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Monday 5 July 2010

Histoire dont vous êtes les héros - Version PDF sur Scribd

Histoire dont vous êtes les héros (en quelque sorte)                                                                                                                                   

Histoire dont vous êtes les héros #10 - (en)fin!


...au gré du hasard. Ce dont vous êtes certain :

Le boucher slave, s'il n'a pas reçu votre projectile, doit être passablement sur les nerfs. Il a beau avoir reçu un tamashigiri dans les côtes, avoir un roquet poinçonné sur un mollet et s'être mangé une pelle en pleine poire, vous pensez qu'il a dû en voir d'autres. Ergo, il sera d'une humeur massacrante.

Ce dont vous n'êtes pas certain (et c'est peu dire) :

Où est partie cette satanée balle?

Tout peut s'expliquer en un centième de seconde – l'équivalent du trajet de la balle :

Imaginez donc cette balle à cœur de plomb chemisée de cuivre (tout cela, vous le savez de source sûre, n'est pas du tout éco-responsable) 9mm Parabellum (« Si vis pacem, para bellum » Vegetius, Epitoma Rei Militaris : si tu veux la paix, prépare la guerre) aka FMJ ou Full Metal Jacket, violemment amorcée par le percuteur, éjectée par le canon de l'arme, en l'absence de nuage de poudre (depuis les années 1890 il n'y en a plus – oust la sempiternelle poudre noire), lancée à une vitesse approximative de 350 m/s: donc Emir, situé à environ 3 mètres 95, allez, disons 4 mètres, devrait recevoir la balle, s'il la reçoit, dans 0,011428571428571428571428571428571 seconde (vous pouvez donc voir que vous aviez raison depuis le début). Ceci étant dit, ceci étant fait, vous voilà embarqué dans un récit qui dure 0,011428571428571428571428571428571 seconde.

La balle est sur son trajet, sa trajectoire est linéaire (l'impact de la distance est ici négligeable), droite, dans l'alignement imprimé par le canon. Elle a une légère tendance à vriller sur elle-même, mais là encore la distance fait que ce mouvement est négligeable. Vous pouvez d'ores et déjà éliminer la direction de l'épaule, l'angle du canon ne la permet pas.

Pendant le temps où la main du destin dirige votre balle, vous voyez le futur se dessiner au fin fond de votre esprit, aussi distinctement et aussi véritablement que Cassandre a dû voir le sien. Vous voyez Elena dans vos bras après une nuit d'amour enfiévré ; vous vous voyez affalé sur un transat sur une île paradisiaque, au beau milieu de nulle part, un hydravion en arrière-plan amarré à un ponton dans une crique bleu turquoise, à siroter un cocktail tout en écrivant une carte postale à Mme Froitemont accompagnée d'un chèque pour les croquettes au caviar de Polly ; vous vous voyez dans un appartement sur la cinquième avenue à New-York, votre Walther PPK exposé, bien en vue, dans une vitrine en verre, à donner une réception où vous ne reconnaissez pas encore tout le gratin, mais il y a bien quelques stars hollywoodiennes comme...comme...Woody Allen ou Gianna Michaels (NDLR n'allez pas voir, sauf si vous êtes majeur et vacciné – un vieux reste du célibat forcé de notre héros), ou encore Nicole Scherzinger, même si c'est une chanteuse (là ce n'est pas pareil, c'est une vieille habitude, NDLR) ; vous vous voyez main dans la main avec Elena dans les rues enneigées de la capitale moscovite – la balle a parcouru la moitié de la distance (soit deux mètres environ et 0,005714285714285714285714285714 seconde) et il est possible qu'elle aille se ficher dans le chambranle de la porte – vous vous voyez allongé sur le sol, dans une mare de sang, ce salaud d'Emir vous dominant de toute sa superbe, les mains maculées des sangs d'Elena, du vôtre, de Mme Froitemont. Dans un de ses poings hoquète le corps agonisant de Polly, ses poils collés en dread locks affreux ; vous vous voyez dans le meilleur des cas luttant contre le colosse, assénant son visage de violents coups de poings et lui ne bougeant pas d'un pouce, souriant même, une lèvre fendue, et vous envoyant valser sur votre table de salon, sur le mur de votre chambre, votre dos craquant sinistrement sur la table de chevet – la balle est pratiquement arrivée à destination – il ne fait plus aucun doute que seul l'un de ces scénarios est le bon : reste à savoir lequel – et en un instant aussi court qu'une poignée de microseconde, vous voyez cette balle venir de plein fouet se ficher 
 

Thursday 17 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #9 - Google error

Pourriez-vous, chers amis et chères amies, réitérer vos votes, car Google, cette gargouille gargarisée à la glue, semble prendre un malin plaisir à censurer mon bureau de vote!

Je vous redonne les propositions, et je vous serai reconnaissant de bien vouloir remettre vos votes en commentaires...par avance et pour faire la nique à Google, MERCI!


Vous êtes la main du destin: où allez-vous loger cette balle de Walther PPK?

- en pleine tête, entre les deux yeux. Bien fait!
- dans l'épaule, vous êtes clément, et surtout joueur.
- Ohlàlà. Trop compliqué tout ça. Vous laissez la main à votre sœur, Hasard.
- dans la porte.

