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Tuesday 9 November 2010

Cercles de glace

J'avais prévenu certaines personnes que j'avais encore quelques curiosités sous le coude.

En voici une belle – de curiosité.

Il y a les « crop circles », alias agroglyphes, étranges cercles formés par qui par quoi dans les champs de blé ou autres de par le monde, il y a aussi les « ice circles ». Beaucoup moins choquants visuellement allez-vous me rétorquer. Vous pourrez également me lancer en plein visage qu'il n'y a rien d'extra-terrestrique là-dessous, ergo indigne d'intérêt. Seulement voilà, pas plus d'explication que cela pour le moment, et il est vrai que même la piste ovniaque n'est qu'exploitée (-able?) du bout des lèvres. On tourne en rond.

Revenons donc au commencement, histoire de briser la glace.

Il était une fois de petits cercles de glace qui apparaissaient à la surface d'eaux calmes, en générale celles des lacs, dans les pays geleurs de miches. Ces cercles presque parfaits pouvaient apparaître et disparaître au gré des fluctuations thermiques de la couche de glace et de l'eau. Un jour là, le lendemain fondu, pour réapparaître le surlendemain.

Rien de bien compliqué à comprendre. L'explication naturelle est relativement simple : soit ces cercles sont formés par les vortex sub-aquatiques causés par les courants tourbillonnants (différence entre le courant en surface et celui plus en profondeur), soit ils le sont par les brusques changements de températures (un peu comme le phénomène de surfusion, voir la nouvelle En eaux troubles). La première hydrothèse semble couler de source : le courant détache un morceau de glace et en tournant ledit morceau s'effrite au fur et à mesure sur la glace environnante pour former : un cercle.

L'explication surnaturelle est encore plus simple à comprendre : les E.T. s'en servent pour ... rien du tout d'ailleurs. Rien de sorcier là-dedans. Autant je me laisserais berner par un bon vieux crop circle bien régulier comme celui-ci – et je jette volontairement un pavé dans la mare, si vous me passez l'expression – là je reste plus terre-à-terre.

Comme je dois toujours me faire l'avocat du diable, je vous fais part de cette découverte (pas très récente - 2007) en Russie. Une formation-mère et d'autres plus petites, satellitaires. Un peu plus d'eau encore à mon moulin, sauf que cela impliquerait un peu beaucoup de vortex...

Ceci dit en passant, il faut rappeler que l'eau est l'élément le plus instable de notre système solaire. Je consulte régulièrement le site d'un gars complètement fondu qui répertorie tout ce qui touche à l'eau, de près ou de loin. Encore un qui n'a pas besoin de mettre de vin dans son eau – in aqua veritas (Merci Antoine !)

Pour finir, voici de bien étranges cercles, mais un rien plus grand. A vous de vous faire votre propre idée, sans pour autant vous noyer dans un verre d'eau.
 

Sunday 14 March 2010

Les théorèmes


« Il n'existe pas d'ensemble d'entiers strictement positifs x, y et z vérifiant l'équation xn + yn = zn lorsque n est un entier tel que n>2. J’ai trouvé une merveilleuse démonstration de cette proposition, mais la marge est trop étroite pour la contenir. »
Il le fera plus tard, s'il a le temps. Il a encore des codicilles plein la tête, toute une foule de personnes avec lesquelles s'entretenir. Il doit aussi écrire à Mersenne. Il a l'idée en tête, mais là, il n'a pas le temps. Et il doit finir cette traduction de Diophante, le père de l'algèbre. Et, dernier et non des moindres, il doit rabattre le caquet à ce fat de Descartes. Il sait qu'il a raison: pourquoi la lumière accélèrerait-elle dans l'eau? De plus, son indice de réfraction est erroné, n'importe qui sain d'esprit le verrait comme le nez au milieu de la figure.
Il soupire. Il espère que Clément-Samuel reprendra le flambeau. Bref, aujourd'hui, il a beaucoup de chats à fouetter. Et puis s'il n'a pas le temps, et si son fils n'a pas le temps non plus, quelqu'un retrouvera bien la solution, si lui l'a trouvée. Ce n'est pas comme si le théorème était fondamental, mais du moment qu'on lui rendait crédit pour son génie, il pouvait bien se passer d'un ou deux théorèmes. Là-dessus, il étouffe un pet – qu'il attribue sans hésiter aux haricots de ce midi.
La peste soit de lui s'il n'arrive pas à trouver deux minutes pour écrire sa merveilleuse démonstration.
***

« Evariste! Vite! Enfuis-toi, ils arrivent! »
« Diantre fichtre foutre, » se dit-il tout en courant à perdre haleine, « se faire pincer pour un bon dieu de couteau! Eh merde!»

