Sunday 31 January 2010

Tuesday 26 January 2010

Une seule balle en poche

Je tiens à souligner au lecteur potentiellement attentif, et surtout soupçonneux, que cette nouvelle fut écrite dans ma prime adolescence, retrouvée (la nouvelle, pas l'adolescence) il y a fort peu sous un métaphorique tas de poussière. Excusez donc toute erreur de style, de syntaxe et de goût que votre œil sagace aura su déceler. Sachez également que le temps n'y a rien fait: je n'ai su m'en débarrasser.




Une seule balle en poche


        « Qu’est-ce que signifie cette balle en argent dans votre vitrine, mon cher ? Est-ce un cadeau de votre ex-épouse ?
      _Je n’aime pas votre sens de l’humour, Andrew. Cette balle n’est pas un cadeau, loin de là. En fait, cette balle en argent a un but bien précis, et une histoire. Si vous pouvez vous abstenir de plaisanter pendant quelques minutes, je veux bien vous la raconter.
      _Mais faîtes donc, mon cher. Nos collègues n’étant pas arrivés, nous avons bien un peu à partager de cette intimité formelle qui lie les hommes d’honneur.
      _Décidément, il n’y a rien à vous dire qui ne soit sujet à débat. Bref, voici mon histoire. Alors que j’étais jeune recrue dans l’armée de terre, il y avait un sergent-chef du nom de Smith. Et cet homme ne faisait rien d’autre que boire et tirer au pistolet. Toute la journée il demandait du whisky au messe afin d’y étancher une soif devenue légendaire au sein de notre section. Pareillement, son habileté au tir retenait la même attention. Plusieurs fois décoré pour son adresse et son efficacité sur les champs de batailles, il faisait alors partie des meilleurs tireurs au monde. Et bien que cet homme soit un alcoolique invétéré, il ne ratait jamais sa cible, jamais. Où qu’elle soit, qu’elle soit mobile ou non, loin ou proche. Le sergent-chef Smith possédait un don. Tous les soirs nous allions faire une patrouille de reconnaissance, puis nous montions un campement pour la nuit. Les tours de garde se faisaient par rotation, deux hommes à chaque fois. Andrew, cessez de faire le pitre avec cet accoudoir, il ne vous a rien fait. Et une nuit, je reçus cette balle des mains de Smith. Voilà.
       _C’est tout ? Et moi qui croyais que vous vous étiez battus dans un duel à mort et que vous lui aviez arraché cette balle du cœur. Je suis profondément déçu par votre conduite veule et lâche, mon cher.
      _Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites, Andrew, et c’est fort rare ; mais comme vous semblez intéressé, laissez-moi continuer, s’il vous plaît.
       _Il ne me plait point ! Je croyais que vous aviez fini !
      _Je voulais simplement vérifier que vous suiviez attentivement mon récit, car vous manifestiez plus d’animosité envers cet accoudoir qui n’a rien demandé à personne mais qui pourtant reçoit là un châtiment à peine concevable.
      _Ce que je fais à cet accoudoir ne concerne que la maîtresse de maison qui en fit un usage tout autre que celui dont il fait l’objet à présent, je vous l’accorde. Trêve de bavardages, mon cher, et continuez, vous avez excité ma curiosité.
     _Une nuit nous avons été attaqués par un groupe d’autochtones fort peu organisé qui, en nous encerclant, se tiraient dessus. L’offensive fut vite réduite à néant. Pour fêter cela Smith sortit quatre bouteilles d’un vieux whisky qu’il avait échangé contre quatre livres…disons...très féminins, qu’il avait confisqués à un appelé. Personne n’osait boire le précieux breuvage par crainte de punition, d’une autre attaque surprise. Mais bien vite nos doutes furent dissipés par la bonne ambiance que Smith voulut instaurer. Alors commença la plus gigantesque beuverie à laquelle j’ai participé. Plus tard, les quatre bouteilles vides, nous avons discuté, chacun à notre tour, de nos vis respectives, ce que nous faisions, qui étaient nos amis, etc. Nous allions arriver au tour de Smith, le plus attendu de tous, lorsque la deuxième salve d’attaque arriva. Dans notre insouciance embuée de whisky, nous ne pensions plus aux autochtones que nous étions censés recenser et éventuellement éliminer. Bien différente de la première, cette attaque était organisée et menée de main de maître par le seigneur de la région, dont la tête était mise à prix par notre gouvernement. Mais bien loin de nous l’idée de vouloir ramener ce berbère vociférant, il nous importait plus de nous en sortir vivants. Mais pas Smith. Lui voulait à tout prix capturer cet individu, ce barbare qui hurlait à plein poumon, afin de toucher la prime, sûrement pour acheter du whisky. Ce berbère valait donc son pesant de whisky. Imaginez, Andrew. Dans une steppe quasi-désertique, cinquante berbères que nous n’avions pas vu arriver, fondant sur nous à la vitesse de l’éclair, braillant, hurlant, tirant, vociférant tels des chiens enragés. Un de mes compagnons fut tué sur le coup, son crâne ne résista pas à la balle qui vint s’y loger. Mais plus prompt à réagir que nous tous, Smith avait déjà dégainé et avait causé de lourdes parmi les attaquants. Nous avons finalement repoussé les assauts des berbères qui se dispersèrent comme des rats chassés à coups de balai. Mais le coup de balai c’est Smith qui l’avait passé. Il avait même réussi à blesser le chef des barbares, qui fut bâillonné et ligoté solidement. Nous avons d’ailleurs vite plié bagage, sinon