Sunday 28 December 2008

Opus #16

22 décembre,
Deux nuits sans sommeil. À redouter le rêve. À boire du café à réveiller un mort pour ne pas sombrer. Je suis sorti un peu, mais tous ces gens qui achètent leurs cadeaux, qui sourient, qui braillent ou qui pleurent me donnent la nausée. On fête la naissance du plus épouvantable meurtre de notre civilisation, à savoir le fils de Dieu, Dieu lui-même. On ne fête pas sa mort. Il y a des saints patrons pour tout et n'importe quoi, mais personne pour fêter les bourreaux. Ou alors je ne fréquente pas la bonne civilisation, le bon siècle, la bonne réalité. Tellement de paraître et de faux-semblant que ça me rend malade. Une bonne occasion pour s'en foutre plein la panse, pour bouffer boire baiser et surtout oublier notre condition, notre quotidien, notre calvaire. Mascarade. Pantomime. Voilà que je m'énerve. J'en tremble.
Il fait beau. Quelques flocons s'attardent dans le vent, jouent avec les rayons de soleil qui percent les fines écharpes de nuages blancs. Les passants pressent le pas, de la vapeur s'échappe en volutes de leur bouche. Les bras encombrés d'achats qui ne servent à rien. Pressés d'en finir mais contents de n'en être que là. Pas envie d'aller rejoindre cette engeance-là, mais pas non plus envie de rester ici. Je crois que je vais sortir, au risque d'être pris pour l'un d'entre eux, au risque d'être pris en flagrant délit de sourire. Des fois, on se laisse aller à être humain.
Rien ne sert de montrer sa haine, encore faut-il la consommer. Se laisser consumer par elle. C'est un bien beau déballage de sentiment, l'amour, l'amitié, la compassion ou le partage. Tout ce qu'on peut trouver sur les étals pendant les fêtes de fin d'année. Alors qu'il n'est rien de plus grand, de plus beau et de plus terrifiant que la haine et ses inévitables conséquences. Pourtant l'amour force des choses en soi, pousse des verrous, comme si malgré tous ces siècles de barbarie, ces millénaires à assouvir ses passions, ses désirs de pouvoirs, de conquêtes et de supériorité il ne servait à rien de ne pas aimer. Je ne sais pas ce qui m'arrive. Comme de la nostalgie. Il faudrait que j'aille me coucher mais je sais que je ne trouverais pas le sommeil. Alors je vais devoir sortir. Il le faut.

22 décembre, fin de soirée. Il fallait que ça arrive. Je tremble de la tête aux pieds. L'envie qui me dévore, qui fait des nœuds dans mon ventre. Elle était là, devant moi, tout sourire. Je me suis laissé approcher par cette vendeuse, la peau tendue de son cou me donnait envie de la déchirer avec les dents, de sentir un sang épais couler comme une fontaine dans ma bouche. Elle me parlait, mais je n'avais qu'une idée en tête mais le cœur n'y était qu'à moitié. Et puis soudain, tout à coup, sa voix est parvenue jusqu'à moi. Suave, pleine de miel. Un rien rocailleuse. Fume-t-elle? Je vois ses yeux se promener sur moi, s'arrêter, reprendre leur course. Elle me désire. Et je me prends à jouer son jeu. Sa voix ne me demande pas si je veux quoi que ce soit. Je ne regardais pas les étals de la galerie, mais les gens. Elle ne peut l'ignorer. Elle ne me demande rien. Elle est là, parle, attend patiemment mes réponses. Glousse. Mon dieu. Elle glousse comme une collégienne et voilà que j'ai envie de lui arracher ses vêtements rouge et vert de noël, de lui donner ce qu'elle me demande du regard. Jamais auparavant je n'ai eu cette envie si forte et elle me prend par la main, me demande si je vais bien. Je transpire. Je dois être livide. Je suis tendu. Je vois son décolleté s'ouvrir à moi, palpiter presque. Je ne vois pas ses jambes mais je les imagine longues, un rien rondes. Appétissantes. Elle ne détache maintenant plus ses yeux verts des miens. Pour un peu j'ai failli oublier le monde autour et la prendre violemment sur son comptoir. Je ne sais pas ce qui m'arrive. Je suis parti en courant alors qu'elle faisait le tour pour me rejoindre. Elle aurait vu mon érection, je n'aurai pas pu me contenir. Je ne suis pas assez prudent. Mais j'ai envie de la revoir. De lui faire payer cette faiblesse. De la prendre en rêve puis de la tuer. Ma tête tourne, mes mains sont moites et dans le bas-ventre une douleur douce qui ne laisse aucun répit et qui demande satisfaction. Elle l'aura. Ce soir, j'ai bien peur d'avoir découvert quelque chose qui va donner une autre orientation à mes crimes.