Un mois plus tard, le voilà libre, l'affaire du toast à Louis Philippe oubliée comme une blague de mauvais goût.
Il n'a plus qu'à se concentrer sur ses théorèmes, même si Cauchy ne semble pas très enclin à lui donner un quelconque crédit, ou ne serait-ce qu'une opportunité de lui mettre un pied à l'étrier. Il marche dans les rues de la capitale et pour lui ça vaut tout l'or du monde. Il brûle la chandelle par les deux bouts, depuis quelques temps, mais l'engagement politique ressemble tellement aux mathématiques qu'il ne peut s'en empêcher. Comme un démon qui aurait pris possession de son esprit. Prendre les éléments à bras le corps – les groupes d'équations réagissant comme les groupes d'hommes – les théoriser puis les exposer à la face du monde – avoir une solution ou pas: voilà le véritable but des mathématiques et de la politique. La vérité est nécessaire, sa recherche est vitale.
La maison d'arrêt loin derrière lui, la Seine déroulant ses morgues eaux dans les entrailles embrumées de la ville, il se dit qu'il a toute la vie devant lui. Demain, il s'attaquera à Gauss.

« La peste soit de l'Église! Allez au diable! » Pourquoi? Pourquoi mourir aussi bêtement? Pas maintenant. Non, pas maintenant. Il sent les battements de son cœur ralentir. Il a laissé des instructions, mais ses théorèmes, ses précieux théorèmes! Son champ des possibles en berne, réduit à quelques minutes tout au plus, alors que la solution est là, dans sa tête, visible comme le soleil au travers de la vitre de l'hôpital. Cauchy l'a trompé, en « perdant » ses articles. Abel, lui non plus, n'aura pas eu le temps de faire quoi que ce soit. Son frère jamais vu était parti trop tôt, eux qui avaient compris les mêmes choses, avaient vu les solutions du monde des mêmes yeux. Cauchy aurait dû les laisser faire. Lui n'a rien trouvé, il était dépassé. Sans Abel, sans lui, rien n'eut été possible. Il a donné sa vie pour un crayon, un bout de papier et une poignée infinie de nombres. Pour la postérité. Parce que si lui a compris, d'autres le pourront.
***

Niels pleure, sur le quai de gare. Pourquoi Cauchy ne lui répond-t-il pas? A quoi bon avoir appris le latin, le grec, l'allemand, le français, si l'homme ne parle pas l'algèbre non plus? Lui ne cherche ni les honneurs ni la gloire, la vérité fait partie de l'équation mais il ne la courtise pas, elle vient d'elle-même. Non, il veut simplement qu'on l'écoute. La solution est là, dans sa tête, mais personne ne lui laisse une chance de l'exposer. Ni Cauchy ni Legendre n'ont pris le temps de lire son mémoire, et il n'a plus d'argent et il fait froid et il sent que la vie n'est pas si longue que cela. Il ne veut pas rentrer, être baladé à droite à gauche ne lui convient pas. Il se sent une gêne au niveau des poumons. Il a peur de la maladie, de la mort. Il ne veut pas rentrer. Qui en ce bas monde veut bien écouter ce qu'il a à dire? Sept frères et sœurs et pas une oreille. Les plus grands spécialistes dans la capitale française et pas un ego qui puisse passer sous l'Arc de Triomphe.
Il a pourtant donné des preuves, sur l'équation quintique, sur les fonctions elliptiques. Si seulement les gens pouvaient être aussi rationnels que ses coefficients, aussi simples qu'un théorème. Il écrira dans le train, ça le calmera, en route vers sa mère patrie.
***