Tuesday 15 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #9


James Bond. Il vous a appelé James Bond. Comportez-vous comme tel. Sortez sur les toits, trouvez un moyen de descendre, prenez le train et allez chez vos parents. Vous aviserez sur place.
Vous sortez enfin de vos pensées lorsque la porte s'ouvre et Elena rentre en scène, véritablement. Elle ne peut s'empêcher d'être théâtrale, celle-là. Suivie d'une autre beauté slave. A présent tout se met en place dans vos neurones: la comptable emboîte le pas à la traîtresse russe. Une enveloppe marron à la main. « Eh merde, » pensez-vous. Cela doit même se lire sur votre visage.
« Ne fais pas cette tête. Je n'ai rien dit à Emir. Viens dans le salon, il faut qu'on discute. » Vous n'avez pas trop envie de discuter, mais connaissant la demoiselle, elle doit avoir dans son sac à main tout une gamme d'armes, de la lime à ongle en kevlar jusqu'au pistolet TASER.
« Très bien, j'ai des choses à dire moi aussi. » Vous prenez place dans le salon, elles bien sur le rebord du canapé, vous sur un tabouret.
« Si ça ne te gêne pas, je vais commencer. Tu as essayé de te démarquer, c'est honorable, même si ça me surprend de toi. Mais nous avons les cartes en main à présent. Nous avons les listings et la clef. Je te propose un deal: tu viens avec nous et on partage, ou on te donne à manger à Emir et ses chiens. » Là-dessus, la comptable, qui ne comptait pas beaucoup jusque là, sort un drôle de pistolet de son sac à main.
« C'est quoi?
_ Une seringue hypodermique.
_ Bon, je ne pense pas avoir le choix. Je suis des vôtres donc. Mais il me faut une arme.
_ Tu as déjà tiré? » La comptable vous regarde droit dans les yeux. Vous avez dit ça comme ça, sans y penser. Elle considère votre remarque avec un aplomb désarmant. Elena reprend la parole.
« Visiblement non. Natacha, donne-lui le Walther. Comme ça il ne risque pas de nous tuer s'il nous tire dessus sans le vouloir.
_ La confiance règne.
_ On n'a pas beaucoup de temps avant qu'Emir ne vienne fourrer son nez ici. Tu n'as pas intérêt à nous lâcher, on ne sera pas trop de trois. On y va. » Vous êtes tous déjà debout. Vous n'avez pas le temps de réfléchir, vous suivez. Arrivés à la porte, celle-ci s'ouvre d'elle-même. En un instant, les deux filles se plaquent contre le mur et vous restez tout penaud, « comme un con » diraient certaines personnes médisantes, à regarder Emir, encore la poignée dans la main, vous dévisageant et ses yeux se fixant soudain sur votre arme.
« Un Walther PPK. On se prend donc vraiment pour James Bond. Allez-y les gars. » Il fait un pas de côté pour laisser passer trois murs noirs, dont un avec un pansement sur le nez. Vous auriez aimé faire quelque chose, mais les filles ne vous en laissent pas le temps. Un « pft » et l'un des gorilles n'est plus qu'une masse geignante sur votre tapis qui dit « BONJOUR ». Les deux autres se retournent et se retrouvent lacérés de coups de pieds et de poings, à tel point que vous vous demandez si les armes les plus efficaces ne sont pas les sacs à main, voire les mains elles-mêmes. En un rien de temps il n'en reste plus qu'un debout, mais c'est sans compter sur Emir qui, d'un geste d'une précision effroyable, enserre de ses larges mains poilues, en un instant, la tête de la comptable et la fait tourner avec un craquement sinistre. Elle ne comptera plus, désormais. Vous pouvez lire la peine sur le visage d'Elena qui sort un TASER de son sac à main et électrocute le dernier molosse qui voulait se rebiffer.
Elle se redresse. Vous voilà à deux contre un. Sauf que ce salopard d'Emir est beaucoup, mais alors beaucoup, plus rapide que vous. Il sort un couteau de son ceinturon, jaillit auprès de la jolie russe et la tenaille rudement, lui passe la lame sous la gorge fine. Un mince filet de sang laisse un sillon le long de l'albâtre de sa peau.
Vous n'avez pas bougé le petit doigt jusqu'à maintenant, il est peut-être temps de faire quelque chose, non? Vous pointez alors votre Walther PPK bien droit devant vous, le tenant à deux mains, les jambes bien écartées. Emir sourit.
« Lâche-la, pourriture.
_ Tu te crois dans un film? T'es vraiment un loser de première. Je sais pas ce que tu lui trouvais, Lena chérie, mais il est bon à foutre dans un film de série Z, ton zozo.
_ Bon, ça va aller? Je suis là et j'ai une arme pointée sur toi » et vous trouvez judicieux d'ajouter « connard ».
_ Vas-y, James Bond, tire. Qu'est-ce que tu attends? Tu as peur de louper ton coup? Il faut viser entre les deux yeux et pour un boss comme toi, ça devrait pas poser de problème. » Il marque un point, mais en même temps qui ne tente rien, n'a rien. Quelque chose sur le visage de la jeune femme vous indique que votre détermination respire la mort à plein nez en ce qui la concerne. Mais vous n'allez pas vous démonter en si bon chemin. Rien n'arrivait dans votre vie jusqu'à ce fameux matin où tout a basculé.
Votre doigt est sur ce que vous pensez être la gâchette. Le temps a dû ralentir, car le coup met une éternité à partir. Mais quelque chose vous surprend: Emir se tord de douleur alors que vous n'avez pas tiré, du moins vous semble-t-il. Vous ne comprenez pas non plus comment Elena a réussi à se dégager et à donner un violent coup « tamashigiri » dans les côtes du boucher slave, ni d'ailleurs ce qu'elle semble vous dire alors qu'elle plonge à terre. Ce qui vous intéresse, c'est de voir cet homme se retourner vers la porte encore ouverte et de vous étonner de la présence de Polly, les crocs visiblement bien plantés dans un mollet du barbare, puis de celle de Madame Froitemont, qui d'un geste fracassant abat une pelle à ramasser les cendres de cheminée sur la tête du malheureux soldat chvéïk. C'est alors que votre balle se décide à partir...


Vous êtes la main du destin: où allez-vous loger cette balle de Walther PPK?

Tuesday 1 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #8


Vous pouvez essayer de vous enfuir. Peut-être y a-t-il assez d'argent dans l'enveloppe pour partir? Qui ne tente rien n'a rien! Fébrile, vous regardez votre montre. Il ne vous reste plus qu'à feindre la nausée – ce qui ne devrait effectivement pas tarder – selon le plan du Boucher slave. Voilà que, bien inconsciemment, vous vous mettez à réfléchir. Vous fouillez dans votre tiroir et en extrayez une enveloppe marron sensiblement de la même taille que la plus grande. Vous vous demandez s'ils savent exactement ce que contenait le coffre, mais vous vous sentez de taille pour les berner. Vous voilà prêt: vous ouvrez l'enveloppe. Une liasse de feuilles A4 avec tout un tas de numéros et de noms. Comme c'est un peu votre métier, vous saisissez tout de suite que ce sont des comptes bancaires en...suisse peut-être, et qu'un sacré paquet d'argent transit dessus. Vous voilà fixé. Au tour de la petite enveloppe à présent. Rien d'autre qu'un petit bout de papier, vraisemblablement arraché d'une nappe comme dans les brasseries l'été, sur lequel figure un nom bizarre, ou un mot, « M ektoub » et un numéro, peut-être de téléphone.
Il reste la clef. Une clef basique. De boîtes aux lettres, peut-être, quoiqu'un peu longue.
Sans l'avoir véritablement décidé, vous vous retrouvez devant la photocopieuse qui avale la liasse et la ressort dupliquée. Vous ne croisez personne alors que vous retournez dans votre bureau, replacez l'original dans la nouvelle enveloppe.
Il ne vous reste plus qu'à savoir où mettre le numéro et la clef. Ni une ni deux, vous glissez le tout – photocopies, clef, morceau de papier – dans une autre enveloppe marron, écrivez l'adresse de vos parents dessus et la mettez sur votre bureau. Elle partira au courrier en fin d'après-midi. C'est à ce moment qu'entre la comptable. Vous ne l'aviez jamais remarqué, mais il y a une sorte de beauté indéfinissable en elle. Ses traits sont fins, elle est élancée mais ses hanches se laissent deviner sous ses vêtements un peu lâches. Elle a de beaux cheveux noirs, fins, ramenés en chignon sur le haut de la tête qu'elle porte droite, bien maintenue sur ses épaules carrées. Un rien strict. Elle vous demande si vous allez bien, vous êtes pâle comme un linge. Vous lui demandez si la secrétaire est là, pour l'avertir que bien que soyez venu, vous ne vous sentez pas bien. Vous allez rentrer chez vous. La comptable se balance sur un pied et son déhanché attire votre regard. La secrétaire est en réunion avec le patron, si vous voulez elle fera passer le message. Même pas besoin de feindre. C'est pas beau ça? Vous la remerciez, et pensez pour vous-même qu'une fois cette histoire de fous furieux terminée, vous l'inviteriez bien à déjeuner, histoire de faire plus ample connaissance. En attendant, vos yeux s'attardent sur ses jambes, ou est-ce plus haut, alors qu'elle quitte votre bureau en vous souhaitant de vous remettre rapidement. Un joli sourire.