La peine de mort

« La sentence vient tout juste de tomber. C’est la peine capitale. Si l’on peut me permettre ce jugement qui bien entendu n’engage que moi : justice est faite. Vive la France. Olivier Durmin pour France TV, en direct du Palais de Justice, Paris. »
« La cour, en son âme et conscience, a écouté les plaidoiries des différentes parties, et a jugé Mr X ici présent coupable des chefs d’accusations suivants : meurtres avec préméditation sur les personnes _, _, _, _, _, _, _, _, _, _, _ et _. Il est également reconnu coupable des faits suivants : actes de barbarie avec tortures, viols, nécrophilie, cannibalisme, profanation de tombes, violences gratuites dans l’unique but de faire souffrir, souillures dans l’unique but d’avilir. Les jurés ici présents tiennent à souligner que la folie plaidée par le coupable a été rejetée à l’unanimité, et donc considèrent que Mr X était parfaitement conscient de ses gestes, de la gravité de ceux-ci et de la magnitude de ses actions. L’absence de regrets exprimés ou de toute autre attitude positive de la part de Mr X reste bien entendu un facteur aggravant. Ainsi les jurés ont décidé, sur la requête du procureur, de traiter cette affaire avec la plus grande impartialité possible et, soulignant le caractère exceptionnel des meurtres, a décidé de recourir à la peine de mort pour Mr X. »
« Messieurs, vous pouvez emmener le coupable. »
« La sentence, le couperet sanglant, l’argent, tout cela n’est rien. Ce n’est pas que cela ne suffise pas. Ce n’est rien. Mon fils, c’était le miroir de mon miroir. Cet homme est le diable, non, pire que le diable. Je veux le voir disparaître à jamais, l’annihiler complètement, comme s’il n’avait jamais apparu à la surface de cette terre, comme si mon fils était toujours là à mes côtés me disant ce que je ne dois pas faire, me disant que je ne dois pas faire cela. »
« Je l’ai attendu – tous les jeudis il revenait du sport – parfois même j’allais le voir – ce que son père ne faisait pratiquement jamais – et là au coin de la rue je l’ai interpellé – il ne m’a pas fait confiance tout de suite – mais j’ai su être persuasif – alors il m’est pratiquement tombé dans les bras – je n’avais plus qu’à couper cette gorge si blanche – avec le rasoir de mon père – mon père est coiffeur vous savez – d’ailleurs il est là, assis au troisième rang – coucou papa !
_ Tais-toi, enfant du démon !
_ (coup de marteau) Silence, s’il-vous-plaît, Silence ! Continuez.
_ Comme je disais – même s’il me renie je reste quand bien même son fils – alors donc je lui ai tranché la gorge – mais j’ai coupé trop profond – il perdait trop de sang – alors au lieu de faire comme je faisais d’habitude – c’est-à-dire le garder pour plus tard – j’ai entrepris de le boire immédiatement – c’est ce qui m’a perdu en fait – mais son sang était si rouge et si chaud – qui aurait pu résister – je n’en perdais pas une goutte et j’entendais des gargouillis de plaisir dans sa petite trachée si douce – j’étais bien à l’abri dans cette venelle – il faisait très sombre – mais je n’ai pas chômé – un corps c’est bien lourd – même s’il est vidé d’une bonne partie de son sang – alors je l’ai découpé – assez grossièrement mais qu’est-ce que j’y pouvais – la vue du sang, moi, ça me met dans des états pas possible – alors donc je le tronçonne – et je mets les bouts dans le coffre – mais c’est là que j’ai commis l’erreur fatale – au détour du lampadaire je me suis fait repéré – ils n’étaient qu’à une dizaine de mètres de moi mais ils ont été plus prompts que moi et ont pris leurs jambes à leur cou – pendant ce temps-là – je savais que tout était perdu – tant pis je me suis dit – alors j’ai chargé ses jambes à lui et les ai mis près de sa tête – hum – et je suis parti.
_ Et ensuite, qu’avez-vous fait ?
_ Eh bien je suis rentré chez moi. J’ai mis un peu de la viande au frais et le reste au congélateur – mais j’ai dû en manger un peu – j’aime quand elle est encore un peu tiède – mon dieu sa chair était si rouge – si appétissante !
_ Et vous faisiez subir la même chose à chaque victime ?
_ Plus ou moins. Vous savez, des fois, on voit une belle paire de fesse bien rebondie et on a envie de faire autre chose que de les manger, n’est-ce pas ? »
« La folie est-elle minutieuse ? Lorsque nous aurons répondu à cette question, alors, et seulement alors, pourrons-nous juger mon client, et encore avec circonspection. »
« Douze personnes sont mortes entre ses mains. Aucune n’a eu une mort digne d’un être humain. Aucune compassion. Bien sûr nous somme profondément touchés par ce qui est arrivé à notre fils, mais nous pensons aux onze autres familles qui comme nous doivent faire face à ces atrocités. Cet homme est un monstre. »
« Mr X est décédé en la prison de la Santé ce matin par injections mortelles, à 8h02, heure de Paris. Justice est faite. »
« Le temps n’arrange rien. Il ne referme aucune blessure. Les nuits sont abominables et le temps les rallonge. Des mots, des images chaotiques. Voilà tout ce qu’il me reste de lui. De mon fils, quelques photos. Des impressions. Mes souvenirs sont plus vivides quand je dors. Quand je dors. Le psychologue en charge de la famille m’a dit qu’il me restait ma femme et mes trois filles. Ce qu’il oublie de me dire, c’est comment mon fils a trouvé sa fin. Pourquoi, pardon. Pourquoi il est mort. Comment je ne le sais que trop. Je sens que mes intestins bouillonnent. Parfois je ne sais plus ce que je fais, je me réveille au milieu de la cuisine, une poêle à la main et des légumes à frire dedans. Comme si j’étais un automate le reste du temps. C’est vrai qu’il me reste mes filles. Mais elles sont aussi tristes que moi. »
« Justice est faite. Enfin la France assume ses responsabilités. C’est la société qui crée de tels monstres qui parasitent nos états et mettent en danger la vie des honnêtes citoyens. Le système judiciaire français a prouvé qu’il pouvait s’adapter à ce genre de situations extrêmes, car sans pour autant rétablir la peine de mort, il fallait bien admettre qu’une limite venait d’être franchie – au niveau des crimes en eux-mêmes j’entends. Très peu d’associations ont manifesté leur désaccord lorsque le chef de l’état leur a demandé leur avis. C’était une décision nationale, un vrai référendum, et les citoyens français ont montré leur engagement à s’impliquer dans la vie du pays en allant en masse aux urnes. Le Président de notre chère République a su garder la tête froide et ne pas imposer une décision qui ne viendrait pas du peuple lui-même. Et ce n’est nullement une question de se dégager de ses responsabilités – au contraire – ou de réélection. Il ne se représentera pas et il l’a dit haut et fort. »
« De toute façon, nous sommes tous voués à mourir tôt ou tard, alors de moi ou d’autre chose… »
« En mon âme et conscience – »
« Mais je ne sais pas, moi, ce qu’il est venu faire ici. Je n’ai rien à me reprocher. Demandez à mes paroissiens. Bien sûr que je le connaissais. Il venait avec sa famille pratiquement tous les dimanches, et je l’avais en confession auriculaire. Cela n’est pas de votre ressort, vous m’excuserez alors de ne pouvoir accéder à votre demande. »
« Un autre drame qui entache un peu plus le dossier déjà sombre de l’histoire judiciaire la plus suivie par les français – »
«– La maison a brûlé presque entièrement. Le brasier a fait fondre le goudron de l’allée. Les deux personnes qui se trouvaient à l’intérieur ont péri. ; mais là je passe la parole aux gendarmes parce que ce n’est plus de mon ressort. »
« Capitaine de la brigade de…. Oui, les deux corps sans vie de Mr et Mme X ont été retrouvés carbonisés, mais ils avaient déjà succombés à d’autres blessures. Oui, on peut dire qu’ils ont été assassinés. Oui, nous avons des soupçons. Ecoutez : l’enquête vient seulement d’être ouverte. Il n’est pas de mon ressort de vous dire sur qui portent nos soupçons. »
« Il semblerait que personne ne veuille se mouiller dans cette sombre affaire. Pourtant, nous pouvons vous dire, ce soir et en exclusivité et de source sûre, que la personne responsable de ce double-assassinat, de la dévastation de la maison et d’autres exactions dont j’en suis sûr vous allez nous parler ce soir dans ce journal, ne serait autre que Mr _, père d’une des victimes dans la sinistrement célèbre affaire X. »