les berbères seraient revenus le chercher. La nuit fut longue. Smith, notre sauveur, nous inquiétait beaucoup : il demandait à s’arrêter souvent, comme s’il était essoufflé, et ce malgré la menace qui planait au-dessus de nos têtes. Je fus le premier à apercevoir l’auréole de sang près de son bas-ventre. Smith s’écroula après deux heures de marche, trempé de sueur. Tout le monde paniquait, certains se demandaient s’il ne valait pas mieux libérer le berbère, d’autres se tenaient la tête entre les mains, comme si la fin du monde venait d’être sonnée. Mais Smith se releva tant bien que mal et ordonna de tuer le prisonnier et de lui trancher la tête. Tout serait plus facile ensuite. Malgré une peur palpable ce fut fait en quelques instants. Et moi qui voulais donner une sépulture à ce malheureux ! Smith m’en aurait voulu si je lui avais dit cela. Mais rien ne fut plus facile que de lui trancher la tête. Smith retomba à terre et ordonna à tous les soldats moi excepté de retourner au camp et de revenir avec des secours. Quelques regards incrédules se tournèrent vers moi, mais je n’en savais pas plus qu’eux. Pourquoi croyez-vous qu’il m’ait choisi plutôt qu’un autre ?
      _Je ne sais, mon cher…peut-être avait-il perçu quelque chose de bon et de réconfortant en vous ? Mon Dieu que l’on est aveugle et fou sur son lit de mort !
      _Je n’en attendais pas moins de vous, Andrew. Toujours est-il que nous sommes restés seuls dans cette nuit désertique, avec ce corps décapité à nos pieds. Nous sommes restés longtemps sans parler. Je n’osais pas lui adresser la parole. Je redoutais la vengeance des berbères. Mais il engagea la conversation, brusquement, sans ménagement. Mais c’est un peu comme si ce n’était pas à moi qu’il parlait. Il disait, simplement. Il dit alors avoir été infecté par une femme de joie d’un bas quartier, qui venait souvent au camp vendre ses légumes et des fruits frais. Il ne savait pas au juste quelle était sa maladie mais il souffrait le martyr, depuis plusieurs semaines. Il s’arrêta un moment, me regarda fixement et me dit qu’il avait renvoyé les soldats non pour l’aide qu’ils étaient censés ramener, mais pour que nous soyons seuls.
       _Comme c’est touchant ! IL vous aimait donc et voulait partager cette maladie vénérienne avec vous ! Quelle belle preuve d’amour !
       _Il voulait mourir dignement, Andrew, et pas bêtement.
      _Mais c’est pourtant ce qui s’est passé ! Cet homme, à jouer avec le feu, s’est brûlé. Mais continuez donc, cher ami.
      _Oui. Smith voyait bien ma mine déconfite, et il sortit cette balle de sa poche, et malgré les années elle a conservé ce même éclat qui m’avait alors frappé. Il me raconta qu’il l’avait fondue lui-même chez lui en Irlande. Il me dit aussi qu’il avait trouvé d’où venait le si bon goût du whisky. Il me dit que le whisky était l’urine de la terre, c’est pour cela qu’il était aussi bon. Mais comme c’était un secret, je devais jurer de ne rien révéler à personne. Allez comprendre…l’urine de la terre. Toujours est-il que cette balle semblait avoir le pouvoir d’un whisky quinze ou vingt ans d’âge. Il me la glissa dans la main et me susurra de lui épargner une mort honteuse devant ses soldats et supérieurs. Ensuite il s’étendit sur le sable, inclina la tête et ferma les yeux. Je en savais que faire. Auriez-vous pu faire une chose pareille ?
_Moi ? Mon Dieu non ! C’est totalement absurde.
_Mais pas pour lui, ni pour moi maintenant d’ailleurs. Il avait un sens exacerbé de l’honneur, aussi il ne voulait rien qui entachât sa réputation, même s’il semblait considérer n’avoir rien fait de mal avec cette femme. Ce furent des moments très pénibles pour moi. Je tremblais de peur.
_Mais il était mort depuis longtemps, n’est-ce pas ?
_Comment le saviez-vous ?
_Un homme tel que lui, modelé par l’honneur, ne se couche pas sur le sable et ne ferme pas les yeux devant la mort. Au contraire, il l’affronte sans sourciller et lui fait un pied de nez au dernier moment. C’est vrai qu’il était courageux, en fin de compte.
_J’ai longtemps conservé cette balle sur moi, croyant qu’elle m’apporterait courage et honneur. Mais vous aviez raison, Andrew, lorsque vous disiez que j’étais lâche et veule. Je n’ai même pas réussi à respecter les dernières volontés d’un mourant.
_Tel est le destin, mon ami, capricieux et débile. Je ne pense pas qu’il vous en veuille vraiment là où il est, où qu’il soit d’ailleurs, si c’est ce que vous voulez savoir.
_Vous croyez ?
_Oui. Mais nos collègues arrivent. Rangez cette solennelle balle dans sa vitrine et ne lui trouvez aucun écrin de chair et de sang. Et puis allez vous laver le visage, il serait impoli de recevoir quiconque avec vos joues couvertes de larmes. Je comprends ces larmes à présent, pas les autres. Il vous faudrait raconter cette triste histoire une seconde fois pour qu’ils comprennent, si tant est qu’ils veuillent bien vous comprendre. Mais étant le premier des sceptiques, ils n’auraient aucun mal à reconnaître l’erreur que j’ai moi-même commise. Veuillez pardonner, cher ami, si je n’ai pu sentir ce que vous vouliez me faire comprendre dès le début. Je suis misérable et plein de faux-semblants. Ils arrivent, je vais de ce pas les accueillir. Peut-être aurons-nous plus tard l’occasion de reparler de cette balle.
_Quelle balle, messieurs ? »