« Fermat s'est gouré, c'est tout. Je ne vois pas comment il aurait pu faire autrement. Je veux dire que Galois et Abel étaient loin d'être nés et c'était pas les plus importants, qu'on a mis pas loin de trois cent cinquante ans à résoudre son fichu théorème. Que nombre de grands esprits se sont cassés le nez dessus. Une petite erreur m'a coûté un an supplémentaire de travaux acharnés, et en tout j'en ai eu pour quatre longues années de boulot et de migraines. C'est pas rien, j'ai pas toute la vie devant moi. J'ai pris le temps dans mon champ des possibles. J'aurai pu faire autre chose, surtout quand on considère que le théorème n'est pas une avancée phénoménale dans les mathématiques – elle n'a même pas de solution! Je me donne le crédit d'avoir réuni en une seule démonstration pratiquement tous les outils de la théorie des nombres. C'est quand même dingue que le type pensait pouvoir écrire tout ça dans un espace un peu plus grand qu'une marge. Une marge! J'ai écrit un bouquin sur ces six pauvres lettres et deux signes algébriques. On me déroule le tapis rouge que tous ont voulu, recherché, convoité secrètement ou pas, depuis trois cent cinquante ans.
_ Ça va les chevilles? Eh, Joe, lui donne plus de bourbon, le pied-tendre a les dents du fond qui baigne. »

Il ne se souvient pas comment il est retourné chez lui, toujours est-il qu'il s'est réveillé sur le canapé du salon, avec une migraine carabinée. Il regarde sa montre : il n'a rendez-vous avec son éditeur que tard dans l'après-midi. Tant mieux. Deux comprimés et de retour sur le canapé.

Il pense à tous ces destins brisés, à présent qu'il peut sortir la tête de l'eau. Fermat, Abel, Galois et les autres, Taniyama aussi. Il ne sait pas pour le premier, mais les autres n'étaient pas passés loin. Ils étaient passés loin du théorème de Fermat – ça, à la rigueur, n'avait que peu d'importance – mais tout en flirtant avec la folie, ils n'étaient pas passés loin de la vérité. Lui non plus, d'ailleurs.
Tout à coup, il se prend à ne plus vouloir les honneurs. Il a démontré des conjectures, des théorèmes, mais n'a pas non plus tout résolu. Il y a encore tellement de vérités à découvrir, cachées derrière les nombres, les équations, les signes. La vérité, les honneurs, tout arrive à point à qui sait – non pas attendre – mais chercher.
« Allez Andy, reprend-toi, la journée va être longue. »
 

Sunday 4 October 2009

En eaux troubles



       « Y'a trop de gîte! » « Y'a trop d'assiette! » Ça gueulait sec par dessus le vent.
       « En tout cas je me sens ni dans l'un ni dans l'autre! » Le navire roulait, tanguait. Les flots spiralaient, les lames bordaient chaque flanc. Il sentait la saucisse de ce midi remonter, accompagnée de ses lentilles. Bon dieu qu'il faisait froid, le slush arrivait doucement. Il était de quart et il faisait nuit noire, il y avait un vent à décorner quelques vaches et on avait l'impression que le vent ne soufflait pas dans une mais dans toutes les directions. Sa deuxième année en mer et la première fois où il ne se sentait plus dans son élément. Le moral dans les chaussettes et l'estomac dans les talons – ou la gorge. Il fallait se concentrer sur les ordres du timonier. Le pauvre bougre barrait comme il pouvait, le commandant étant nonchalamment allongé dans sa cabine à cuver son vin. Ils allaient passer un sale quart d'heure.
       Qui, en fait, en dura quatre. Son quart complet. Le soleil se levait à peine et l'horizon se dégageait au même moment. Ils avaient failli démâter trois fois, on écopait encore sacrément d'en bas et les mines des matelots, oscillant entre le teint cireux hébété et la sale gueule grise de pas rasé, moroses et cernées, témoignaient de la violence de la tempête. Ils en avaient vu le bout. Le navire voguait maintenant en ligne droite, ni tangage ni roulis.
       La saucisse était loin derrière, surnageant dans son bain de lentilles océanique. Il regardait les mousses s'affairer sur le pont, en bon petit chouff. N'empêche que c'était un sacré chantier. Il y avait encore sacrément du vent: un bachi se prit pour une mouette et vola dans les airs. Il regarda tristement le pompon rouge se poser délicatement sur une vague, venir taper la coque puis s'enfoncer dans la masse noire et écumante. Puis il l'entendit. Un bruit sec. Il tourna la tête. Un bon bruit de métal qui se tord et qui n'aime pas ça. Rien de son côté. Bof, il avait dû rêver, le vent aura fait rouler quelque chose contre le bastingage, une mouette qui se sera payée la coque en plein vol.
       Décidément, on se les gelait toujours autant, il rentrerait bien au chaud, lui. Il fit deux pas vers les cabines lorsqu'il l'entendit de nouveau. Une autre mouette? Probabilité en deux minutes: Zéro. L'autre chouff arriva, il avait de beaux cernes. « T'as entendu ça? » « Ouais, c'est à l'avant. » Là-bas, dans les lueurs de l'aube, ils purent distinguer, nettement, sans ambiguïté, une épaisse couche de glace se former sur la paroi externe de la coque. Les embruns semblaient être comme tous les embruns, à ceci près qu'à l'instant même où ils touchaient la paroi de la coque ils gelaient. Et comme il y avait un sacré paquet d'embruns, il y avait une sacré couche de glace. Encore le bruit de métal. Le navire, plombé par le poids à l'avant, piquait du nez, basculait ostensiblement sa proue vers le fond, sa poupe vers le ciel.