Qui contraste nettement avec les visages qui vous scrutent alors que vous montez dans la voiture du Boucher slave, garée au coin de la rue. Il y a trois gorilles à l'arrière de la Volvo. Tous habillés avec de longs manteaux noirs au col relevé. Vous ne pouvez vous empêcher de dire « Salut la Gestapo! » alors que leurs mines pas tibulaires pour deux sous vous font froid dans le dos. Vous vous demandez ce qui peut bien motiver une telle arrogance de votre part.
« Assieds-toi au lieu de dire des conneries. Ton patron se doute de quelque chose? » Visiblement, le Boucher n'est pas là pour discuter le bout de gras.
« Je n'ai vu que la comptable. La secrétaire n'était pas là.
_ Emir! » Le gorille du milieu est visiblement tendu, prêt à en découdre. Il sert ses poings et ses articulations sont blanches, les veines saillantes.
« Mais ils parlent en plus!
_ Ta gueule. Ils sont énervés alors je te conseille de pas les chercher. Tu as tout? L'enveloppe, c'est bien. Et il devait y avoir une clef. Une petite clef. Elle est où ?
_ Une clef ? J'ai rien vu, et j'ai tout bien regardé. » L'autre excité derrière pose une question, rapidement. Il parle comme il doit tirer avec une Kalachnikov, lui. Emir répond « Нет ». S'ensuit une bousculade dans le mètre cube de l'habitacle. Vous sentez l'odeur du cuir prêt de votre visage. Vous ne voyez plus rien. Vous ne vous sentez pas très à l'aise, pour dire le moins. Trop de corps autour de vous, sur vous. C'est pesant, lourd de reproches. Vous sentez même des mains agripper votre cou. C'est alors que dans la confusion des bras et des pieds qui volent un peu partout, vous voyez le poing d'Emir s'abattre au milieu de la masse. Un « Argh » vient mettre un terme au joyeux bordel. Vous voyez de nouveau. Ils vont finir par alerter les passants avec leurs conneries.
« Andreï, Делайте не дерьмо! » L'autre bougre a le nez en sang. Il est plus calme, bizarrement. Il a sorti un étrange mouchoir brodé, ouvragé même. D'un blanc immaculé. Un souvenir du pays, sans aucun doute. Plus trop immaculé maintenant.
« Bon, pas de panique. Tu es certain qu'il y avait pas de clef?
_ Certain. Elle sert à quoi cette clef?
_ A fermer ton cercueil si on met pas la main dessus. Essaie de rien dire pendant deux minutes. » Là-dessus, il descend de voiture, vous laissant avec les joyeux drilles. Et dire que vous pensiez il y a trente secondes que l'ambiance était tendue. Vous espérez, vous agrippant au siège d'une main, l'autre sur la poignée de la porte, qu'Emir ne va pas passer trois heures au téléphone. D'ailleurs, qui peut-il bien appeler? Vous aimeriez bien regarder devant vous, ignorer l'ignorance brutale assise derrière vous, mais il semble qu'un démon bien impertinent ait pris possession de vous. Vous vous retournez, un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant vos belles dents qu'un orthodontiste chevronné et d'une patience d'ange a mis plusieurs années à refaçonner pour qu'elles restent toutes dans votre bouche – dents dont vous ne doutez pas perdre le contrôle si vous continuez à titiller vos amis d'un jour. Trois paires d'yeux vous fixent avec autant d'amicalité qu'une roche prête à s'effondrer sur vous. Vous ne savez pas ce qui les retient. Ils semblent se faire la même réflexion. Vous les voyez, comme d'un seul homo brutus castagnus, avancer les épaules vers vous. Ils se remettent dos à la banquette alors que leur chef se remet derrière le volant.
« Je te ramène chez toi. On t'appellera plus tard.
_ Je suis pas libre? Vous m'aviez dit –
_ Tu es vivant, à ce que je sache. Tant qu'on n'a pas la clef, on peut rien faire. Il va falloir que tu retournes au coffre, mais pas aujourd'hui. En plus, on n'en a pas tout à fait fini avec toi. »
Le trajet se fait sans encombres, mais vous vous sentez rougir. Est-ce la chaleur humaine qui ne vous sied pas? Vous avez mal calculé. Vous êtes dans la panade. La clef est en partance pour le Poitou. Alors qu'il vous dépose au pied de votre immeuble, Emir se tourne vers vous:
« Pas de blague, James Bond, si tu appelles la police ou si tu essaies de me jouer un tour, je te ferai regretter ça toute ta vie, longue ou courte. » Vous acquiescez du chef, l'estomac juste derrière vos amygdales que, il n'y a pas si longtemps, vous étiez fier d'avoir conservé.
De retour dans votre appartement où rien n'a bougé – même leur matériel est resté – vous examinez les possibilités qui s'offrent à vous.

Saturday 29 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #7


Vous demanderiez bien ce qu'il entend par « riche » et surtout « libre ». Vous pourriez peut-être même manigancer quelque chose pour filouter les bandits et empocher une partie du magot.
« Qu'est-ce que vous entendez par « riche »? » Son visage s'illumine avec un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant une rangée de dents en or flambant neuves.
« Je crois qu'on va s'entendre.
_ On verra ça après que vous ayez enlevé ce scotch sans m'arracher la moitié de la peau et des poils. J'ai mis vingt ans à avoir cette toison. »

Vous voyez bien dans les yeux des hommes qu'ils font attention à ne pas vous faire de mal, mais vous n'êtes pas certain qu'ils n'y prennent pas un certain plaisir. Toujours est-il que c'est les yeux larmoyants que vous vous dirigez vers la salle de bain ôter les derniers restes de collant sur votre peau. L'ambiance est beaucoup plus décontractée, et vous pourriez en profiter pour vous enfuir, pensez-vous en vous-même. Mais quelque chose en vous vibre lorsque vous pensez à ce que vous allez faire dans quelques heures.

Et soudain vous vous voyez comme dans un film.

L'eau ruisselle sur votre corps sur un air de piano triste, et en gros plan les marques de scotch sur votre peau, la chair de poule, le sang qui s'échappe de vos plaies et une flûte orientale résonne pour accompagner vos rictus de douleur. Ces sons s'entremêlent alors que le sang tourbillonne et s'échappe par le siphon de la douche. Une voix de femme, plaintive, vibre, ondule, entonne une longue mélopée. La scène s'éternise, l'eau coule et s'abat à vos pieds et votre sang en sillons le long de vos chevilles, quelques gouttes qui s'attardent ici et là. La musique continue sur un fond noir.
Vous voilà dehors, dans le matin frais. Marchant au ralenti, vos mouvements amples et mesurés. La voiture de vos acolytes vous attend, portière ouverte sur le trottoir. Et le chant de la femme est toujours là, en fil d'Ariane, une voix capable de sceller un destin. Tout comme vous en cet instant où, prenant place aux côtés de l'homme sans cagoule, vous scellez le vôtre. La caméra s'arrête sur le capot de la voiture. L'homme démarre, son visage impassible. Le vôtre en revanche est tendu, inquiet. Il vous tend une flasque. Vous avalez de grandes lampées d'un breuvage qui vous fait grimacer. Vos yeux semblent s'arrêter sur chacun des détails au dehors de l'habitacle, mais en fait on se rend bien compte qu'ils sont tournés vers l'intérieur, en vous, et les intonations lancinantes de la chanteuse font écho à cette joute manichéenne qui se joue en votre for intérieur. La flasque reflète la lumière des lampadaires. La voiture déambule dans les rues animées mais la caméra ne change pas d'angle, tournée vers le pare-brise et vos visages, le malfrat et le kidnappé soudain devenu complice.

Arrivé devant la banque, la voiture et la mélopée s'arrêtent.
« Alors tu te rappelles ce que tu dois faire?
_ Oui, et vous, vous serez où? Je ne serai pas loi, prêt à te récupérer. Tu diras que finalement tu te sens pas bien du tout et que tu rentres chez toi. Voilà le papier avec le numéro et le nom du propriétaire du coffre. Et n'oublie pas de lui demander ce qu'il se passe si un client perd sa clef.
_ OK. » Plus de questions à poser, obéir aux ordres. Et aux moment où vous sortez, au ralenti, une musique rythmée, avec des basses lourdes, sourdes, et des cuivres criants de toutes leurs tripes éclate en mille coups de tonnerre dans le lointain. Et rythme vos pas. Vous poussez la porte – gros plan par-dessus votre épaule de votre main. Caméra au niveau de votre bassin, la flasque dans votre main gauche, se balance au gré de votre démarche. Toujours la musique battant comme un cœur. Et vous montrez votre badge et vous passez les sas de sécurité et la batterie fait subitement place à un piano qui égrène une petite comptine alors que la caméra, en passant, fait le point sur des visages inquiets, des regards soupçonneux, désapprobateurs. Et un gardien vous arrête, montre d'un coup de menton la flasque. Vous la lui donnez d'un brusque revers de la main, qui vient cogner contre sa poitrine. Interloqué par ce geste, le gardien prend la flasque et vos pas reprennent non aux accents du piano mais aux pulsations de la batterie. Et les bureaux défilent et la caméra, juste au-dessus de votre tête, en légère contre-plongée, met un long couloir en perspective. Et la musique s'arrête alors que la plaque « M. Ponty, Chef des Coffres » s'affiche en gros plan.
« Monsieur Desmart, que me vaut l'honneur?
_ Je ne vais pas abuser ni de votre temps ni de votre gentillesse, Monsieur Ponty. Je suis ici pour un coffre que je dois vider de son contenu. Ma tante, Madame Desmarais, m'a chargé de cette formalité. Voici la clef.
_ Je suis au courant, figurez-vous. Votre « tante » m'a appelé en disant que quelqu'un de confiance viendrait récupérer ses effets personnels. Je n'aurais jamais pensé à vous. Vous devez néanmoins signer le registre comme tout le monde.
_ Cela va de soi. » Et un qanûn fait vibrer ses cordes mélancoliques et auguriennes dans l'air alors que vous apposez votre signature au bas du document. La femme – elle de nouveau – entonne un autre chant, plus profond, et vous accompagne, vous et Monsieur Ponty, vers la salle des coffres. Alors qu'un violon et un alto, comme par désenchantement, viennent tisser une trame mélodique dense, presque oppressante, et par-dessus votre épaule, flou parce que le point n'est pas fait sur lui, vous voyez le vieil homme qui vous jette des coups d'œil à la dérobée. La musique continue alors qu'il sort un trousseau de clefs et ouvre une, puis une deuxième porte blindée. Là des centaines de rectangles dorés apparaissent, entassés du sol au plafond, avec de petits numéros noirs dans les angles. Deux hommes sont au fond de la salle, assis à une table: ils s'interrompent à votre arrivée, puis voyant Ponty, reprennent leur discussion à voix basse.
Il vous désigne d'une main tendue un des rectangles. Vous demande votre clef. D'un geste expert, il sort de l'emplacement une longue boîte rectangulaire et la pose sur une petite table. Il va pour se retirer mais vous l'arrêtez:
« Monsieur Ponty, qu'est-ce qu'il se passe si un client perd sa clef?
_ Ah! Une bien bonne question! Comme quoi je me suis bien trompé sur vous, vous avez plus de jugeote qu'on ne le pense. Eh bien j'ai ceci, au cas où. » Et il déboutonne le col de sa chemise et en extrait une clef brillante, attachée par une lanière de cuir rabougri. Gros plan sur la clef dans la main tremblante, tâchée de vieillesse. « Ceci est le sésame, Julien, le sésame! » Et il remet le passe dans sa chemise. Il tourne enfin les talons, va saluer les deux hommes au fond de la salle.
Vous n'avez pas les idées très claires et la musique inquiétante revient. Vous ouvrez la boîte. Une grosse enveloppe marron s'y trouve. Une plus petite se trouve en dessous. Et une clef. Vous pliez la petite enveloppe et vous la fourrez ainsi que la clef dans votre poche. L'enveloppe sous le bras, précédé du vieil homme, vous regagnez le couloir, puis après lui avoir serré la main, vous regagnez votre bureau. La musique s'arrête subitement.
Que décidez-vous?