Thursday 21 January 2010

The Time Traveller - pour ceux qui l'auraient loupé lors de son passage au Cercle des Associés

« Wolfgang Amadeus Mozart?
_ Ya?
_ Ich bin französisch und mein Name ist Jacques Trusquin.
_ Ya?
_ Und...äh...
_ Was wünschen Sie? »


Ici, nous allons imaginer que l'entretien qui va suivre se déroule en allemand, avec un léger accent bavarois.


« Je sais que vous n'allez pas me croire, mais je viens du futur. Nous avons trouvé le moyen de nous déplacer entre les dimensions spatio-temporelles.
_ Oui.
_ Vous imaginez? Du futur!
_ C'est bon, je ne suis pas sourd. Vous venez pour quoi au juste, je suis un peu pressé. »


Jacques Trusquin a la mine déconfite. Une fois n'est pas coutume, les gens ne sont pas impressionnés par son entrée en matière. Il n'arrête pas de la changer depuis que Léonard lui a éclaté de rire au nez. Léonard quoi! Grosse déception. Bref. Il recommencera, une fois n'est pas coutume, avec le prochain. car Jacques Trusquin, en plus de ses grandes qualités de linguiste et de sa mémoire éidétique, est patient.


« Je suis envoyé du futur pour délivrer des messages importants à certaines personnes influentes dans notre monde. Je suis donc venu vous dire que pratiquement tous les chefs-d'œuvres que vous avez écrit ou allez écrire – on est en combien là, exactement?
_ Nous venons de fêter la nouvelle année 1791.
_ Ah...je...vous...bref. Euh...humhum. Profitez-en bien! Il vous reste une grande œuvre à faire, si ce n'est LA plus grande.
_ Je sais.
_ Ah bon. On va gagner du temps comme ça.
_ Vous dîtes que vous venez du futur, c'est ça?
_ Oui, c'est ça! Alors en fait -
_ Et je suis très connu? »


Purée! Tous les mêmes! Alors voilà: le gouvernement français prend le pari sur vingt ans – vingt ans – et investit des sommes pharaoniques dans le plus grand secret – des milliards d'euros – pour développer la théorie des supercordes et la mettre en application dans un puits gravitationnel multi-complexe, le tout bombardé avec force canon à électrons et antigravité, pour emprunter un trou de ver de Lorentz, et ce en faisant le plus grand pied de nez au deuxième principe de thermodynamique, et tout ce qu'on trouve à dire ou à savoir c'est « est-ce que je vais être connu? » [W.A. Mozart, 1791], « est-ce que je vais enfin mettre la main sur Spitaménès » [Alexandre le grand, -328] ou « est-ce que je vais gagner le prix Nobel de truc? » [H.A. Lorentz, 1901], « quand est-ce que je vais mourir? » [e.g. tant la liste est longue, George Washington, 1789] ou encore « est-ce que je vais enfin me marier? » [Richard Cœur de lion, 1190] et patati et patata. Ré-vol-tant. Bref. Pas de mal à lui concéder ça, tout du moins.