« Merci, Olivier Durmin, de ce scoop, comme nous l’appelons dans le métier. En effet, il semblerait que Mr _ n’aurait pu supporter le poids infamant du deuil. X a succombé aux injections mortelles il y a à peine trois jours et déjà, il semblerait, Mr _ n’a pas eu la sensation que justice ait été faite. Il se serait donc introduit par effraction chez Mr et Mme X, les aurait ensuite abattus froidement – selon les voisins qui ont entendus deux, peut-être trois détonations, mais l’enquête nous apprendra comment il s’y est pris. Il se serait ensuite rendu au cimetière de la ville, et après avoir profané les tombes des Mr et Mme X, les grands-parents de X, _ aurait immolé leurs dépouilles. »
« J’ai brisé les marbres avec une pioche. J’ai vidé mon bidon d’essence dans les trous et j’ai mis le feu. Rien de plus. J’ai tué la source de mon malheur, de mon affliction. Voilà tout. Mais le soulagement ne vient pas. Pourquoi ? »
« Il aurait ensuite effectué la même manœuvre sur la dépouille encore fraîche de Mr X, enterré un peu plus loin. »
« Je ne sais pas ce qu’il lui a pris. Il avait le corps en putréfaction de son fils – si vous pouvez appeler cela un corps – plutôt un tronc, sans membres et la tête ballotante – il avait ça dans les bras et il me demandait de le ramener à la vie. Vous rendez-vous compte ! Que dire à cet insensé qui avait le visage baigné de larmes ? Je lui ai dit que je n’étais que curé et que seul Dieu a le pouvoir de juger et de ramener une âme du royaume des ombres. Là-dessus il m’a menacé de son fusil. »
« Je n’abandonne pas ma femme et mes trois filles. Je n’ai pas la paix d’esprit. Y aurait-il eu des arrières grands-parents, je les aurais tués. »
« Il avait une force surhumaine. Je veux dire, je suis son aîné de quatre ans et j’ai toujours été plus fort que lui. C’est toujours moi qu’on appelle pour les déménagements. Mais là, il m’a jeté par terre comme si je n’étais qu’un fétu de paille. Je suis sûr qu’il ne s’en est même pas rendu compte. Je l’ai frappé mais ça n’a rien eu l’air de lui faire. Et bon dieu qu’il pleurait. Le visage recouvert de larmes qui coulaient sans cesse. »
« L’église m’a toujours aidé. Elle était là lorsque j’ai perdu mes parents, là lorsque j’ai perdu mon travail. Elle sera là pour m’aider à ramener mon fils. »
« La peine de mort n’est pas inutile dans des cas comme celui-ci. Je tiens à souligner le fait que, et par là même rappeler à certaines personnes, qu’il n’y a pratiquement eu aucun débat, que ce soit dans le camp des partisans ou des réfractaires à l’application de la peine capitale dans la République Française. Il y a bien eu quelques irréductibles, et je reprends l’exemple de Mr Badinter qui s’est battu toute sa vie pour l’abolition de la peine de mort. Nous comprenons son point de vue, ses arguments et nous respectons ses opinions, mais les temps changent. Les mentalités et les moeurs évoluent de manière exponentielle, si je puis le formuler ainsi. Ce n’est pas de la fréquence des délits et des crimes dont nous parlons – d’ailleurs cette fréquence aurait tendance à baisser – mais bel et bien de la gravité des délits et des crimes qui sont commis à l’heure actuelle. Et dans cette matière, malheureusement, le cas de la France fera jurisprudence. »
« Ce qui vient de se passer dans cette ville est une tragédie. Les français savent bien, et je ne m’en suis jamais caché, que ma sympathie va du côté des victimes, malgré que je puisse concevoir les tenants et les aboutissants dans la pensée malade de X, concevoir ce qui l’a poussé à commettre ces crimes d’une cruauté inégalée jusqu’ici. Mais la loi est la loi. Justice a été faite et le peuple de France a exprimé son opinion à ce sujet. La justice des hommes est là pour nous diriger vers l’humanité ; la Justice et le Droit sont nos garde-fous pour nous empêcher de dériver dans l’excès, pour nous empêcher de sombrer dans la folie de la vengeance qui n’apporte pas le soulagement. »
« Je n’ai pas de regrets à avoir, je ne peux pas en avoir. La notion de bien et de mal est corrompue, notre époque est balayée par un vent de furie et on ajoute des barreaux à l’échelle de la violence à mesure qu’on la gravit et cette échelle nous mène dans les plus hauts degrés des cieux et c’est tout droit vers l’enfer. »
« « Vivre dans le vent est le lot des feuilles mortes », a dit un jour un poète inconnu. Moi je dis : « Vivre dans le sang est le lot de tous les hommes. » »
« Lorsque les gendarmes sont arrivés sur les lieux suite à l’appel du curé de l’église Notre-Dame, dans le quartier de …., il était déjà trop tard. Ils n’ont pu que constater le décès de Mr _ par immolation. Le cadavre n’est identifiable que sur les déclarations du curé. Il semblerait que Mr X ait perdu la raison et qu’après avoir été déterrer la dépouille de son fils décédé et s’être rendu à l’église pour apparemment, mais cela demande confirmation, demander au curé de ressusciter son fils, il se soit aspergé d’essence et se soit immolé dans le chœur de l’église, tenant son enfant mort dans les bras. »
« Comme je l’ai déjà dit à votre collègue, il s’est présenté à la sacristie avec le corps de son fils dans les bras – mais qu’auriez-vous fait en voyant cela ? Je veux dire, vous connaissez l’odeur, c’est insoutenable, non ? Je n’en reviens pas. Ça non, je n’en reviens pas. Ce n’était même pas une supplication, il m’intimait l’ordre de le ressusciter. Et puis il y avait son fusil. Et il parlait, je ne comprenais pas la moitié du sens de ses paroles. Et puis ensuite il a laissé le cadavre sur l’autel et il est parti – c’est là que je vous ai appelé. Il est revenu peut-être deux minutes plus tard et lorsque je suis revenu de la sacristie j’ai remarqué une forte odeur d’essence qui recouvrait celle de putréfaction. Je n’ai pas eu le temps de dire ouf que déjà il était en flammes et – mon Dieu protégez-nous – il ne criait même pas. Pas un seul cri ! Pas même un râle étouffé ! Il pleurait. Ce pauvre père pleurait. Je pouvais voir à travers les flammes qu’il pressait son fils méconnaissable sur sa poitrine. La chaleur était telle…je ne pouvais pas approcher. Il est tombé à genoux et c’est à et instant que j’ai réagi et je me suis précipité jusqu’à la sacristie et j’ai pris l’extincteur de secours. C’était la première fois que je l’utilisais. J’avais bien écouté les explications du pompier mais –
« Merci, monsieur le curé. Merci. Ce sera tout, pour le moment. »
« Bon, là Julien, tu exagères. Ça fait trois fois que ta mère t’a dit de ranger ta chambre et tu joues encore à la console. Tu crois pas que tu abuses, non ? Tu vas voir que je vais te la confisquer, ça va être rapide. Non, c’est maintenant que tu la ranges, parce qu’après tu vas au sport – non, je ne pense pas pouvoir venir ce soir…tu sais bien comment sont ces réunions ; mais je vais faire mon possible, au moins pour venir te chercher à la sortie. »
« Ce visage sans cesse baigné de larmes, cette volonté, cette force surhumaine, ce désir de communier avec son fils mort atrocement, ce besoin de pallier à la justice défaillante des hommes. Non, pas défaillante – lacunaire. C’est cela qui restera dans la mémoire des français. La peine de mort que le peuple a décidé en son âme et conscience, ce meurtrier qui ne faisait pas que tuer, mais qui torturait, souillait, avilissait ses victimes à un tel point encore jamais imaginé : voilà ce que les français ont jugé. L’homme est mort avec son fils déjà mort, dans une église. Tout le symbole est là. Le feu qui a embrasé la maison maudite des parents de X était celui de la colère, de la frustration, de la vengeance d’un état de fait insupportable. Le feu qui a réuni père et fils dans le noir de la tombe était celui de la passion, de la souffrance, de la réconciliation amère, de la défaite acceptée. Pourtant ces deux feux ont cela de commun qu’ils exposent au regard des vivants la divine absence de Dieu. »