Tuesday 25 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #6


Vous ne savez que faire, vous n'avez jamais été braqué avant. Vous vous jetteriez bien sur eux, mais quelque chose vous en empêche. Alors plus qu'une solution: crier, et fuir. Pour une raison inconnue – d'un autre côté vous ne pouvez pas tout savoir, n'est-ce pas ? – vous faîtes l'inverse de ce que vous aviez décidé de faire. Vous fuyez donc, vers la chambre et vous criez ensuite. Vous trouvez ceci fort dommageable alors que votre cri aurait pu alerter les voisins, car ce qui sort de votre bouche presque aussitôt muselée par une poigne forte par-derrière ne ressemble pas beaucoup à un cri. Un gargouillis peut-être, tout au plus.
Alors, en une fraction de seconde, vous voyez le futur défiler devant vos yeux embués de larmes – le malfrat vous fait un mal de chien : vous vous voyez menotté au radiateur, avec un ruban adhésif noir sur la bouche, à devoir regarder ces trois renégats violer la pauvre Elena puis lui trancher la gorge avant de vous faire subir le même sort. Ou alors ils ne vous violeront pas mais vous éviscèreront en prenant leur temps, vous injectant toute une gamme de produits pour vous maintenir éveillé, conscient dans votre agonie, et la douleur vous arrachant des spasmes, des sanglots que personne n'entendra dans le noir de la nuit mais que tous vos voisins imagineront avoir entendu lorsqu'ils entendront, de la bouche de Mister Goussard, gardien de l'immeuble et rapporteur à quatre chandelles, qui jurera tous les grands dieux qu'il a tout vu parce qu'il a dû ouvrir la porte aux policiers et mon dieu tout ce sang des boyaux partout ça puait la viande avariée – excusez-moi Madame Froitemont – GRRRRR – du calme Polly – et il y en avait partout ils ont dû le droguer pour qu'il ne crie pas c'est horrible de devoir endurer autant de souffrance que ça sans pouvoir crier.
Et un instant plus tard, vous vous dîtes que vous venez d'envoyer un message prévenant de votre absence demain: personne ne viendra à la rescousse ni n'aura la moindre puce à l'oreille, pas même le collègue – s'il y en a – qui vous appellera pour prendre de vos nouvelles et qui tombera à chaque fois – c'est-à-dire deux fois – sur le répondeur.
Tout ceci pour dire que si vous aviez crié puis fui, tout ceci aurait pu mieux se terminer.
Mais l'ordre de la soirée est différent. Vous êtes ligoté avec de larges bandes de scotch noir – vous appréhendez déjà l'épilation quasi-intégrale avec leur force de brutes épaisses et ricanantes – et on vous jette sans ménagement sur le lit – qui est vide – car Elena – est en train d'embrasser un des hommes, à travers sa cagoule. La lumière de la lampe de chevet ne laisse rien voir de ses émotions. Peut-être tout simplement parce qu'elle n'en a pas.

L'un des trois, celui que cette p..etite traîtresse d'Elena a embrassé, donne les ordres dans une langue que vous ne reconnaissez pas, mais une langue slave. Pourquoi pas du russe? Ou du serbo-croate. Bref. Une langue de sanguinaires. Ils ne semblent pas vous voir, font des allées et venues dans l'appartement, entreposent du matériel dans la cuisine, boivent des bières à la paille. Il y a quelque chose de ridicule à porter une cagoule – une balaclava, pour être plus précis, mais vous ne le pouvez pas – avec des trous pour les yeux et la bouche. Les yeux parlent aussi, disent des centaines de choses. Sauf que là, rien ne vous parle moins que les yeux inexpressifs des trois hommes. Elena est partie, donc il n'y a pas grand chose à regarder.
Il est six heures douze. Et à cette heure-là, ce jour-là, vous regardez votre chambre avec d'autres yeux. Et vous vous trouvez pitoyable: aucune touche féminine, mélanges de couleurs sans aucun goût ni structure, des objets ternes, sans relief: rien n'accroche l'œil. Tout est plat. À cette même minute, le leader vient s'accroupir à vos côtés. Son haleine est un savant mélange de tabac, de café, de bière et de transpiration. Vous froncez les sourcils.
« Qu'est-ce que tu sens? » vous demande-t-il. Sa voix est mesurée, mais vous en sentez la puissance tapie derrière les « r » qui roulent comme des trains de marchandises.
« J'ai droit à un joker?
_ Tu boiras plus tard. Dis-moi ce que tu sens. Sois honnête, je ne te frapperais pas.
_ Ben vous sentez plutôt mauvais. Ça sent la sueur et le mauvais café. Ça sent le tabac froid et la bière en canette. Je plains Elena d'avoir à vous embrasser. » Voilà que vous lancez des répliques à la James Bond qui se retrouve acculé, prisonnier – sauf que lui réussit toujours à s'en sortir. Votre peau ne vaut pas bien cher dans l'état actuel des choses, mais vous n'avez pu vous empêcher d'insulter ce barbare avec ses yeux de porcs et ses poils de barbe qui passent au travers du tricot. Et contre toute attente – il sourit. On dirait que ça lui plaît que vous l'insultiez. Si ce n'est que cela, vous êtes prêt à recommencer, mais il vous devance.
« Très bon, tavaritch, très bon. J'ai fumé ma dernière cigarette hier et je ne bois pas de bière. Juste du café. Pour la sueur, on ne peut pas dire que j'ai beaucoup transpiré. Elena avait raison, tu es celui qu'il nous faut.
_ J'ai bien peur –
_ Toi, tu te tais. Tu vas faire ce que je te dis de faire. Tu vas aller au travail un peu en retard, faire comme si de rien n'était. Tu vas te débrouiller pour parler à monsieur Ponty. Il t'aime bien, d'après ce qu'on sait, et tu vas lui demander de l'accompagner dans la salle des coffres pour retirer le contenu d'un certain coffre. Voilà la clef. Et tu vas y aller bourré, sans faire de vagues. Si tu fais ça, tu es un homme riche, et un homme libre. » Vous avez envie de lui rire au nez – et c'est ce que vous faîtes.
« Ahahaha, si vous saviez, mon pauvre, Ponty ne peut plus me blairer depuis que j'ai par erreur vu sa boîte mail. Je n'ai fait que voir le titre des deux premiers messages: le vieux est abonné à un site porno. » Il vous a semblé voir un froncement de sourcil, mais la voix ne tremble pas, pas plus que les lèvres ou les cils. Tout paraît sous contrôle.
« Ça, c'est pas grave. Tu as la clef, il ne peut pas te refuser l'accès. Tu inventeras un bobard s'il te demande comment tu as eu la clef. Alors, tu dis quoi? »