« Oui, pour être connu, vous allez l'être, beaucoup plus que maintenant.
_ Bonne chose, ça.
_ Donc vos œuvres seront dénaturées par la main de l'homme qui les utilisera pour des publicités pour des shampooings, des pâtes ou des voitures, et vous trouvez ça bien?
_ Hein?
_ Imaginez que vous voulez acheter un carrosse. Celui qui veut en faire la promotion, pour attirer des acheteurs, vous présente le modèle avec votre musique.
_ C'est bon, ça! Si le carrosse est beau...
_ Mouais. À vrai dire, je ne sais pas si je suis vraiment surpris par votre réaction.
_ En même temps, vous me disiez que vous aviez des messages importants à délivrer. Je ne trouve pas que cela justifie un voyage dans le temps. Vous vous attendiez à quoi? À ce que j'arrête de composer?
_ Bonne question. Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi je délivre ces messages-là. Je respecte le protocole en cas d'extrême urgence, voilà tout. En plus, ça me fait passer le temps sans changer la concaténation des événements.
_ Je vous demande pardon?
_ Le cours des choses, si vous préférez. La marche « naturelle » de l'Histoire. Disons que l'histoire suit un chemin, comme une rivière suit son lit. Vous détournez le lit mais l'histoire coule toujours. C'est simple en théorie. D'ailleurs, la théorie est toujours simple, juste avant de rencontrer la pratique. Disons que ça a capoté à partir du Premier Changement ordonné par la Mission pour le Rétablissement de la Paix et de la Démocratie pour les Peuples. Ma mission était d'empêcher l'assassinat de François Ferdinand, archiduc d'Autriche.
_ Et vous avez échoué?
_ Ben non, le problème est que j'ai réussi! D'après mes calculs et grâce à l'aide de Léonard de Vinci, j'ai pu conclure à l'éradication de mon présent – de votre futur, en gros. J'espère que nous nous sommes trompés.
_ C'est gênant.
_ Le pire, c'est que nous sommes plusieurs sur la ligne. J'ai rencontré un type, le gros malin, qui m'a enguirlandé comme du poisson pourri parce que j'allais fausser toutes les données du flux temporel.
_ Son nom?
_ Merlin. Il m'a même dit qu'il y avait beaucoup de monde ces temps-ci qui s'amusaient à aller et venir.
_ Mais comment cela est-il possible?
_ C'est très compliqué à expliquer et sans vouloir vous froisser, même Léonard n'y a rien compris. Je vous laisse imaginer la galère avec Galilée. Bref. Une histoire de thermodynamique et de MC². AH! Si seulement je pouvais communiquer avec la base! Pffffff. Tout ça pour se dire que le multivers n'existe pas. C'est vraiment pas de bol. On planche là-dessus pendant des plombes, on spécule, on schématise, on prophétise et qui se retrouve le bec dans l'eau entre les dimensions? C'est Bibi! Non mais ya de quoi devenir chèvre! Oh et puis vous, là, retournez sonner vos sonates au clair de lune. Ah non, merde, c'est Debussy ça.
_ On se calme, jeune homme. On se calme. Vous voulez une verveine? Ça va vous apaiser. Constanze! Une verveine pour le monsieur du futur! »


Quatre ans, selon ses calculs. Quatre ans à bourlinguer entre ici et là et là-bas et jadis et naguère. Comment garder son calme? Il ne trouvait pas de solution à son problème, et à chaque fois qu'il essayait de se mettre en quête de quelqu'un qui pourrait peut-être le sortir du pétrin, il devait repartir. Mozart le regardait, l'œil malicieux. Pas un mauvais bougre. La plupart du temps, les hommes ne ressemblaient pas à leurs représentations graphiques, ou même à l'image qu'on se faisait d'eux. Dans certains cas, si.


« Vous êtes bien aimable, monsieur Mozart. Vous savez, je suis sous pression. Je n'arrive pas rentrer, je ne sais même pas si je peux rentrer...il ne me reste qu'à attendre à chaque fois que cette stupide montre sonne pour m'annoncer mon départ vers une autre dimension, un autre espace-temps.
_ Et ça arrive souvent?
_ M'en parlez pas! Tous les deux jours environ, parfois plus. L'avantage, c'est que je sais quand j'irai la prochaine fois. Quand et où.
_ Et où cela se trouve-t-il?
_ La France! Je rentre au bercail, même si c'est en 1880. C'est pas comme si y'avait pas de monde à voir, hein? L'avant-dernier voyage, je me suis retrouvé en Mésopotamie en moins 4000 et des brouettes avant Jésus. Autant dire que c'était pas la fête au village. Le truc, c'est que tous les paradoxes temporels tombent comme des mouches et que je n'ai pas encore eu la chance de divulguer quoi que ce soit à mon gouvernement! La date la plus avancée à laquelle je suis retourné est 1982.
_ Et ça n'avait pas commencé?
_ Loin de là. Le projet MRPDP a vu le jour le 8 mai 2048. Mais même en 1982 je n'aurai rien pu dire, j'étais coincé en Ouzbékistan. Pas étonnant que j'en aie perdu mon flegme et mon français. Bon, ben je vous laisse. Je dois essayer d'aller voir Victor Hugo pour lui dire que la prison qui portait son nom a fermé avant que je parte.
_ J'hésite à vous dire bon voyage.
_ Ça ne mange pas de pain. Bon courage à vous, pour la dernière.
_ Vous n'auriez pas l'occasion par hasard de me donner un petit coup de main? Mmh? Sans forcer le destin, non, rien de tout cela. Juste les premières notes?
_ Tous les mêmes. Une fois que vous vous mettez à réfléchir, personne ne peut vous arrêter. Bon. Je vais pas faire grand mal. Ça ressemble à un truc du genre: « Taaaaa dadaaaaaaa, tadadadadaaadaaaaaaa »
_ En fait, oubliez. C'est mieux comme ça, non? Je ne prendrai aucun plaisir à ne pas trouver tout seul, n'est-ce pas?
_ Mouais. Bref. Vous imaginez sans peine que nous n'avons jamais eu cette conversation, je n'ai jamais existé. Le futur ne doit pas entendre parler de moiBIIIIIIP.
_ Vous n'êtes déjà plus là. Monsieur Trusquin? Monsieur Trusquin? »