       Il est là peut-être parce que sa grand-mère venait toujours là. Il ne sait pas trop. Personne n'y venait, pas même les animaux qui évitaient soigneusement l'endroit. Le lac du diable. Ces eaux stagnantes n'ont pas mauvaise réputation, elles sont maudites. Sa grand-mère fut brûlée pour sorcellerie et emporta avec elle les secrets du lac. C'est d'ailleurs pour cela qu'on la brûla. Elle avait pour habitude de dire que ses eaux étaient pures, mais qu'elles se méritaient. Pas un poisson, pas une herbe, une simple étendue d'eau stagnante, si peu profonde du rivage qu'on en voyait souvent le fond – sa grand-mère seule en connaissait la réelle profondeur. Mais veniez-vous perturber sa surface qu'elle se figeait aussitôt, emprisonnant votre main dans une gangue de glace. Petit, il avait douté de ces histoires à dormir debout et jeté une pierre au beau milieu du lac. Rien ne s'était passé. Il était reparti satisfait. Le lendemain, sa grand-mère jeta à son tour une pierre: les ondes se propagèrent un instant puis se pétrifièrent, dessinant en de sinistres craquements des ridules blanches comme le marbre sur le lac entier.
       Vingt ans plus tard, jeune capitaine à la tête d'une centaine d'hommes, le voilà, mû par l'instinct, sur les rives du lac. Il fait installer un campement de fortune. Les hommes et les chevaux doivent se reposer et puis, de toute façon, leurs poursuivants les rattraperont tôt ou tard. Ils fuient depuis trois jours maintenant, au beau milieu de l'hiver. L'armée est décimée, le commandant est mort, ils ne feront pas tomber ce gouvernement véreux. Ils ont échoué. Mais les autres ne sont pas morts pour rien, et eux comptent bien vendre très chère leur peau. Ils mourront au champ d'honneur, après un dernier baroud. Il fait prévenir les hommes de ne pas faire boire les chevaux dans le lac: on ira chercher de l'eau en cassant la glace de la rivière à une centaine de mètres au nord, on fera fondre de la glace au-dessus du feu. Oui, l'ennemi verra les feux. Oui, cela va sans dire: c'est ici que le dernier affrontement aura lieu. Le corps de l'officier se raidit, brusquement. Il faudra établir des rondes.


       Armés de gaffes ils grattaient la coque. Rien n'y fit, la glace continuait de s'accumuler. Le navire s'enfonçait proue en avant. Peu avait déjà entendu parler de cela, aucun ne l'expliquait sans avoir recours au surnaturel ou au mystique. Ils n'avaient d'autre choix que de réveiller le commandant.


       Ils n'ont pas mis longtemps à retrouver le campement. Le scout est revenu pantelant, haletant des volutes de buée. Ils sont de l'autre côté du lac. Ils ne lui ont laissé la vie sauve que pour faire passer un message: ils doivent se rendre. Ils seront jugés équitablement. Le scout le scrute. Il le regarde droit dans les yeux: les hommes doivent se rassembler de leur côté du lac.