Sunday 16 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #5


« On monte ? Je dois bien avoir une bouteille de vin qui traîne quelque part...on discutera en buvant et vous pourrez enfin me dire votre nom. »
Elle ne vous répond que par un sourire. Si seulement à ce moment-là vous aviez tourné la tête vers le côté opposé de la rue...mais vous n'en êtes pas encore là. Vous la précédez et vous montez tous les deux dans l'appartement. La montée se fait beaucoup plus calmement qu'il y a à peine vingt-quatre heures, et vous vous demandez ce qui a bien pu se passer entre hier et aujourd'hui. Mais elle est là, vous entendez ses pas sur les marches, vous sentez son parfum, vous imaginez sa démarche un rien chaloupée...et en moins de temps qu'il ne l'a fallu la dernière fois, vous vous retrouvez plaqué contre le mur et vous sentez ses mains le long de votre corps, s'attarder à l'entrejambe et votre chemise est déboutonnée et – la suite se passe de commentaires. Il suffit de dire que lorsque vous ouvrez enfin la bouteille de vin, elle est allongée sous les draps, nue, les cheveux couvrant son visage. Votre cœur bat encore la chamade.
« De quoi veux-tu parler, Julien?
_ Eh bien, je ne sais pas, commençons par ton nom.
_ Est-ce si important que cela? Pourquoi veux-tu absolument savoir ça?
_ Il me semble que ça pourrait aider dans nos relations, on apprend beaucoup de choses avec un prénom.
_ D'accord, d'accord. Je m'appelle Elena. Sans H. Tu es content?
_ Oui! Passons à la question suivante: comment as-tu connu Albertine?
_ C'est un interrogatoire?
_ Ne le prends pas mal, Elena, je veux juste savoir ce qui nous a amené à être ensemble.
_ Pourquoi ne pas se laisser aller? Pourquoi toujours vouloir tout contrôler? Viens à côté de moi, détends-toi. Trinquons. » Vous faîtes la moue, mais face à un si joli minois, vous ne résistez pas longtemps. Vous n'êtes qu'un homme, après tout. Donc vous trinquez avec Elena, sans H, et au final vous voilà à discuter de tout et de rien, de votre travail – pour une fois que quelqu'un semble réellement intéressé par ce que vous faîtes – de votre vie – idem que pour votre travail – et vous voilà à ouvrir une autre bouteille – et vous remarquez ses tâches de rousseur dans le bas de son dos – la nudité ne semble en rien la gêner – et un léger accent indéfinissable – et elle regarde son portable toutes les cinq minutes – « Tu attends un coup de téléphone?
_ Non, c'est juste qu'il ne faut pas que je laisse passer l'heure.
_ Pourquoi? Tu as quelque chose à faire, quelqu'un à voir?
_ Tu es jaloux? » Et c'est précisément à cet instant que vous tombez définitivement amoureux d'Elena. Son sourire durant cette seconde vous frappe de plein fouet: jamais vous n'avez vu de femme si belle, de sourire si innocent, si envoûtant, si – vous en perdez vos mots. Et quelque chose a du transparaître dans votre regard car elle s'approche de vous et vous embrasse langoureusement et – la suite se passe de commentaires.
Vous continuez comme ceci jusque tard dans la nuit. Votre réveil indique peut-être deux heures, peut-être cinq, mais vous avez trop bu pour distinguer correctement quoi que ce soit. Elena est assoupie, enfin. Jamais vous n'avez eu à satisfaire autant d'ardeur sexuelle. Vous vous levez sans faire de bruit et vous dirigez vers les toilettes.
Au calme, la lumière éteinte, un rai de lune frappant le sol à quelques centimètres au-dessus de votre tête, par la lucarne, vous réfléchissez, le caleçon sur les chevilles. Il y a deux jours, vous ne connaissiez par Elena, et vous voilà à lui faire l'amour comme jamais. Il y a deux jours encore, votre routine était inaltérable et vous en étiez fier, de cette routine que vous aviez mis plusieurs mois à peaufiner. Il y a deux jours, vous n'aviez pas de sentiments – à présent vous sentez votre cœur battre, vos artères se gorger de sang, vos idées claires. Comment une vie peut-elle basculer en si peu de temps? Il y a quand même des choses qui vous chiffonnent, alors que vous vous essuyez: Elena a mis un certain temps à vous dire son prénom, et vous l'avez obtenu de mauvaise grâce. Ensuite, vous ne savez rien de ce qui la lie à Albertine. Elle semblait avoir besoin de vous de manière assez urgente, lorsqu'elle vous a retenu par le bras devant la banque. Maintenant, il ne semble même plus en être question. Bref, vous verrez cela au réveil, tranquillement – vous préviendrez le bureau que vous ne vous sentez pas bien et que vous prenez le reste de la semaine pour vous remettre – d'ailleurs pourquoi ne pas envoyer un mail directement? Cela fera plus crédible.
Aussitôt dit, aussitôt fait, vous tirez la châsse d'eau, vous vous lavez les mains et, assis sur une des chaises de la cuisine, de votre téléphone portable vous envoyez un mail à Nadine, la secrétaire. « Je ne me sens pas bien du tout, j'irai chez le médecin dans la matinée. Je ne pense pas être d'attaque avant la semaine prochaine. Je vous tiens au courant par mail ou par téléphone. Je vous donnerai l'arrêt de travail à mon retour. Bon courage pour le travail. Julien. » Il y a quelque chose d'excitant, que vous avez du mal à vous définir. Mais voilà: vous venez de mentir, et c'est bien la première fois, en ce qui concerne le travail. Jamais vous n'avez resquillé ainsi, « sans vergogne » conviendrait parfaitement. Vous allez pouvoir passer le reste de la semaine avec Elena, en apprendre plus sur elle, la découvrir comme un explorateur découvre un nouveau continent. Et c'est guilleret que vous décidez d'aller la réveiller lui annoncer la bonne nouvelle. Vous vous levez de votre chaise et vous mettez à imaginer ce qu'elle va bien pouvoir vous faire, cette fois.
D'ailleurs, vous entendez son téléphone portable à elle: elle vient de recevoir un message. Tiens, c'est vrai ça: elle n'arrêtait pas de regarder son téléphone. Elle a du oublier un rendez-vous. Pour vous.
Mais la joie est de courte durée: une fraction de seconde plus tard et vous entendez la porte d'entrée s'ouvrir et du bout du couloir – où vous êtes en ce moment crucial – trois figures sombres pénètrent dans votre appartement. Vous n'avez pas beaucoup de temps.