Sunday 17 January 2010

Citations de la semaine: Montagne / Quotes of the week: Mountain


« A mes montagnes, reconnaissant, infiniment, pour le bien-être intérieur que ma jeunesse à retiré de leur sévère école. » (Walter Bonatti)


"Fermée comme un volet de buis, Une extrême chance compacte, Est notre chaîne de montagnes, notre comprimante splendeur." (René Char)




"Climb if you will but remember that courage and strength are nought without prudence, and that a momentary negligence may destroy the happiness of a lifetime. Do nothing in haste; look well to each step; and from the beginning think what may be at the end." Edward Whymper




« Qui veut gravir une montagne commence par le bas. » (proverbe chinois)


« Après avoir essuyé cette avalanche de questions, je finis par déchausser, la piste étant par trop abrupte ! » (proverbe dominical et carolingien !)




« Les montagnes, toujours, on fait la guerre aux plaines » (Victor Hugo)


« Le seul zen que tu trouves au sommet des montagnes est celui que tu y portes. » R. M. Pirsig. Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes.


"Quand tu es arrivé au sommet de la montagne, continue de grimper". Proverbe chinois




« Un homme sans défauts est une montagne sans crevasses. Il ne m'intéresse pas. » (René Char)




« Si la vie était éternelle nous n'aurions plus de raison de vivre. » (Simon, un grand philosophe de ma descendance)


« Dieu a tout fait à partir de rien. Mais le rien perce. » Paul Valery


"You don’t have to be a fantastic hero to do certain things – to compete. You can be just an ordinary chap, sufficiently motivated." Edmund Hillary

Définition d'Angusticlave!


Donnez votre propre définition du mot "angusticlave"! Soyez originaux, inventifs, truculents! Un dernier truc: ne regardez pas la vraie définition, c'est plus drôle.


Caro n.m. Chant mélancolique que les esclaves réservaient aux jours de deuil. Ils convoquaient les esprits et les âmes défuntes.


Anne-sophie n.m. Plat fumant et convivial. Se déguste à huis clos.


Caro n.m. Lieu secret auquel le commun des mortels ne peut accéder. Les anges s'y réunissent entre deux missions divines.

Angusticlave: Ornement que les chevaliers, les magistrats plébéiens inférieurs et les fils de sénateurs ajoutaient à leur tunique et qui consistait en deux bandes étroites de pourpre descendant parallèlement depuis les épaules jusqu'au bas de la tunique.

A Question of Haptics

A Question of Haptics                                                         

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes - Histoire entière au format PDF

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes                                                         

Friday 15 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #24


« Et ton handicapé que tu aidais? C'en est où, cette histoire?
_ J'ai laissé tomber. Son ex est venue me voir, un jour où elle savait que je serai seule, pour me dire qu'il était complètement givré.
_ Pourtant tu me disais qu'il était sympa au fond.
_ Au fond, oui. Mais bon, on va pas épiloguer. Quelqu'un qui ne te met pas dans son lit alors que tu lui balances des signaux qu'un cargo verrait en plein brouillard, il y a de quoi se poser des questions. Je ne sais pas ce qui s'est passé pour que ça ne se passe pas. Vraiment. Je ne suis pas laide pourtant!
_ Tu rigoles? T'es canon, mon chou. Tu es belle, intelligente, tu as de l'or dans les mains.
_ Je n'sais pas. Mes attentes ont toujours dépassé mes capacités. Je n'aurai jamais pu devenir médecin. Je n'aurai pas pu coucher avec lui, même si je le voulais vraiment. Je vais commencer ce nouveau boulot et tu vois, je sais que je vais y arriver, mais j'ai peur que ça me barbe au bout d'un moment. Quand je vois que j'y arrive, ça ne m'intéresse plus. Quand je vois que je ne suis pas faite pour ça, j'abandonne.
_ Attends de voir. Il faut toujours laisser une place à l'inconnue dans l'équation. Si ça se trouve, ton bonhomme, il va regretter et changer radicalement. Même les cons changent.
_ Tu sais, ça ne me fait pas grand chose de ne plus le voir. Peut-être un peu triste pour lui, ou déçue, parce qu'il m'avait montré autre chose. Mais à la fin il était devenu irascible, il m'envoyait promener pour un oui ou un non. Il tentait de me rabaisser. Je crois qu'il avait peur que je perce son secret à jour.
_ Quel secret? Tu m'en as rien dit, cachotière!
_ C'est pas grave, tu sais. Il parle en dormant, et les samedis où il faisait sa sieste dans le salon et que je repassais, j'ai pu découvrir des choses intéressantes à son sujet. Je pense qu'il ne voulait plus de son bras, et qu'il a même essayé de se le couper.
_ Non mais faut pas être taré! C'est dégueu! T'as bien fait de te casser...j'y crois pas qu'un cerveau humain puisse devenir aussi fou.
_ Il y a un nom bien compliqué pour cette pathologie...de toute façon, tant qu'il aura décidé de souffrir, personne ne pourra l'aider. Bref. Tout ça, c'est du passé. J'espère surtout un jour rencontrer quelqu'un qui ne soit pas taré, comme tu dis...Au fait, en parlant de taré, comment va Benji?
_ J'ai rouvert l'équation. Je préfère l'inconnu...Mais bon, je vais rester les bras croisés un peu, en attendant ma mut. Je ne sais pas si je me sens à l'aise ici. Je pense migrer vers le sud.
_ Bien. Ça ne peut pas faire de mal de bouger. Tu viendras me voir à Paris? Tu sais, dans la recherche, il n'y a pas que des intellos avec des lunettes rondes.
_ Non merci, pas de rat de laboratoire.
_ La rate te dit bien des choses. Elle trouvera son bonheur, qui sait, dans ce labo infesté de rongeurs. Et d'ailleurs la rate n'est pas en avance pour prendre son train!
_ Tu veux vraiment pas rester avec moi?
_ Mon bail commence aujourd'hui: il ne faut jamais louper ses nouveaux départs. Bisous ma poule. Prends soin de toi.
_ Bisous, amuse-toi bien. Tu vas me manquer.
_ Toi aussi. »