« Je n’ai jamais demandé ce qui est arrivé à notre enfant. Vous voyez ça partout aux infos et puis soudain c’est vous qui êtes sur le devant de la scène, vous que l’on voit sur le parvis du palais de justice, la mort dans l’âme, vous qui avez connu la mort de la chair de votre chair. C’est une spirale sans fin. Et l’on expose les cas comme les intestins de certaines victimes ont été exposés. Et puis il y a la peine de mort. On n’a jamais été pour mais en même temps on ne s’est jamais vraiment posé la question parce qu’on ne peut vraiment se poser la question que s’il y a quelqu’un sur la sellette et que ce quelqu’un vous a causé le mal le plus impitoyable qui soit. Et puis en même temps on se dit que ça pourrait être nous à sa place, on ne sait jamais ; on ne peut jamais prévoir quelles pourraient être nos réactions – même si dans ce cas il n’y aucune commune mesure. On peut perdre pied avec la réalité et tuer sa femme et ses enfants sur un moment d’hallucination. C’est arrivé à bien des hommes sain d’esprit. La peine de mort…On ne sait pas ce que l’on voulait. On voulait qu’il soit traduit devant la justice, mais on savait qu’il n’y avait aucune réparation possible ; aucune somme d’argent ne peut amoindrir le mal qui nous ronge ou nous apporter de ce réconfort que certains refusent. Et puis ce n’est pas le but des réparations. Le pretium doloris est abstrait, utopique mais nécessaire aux yeux de la loi. Le pretium doloris ne peut se mesurer ; il est arbitraire par nature. La mort du coupable ne ramène pas ceux qu’il a massacrés ; elle n’atténue pas la douleur ; elle est dérisoire, on veut qu’il souffre autant qu’il a fait souffrir mais cela n’est pas possible. Ceux qui croient en Dieu veulent d’un côté lui pardonner mais ne le peuvent, et d’un autre côté veulent sa mort pour qu’il subisse les affres de l’enfer mais cela ne résout pas leur situation à eux, leur douleur présente et sans fin. »
« Le diable ? Non. Il n’y a rien de religieux dans le meurtre. Ni dans mes meurtres. Oui, ce sont bien des meurtres. Sinon je ne serai pas condamné. Je ne m’explique pas mes gestes dans le sens où je pense avoir obéi à des pulsions, à un instinct refoulé en chacun de nous mais que certains peuvent écouter parfois. J’assume ce que j’ai fait. Je ne le revendique pas. J’assume. Je suis un rebut de la société, mais j’en fais partie tout de même. Lorsque je tuais, je travaillais, je consommais, j’avais des relations humaines que mon entourage trouvait saines. On me considérait comme quelqu’un de normal. Maintenant que l’on sait, je ne le suis plus, normal. Si vous pouvez trouver la signification de mes gestes avant demain matin, oui, je serai le premier intéressé : vous m’apprendriez quelque chose sur moi que j’ignore. Nous nous méconnaissons à un tel point ! On croit se connaître et puis un petit matin on se réveille le même, mais différent. Ouvert. Les yeux ouverts sur le mal, sur la douleur dans le monde, sur le caractère vain de nos vies ridicules, sur l’absurdité de nos existences. Ça vous martèle le crâne, et puis le premier meurtre passé on se sent mieux, la douleur s’apaise. Et puis on grimpe l’échelle dont je vous parlais tout à l’heure. Et puis on se retrouve dans une cellule à attendre la mort. Un engrenage ? Non. Une escalade plutôt. L’Everest du crime. »
« C’est achevé. »
« Oui, je pense que c’est ce qu’il a dit. Mais le crépitement des flammes, les lambeaux de chair qui tombaient au sol sans qu’une plainte ne passe le seuil de ses lèvres…je…j’ai essayé de l’aider…mais comment…enfin…vous savez…s’il avait fait un geste pour…pour s’en sortir…je l’aurais vu, j’aurai saisi cette main qu’il me tendait. Je l’ai fait par le passé…mais…ce jour-là…rien ne sera plus pareil. On ne sait pas de quoi les gens sont capables…le savent-ils eux-mêmes… ? »
« On ne peut pas aller de l’avant. Celui qui le peut n’est pas humain. Nous sommes sédentaires, n’est-ce pas ? Nous avons des us, des coutumes, des valeurs. Il faut savoir faire la part des choses. Ce n’est pas la question de la loi du talion : ce qui a été demandé lors de ce référendum exceptionnel, ce que les Français ont répondu, c’est une volonté d’assumer son rôle dans la genèse de ces personnes paumées, de ces pauvres hères qui errent, hagards et hâves, dans nos rues, complètement désoeuvrées – Oui il avait un travail, une petite amie, des amis, des connaissances. Mais ça ne remet pas en cause ce que je viens de vous dire. La soi-disant République Française enfante des malheureux, rejette des brebis dans des abysses sociales si insondables qu’elles n’ont d’autre choix que de tomber plus bas encore. Le mal s’explique. La cruauté s’explique. Leur origine est commune à l’homme. L’homme est responsable, et a fortiori la société dont vous et moi faisons partis. Il n’est pas question de faire jurisprudence ou de montrer l’exemple, ceci est le rôle d’un état totalitaire, pas d’une démocratie. Le référendum était prétexte au Président et à la Justice française de se dégager de toute responsabilité, tant au niveau national qu’au niveau européen voire internationale. On ne peut juger une nation entière, plus à notre époque en tout cas. L’opinion publique a servi de paravent au gouvernement. C’est un procédé abject. Il n’y avait plus douze jurés, mais un peu plus de 30 millions. C’est anti-républicain, anti-démocratique, injuste. On n’a pas essayé de comprendre ce pauvre garçon, de savoir pourquoi, de connaître les raisons qui l’ont poussé à faire ce qu’il a fait. On a légitimé la peine de mort, et c’est inacceptable. Le pays est gangrené et on ne soigne que par l’amputation. C’est désolant. Personne n’a-t-il donc lu Le dernier jour d’un condamné ? On a outrepassé les pouvoirs de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français. Il y a quelque chose de pourri, de malsain dans le système, dans l’Etat français. Je ne cautionne pas ce genre de procédés, je ne cautionne pas ce genre de politique. Je pars. L’exil est ma seule chance de montrer mon mépris dont tout le monde se fout, du reste. »
« Comme vous avez pu le constater, Mr le Président de la Cour de cassation a préféré renoncer à ses fonctions de magistrat et quitter notre plateau. »
« Oui il méritait ce qui lui est arrivé, la guillotine et tout le reste. Je sais que c’est par injections mortelles qu’il est mort, mais j’aurai préféré la guillotine pour lui. Ses parents aussi le méritaient, dans un sens, même s’ils le rejetaient. Je pense que c’était un peu tard pour le rejeter, un peu tard pour se rendre compte du monstre à qu’ils avaient donné naissance, qu’ils avaient élevé. Ils rejetaient en bloc leur responsabilité et la justice française devrait faire quelque chose contre ça. Je pense. »
« Je voulais le voir disparaître à jamais. Le voir retourner dans l’anonymat duquel il était sorti le couteau entre les dents et la soif de sang humain. Une soif insatiable. S’il y a un enfer, j’espère qu’il y croupit et qu’il souffre. »
« C’est un acte abominable, inexcusable. On peut souffrir, mais tuer des innocents pour apaiser ses souffrances…si on va par là, tout le monde a du sang sur les mains. »
« La peine de mort, moi, vous savez, je vois ça de loin. Du moment qu’on me laisse en paix, je viens pas marcher sur les plates-bandes du voisin. Si y’a un litige on règle ça à l’amiable, mais de là à tuer quelqu’un – parce que ça revient à ça, en fait – ben non alors. Voilà voilà…bon, ben, faut qu’j’retourne à désherber mon jardin. En revoir. »
« « Vivre dans le vent est un destin de feuille morte » disait souvent mon mari. Je me demande encore ce que j’aurai fait s’il m’avait parlé de ce qu’il avait l’intention de faire. Je ne sais pas. Vous savez, nous souffrons beaucoup. Le quotidien est intolérable parfois. Les filles s’en sortent mieux, je pense. Les souvenirs, ce sont les souvenirs qui font le plus mal. Surtout ceux du procès et de l’exécution. Certaines personnes se sentent mieux après, je n’en fais pas partie. On accepte la mort lorsqu’elle est juste, et justifiée. Pas lorsqu’elle est aléatoire, gratuite, cruelle. On nous demande de faire la part des choses au moment où l’on est le moins apte à le faire. Mais lorsque nous sommes aptes à le faire, cela ne nous concerne qu’en tant que citoyen, et pas en tant que parent ou qu’être humain, et ce n’est pas du tout la même chose. »
«  REFERENDUM sur la peine de mort
Êtes-vous pour ou contre la peine de mort dans le cas précis de l’inculpé Mr X ?
□ POUR □ CONTRE (Cocher la case correspondante) »