Sunday 9 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #4

Vous vous rasseyez, décidé à ne pas vous lever (de toute façon vous avez du mal) et à bouder un peu. Ce ne sont pas des manières. Elle se tient devant vous, sa respiration est haletante; elle porte une saharienne et un chèche blanc cassé qui contrastent avec ses joues rouges.
« Vous m'en voulez? Je suis désolé.
_ Vous êtes en retard.
_ Vous êtes ivre.
_ Farpaitement. Mais moi j'étais à l'heure.
_ Allez, arrêtez de bouder un peu, Julien.
_ Je n'ai toujours pas l'honneur de savoir à qui je m'adresse. » Elle prend visiblement son temps pour s'installer, sourit même. « Qu'est-ce qui vous fait sourire?
_ Je ne sais pas pourquoi je m'installe. Nous n'allons pas rester bien longtemps de toute façon. »
Interloqué est encore un mot qui aurait pu vous venir en aide. Vous remarquez ses traits fins, son nez légèrement aquilin, ses lèvres minces. Elle pourrait vous plaire. En un instant son visage se grave en vous.
« Vous ne me demandez pas pourquoi?
_ ...
_ Un peu plus et vous allez baver.
_ Hein?
_ Appelez le garçon, commandez de quoi éponger tout cet alcool, puis nous monterons chez vous. » Vous n'en revenez toujours pas, vous faîtes ce qu'elle vous dit.
« François, je vais pendre une salade niçoise prendre . » Silence gêné. Vous, ainsi que François, avez le regard braqué sur la jeune fille. Elle ne dit rien. « Ce sera tout. Et une carafe d'eau. Merci, François. »
Aucun mot n'est dit tandis que vous patientez. Elle ne fait que vous fixer de son regard amusé. Elle sourit. Aussi loin que vous vous le rappelez, François vous a toujours servi avec des manières très affectées, marquées comme elles doivent l'être dans les grands restaurants. Corbeille de pain, carafe froide, constellée de bulles d'air sur les parois intérieures. Vous le remerciez. Vos yeux se rencontrent et vous ne savez dire s'il vous implore ou veut savoir si vous avez besoin d'aide. Il prend congé, sans que vous ayez le temps de donner une réponse que vous n'avez pas encore vous-même formulé.
« Vous voilà servi. Mangez. Vous aurez besoin de toute vos forces.
_ Mais de quoi vous parlez? Je comprends rien du tout.
_ Ne faîtes pas l'innocent, Julien, vous savez très bien ce que nous ferons lorsque nous monterons chez vous. » Votre gorge se serre. « Nous ferons l'amour comme des sauvages, bien entendu. » A cet instant vous croyez à votre bonne étoile: si la fourchette que vous tenez en suspens à quelques centimètres de votre bouche était arrivée à destination, vous auriez recraché tout son contenu au visage de celle qui vous fait face. A cet instant, vous n'êtes que ridicule. Bouche ouverte, coude levé, fourchette à l'horizontale. Vos yeux ronds comme des soucoupes. Vous n'avez même pas à vous poser de questions du genre « c'est du lard ou du cochon? » ou « ya marqué 'pigeon' sur mon front? » Elle se penche vers vous, repousse la fourchette de sa main, vous embrasse langoureusement la lèvre inférieure.
Mais ceci n'est rien à côté de ce qu'elle vous fait une fois dans la cage d'escalier. Vous mettez ça sur le compte de l'alcool, mais vous vous souvenez vaguement que c'est vous qui avez bu. Vous ne pouvez fermer les yeux, vous vivez vos rêves. Si seulement vous ne sombriez pas, si seulement les contours de votre champ de vision ne s'estompaient pas, si seulement les lumières de votre appartement ne cédaient pas aux ténèbres.
Le jour où commençait votre histoire était un jour ordinaire. Aujourd'hui, à bien des égards, l'est tout autant. Il est 6h52 précisément, la sonnerie de votre portable vous tire d'un sommeil sans rêves et surtout de plomb. Vous ouvrez les yeux promptement, et passez aux toilettes, buvez un grand verre d'eau pour réveiller votre corps autant que votre esprit. Peut-être entendez vos pas traîner sur le parquet, peut-être. Vous prenez ensuite un solide petit-déjeuner: thé Lipton, deux tranches de pain/beurre/confiture plus ou moins bien tartinées, un bol de corn-flakes un peu trop sucré, un yaourt nature brassé et un grand verre de jus d'orange sans pulpe. Douche, brossage de dents, comme d'habitude. C'est au moment de l'habillage que rien ne se passe. Votre costume en plusieurs exemplaires vous tend les bras, mais quelque chose dans le coin de votre œil vous alerte. Dans le lit. Là, sous vos yeux ébahis. Personne. Là où il devrait y avoir quelqu'un, quelqu'une, eh bien c'est le vide. Un vide Co(s)mique, intersidérant. Comme aurait dit Audiard, vous avez le palpitant qui s'emballe. Il s'emballe tellement que vous l'avez au bord des lèvres.
Vous avez des souvenirs confus de la soirée, si ce n'est une odeur indescriptible, forte, entêtante. Vos membres se relâchent soudain, deviennent gourds, lourds, encombrants. Mais qu'avez-vous donc fait hier soir? Des folies de votre corps diraient certains. Et son visage vous revient comme un coup de tonnerre. Vous vous asseyez sur le bord du lit. Vous prenez le post-it que vous venez d'apercevoir entre vos mains fébriles.
« Merci. On se voit ce soir? Je ne serai pas en retard, promis. xxx » C'est le pompon. Toujours pas de nom.
En vous rendant au travail vous ne prenez ni journal, ni bus, ni attention à quoi ou qui ce soit. Vous hélez le premier taxi, vous engouffrez à l'intérieur. Vous tendez le premier billet de votre porte-feuille au conducteur. « Ça c'est pour vous si je suis au bureau dans un quart d'heure.
_ Cinquante euros? Ok patron, vous y serez en moins de temps que ça. » Vingt minutes plus tard vous voilà devant la banque. Vous avez quand même pu gagner du temps. Vous scannez la place du regard: aucune trace de l'inconnue. Pas de temps à perdre.
Vous direz bonjour aux autres plus tard, de toute façon vous êtes dans les premiers, avec la comptable. Ordinateur allumé, dépêchedépêche, vous vous connectez à Internet, tapez « Albertine Froissard » fébrilement sur le clavier. Bon, Facebook, Copains d'avant. Elle a bloqué son profil sur le premier site mais vous décidez de lui envoyer un message.
« Albertine, je ne sais pas si tu te souviens de moi, cela fait longtemps – tu parles, ça doit bien faire dix piges. J'espère que tu vas bien – même si je m'en fous pas mal – et que tu as pu mener tes projets à bien – même si t'es caissière à Leclerc je m'en tamponne. – Bon, LE passage délicat – Je me demandais si tu connaissais bien l'amie que tu m'as « envoyée », faute d'un autre mot. Une personne s'est présentée à moi en me disant qu'elle était une de tes amies, et elle a oublié de me donner son numéro de téléphone. Pourrais-tu m'aider – et pas dans dix ans –, merci ? – Bon par la même occasion je vais te demander en amie comme ça je te montre que je suis de bon volonté – En espérant avoir des nouvelles de toi, Julien Desmart. » Ça, c'est fait. Plus qu'à attendre une réponse.
Ce que vous ignorez encore, c'est que cette journée sera longue, à penser à la fille et à vos dossiers et vice-versa, à répondre à des coups de téléphone en espérant que ce soit elle et vous tombez sur votre collègue du bureau d'à côté qui vous demande des agrafes, à vous mettre près de la vitre le midi dans la brasserie pour pouvoir scruter la place au cas où elle vous y attendrait, à consulter vos e-mails toutes les cinq minutes et vous énerver sur « l'autre gourdasse » qui ne vous répond pas.
Vous êtes passablement énervé lorsque vous descendez du taxi (toujours dans l'optique « ne pas perdre de temps »), le soir venu. Mais elle est là, elle vous attend.
« Il faut qu'on parle », lui dîtes-vous.

Mais parler de quoi?