       Il n'y avait plus qu'un mètre et demi entre la ligne d'eau et le bastingage. On voyait un bon tiers du gouvernail hors de l'eau. Le vent coupait les chairs, gerçait les lèvres, et toujours les embruns se solidifiaient sur la coque.
       « Quand j'ai vu le whiskey dans mon verre qui n'était pas dans son assiette, j'ai compris tout de suite. » Le commandant était là, bien stable sur ses pieds alors que nous cherchions à nous rattraper aux bastingages, étonnamment sobre malgré une haleine à vous faire boucler les sourcils. « C'est rare mais ça arrive, surtout à ces latitudes. Du froid, du vent et l'eau est bien en-dessous de zéro et ne gèle pas. C'est comme ça. Au moindre contact avec un objet paf elle gèle. Regardez le mât. Regardez-vous vos gueules de stalactites. » De fines perles collées entre les cils, dans les barbes hirsutes, de la morve congelée au bout du nez. « On va changer de cap pour glacer à tribord tant qu'on est dans le slush, ensuite on glacera la poupe et ainsi de suite. Le vent va nous éloigner un brin de la route mais bon, on peut pas y faire grand chose. Le temps finira bien par changer. »


       Ils sont bien là, alignés en trois vagues successives d'une centaine d'hommes chacune. Leur commandant en tête de cortège. Ils s'impatientent à mesure que ses hommes se positionnent. Lui aussi en tête. La lune est derrière lui, au raz des arbres. Le soleil se lève derrière l'ennemi. Des lueurs orangées, roses, rouges se découpent sur l'horizon. Il met ses mains en porte-voix:
       « Quelles sont les conditions de notre capitulation?
       _ Vous aurez un jugement équitable.
       _ Tous?
       _ Tous? Quoi tous? Non mais vous rêvez! Seulement vous serez jugés, les autres seront exécutés! [silence] Ce sont tous des traîtres! [silence] Rendez vous, vous n'avez aucune chance à trois contre un!
       _ Vous voulez ma tête? Vous voulez celle de mes soldats? Alors venez les chercher vous-même! » Les ordres sont simples, les soldats doivent les respecter à la lettre. Il ne faut pas bouger. Ils vont charger. Il ne faudra attaquer que lorsqu'ils seront près du rivage. On montera alors les piques préparées en toute hâte. Ça freinera quelques ardeurs. Ensuite il faudra charger, en deux vagues.
       « Préparez-vous à vivre l'enfer, insurgés! Chargez! »
       Les voilà. Les chevaux piaffent d'impatience, leurs hennissements emplissent l'air d'échos insupportables. Ils se cabrent, puis s'élancent. Ils sont déjà lancés au grand galop lorsqu'ils atteignent le lac, qu'ils s'enfoncent dans ses eaux. Les cavaliers ont de l'eau jusqu'aux chevilles. Les armes au poing, vociférant.
       Puis un bruit de verre brisé, des craquements sourds, insistants, fatidiques. L'eau du lac sous les yeux ébahis se fige, se contracte. La première vague de cavaliers est stoppée net, pétrifiée dans une carapace de glace. Statues détaillées, minutieuses jusque dans le mouvement figé des crinières, des muscles tendus des cous. Le combat contre l'élément en un spectacle immobile, que le capitaine regarde émerveillé. Dans ses yeux des larmes de reconnaissance, de joie et pour lui et son armée, le destin chaotique de la fuite et peut-être, beaucoup plus tard, l'opportunité de pouvoir se battre de nouveau. Dans les yeux des chevaux de glace, dans les rictus des cavaliers, dans cette main seule qui émerge au ras de la glace, comme coupée nette et posée là simplement, l'incompréhension et la terreur.