R.B. 01/11/2005 Tours

Hours at Night

The hour is midnight, the clock stands still.
Parched mouth and ridged tongue of paper
For sleeping in the dark insanity.
The hot night is young yet starless.
Beads of sweat burn the corners of my eyes.
Everything is set against my sleep.
Shall we retrieve these faint hours,
This calm, uneventful day, this pause
From habitual strife, from constant arguing?
Shall the hours rewind through this cool,
Shaded day with its soft breeze,
Its apricot pudding, its quiet chat by the pool?
Shall we retrieve these instants together
Or just fall back in our sombre, destructive fits?
The clock stands still
it is not past midnight.
Thirsty and haggard and impaired;
I am dying for fresh air, for a fresh
Soft breeze that brings me peace of mind,
Quietness of thought, stillness of hatred.
Decided but sensible, placid unmovement of the hands.
This night is just one night, one sleepless lull.
Nightbreak with its barking dog, its clear sounds,
Its trains booming indifferently past us,
Its black dome knitted into a question mark
Yet the skies are lightless, yet midnight is still
Almost. The coat of clouds rent here and there
Shows tongues of spangling stars, of sombrer sky.
The embalmer should have worked thoroughly
And hid from us all beauty and hope.

The hands still quietly folded and necessary
Shall not for the untime being let
The old ghosts out, the shrieking wraiths haunting
The graveyard of my memory.

For one moment gasping and clawing the air,
Panting for dear life for the lost breath,
I look to the East knowing there’s no promise
But blind hope in the decidedness
Of what my hands can or cannot, achieve.
The streetlamps at my feet, vain, idle,
Scattered, earth-bound, near star-like lights
Disperse for now the darkness downstairs.
But this is not sufficient to go hence.
I understand I have been waiting for that motion
Of the clock suspended in mid-time
Shivering and afraid to carry on,
Safely retreated in a past I know
And grew accustomed to. The hands will tell.
Shall inertia settle this crux one way
– The solid, scientific, usual one – or the other?
Huddled together through immobility,
Through the scathed oppugnant sensation
Of passingness, we mooch our lank shadows
Upon the turbid tarn of time. Existence
Seems less dull when we cooperate.
Unless we cooperate.
Shall these hands
Throttle us to death when we already are
Breathless in these stifling hours of darkness?
We wait for the answer the hands shall tell.
The hands that furrow through space thanks to us labourers.

Looking out from the high window I know
The hours will tell, marking no difference
For me but for the faintest ticking which means
More than a second gone and another coming,
Which means more than simply beholding
The innumerable consequences of time,
The end looming suddenly into view.
It means Truth quenching a questioning brow,
A worried hand working both good and bad
As if they were the two parts of the same talisman;
It means Truth pointing to the useful hour
To find peace in the hot, unbreathable air.

R.B. 06/07.VII.2006 Tours

Revenir

Je ne reviendrai pas hanter les terres natales.
Tu me demandes d’attendre et j’obéis.
Mais tes yeux de montagne sont mon pays
Et rester l’habiter me serait plus que fatal.

Je ne reviendrai pas chanter la gloire des quidams
Qui jalonneront mon sentier de terre battue.
Tu m’as dit de m’éloigner de tes mains qui me tuent
Et lentement me laisses mourir sans autre état d’âme.

Je ne reviendrai pas frapper à ta demeure.
Je serai dans une contrée ignorée de tous,
Où les hommes se perdent et les sens ne s’émoussent
Que pour laisser place à une douce torpeur.

Je ne reviendrai pas te dire que je t’aime encore.
Quitter les lieux communs pour fuir la souffrance,
Pour ne pas voir l’amour laissé en errance
Alors qu’il aurait pu sans aucun effort prendre corps.

Je ne reviendrai pas d’où je suis parti.
Parti de tristesse et rongé d’amertume.
D’amertume noyée de mer et d’écume.
L’écume aux yeux, cœur serré, j’ai consenti.

Je ne reviendrai pas finir ma course à l’amour.
Manquant de souffle et pantelant de tristesse
Je marcherai seul dans les déserts sans cesse.
Je ne reviendrai pas, même après mille détours.

Je ne reviendrai nulle part sauf si tu m’aimes.
Mais ne serai-je pas parti trop loin dans l’horizon
Que ta voix n’y puisse me toucher ? Est-ce déraison ?
N’est-ce pas folie que de partir si tu m’aimes.

Reviendrons me hanter tes sourires de perle
Au matin de rosée pourpre sur les champs de sable,
Tes regards d’ébène aux vêpres des terres arables.
Tes longs cheveux de jais sur les moussons déferlent.

Je ne reviendrai pas te dire que je t’aime toujours.
Que ton souvenir a forcé chaque nuit la veille,
Que je touchais ta peau, tes cheveux dans ton sommeil,
Que je sentais la douceur de ta peau, de tes mains le jour.

Je ne reviendrai pas dire que je suis hanté.
Que le souvenir de ton corps sur mes doigts
Lu en braille sur les collines des mois
Me poursuit sans cesse de sa douce cruauté.

Je ne reviendrai pas par un long matin blême.
Je ne parcourrai pas les distances du monde
Pour revoir ton visage qui sans bruit inonde
Les vastes plaines de mes pensées quand bien même
Je ne reviendrai pas te dire que je t’aime.

R.B. Chartres 8-9 septembre 2007

L'envol du condor

Condor du haut de ta cime de béton
tu prends ton envol.
Sous tes plumes battant au vent
mille et cents paires d'yeux
te contemplent dans tes mornes cieux.

La clameur confuse te parvient à peine
alors que de ta bissectrice aérienne
tu rayes le ciel en offrande.
Tes vénérées tectrices chassées
puis adulées de nouveau fendent
l'air tourbillonnant par-dessus l'eau.

Ta silhouette ne disparaîtra pas
derrière l'enclume étincelante des nuages.

Ton envol enveloppé de mystères
chacun y lit un message
en claire-voie de plumes.

Il y a bien encore quelques faucons, quelques aigles
pour disputer une légitimité royale
mais tous ont les yeux rivés sur toi
comme lorsque jadis tu prédisais aux aveugles,
qu'on te bâtissait des temples, des autels,
qu'on érigeait des lignes de pierres parallèles
pour signifier à ceux d'en haut les limites
de ton royaume.

En bas en ce jour pas de stèle
pas de sacrifice mais une foule vrombissante
un air chaud et vibrant
un peu comme celui des Andes
où tu naquis et mourus presque.

Pour l'instant sous tes serres un poing de cuir,
dans l'attente d'un ordre auquel tu consens.
Dette éternelle d'avoir la vie sauve.

Pour l'instant les cris d'admiration surfaits,
les pleurs et les rires d'enfants.
Le bassin scintillant sous l'astre.

Pour l'instant le souvenir des montagnes,
de l'air frais fouettant l'erg nuageux,
de verts plateaux, d'une vague solitude triste,

Pour l'instant la liberté d'un vol ininterrompu,
le plaisir de la chair fraîche, entre le ciel et la terre.

