mer, elle, en apesanteur,
immobile, fronde le temps,
contient les continents
met de l'espace là où on voit du vide

il a laissé les albatros dans les champs de houle
là-bas où l'air, rare et livide,
vient à manquer, à marquer de son fer rouge,
où le sel conserve et ronge,
où la vie se mêlant aux souvenirs
où le jour se mêle au songe
fait plonger les matelots en des plaines herbues
dans les rires tristes et sans sourires
de ceux qui pour oublier ont trop bu.

Alors, dans ce canal d'ennui où le jour poind à peine
il sent sa peine traîner comme la nuit de pierre
basse et sourde comme un battement de tonnerre
dans la trajectoire de l'horizon de sirène,
il se sent le cœur au bord des lèvres,
mais la carène vogue et au matin blême
il foulera ce sol affalé de dilemme,
écoeuré de gisement et affamé de déferlantes,
ce corps assagi qui ment, le large perlant
aux coins de ses yeux, relent de sel amer
au fond de sa gorge que rien ne fait passer

la démarche mal assurée sur le ferme
l'oreille à l'affût du moindre écho égaré
d'un goéland ou d'un cliquetis de cabestan
figuré au mitan d'une brume d'embrun
qu'aucun sextant ne saurait vaincre
encordée à l'ancre des mirages
long filin qui amène à la plage
attendant un pardon
que la mer adonne ou non
 

Lichen

The blind woman next to me fidgeting in her seat visibly uneasy brushed my arm as if in need of help with her train ticket but she tricked ...