Tuesday 13 May 2008

Opus #15

20 décembre,

[Il a froid. Il doit marcher le long de cet interminable couloir, même s'il ignore pourquoi. Il le doit. Il marche depuis des heures dans ce large passage au sol rocailleux. Parfois au loin puis parfois étonnamment près, de l'eau coule goutte à goutte dans une flaque. À un rythme régulier. Comme un métronome. Ploc. Ploc. Ploc. Ploc. Une main courant sur la surface rugueuse de la paroi il arpente les distances. Il n'y voit rien. Pas grand chose. Pas assez à son goût. Pas une source de lumière. Il pourrait distinguer un tant soit peu s'il y avait quelque chose à distinguer. Il a l'impression de monter, de descendre, d'aller de tout côté sauf d'arriver au but. Plus il avance et plus l'obscurité s'épaissit. Plus la moindre faille dans l'ombre. Plus que le ploc ploc et la main rivée au mur. Ses pas sont mesurés. Il a cessé de les compter depuis longtemps. Pas la moindre bifurcation, c'est déjà ça. Impression étrange. Des ombres dansent devant ses yeux, au rythme de ses pas, comme en suspension dans l'air. Des marionnettes aux fils invisibles. Il tend la main tout en sachant que cela ne sert à rien. Intouchables car trop vives. Mais il y en a une qui a l'air plus lente alors il la pourchasse mais sa main doit rester sur le mur au risque de ne plus savoir comment aller de l'avant. Il peut presque la toucher. Elle semble fatiguée, molle, défaitiste. Il l'a. Presque. Tenter un brusque pas en avant pour la surprendre – quelque chose retient son pied. Il trébuche. Il met les mains devant lui mais sa tête cogne le sol dur comme de la pierre. Toujours dans le noir il tâtonne. Il a un mal de chien. Ne parvient pas à retrouver le mur. Comme s'il se trouvait dans un espace ouvert. Mais il se sent étouffer et le ploc ploc qu'il avait oublié revient de plus belle. Il tend les bras mais rien que le vide de l'ombre. Il crie et sa voix résonne; pas de mur sur lequel rebondir. Son cri meurt bientôt, sonne désespérément creux. Il n'a plus qu'à se diriger tant bien que mal, à quatre pattes sur le sol comme un chien, vers le ploc ploc qui lui donne soif. Sa tête le fait souffrir. Peut-être saigne-t-il. Au moins une belle bosse. Ploc ploc plus près. Pas si loin que ça mais pas sous la paume de la main. Il s'énerve. Il a la tête comme une vraie caisse de résonance et sa bouche est pâteuse comme un lendemain de cuite. Bon dieu. Il en a assez de se ridiculiser de la sorte. Les ombres continuent leur ballet, comme pour le narguer. Ploc. Ploc. Pourtant il ne se donne pas en spectacle, il n'y a pas de public. Mais il se sent le jouet de quelque chose, de quelqu'un qui doit avoir le sourire aux lèvres. Il a l'impression de tourner en rond, de ne pas avancer droit. Il s'arrête, retient sa respiration. Ploc. Ploc. Ploc. Ploc. Il tenterait bien de se relever mais il a peur de retomber. D'ailleurs, sur quoi a-t-il trébuché? Putain de merde où est la sortie. Et ça danse encore devant ses yeux. Le ploc ploc lui donnera au moins un point de repère. Ou pas. Il serre les dents. Ploc. Ploc. Ça grince. Il a soif. Il a froid. L'humidité est invivable, transperce les os, pénètre les chairs comme s'il n'eût pas eu de peau. Ses vêtements frottent, s'accrochent, se déchirent; ses paumes et ses doigts sont griffés. Il a mal. Ploc. Ploc. Puis soudain sa main droite plonge dans la flaque. Il ne réfléchit plus, avale à grosse gorgée, ne parvient pas à boire correctement: l'eau est trop consistante, trop épaisse. Il a toujours soif mais ce qu'il boit lui fait froid dans le dos. Il hésite, voudrait se réveiller parce qu'il doit bien être dans un rêve, non? Ploc. Ploc. Assourdissant. Les ombres semblent vouloir lui faire monter le regard, mais il n'y a rien à voir. Il lève la tête. Tend les bras. Sent quelque chose que son expérience lui figure immanquablement comme un pied. Il remonte et c'est une jambe puis un corps qui se dévoile à son toucher. Ploc. Ploc. Un corps pendu. De larges plaies s'ouvrent sur les cuisses et la poitrine. Il a soif, mais tout à coup il répugne à boire ce sang frais. C'est de l'eau dont il a envie, dont il a besoin, qu'il a cru entendre depuis qu'il s'est retrouvé là. Et puis c'est trop facile. Qui l'a tué ce bonhomme? Pas lui. Mais ce n'est pas la véritable raison. Il n'en a tout simplement pas envie. Ploc. Ploc. Ce qu'il veut, par dessus tout, c'est sortir de ce rêve à la con. Se réveiller et aller travailler. Peut-être tuer. Voir de la lumière, le jour. Ne pas avoir à s'avouer que oui, ici, il a peur.]

Lichen

The blind woman next to me fidgeting in her seat visibly uneasy brushed my arm as if in need of help with her train ticket but she tricked ...