Monday 3 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #3


 
Elle vous a hanté toute la journée. Vous le réalisez à présent. Juste le temps de repasser à l'appart' vous changer et vous serez fin prêt pour le rendez-vous. Tout à coup, pile de gauche, pile de droite, tout cela n'a plus grande importance. Vous avez le cœur léger, et c'est presque sautillant que vous passez dans le couloir, dîtes « au revoir » à la comptable qui ne daigne même pas lever les yeux, et sortez prendre le bus. Il semblerait que tout le monde se soit donné le mot pour sortir en même temps que vous. Le bus est bondé. Aucune place assise. Ça sent la sueur, la cigarette, le graillon. Tant de bras levés avec des auréoles dessinées au niveau des aisselles, de bouches ouvertes qui baillent et montrent des rangées de caries et exhalent leurs haleines viciées. Tant de contact, de microbes vous font froid dans le dos. Vous frissonnez d'ailleurs. Lorsque vous sortez enfin à l'air libre, la tête vous tourne.
Il ne vous faut pas plus de dix minutes pour prendre une douche et vous changer, et il vous en reste encore dix avant l'heure du rendez-vous mais voilà, la nausée ne vous a pas quitté. On peut dire que vous ne fanfaronnez plus. Ça tourne. Vous vous asseyez mais ça ne passe pas. Vous n'allez pas vomir quand même? Eh bien si! Et promptement, en plus. Dommage, c'était un bon pavé Maquignon sauce aux trois poivres. La cassolette de légumes du soleil y passe aussi, d'un coup.
Lorsque vous traversez la rue quelques minutes plus tard, en direction du restaurant, vous vous demandez si le dentifrice haleine glaciale, le bain de bouche au xylytol et le chewing-gum au goût très frais que vous mâchonnez vont faire effet. Votre estomac n'arrête pas de se révolter.
Vous poussez la porte, le garçon vous reconnaît et vous invite à le suivre à votre place habituelle, mais vous déclinez son invitation en lui disant qu'une jeune demoiselle vous attend. Vous jetez un rapide coup d'œil. Pas là.
« Alors ce sera ma place habituelle, François. Merci. Je vais attendre un peu avant de prendre mon apéritif, que la demoiselle arrive. »
Vous n'êtes vraiment pas bien. Rien que de repenser au bus, vous avez un haut-le-cœur. Il faut que vous vous changiez les idées. La carte ne vous est pas d'une grande utilité, vous la connaissez par cœur. Alors vous regardez autour de vous, mais en semaine il n'y a pas beaucoup de monde. Les habitués. Madame Froitemont, votre voisine de palier, qui ne perd pas une occasion de venir vous demander de l'aide le jeudi soir, pour sortir ses poubelles. Sa chienne Polly est roulée en boule sur la chaise à sa gauche. Un vrai roquet. Une boule de nerfs concentrée dans une boule de poils épais et rugueux. Même Madame Froitemont ne saurait dire avec précision de quelle race Polly est « issue ». Un cadeau de son fils, elle n'a pas osé demander. Mais Polly aboie après tout ce qui bouge dans un rayon de cinq à dix mètres, mord tout ce qui s'approche à moins de dix centimètres d'elle. Vous vous souvenez de votre première « rencontre » avec la chienne. Vous l'avez insultée, copieusement, après que celle-ci ait planté ses petits crocs tout pointus dans votre mollet, seule partie charnue située à sa hauteur. Vous n'aviez fait que passer près de sa maîtresse, près des boîtes aux lettres. Première rencontre avec Madame Froitemont qui en fut outrée, et qui mit quelques mois avant de vous adresser la parole, malgré le bouquet de fleurs que vous avez du déposer à sa porte, et malgré vos multiples tentatives pour lui venir en aide. Polly semble calme, mais rien ici ni personne ne s'en approche, pas même le nouveau garçon de salle – quelqu'un a du le mettre au parfum.
Il y a un jeune couple qui se tient la main dans un coin, à l'écart. Ils doivent habiter le quartier, mais pas l'immeuble. Il y a Monsieur Goussard, le gardien de votre immeuble. Et ce doit être sa fille assise en face de lui. Vous la voyez de dos. En parlant de fille, la « vôtre » n'a pas montré le bout de son nez.
Vous voyez le garçon s'impatienter, regarder sa montre. Vous jetez un coup d'œil à la vôtre. Une demi-heure de retard. Vous décidez de prendre un petit Martini. Un geste et le voilà qui arrive. Vous aimez la sensation d'appartenir à un endroit, à une catégorie. Vous aimez le fait de ne même plus avoir à utiliser de mots pour vous exprimer, pour vous faire comprendre. L'alcool vous fait du bien, même si les premières gorgées ne plaisent pas forcément à votre système digestif. Le troisième Martini – une heure de retard – le met définitivement KO. François a ramené une quatrième coupelle de cacahuètes. Vous ne trouvez plus le temps long. Vous pensez à beaucoup de choses. Vous voyez beaucoup de choses. Tous les détails, les attitudes, les postures, les inflexions des voix, les gestes, les manies, les tics, le tressaillement des paupières. Et vous savez que rien ne vous échappe. Vous avez parfois cette faculté-là, l'alcool aidant, d'englober d'un seul coup d'œil toutes les impressions d'une pièce, avec une acuité d'aigle. Sauf qu'arrive un certain moment, comme maintenant, où vous avez du mal à vous débarrasser des échos, de votre vision trouble, d'une irrépressible envie de rire et d'embrasser les gens. Cinq Martinis, c'était vraiment de trop.
Il est vingt-et-une heure quinze – non, vingt – non quinze – allez, entre les deux – et il n'y a toujours pas la queue d'un chat à l'horizon de ce restaurant de ce chien poilu qui s'en va avec sa maîtresse en laisse. Le vioc braille des trucs mais vous captez entre pas grand chose et que dalle. Sa nièce ou sa fille ou sa sœur a pas l'air mal. Vous aimez bien les brunes, surtout de dos. Elle tient sa tête bien droite. Les trois ou quatre François vous regardent, l'air de se dire que vous regardez pas droit alors que vous sentez bien la rose. L'important, c'est la rose, dixit De Gaulle. En fait vous sentez la gerbe, c'est ça le truc qui coince, elle est pas venue parce qu'elle peut vous renifler à travers la glace. Vous vous levez, en vous efforçant de ne pas tituber. Et ce que vous attendiez depuis une demi-heure, et redoutiez depuis quinze minutes, arrive. La jeune femme passe devant la devanture du restaurant sans vous voir; elle a le visage empourpré d'avoir trop couru, d'être en retard.
Que faîtes-vous?
 

Thursday 29 April 2010

Histoire dont vous êtes les héros #2


Vous la dévisagez quelques instants avant de vous apercevoir qu'elle rougit un peu. Vous froncez les sourcils : « Excusez-moi, vous êtes... ?
_ Je suis une amie d'Albertine. Elle m'a dit que vous pourriez m'aider. »
Ah, Albertine. Voilà un peu de concret. Quelque chose à quoi se raccrocher.
« Cela fait un moment que je ne l'ai pas vue, Albertine. Je suis même étonné qu'elle se souvienne de moi. Que puis-je faire pour vous?
_ On ne pourrait pas discuter dans un endroit plus tranquille? »
Il regarde autour de lui. C'est vrai que la rue est passante. La jeune demoiselle, qui est pourtant juste à ses côtés, se trouve en fait près d'une des portes et se fait bousculer par des clients à lui, des collègues qui ne le remarquent même pas.
« Euh, oui, je veux bien, mais là il faut que j'aille travailler. On ne peut pas se voir ce soir?
_ C'est que c'est assez urgent, j'aurai espéré vous parler plus tôt. Vous êtes libre ce midi?
_ Ce midi, je déjeune. Et j'ai une journée qui s'annonce chargée. Je peux vous laisser mes coordonnées de bureau et nous fixerons un rendez-vous dans la soirée. » Il lui tend sa carte de visite. Elle la prend machinalement. La regarde, visiblement déçue. « Je dois y aller à présent, bonne journée, Mademoiselle...?
_ Je vous rappelle dans la journée. A ce soir, Julien. »