Mais pour l'instant, tu prends ton envol.
R.B. (27.04.08, sur la route de Chartres)

Tuesday 13 May 2008

Opus #15

20 décembre,

[Il a froid. Il doit marcher le long de cet interminable couloir, même s'il ignore pourquoi. Il le doit. Il marche depuis des heures dans ce large passage au sol rocailleux. Parfois au loin puis parfois étonnamment près, de l'eau coule goutte à goutte dans une flaque. À un rythme régulier. Comme un métronome. Ploc. Ploc. Ploc. Ploc. Une main courant sur la surface rugueuse de la paroi il arpente les distances. Il n'y voit rien. Pas grand chose. Pas assez à son goût. Pas une source de lumière. Il pourrait distinguer un tant soit peu s'il y avait quelque chose à distinguer. Il a l'impression de monter, de descendre, d'aller de tout côté sauf d'arriver au but. Plus il avance et plus l'obscurité s'épaissit. Plus la moindre faille dans l'ombre. Plus que le ploc ploc et la main rivée au mur. Ses pas sont mesurés. Il a cessé de les compter depuis longtemps. Pas la moindre bifurcation, c'est déjà ça. Impression étrange. Des ombres dansent devant ses yeux, au rythme de ses pas, comme en suspension dans l'air. Des marionnettes aux fils invisibles. Il tend la main tout en sachant que cela ne sert à rien. Intouchables car trop vives. Mais il y en a une qui a l'air plus lente alors il la pourchasse mais sa main doit rester sur le mur au risque de ne plus savoir comment aller de l'avant. Il peut presque la toucher. Elle semble fatiguée, molle, défaitiste. Il l'a. Presque. Tenter un brusque pas en avant pour la surprendre – quelque chose retient son pied. Il trébuche. Il met les mains devant lui mais sa tête cogne le sol dur comme de la pierre. Toujours dans le noir il tâtonne. Il a un mal de chien. Ne parvient pas à retrouver le mur. Comme s'il se trouvait dans un espace ouvert. Mais il se sent étouffer et le ploc ploc qu'il avait oublié revient de plus belle. Il tend les bras mais rien que le vide de l'ombre. Il crie et sa voix résonne; pas de mur sur lequel rebondir. Son cri meurt bientôt, sonne désespérément creux. Il n'a plus qu'à se diriger tant bien que mal, à quatre pattes sur le sol comme un chien, vers le ploc ploc qui lui donne soif. Sa tête le fait souffrir. Peut-être saigne-t-il. Au moins une belle bosse. Ploc ploc plus près. Pas si loin que ça mais pas sous la paume de la main. Il s'énerve. Il a la tête comme une vraie caisse de résonance et sa bouche est pâteuse comme un lendemain de cuite. Bon dieu. Il en a assez de se ridiculiser de la sorte. Les ombres continuent leur ballet, comme pour le narguer. Ploc. Ploc. Pourtant il ne se donne pas en spectacle, il n'y a pas de public. Mais il se sent le jouet de quelque chose, de quelqu'un qui doit avoir le sourire aux lèvres. Il a l'impression de tourner en rond, de ne pas avancer droit. Il s'arrête, retient sa respiration. Ploc. Ploc. Ploc. Ploc. Il tenterait bien de se relever mais il a peur de retomber. D'ailleurs, sur quoi a-t-il trébuché? Putain de merde où est la sortie. Et ça danse encore devant ses yeux. Le ploc ploc lui donnera au moins un point de repère. Ou pas. Il serre les dents. Ploc. Ploc. Ça grince. Il a soif. Il a froid. L'humidité est invivable, transperce les os, pénètre les chairs comme s'il n'eût pas eu de peau. Ses vêtements frottent, s'accrochent, se déchirent; ses paumes et ses doigts sont griffés. Il a mal. Ploc. Ploc. Puis soudain sa main droite plonge dans la flaque. Il ne réfléchit plus, avale à grosse gorgée, ne parvient pas à boire correctement: l'eau est trop consistante, trop épaisse. Il a toujours soif mais ce qu'il boit lui fait froid dans le dos. Il hésite, voudrait se réveiller parce qu'il doit bien être dans un rêve, non? Ploc. Ploc. Assourdissant. Les ombres semblent vouloir lui faire monter le regard, mais il n'y a rien à voir. Il lève la tête. Tend les bras. Sent quelque chose que son expérience lui figure immanquablement comme un pied. Il remonte et c'est une jambe puis un corps qui se dévoile à son toucher. Ploc. Ploc. Un corps pendu. De larges plaies s'ouvrent sur les cuisses et la poitrine. Il a soif, mais tout à coup il répugne à boire ce sang frais. C'est de l'eau dont il a envie, dont il a besoin, qu'il a cru entendre depuis qu'il s'est retrouvé là. Et puis c'est trop facile. Qui l'a tué ce bonhomme? Pas lui. Mais ce n'est pas la véritable raison. Il n'en a tout simplement pas envie. Ploc. Ploc. Ce qu'il veut, par dessus tout, c'est sortir de ce rêve à la con. Se réveiller et aller travailler. Peut-être tuer. Voir de la lumière, le jour. Ne pas avoir à s'avouer que oui, ici, il a peur.]

Saturday 29 March 2008

Opus #14

19 décembre,

Je remercie le saint patron des assassins, qui n'est pas encore reconnu en ce bas monde, d'avoir fait appeler la mairie et de m'avoir donné deux jours de congés pour me reposer. J'immolerai un corps en son honneur. J'ai passé la journée d'hier à dormir du sommeil du juste, sur mes deux oreilles, à poings fermés. Personne n'est venu troubler ce silence de mansarde. Et me voilà ce matin comme au plus beau des matins, le jour à peine levé sur le monde, revigoré, serein, satisfait. Comme jamais. Et ce n'est pas le fait que ce matin aucun journal ne chantera une de mes oeuvres exposée au grand public qui me fera croire le contraire. Parfois, même le bon Homère se repose.

Thursday 27 March 2008

Opus #13

17 décembre,

Il a fallu qu'on reparle de moi ce matin dans le journal. Cette nuit fut faste, je l'avais prédite, mais je n'avais aucune idée qu'elle arriverait aussi tôt dans ma vie. Je laisse la place à la coupure de presse qui fait les gros titres qui, soit dit en passant, n'est pas trop mal écrite, pour une fois. Comme quoi, ça sert de se donner du mal. Moi je vais prendre une petite douche.


CARNAGE RUE DU PANIER FLEURI

Tôt ce matin la police a été appelée sur les lieux de ce que les badauds ont commencé à surnommer en quelques heures « rue de l'abattoir ». Selon les premiers éléments de l'enquête, une première victime aurait été abordée par le tueur en série qui semblait vouloir jouer profil bas depuis quelques temps. Celui-là même qui a sévi d'un bout à l'autre de la France semble avoir élu domicile ici, là où tout a commencé. C'est probablement alors qu'il dépecait la jeune demoiselle – seules des radiographies dentaires pourront identifier la malheureuse – qu'un passant – vraisemblablement un jeune homme de couleur – alerté par du remue-ménage est arrivé dans la rue sombre pour n'y trouver qu'une mort brutale et sans nom. A partir de là le mystère s'épaissit. Les habitants de la rue, très choqués, jurent leurs grands dieux qu'ils n'ont pas entendu plus de bruits que d'habitude. Le quartier est connu pour ses frasques de sorties de bars et rien ne laissait présager la macabre découverte par un employé communal venu balayer la rue tôt ce matin. Toujours est-il que les corps de trois autres victimes gisent épars le long de cette rue maudite, les murs maculés de sang témoignant d'une violence dépassant l'entendement et, signature tristement célèbre, plusieurs membres manquants au morbide puzzle. Le tueur en série, qui échappe depuis plusieurs mois déjà aux filets de la police qui a pourtant déployé un arsenal des technologies des plus avancées, a encore frappé. Il faisait les gros titres, puis il est tombé dans l'oubli, la vigilance des habitants retombant dans le quotidien qui se rassure de l'accalmie comme d'une fin. Tôt ce matin, il s'est fait un nom, et ce nom fait froid dans le dos. Suite page 3