Thursday 14 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #23


« Non, s'il-te-plaît...arrête...
_ Quoi, je te dégoûte?
_ Tu sais bien que c'est pas ça...on n'est plus ensemble et il y a de bonnes raisons à ça.
_ Et ça nous empêche de nous amuser?
_ Je ne te reconnais pas. Tu as tellement changé.
_ J'ai un bras en moins. Tu avais remarqué?
_ S'il-te-plaît...ça me peine beaucoup que tu réagisses comme ça. » Ça y est, elle s'est fermée comme une huître. Tu es content? Et pour une fois je n'ai rien dit. Toi, ta gueule. Comment rattraper le coup?
« Tu n'as donc plus aucun sentiment pour moi? Je suis devenu un étranger?
_ Non! Je t'aime bien et tu le sais. Tu as beaucoup de qualités...mais les défauts que tu as empêchent que nous formions un couple uni. Ça ne marchera pas, quoi que nous fassions.
_ C'est quoi alors, ces défauts qui nous pourrissent l'existence?
_ Je n'ai absolument aucune envie d'avoir cette discussion. Le restaurant était très sympa, se revoir était très sympa. Revoir l'appart aussi. Mais ça s'arrête là. Chacun à sa place. »
Belle ironie. Il a envie de pleurer et de la frapper. Est-ce qu'il pourrait l'étrangler avec une seule main? Bien énervé, oui. Mais il la trouve pitoyable à tenter désespérément de lutter contre son apitoiement. Elle ne veut pas se rabaisser à lui faire plaisir, à s'occuper de lui, à lui montrer les sentiments qu'il est persuadé sentir encore chez elle. Elle a soigneusement évité, tout au long de la soirée, de regarder le vide sous son épaule droite. Elle doit juste s'adapter, oui, c'est ça. Ce n'est pas comme s'il était le même homme. Il faut un temps pour qu'elle s'habitue. Mais elle l'aime, et il ne peut en démordre. Tout pointe en ce sens.
« Et cette aide ménagère, Cécile, comment est-elle?
_ Je n'ai pas envie de parler d'elle. C'est une fouineuse qui fait son boulot correctement et c'est bien là le souci. Je vais quand même essayer de la faire remplacer.
_ Mais pourquoi, si elle est efficace. Tu n'aimes plus les gens efficaces?
_ Rien à voir.
_ Je te connais depuis un moment, et tu ne me feras pas croire qu'il n'y a rien là-dessous. Tu as le béguin pour elle?
_ Ne dis pas n'importe quoi. C'est une aide ménagère. Si ça se trouve, la pauvrette n'a même pas un diplôme en poche. Elle doit faire ça pour arrondir ses fins de mois ou parce qu'elle a un enfant à charge et que le père est parti. Ou peut-être qu'elle a un faible pour les handicapés.
_ Comment peux-tu dire des choses pareilles? Elle qui a l'air si douce.
_ Hein? Qu'est-ce que tu viens de dire?
_ Rien.
_ Si si si, j'ai bien entendu. Elle qui a l'air si douce. Comment tu saurais ça si tu l'avais pas vue? Toi, tu es venue mettre ton nez dans mes affaires, comme c'est fait là.
_ Je m'inquiétais pour toi! Je n'ai pas osé venir après ton accident et je me sentais coupable, alors un jour je suis venue pensant te trouver et, et, et tu n'étais pas là – et Cécile m'a ouvert –
_ Pas la peine de chialer pour me dire ça. Vous êtes bien toutes les mêmes, pas une pour rattraper l'autre. De vrais comploteuses.
_ On a bu un café! Mais arrête de te sentir persécuté! »
Calme-toi. Ne dis rien. Ça veut dire que si elle est venue, elle a encore des sentiments pour toi. Tout n'est pas perdu. Il faut la jouer fine. Laisse couler. Essaie de dire que tu es désolé, que tu as encore des problèmes à accepter la perte de ton bras. Prends ton air de chien battu mais pas trop, tu sais bien faire. Dis-lui qu'il te faut du temps. Que tu comprends qu'il lui faut du temps pour elle aussi. Si avec ça elle mord pas à l'hameçon, tu pourras toujours aller pointer sur Meetic.fr.
« Je suis désolé, Hélène. Tu sais, j'ai encore des problèmes à accepter ce qui m'est arrivé. Il me faut du temps. Il nous faut du temps pour repartir sur des bases plus saines.
_ Mais ce que tu ne comprends pas, c'est qu'on pourra redevenir amis, mais que nous ne retournerons jamais ensemble, jamais. Tu me dégoûtes. Il y a des choses en toi qui ne changeront jamais. Tu ne mérites pas Cécile. Il vaudrait mieux qu'elle parte. »
Même flash dans les pupilles, même bruits de talons et de porte qui claquent. Même impuissance à l'arrêter. Certaines choses ne changent pas, on dirait.