Thursday 1 October 2009

Null and Void


“What matters ain't the notes, but the silence between them.” Theoretically attributable to Miles Davis.
      We could have started this story with Miles Davis, but we won't. We'll rather travel through space and time, and then travel again through more space and more time and land in the densely uninhabited village of Worden, Wisconsin, USA, 657 souls at the last count. There is the home of John Michael Collins III, 14, who is on his way to “vomit” in the dictionary (he is bored since 10 o'clock (when he woke up)) and stumbles on the word “void”. His eye was caught more like. There he sees: “'void /vɔɪd/ adj., n., & v. *adj. 1a empty, vacant” Just like this afternoon. Empty, vacant, 3 useless and void of interest afternoon. * n. 1 an empty space, a vacuum (vanished into the void; cannot –”  Why the heck are there two u's at the same time in the same word? Looks like one of 'em darn Latin words Miss Putman uses. Yuck. Let's go to vacuuuumunum. It's just a few pages away anyway. So, “vacuum /'vakjʊəm/ n. & v. * n. (pl. vacuums or vacua /jʊə/) 1 a space entirely devoid of matter”. Wow. If he got it right there was things that had nothing at all in 'em.
      Funny thing, a dictionary. He didn't know he had one until he found it under the bed which his father kept in the attic. Not precisely under the bed, but under one of the legs of the bed. Anyway. That was the closest thing to something remotely interesting he could lay his hands on. The attic was devoid of interest since he had perused every and any odd items up there. Boring area now.
      Anyhow he was intrigued, but he couldn't check anything now. He could still have a go at the crack but he just wasn't sure. His dad had changed the code yesterday evening. Without it he couldn't surf on the Net. All this parental control thing was just too much for him. The post-it read: “Daily allowance: 1 hr”. ONE hour. He should report his parents. And when he actually was surfing he couldn't even google such things as “sex”. The keyboard didn't allow him to type the letters in a row. He cheated of course and put spaces between the letters which he deleted afterward. But then the search was blocked. He had another hour to wait. He decided to go for it.
      Keyboard in hand. He had three tries before blocking everything, after that he would have to wait for his father to go back home and unlock the damn thing. Yelling would be involved. Cursing too. OK. First try: “Rebecca.” No. He had already tried that about a month ago. He actually thought his dad was stupid enough to put the same password twice, but that didn't work. “Johnstopitnow” didn't work either, even though his dad seemed to repeat this same sentence again and again. Last chance: win or wait. He pressed the Enter key. Hourglass. Hourglass. More hourglass. Black screen. White screen. Desktop. “Ohmygoditworks!” he yelled. His dad hadn't put any password, or rather the password was...yeah...void. Vacant, empty. Another reason to google it. He was smirking, he saw it in the reflection of the screen as the page went dark. V-o-i-d, Enter.
      Images flickered on and off; concepts floated by; he was in a stream of information and before he realised it he was swept away. Some of the things in there he didn't understand a word of. But he did get one thing: void was everywhere. It was what defined words: signs put together separated by spaces on each side. Even the letters were composed of a skilful arrangement of lines and voids, best example being the “O”, which was nothing but void circled by the thinnest black line and then more void. Notes were defined by the silences on either side of noise. The vastest areas of void were to be found in the universe, which defined the filaments, which were masses of galaxies huddled together. Together wasn't even the term because void was to be found between each and every star, planet, exoplanet, shooting star, black holes. A planet was bordered on all sides by void. Every human was some mass with a limitation. However huge could a man become, he was still formed from matter and surrounded by void. Each and every one of our cells – or for that matter any molecule of any object, living thing or solids – was an intricate structure of molecules surrounded by void. Matter and void. Molecules formed from smaller particles themselves circled on all sides by void, however infinitesimal. Those...quarks were supposed to be the smallest things on earth. He knew there ought to be smaller things. He would find out, even if it would take his entire life. He wanted to find out why there was so much void around us, why it was so important it defined every thing, from the biggest to the smallest. At least it would fill his day, and he wouldn't be bored anymore. John Michael Collins III would agree ending this story with the Tao-Tö King, whom he doesn't know, yet: “We shape clay into a pot, but it is the emptiness inside that holds whatever we want.”