Rien de tel qu'une bonne douche pour se remettre de ses émotions. Il vont voir ce qu'ils vont voir. Un simple coup de hasard, comme si Dieu lui-même les mettait sur mon chemin comme de beaux et gras moutons de Panurge. J'en tremble encore. Jamais je n'ai ressenti cela encore: comme un diapason qui résonne en permanence à la même intensité démente. L'instinct qui commande de tuer alors même que je n'ai fait qu'apercevoir ce jeune noir, puis ce couple, puis cette jeune fille du coin de l'oeil. Comme si cela n'avait plus d'importance que je sois surpris ou non dans mon labeur. Je suis prêt. Il va de soi que la préparation en amont ne doit pas être négligée et qu'il faut toujours s'attendre à l'inattendu, mais qu'est-ce qu'il est grisant de voir ce mélange d'horreur et de résignation dans leurs yeux alors que ceux-ci s'accoutument à l'obscurité et qu'ils découvrent le sang, les entrailles, les muscles, les lambeaux de peau. Un battement de paupière plus tard et ils savent. Tout. Ils ont la vérité imprimés sur leur rétine et au fond de leur cerveau pendant un instant. Ils savent par exemple qu'on ne peut crier la gorge béante, fendue comme un fruit bien mûr. Qu'on n'échappe pas à son destin, parce que même si on n'était pas passé par là ce soir-là précisément, nos chemins se seraient croisés tôt ou tard. Il n'y a pas d'autres alternatives et cela, ils le savent. Je suis fatigué. Je vais profiter de ce qu'ils m'ont donné mon après-midi pour me remettre de mes émotions pour faire une petite sieste. La police n'appellera pas. Ils ont mes empreintes alors que je n'en ai laissé aucune, mon emploi du temps mais je suis au-dessus de tout soupçon, mon adresse mais ils ne trouveront rien de cohérent avec les autres assassinats. J'ai les paupières lourdes. Le sommeil vient enfin tranquillement sonner à ma porte, ne le laissons pas en reste.


Leaves

Leaves


Leaves swirling in the wind like birds

Covering up the sky with their dance

Leaves airborne and ebbing in the wind

Covering paths that were meant to be trodden

Leaves blowing inadvertently in people’s feet

Erratically following an invisible path

Leaves gathering upon the gutter

Damming last night’s pounding rain

Leaves rustling sadly in the breeze

Cartwheeling untold and shining distances

Leaves colour-constellating plains

And gardens and parks and avenues

Leaves fading in the autumn of years

Sepia memos of forgotten moments

Leaves burying unrememberable memories

Blessing the idiots and people of tears

Leaves stretching a shade past our existences

Unbeknownst to a rampaging world

Leaves leaving in the night starwards

And though earthbound like us meant to be

Leaves sensing a peace we may have forgotten.

Wednesday 26 March 2008

Opus #12

16 décembre,

(On se dit chercher l'homme au plus profond de ses entrailles, des nôtres aussi. Entrailles aruspices et entrailles assassines. L'homme n'est pas né assassin, il l'est devenu par l'inertie de ses sentiments et parce qu'il est de son devoir de faire des choix [et que ses choix l'affectent lui et son entourage – ne serait-ce que momentanément]. Pourtant, il faut bien répondre à cette satané question, non? Si l'on ne cherche pas, l'on ne trouve rien n'est-ce pas? L'homme est capable de tant de choses, et s'il se connaissait mieux, s'il était plus au fait de ses moteurs, de ses faiblesses, de la nature de ses sentiments – combien grandes et magnifiques seraient ses oeuvres! Ah! Dieu qu'il aimerait parfois à converser de la sorte avec un ami assassin, sirotant un thé vert de Chine délicat et parfumé. Passer une excellente demi-journée ensoleillée à échanger ses points de vues, ses impressions, ses expériences. À parler de littérature médiévale, de cantates inachevées, d'économie ou de politique. Au lieu de cela il n'avait que le sordide du monologue qu'il jetait de temps à autre à cette figure décharnée du miroir, le bouillon clair et insipide d'un thé en sachet périmé, la cradeur d'un bouge qui empestait le sang froid comme un appartement de vieux fumeur. Au lieu de cela il n'avait que ces collègues impavides et abrutis et sans autre intérêt qu'ils croiseraient un jour son chemin. Un jour il devrait commettre tant de meurtres qu'il en serait ivre. Quelle belle connerie que les relations humaines.)

Tuesday 18 March 2008

Opus #11

15 décembre,

Il m’a fait signe de la tête, comme si implicitement il acceptait que je me repaisse de son corps. Qu’aurait-il bien pu vouloir signifier d’autre, par ce geste ? Reconnaître l’utilité de mon métier n’est pas dans les habitudes du genre humain; non ce n'est pas ça. Me saluer en tant que compatriote ? Très improbable étant donné mon statut social, et l’angle d’inclinaison de sa tête. Sa mine défaite. L’heure de la journée. La tête lourde de souci. Toujours est-il qu’il m’a convié, que la satiété est bien présente, que les tremblements se sont arrêtés. Que nous sommes tous les deux apaisés à présent.

Monday 17 March 2008

Opus #10

14 décembre,

[Rêve étrange. Obscure labyrinthe qu’est la mémoire. Panique nocturne. Réveil en sursaut à l’intérieur même du rêve. Conscience dans la conscience. Du sang sur tout le corps, sur le visage, du sang qui transpire de sa peau. Qui s’échappe comme de la fumée, qui vient s’enrouler comme des tentacules autour de lui. De sa bouche, de ses oreilles, de son nez. Son corps de la pâleur éthérée de la mort. Un cadavre conscient de sa mortalité, de l’achèvement de sa vie. Le regard vidé d’âme, perdu dans les limbes de l’oubli. Un corps intact, sans aucune blessure ; rien qui puisse expliquer tout ce sang, cette mort ou tout simplement cette blancheur de trépassé. Rien de distinctif ; à part peut-être simplement une barbe de quelques jours et des cernes entourant ce regard insoutenable. Il se fait peur. Il se voit hors d’un corps qu’il reconnaît comme le sien. Malgré l’intolérable lividité. Malgré le sang, malgré la rougeur de ce sang sur cette peau d’albâtre, presque diaphane. Les veines gonflées, battantes, regorgeant d’hémoglobine, saillant en surface. Il est et n’est pas ce corps qui souffre et meurt sans arrêt. Serait-ce la condamnation pour ses crimes ? le seul moyen de les expier ? Il sent son cœur palpiter, cogner contre ses côtes qui claquent, il le sent qui pompe un sang qui fuit, qui pompe comme on aspire par une paille percée, qu’il se fatigue, s’essouffle, qu’il emploie l’énergie du désespoir pour pomper, pomper, pomper, mais que ses efforts s’avèrent vains et que les battements se font moins intenses, moins réguliers, plus sourds et que finalement, le sang venant à manquer dans ses artères fatiguées, dans ses ventricules flasques, il s’arrête, épuisé, vaincu, passé. Puis le sang volatile, aspiré comme par enchantement par des poumons nécrosés, s’insinue dans les veines et les artères deux secondes plus tôt sèches et collapsées, insuffle une vie là où mort s’égrenait. Et la vie recommence, palpite à nouveau comme une démente, reprend possession de cette dépouille et pompe à nouveau, pour mourir de nouveau, peine perdue. Il sait que son réveil est imminent, que l’assassin est là tapi dans l’ombre de son ego prêt à bondir toutes griffes dehors. Que la phase de planification sera courte. Que l’assassinat sera bref, d’une intensité à couper le souffle, à sentir son cœur jaillir hors de sa poitrine. Qu’il devra faire attention plus que de coutume, parce qu’il avait tendance, après une période sans tuer, à devenir fébrile et à vouloir plus de sang, à voir plus de souffrance, à faire durer le plaisir plus longtemps. Il ne sait pas s’il tiendra longtemps, mais il faut respecter la méthode, sans quoi il ne sera qu’un vulgaire tueur, sans quoi ses pulsions feront de lui un ersatz d’assassin.] (Les muscles reprennent leur lourdeur; il commence à sentir l'air moite sur lui et son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine réclame du sang.)

Monday 21 January 2008

The End Suddenly into View

The small man shakes a shaggy mane of untamed hair

In disbelief. Warmongering bleeds his vexed heart.

Rocking on his heels at the threshold of his lair

He curses and cries and has forgot where to start.