Wednesday 13 January 2010

A Question of Haptics


Having to do it all over again. Time spent and time wasted. We are alone together. Sharing things differently. Different emotions, different sameness of being. Wish we were closer emotionally. We see life through different lenses, through different senses. Full compatibility was never sought, but antipodes can deter. Fulfilment will have to wait, contentment inheriting the house and worn-out furniture and the bright rectangles left by freshly-gone frames on dull wallpapers.
Life is morosely hectic, frantic in its self-absorption and dim autarcy. Life could be slower that I wouldn't mind. Readiness is all, yet again. Ready to what. To jump off the sinking ship like so many proverbial rats? The ship has been taking water, has been drip-dripping, leaking patiently ever since the sails were set awaiting favourable winds.
Blurred reflection and artificial cosiness temper the excitement. A sudden chill caused by something other than the cold air.
Sleep might help soothe the discomfort. It might also bring sombre images triggered by our brains, thus increasing the sharp stabs of pain. Mektoub. But one can't resign oneself totally to an abstract estimate, can one? Accepting the idea of leaving one's fate to Amen rather than Chance pertains either to cowardice or to immorality. Even though no one should blame either. Escapism can take many forms and is the only remaining way out indeed, and the only means of going further. Like a weathervane. Escape, but once again: where?
Interest might be an apter way of putting it. The lesser of a thousand evils. Can one fight one's nature? It is mainly a question of willpower, sheer willpower bent on one purpose fit to make the acroteria of being tremble. The rest of the question must be left to Chance or to Mektoub. Opportunity left out or taken bodily. The idea of it abandoned because of convention or fear of hurting or of having to lie – one, and only one, outcome.
Trust. A gentle gesture of acknowledgement. Must this suffice. Or the hope of finding out oblivion hiding snugly in the dark of the mind, deep down where only sleep reigns. Deep down. Holding up the fort is still in my capacity, for the moment, as food is in store and as long as the morale of the troops doesn't rely on the weather forecast. Wish I knew how to find trust in sleep, other than having to learn the hard way.
Off-hand way of taking care. False impression of well-being? I'm here but I'm not. I am of no importance. Really. Could be Pete or Paul. Sense of security, of having someone by. Of owning happiness, dutifully or not, having something most people don't. Of belonging to the same happy, decorated, post-traumatic, post-orgiastic world. From now on it's everything in its right place.
Could it not be a more decent situation? I wish I weren't so prone to feel and to let myself wrap into feelings. Detached I should be, uncaring about other people, about how they feel. I should cast away the little decency that I have. One day perhaps I shall become that sort of person and believe that we can have fun, play human as if feelings were only some kind of spin-off of too much prefrontal cortical activity at some sweet hour.

Le pompiste



Un an avant la retraite. Tout le monde lui avait dit que c'était le plus long. On attendait ça pendant des lustres et quand on voyait enfin la ligne d'arrivée, c'était ça le pire. S'il avait le courage qui lui avait manqué toute sa vie, il aurait répondu que de toute façon, toutes les années étaient longues.
Longues comme des jours sans pain, tapi au fond de sa boutique, l'hiver, à attendre le client perdu ou en rade. L'été sur sa chaise pliante, sous le auvent, à attendre ce même client dépité, le touriste égaré qui finalement ne fera pas le plein, mais prendra une barre de chocolat pour les enfants qui braillent leur impatience dans la voiture.


Il était pompiste à la station Elan de Bonneval depuis que le monde était monde. Il avait connu les stations services qu'on appelaient jadis essencerie ou station de service. Son père en était alors le patron, et tenait aussi l'atelier de réparation automobile attenant. L'enseigne alors était Castrol – qu'il prononçait casserole – Elan était venu bien plus tard. Son père était une figure dans le coin. Il n'avait malheureusement pas hérité de ses doigts en or ou même de sa notoriété. L'atelier avait périclité sous ses yeux impuissants et le monsieur qui l'avait racheté, et qui le faisait tourner encore aujourd'hui, avait eu la gentillesse – oui, c'est cela, gentillesse, et surtout pas la pitié – de le garder au service du carburant. Il avait connu les pompes à essence qui portait leur juste nom: il fallait pomper comme un shadok. Gamin, il aimait ça par-dessus tout. L'odeur d'essence, les couleurs moirées sur le bitume. Les effluves de cuir neuf des voitures rutilantes. Les larges volants, le noir des carrosseries. Les gens ne s'en faisaient pas, à l'époque.