Comment vous est-il possible de reprendre le cours normal des événements après cela? Cette demoiselle, dont vous ignoriez jusqu'à l'existence il y a encore une heure, dont vous ignorez encore le nom, qui ne vous en a pas dit plus que cela sur ses motivations, qui se dit être l'amie d'une fille que vous n'avez pas vue depuis des lustres – d'ailleurs vous n'êtes pas certain d'avoir un numéro de portable, encore moins une adresse pour vérifier ses dires – cette demoiselle qui vous intrigue, qui a rougi, vous n'arrivez pas à vous défaire de son visage. De sa voix. Mais vous êtes bien Julien Desmart et bon gré mal gré, sans même trop de regret ou d'arrière-pensées, vous vous laissez entraîner par la routine de votre travail. Lorsque dix heures sonnent, l'inconnue est retournée dans son rang. Totalement oubliée. Pas même une pensée furtive. Mais tout cela est normal, car vous avez des responsabilités, des choses et des gens et des biens mobiliers et immobiliers à gérer, des SICAVS, des stock options, des portefeuilles, des obligations, des parts de marchés. Votre vie professionnelle est bien remplie, mais vous ne vous laissez jamais déborder. Vous prévoyez souvent à l'avance, vous arrivez à anticiper.
Pendant votre pause de déjeuner, assis seul à la brasserie au coin de la rue, dans l'ambiance de verres entrechoqués, de garçons de café au blanc tablier, de rires, de conversations sérieuses et légères, de meubles au bois sombre, vous ne pensez pas à grand' chose. Vos pensées vont à vos dossiers et vos affaires en cours, même si dans la détente générale, dans le rassasiement quotidien quelque chose semble vouloir refaire surface. Vous tenez bon sans même vous en rendre compte.
Ce n'est qu'en rentrant au bureau pour entamer une après-midi somme toute banale que la secrétaire vous laisse un post-it orange fluorescent, sur lequel est écrit à la va-vite « Pas compris le nom/ Voix de femme / RV ce soir 19h45/ Restaurant à côté de chez vous. »
Si vous connaissiez le mot « sibyllin », vous en feriez bon usage. Il vous faut bien trente secondes avant de faire le lien entre le message et la demoiselle qui vous a accosté ce matin. Tout cela vous laisse perplexe. Vous chercheriez bien sur Internet la trace d'Albertine, histoire de voir si vous pourriez remonter jusqu'à la belle inconnue, mais vous n'avez pas le temps. Trop de travail.
Et en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, il est déjà dix-huit heures trente. La plupart de vos collègues ont déserté l'office, rentrés dans leurs pénates. Il ne reste que vous et la comptable. Vous contemplez votre bureau, et vous ne pouvez vous empêcher de vous admirer, un peu. Vous avez abattu une sacré masse de travail aujourd'hui. La pile de gauche, où étaient entassés les dossiers en attente, sont passés à droite et forment une pile bien haute, rectiligne, digne des plus châteaux. Il ne reste que deux dossiers à votre gauche. Sous la pile, un petit triangle orange nargue le coin de votre œil. Il est déjà trop tard alors que vous tirez dessus. Vous aviez laissé de côté le post-it, mais vous ne pouvez plus l'ignorer. Vous regardez votre montre. Qu'allez-vous faire?

Friday 23 April 2010

Histoire dont vous êtes les héros (en quelque sorte) #1


 
Vous êtes Julien, jeune homme d'à peine trente printemps, et même si vos parents ont décidé de vous prénommer ainsi, non point en l'honneur de Jules César, ni pour faire partie de la tribu des Jules (dont vous faîtes malgré tout, et surtout malgré vous, partie) mais parce que ça sonnait bien, et même si environ cent mille familles ont fait le même choix ces trente dernières années, eh bien, ça sonne bien, c'est familier. On connaît tous un Julien. C'est rassurant. Le fait que vous ne l'êtes pas et que malgré votre âge votre pouvoir décisionnel frise le zéro absolu (-273,15°C) n'arrange pas l'opinion que les autres ont de vous. Opinion qu'ils prennent grand soin de ne pas vous donner.
 
Vous souffrez le monde comme d'autres souffrent de devoir regarder « Questions pour un champion » avec leur grand-mère pour égayer ses soirées, un mal pour un bien. Alors vous le laissez couler, le monde, parce que vous n'aimez pas les perturbations ; pourtant elles arrivent et vous vous dîtes fréquemment : « Les emmerdes se déplacent en troupeaux. » Et vous avez diablement raison. De la même manière, il vous est souvent arrivé de vous demander : « Pourquoi ça m'arrive à moi ? Six milliards et demi de pékins sur terre, et ça me tombe dessus. » À présent, cela vous arrive plus rarement. L'habitude. En bref, vous êtes un peu monsieur tout-le-monde. 

Parfois, il vous arrive de penser des choses complètement folles, voire d'en faire. La dernière en date : vous êtes allé jusqu'à rêver d'aller en Patagonie ! Puis vous vous êtes souvenu de votre voyage scolaire en Angleterre : pourquoi s'embêter à aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte ? L'herbe est la même, les gens sont les mêmes. Il pleut plus souvent. Vous rêvez souvent de voyage, d'évasion et vos rêveries éveillées, alimentées par les quelques reportages que vous regardez de temps à autre sur "Arte" vous emmènent loin, très loin de votre quotidien. Quotidien que vous ne boudez pas pour autant.
 
Vous travaillez dans un établissement bancaire; pas au guichet, non, parce que les gens pour vous, c'est à dose homéopathique, ou alors bien infusés, c'est-à-dire vos amis. Vous préférez le calme des bureaux, surtout le vôtre, avec vue sur la rue, bien exposé, au premier étage. Vous êtes apprécié de vos collègues pour votre discrétion, votre politesse, de votre patron pour votre engagement, votre zèle. Vous êtes également apprécié de vos amis pour votre loyauté et votre galanterie. Votre petite amie, quant à elle, vous apprécie pour votre – eh ! mais vous n'avez pas de petite amie ! Une ombre au tableau, la seule. La dernière n'est pas restée, prétextant être trop en sécurité avec vous, et pas assez en danger. Fadaises ! Toujours est-il que vous êtes revenu sur le marché des âmes esseulées, bien décidé à attendre de pied ferme que la demoiselle se manifeste. 

Le jour où commence votre histoire est un jour ordinaire. Vous vous êtes levé à 6h52 précisément, la sonnerie de votre portable vous tirant d'un sommeil sans rêves et surtout de plomb. Vous avez ouvert les yeux promptement, êtes passé aux toilettes, avez bu un grand verre d'eau pour réveiller votre corps autant que votre esprit. Vous avez ensuite pris un solide petit-déjeuner  : thé Lipton, deux tranches de pain/beurre/confiture, un bol de corn-flakes juste saupoudrés de sucre, un yaourt nature brassé et un grand verre de jus d'orange sans pulpe. Douche, brossage de dents, habillage (vous portez toujours le même costume, pour des raisons de commodité – disons que vous avez plusieurs fois le même, un peu comme Albert Einstein, mais la comparaison s'arrête là).
 
Et vous voilà en route pour le bureau, à pied jusqu'à l'abri-bus. En chemin, vous vous arrêtez au kiosque à journaux (celui avec la vieille dame, car elle est bien plus aimable que l'autre rustre, pourtant plus près) prendre Les Échos (quotidien d'information économique et financière s'il en est) que vous lirez durant tout le trajet en bus, soit une trentaine de minutes.
 
Bien entendu, vous ne remarquez pas la personne qui semble vous suivre depuis que vous avez quitté votre appartement, cela va de soi. C'est une journée ordinaire. Vous ne levez la tête qu'à deux ou trois reprises pour vérifier l'état d'avancement du trafic (qui est normal, faut-il le rappeler, car ceci est une journée ordinaire), puis presque machinalement vous vous levez et descendez en prenant garde de ne marcher sur les pieds de personne. Vous faîtes attention en traversant la rue, attendant que le petit bonhomme rouge passe au vert MAIS regardant quand même à gauche puis à droite à l'affût d'un éventuel chauffard – vous n'êtes jamais trop prudent.
 
La banque pour laquelle vous avez donné presque dix ans de votre vie sous forme de bons et loyaux services a pignon sur rue. C'est un bâtiment haussmanien à la croisée de grands faubourgs parisiens. Avec de grandes portes tournantes à l'entrée. Vous n'avez d'ailleurs pas le temps de poser la main dessus que vous sentez que l'on vous retient par le bras. Vous mettez environ deux secondes avant de comprendre que vous devez faire volte-face et vous vous retrouvez nez à nez avec une jeune femme.
« Vous êtes bien Julien Desmart ? » vous lance-t-elle.
 

Wednesday 21 April 2010

Histoire dont vous êtes les héros (en quelque sorte)


Je vous propose d'apporter votre précieuse contribution à une aventure humaine en suivant les péripéties d'un jeune homme tout ce qu'il y a de plus banal. À certains moments de l'histoire, vous aurez à participer à un vote pour déterminer le cours des choses. Je vous donnerai le choix entre plusieurs alternatives, vous aurez trois jours pour faire votre choix, je prendrai ensuite deux ou trois jours pour écrire l'histoire selon le résultat de vos votes, jusqu'au prochain « carrefour ». Ça vous tente?

 

Lichen

The blind woman next to me fidgeting in her seat visibly uneasy brushed my arm as if in need of help with her train ticket but she tricked ...