Wednesday 30 September 2009

36000 étoiles


        Monsieur Olbers, un jour qu'il était à Brême dans un salon réservé à ceux qui fumaient des cigares et buvaient du brandy tout en racontant des histoires de chasse (on est en 1800 et quelques, alors on les excuse), sûrement autant pour pimenter un quotidien morose que pour réveiller tous ces flemmards en charentaises, jeta un pavé dans la mare: « Pourquoi fait-il nuit? » Ou demandé dans l'autre sens: « Pourquoi à un moment donné ne fait-il plus jour? » Les plus prompts à vouloir reprendre leur article de journal – les inconscients! - rétorquèrent: « Eh bien! C'est parce que la terre a tourné sur son axe et que le soleil n'est plus visible de notre position, pardi! » Ils se firent traiter de fifrelins, de galvaudeux, de bas de plafond. Certes, la lumière du soleil occulte celle des étoiles, étant plus proche que ses consœurs distantes de plusieurs milliers d'années-lumière. Donc lorsque le soleil est occupé à éclairer nos amis de l'autre côté de la terre, il fait nuit chez nous, certes. Et là Heinrich Olbers fulmine: « Et encore ça c'est que le début – ok, d'accord, faîtes les malins, mais vous savez combien d'étoiles? Hein? Hein? Ben y'en a un sacré paquet, des milliards de milliards même, alors si y'en a autant pourquoi quand il fait nuit eh ben on voit pas tout un ciel rempli d'étoiles? Hein? Y devrait pas y avoir de noir entre les étoiles. » Il était sacrément sur les dents, le médecin (ah oui, au fait, il était médecin). Bande de crétins!
        Face à tant d'emportement pour si peu de choses, on posa son verre de brandy et on exposa clairement la situation à ce bon vieux Olbers qui d'habitude ne faisait pas de vague: « Mon cher, rien ne sert de s'énerver! Voyons: auriez-vous oublié de prendre en compte les astres qui ne rayonnent pas? Ils occultent l'éclat de toutes les étoiles situées derrière eux par rapport à notre champ de vision. Ensuite, il y a des étoiles qui ne rayonnent pas autant que notre bon vieux soleil. De plus, les étoiles meurent. Et pour finir, regardez la distance qu'il y a entre nous et les planètes, ou même les systèmes solaires, il y a un sacré vide entre chaque sphère. » Tiens, pensèrent-ils, cloué le bec au Olbers. Bon, où ai-je mis mon verre, moi?
        Sauf qu'il était pugnace, coriace comme un de ces morceaux de plastique qu'on n'a découpé qu'aux trois-quarts – par pure fainéantise, il faut l'admettre – et qu'on veut finir de « découper » en tirant dessus comme des sourds. « Rien à faire gnnnnnnn, ça veut pas venir. Gnnnnnnnnn! C'est pas vrai de voir ça, je vais être obligé de reprendre les ciseaux! » Il était comme ça, Olbers, il avait tendance à faire serrer les dents, mais il y pouvait pas grand chose, il faisait de son mieux, croyez-moi. Il revint à la charge, bille en tête: « Ah ah, mon ami, vous vous fourvoyez le doigt dans l'œil jusqu'aux mollets! Certes les étoiles ont une durée de vie finie, certes les étoiles ne sont point distribuées uniformément, et que l'espace soit fini ou non, statique ou non, importe peu: l'univers est en expansion! Ce que vous avez omis, et c'est grâce à la longueur de mon ami Planck que j'ai pu le déduire, c'est que la lumière non seulement perd en intensité avec la distance – même si le rayonnement des étoiles est gargantuesque – mais qu'avec cette même distance et le phénomène d'expansion elle se décale vers le rouge! Ah ah, vous ne savez plus que dire, vous voilà bien attrapé! »
        Malheureusement pour lui, il les avait perdus quelque part entre « fourvoyez » et « mollets ». Ceux, peu nombreux, qui lisaient près de la bibliothèque ne purent s'empêcher d'admonester du regard celui troublait leur quiétude et l'apostrophèrent en ces termes: « Je ne sais pas qui est ce planqué qui se prend de langueur, mais que vient faire le rouge là-dedans? »
        « Pu**** mais t'es relou, tu piges rien! Le rouge foncé c'est presque du noir! 'Tain mais en plus c'est d'la lumière visible dont j'te cause, handicapé du cerveau! Et tu laisses mon pote Planck sinon j'te dévisse le crâne! Faut tout vous apprendre c'est un truc de malade: les étoiles elles se cassent. Elles en ont marre de vos sales gueules! A cause de l'expansion elles s'éloignent, bande de mous du gland. Sa mère, même les atomes dans la voûte ont pas assez de densité pour éclairer vos culs tout blancs! Zonards!, Ziva vous m'les cassez grave! Si c'est comme ça j'me tire! »
        Sur ces entrefaites, il prit congé de ses camarades, les laissant à leur perplexité. Il savait au fond de lui qu'il avait raison: « Au fond de moi, je sais que j'ai raison. Nul ne me fera changer d'avis. Je vais voir mon ami Goethe, lui saura m'écouter. Non mais!»
        Ce n'est pas comme s'il y avait une centaine d'années de décalage entre lui et monsieur Planck, ou comme si plusieurs de ses observations ne pouvaient être faites qu'avec un spectrographe à unité intégrale de champ, non. Tout de même, quel avant-gardiste ce Olbers. Il avait tout compris.

Habits

I am a man of habits I got to this conclusion because I flash-realised that I am hoping that someone, someday will see the patterns the rou...