Stark, Stabbing pain and weariness and malcontent

Have him moan and shudder and he senses gooseflesh

And all he can smell right now is the acrid stench

Of keen pique. He cannot see why he should relent.


Thumb methodically pressed on nostril; just to snort

Clotted blood. Indeed he had to retaliate.

Why should they rot and welter in mire and mort

With nothing but cattle and grass to contemplate?


If he wanted to do them in, why take his time?

In the corner of his eye curls the pool of blood

Where his son had been split seconds before the crime –

Where his other son had received his life from God.


He felt sure he had always hated the first-born

Ever since he had obeyed and harvested corn.

Just to teach him they should have starved themselves to death –

Instead they had to suffer until their last breath.


What will she say? One son slain; the other outcast…

“It’s my fault!” or “It’s no use to dwell on the past.”


The man is still sitting on his heels, arms round knees;

His hands found no better use than rest on the ground.

He feels anchored down – one great, dark expanse to seize –

Riveted to the tarnished soil to which he’s bound.


His calves twitch, fibrillate. Treated like ravagers.

Why should they scrape dirt and gnaw bones like scavengers?

Were they just vermin slaughtering weaker vermin?

Had they all got to carve their way with a flint shin?


His chin covered with drool and tears and mud trembles;

His listless look gathers the vague plains silently,

Encompasses all: brook, tree, mountain and brambles –

And calls everything vain and blasphemes recklessly.


He feels old now, as old as the hills and dales green

That have in a way lost their lustre and their sheen

Since his sombre son sent to a darker kingdom

A brother; grim Death strikes soon and late, whole and dumb.


His stout son had been lagging behind in the filth;

God had made him proud and ruthless and exacting.

His arms and his tenacity had been his wealth,

But all was gone to ruin and dust, to nothing.


Why should they be tried, them who fell from Fortune’s law,

Wasn’t that enough? Isn’t the fine worth the flaw?

The furrow is now stained and doomed and essential.

Both lads are gone without a proper burial.


They had received their equal share of love and care;

They had been reared in fear of him who had made them,

But now he had to repent for the whole lot of them

And cries, envisioning the cross he has to bear.


Love was there, simple and strong; he’d come with preference

And instilled that great scourge hatred in his son’s heart

So that his other, dear son could feel the difference

And pay up the penalty for the parents’ part.


In the dark pit of the man’s stomach lurches doom.

He half-turns and discerns the cave’s end’s tepid gloom.

Dusk bathes the roof of the cave; soon she’ll arrive;

What can you say to her of whose sons Fates deprive?


There is no harsher word to express what he feels

But ‘unfair’. He suddenly outstretches his fists

Into the sky and with a stertorous voice hurls

‘Justice’ at the unseen one who always exists.


Skyward his grey silent gaze for a while remains –

These skies of feigned vastness until dusk unperturbed

Deepens his blood-dyed hands with crimson light reverbed –

His lips of ash are drawn. He thinks ideas are banes.


They have been created as things with a purpose,

But now even his eyes bear the pallor of death.

The lichen-coloured ground between his feet to Seth

Intended; why should his last son be judged thus?


His fingers claw the dust; nails grimy and broken;

Mud is but dust and tears. He must be that, not clay;

He must have been sprung from the purulence sunken

Deep into the bottomless shadows of decay.


His sons he has surrendered to conflict and pain;

His wife he has exposed to shame and sufferings;

He himself the opprobrious crossbearing stain.

Earth to toil and sky to rove as sole belongings.


Louring overhead the dome tinges with dark red.

She will come and lay in his bosom her frail head

And cry her life away. He foresees their future:

No more sons to raise, no further hope to nurture,

Nothing to avail them but the stone of their bed,

He comprehends and (prickling qualms) rues the rupture.


He has no means to understand his dead sons’ deeds,

Cannot satisfy him with his now empty creeds.

He must not ask of him faith or prayers or life,

He who has willingly steeped them in woe and strife.


No, no; not willingly. He’d given them the choice

And but one, unique catch thrown into the bargain.

But confusion came before they knew of its voice:

Now in their parched mouths the undying taste of sin.


“O my sons, why have you gone?

Why turn thy arms against thy brother?

I would have comforted thee,

Given thee recompense for thy efforts,

Given thee attention.

And you, murder’d son, I would have thanked thee

For having found the way to him.”

He had said the feeling would go, would wear off,

But he doesn’t want to feel otherwise.

Morn was gone for ever in his eyes

The very instant blood poured from the blessèd veins;

He grinds his teeth and clenches his fists in anger.

She will be here in a moment.

Sleep-laden limbs and eyes drowsy with lassitude.

How bitter shall the hundreds of years be for them,

To curse and to beg pardon.

The world is not big enough to wash the stain off,

To hide their shameful faces.

So they both shall remain in this forsaken place,

Them who imperfect could only harvest disgrace,

Them who shed tears of precise grief.

No one shall honour them,

No one shall know they died,

No one shall know they hide,

No one shall come to them

And ask for counsel grave

Or for absolution,

Them who failed to become

An impossible dream.


In the glowing distance a thin silhouette suddenly comes into view.

Last train to dawn

Last train caught in extremis on the eve of dusk –

Shards of sun sweeping the entire sky –

There was no other way but to take it –

None other – sadly – as if this meant

Admission of failure – a dark spot on

A blank map – a sentinel watching

Over the one and only remaining road.

The dead of night blanketing that

Neon-lit carriage in which the occasional

Sleep-seeker opens a vague eyelid –

Not quite comprehending the world

Beyond the Securit glass – the necessary glass –

Full of discarded unpunched tickets –

Darkness prevailing and but spawning effortlessly –

Listlessly – the Nobel Prizes of the everyday.

Blind tracks whitenoising the mind –

Irascible or morose ghosts electrifying the angst –

Drilling holes the size of planets

In the carapace of conviction –

All that is needed is a sharp bend

And a high propensity to unbelief.

Ours should be an epoch of security –

Fear dripping from every theory –

Exponential questioning as truth seems –

Seems – to come suddenly into view –

Liminality claimed only in the vision –

Only in the broad, full sunlight –

In sleeplessness – in blindness –

In the bumpy train uncoiling to dawn –

Expecting to be transgressed –

Otherwise mandatory and indomitable.

The last train slithering through obscurity –

A sudden sharp apex of noise in motion –

Breaking the apt void – the unfounded

Expanse of stringed ropes oscillating

The whole space between here –

And there – between the now and the next –

Between the dark backs of the planets –

Yet the silent train is leaving the night,

Moving restlessly and inevitably until

The very last of the dawnbreaking light particles

Exposes the world spreading at our feet.

Celui qui vivait là

Il est parti, celui qui vivait là,

parmi les roseaux sauvages et la lavande,

celui qui, d'un geste jamais las,

caressait d'un long regard toute la lande,

celui qui vivait là sous le grand chêne.

Celui qui vivait là a porté ses pas,

au beau milieu de la nuit sans lune,

en direction de l'horizon là-bas,

à la recherche d'une chose qu'à peine

nous pourrions distinguer de l'ombre.

Pas même un son ou un coup d'oeil il jeta,

mais d'un pied décidé il foula les combes,

traversa les rus, passa les gués, marcha.

Les nuages s'amassèrent en nombre

sur son chemin car toujours il marchait.

Un jour d'avril il est revenu, sous un ciel chargé,

l'orage grondant et les oiseaux abrités sous les acacias,

la démarche lente, lasse et mal assurée,

les bras vides, la figure hâve et le menton bas,

mais les yeux rassasiés de la si longue attente.

Lichen

The blind woman next to me fidgeting in her seat visibly uneasy brushed my arm as if in need of help with her train ticket but she tricked ...