On était en 1999. Le 17 juin, pour être précis. Tous les matins le même rituel, cocher un jour sur le calendrier. Deux, en l'occurrence, vu qu'on était lundi et que le dimanche il fermait. La saint Hervé. Bonne fête à tous les Hervés, avait dit Poivre d'Arvor au journal de ce midi. Il se passait des trucs dans le monde, en France aussi, un truc avec une infirmière, mais lui s'en fichait pas mal. Il voulait qu'il se passe des trucs ici. Dans sa station service.


« Ben alors, t'en fais une tête d'enterrement, Dédé! Viens donc prendre un ballon!
_ Les gars, vous avez dit que vous viendriez faire le plein à la station et j'ai pas vu le bout de la queue d'un chat! »
Sourires gênés. Il savait qu'ils voulaient bien faire. Mais ils ne venaient pas.
«  Ben Mon Dédé, faut pas le prendre comme ça! Tu sais, tu ferais pas l'essence aussi chère, on se radinerait plus souvent.
_ C'est pas moi qui fait les prix! »
Encore des sourires gênés. On amène le ballon de vin rouge aux lèvres, mais on ne boit pas. Juste pour éviter de parler, de dire quelque chose qui blesse.


Ces quatre énergumènes n'étaient pas des copains d'école. Il n'y était pas allé. Son père avait cru bon de croire en lui quand tout le monde lui avait dit de réfléchir. Qu'il n'était pas fait pour ça ou qu'il n'avait pas ça dans le sang. Ça, ça, qu'est-ce que ça voulait dire? Il avait entendu sa mère, un jour, dire à la voisine: « Que voulez-vous, on peut pas l'empêcher d'aimer son fils. Tous les pères sont comme ça avec leur petit gars, non? » Oui. Mais l'amour de son père lui avait coûté, lui coûtait encore. Il se retrouvait donc à soixante-quatre piges, veuf depuis quatre ans, avec deux garçons qu'il ne voyait plus, à siroter un ballon de rouge tous les midis avec une poignée d'habitués qu'il considérait comme des amis. Peut-être mourrait-il tout seul, dans le dénuement le plus total. Il n'y aurait pas d'héritage à partager. Ah, si. La maison. Ses gosses auraient au moins quelque chose de lui.

En 95, le patron avait ajouté une boutique d'accessoires et de friandises, ainsi qu'une station de gonflage, parce qu'il avait délocalisé l'atelier pour l'agrandir; mais il avait laissé les pompes où elles étaient. « Trop cher pour les bouger, » avait-il décrété. Depuis, il était dans la zone industrielle qui avait poussé autour du bâtiment, seul, avec la concurrence déloyale des supermarchés et même de l'autre station Total à quelques kilomètres de là. Alors qu'Elan était une filiale de Total. Il ne comprenait pas. En même temps, il ne comprenait jamais grand chose, à quoi que ce soit.


« Ah! Ben alors Jacquot, tu t'es perdu?
_ Eh, pas de vannes, tu me pompes l'air! Hahaha! Tu me fais le plein, mon Dédé?
_ C'est parti! »
Jacquot se dit qu'il en faut peu, parfois, pour être heureux. Qu'ils abusaient, parfois, de pas venir plus souvent, ne serait-ce que pour le voir. Qu'il devait parfois s'emmerder sec, coincé ici. Qu'il aurait fallu, parfois, faire plus attention aux signes qui pourtant ne trompaient pas. Surtout depuis le décès d'Alberte. Il le regarda faire le plein de sa voiture et il vit un gosse, le sourire aux lèvres, un gosse de soixante piges et des brouettes. Il aurait pu aller jusqu'à imaginer son pote Dédé en gosse de dix ans et faisant exactement la même chose avec le même entrain, la même bouille ronde, mais il ne fallait pas abuser quand même. Il fallait déjà aller dans la boutique qui puait la poussière et l'huile de moteur, avec les bonbons collés aux parois des boîtes en plein soleil l'été. Peut-être même que les barres de Mars ou de Lion étaient périmées depuis Mathusalem. Il ne lui avait jamais dit, mais l'odeur avait déteint sur ce bon vieux Dédé.


Un an avant la retraite. Encore un an à tirer. Le plus long. « Bon dieu, » se dit alors Dédé devant son calendrier de routier, « qu'est-ce que ça va être. » Encore trois cent soixante-cinq journées longues comme quand on avait rien à faire. Peut-être même qu'il ne l'attendait pas avec autant d'impatience que son patron, comme il l'avait entendu dire à un autre employé. Il passerait donc ces jours à faire des mots croisés, à se tourner les pouces, à regarder les camions et les voitures aller à la déchetterie, à attendre le jour où il ne se lèverait plus pour aller à la station, mais le jour où il ferait quand même la même chose. Jusqu'à la fin.

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #22


« Tu es bien installé? Tu as besoin d'autre chose?
_ Non, merci, ça va. » Il ne faut pas abuser des bonnes choses. Et pourquoi pas? S'il insiste, profites-en! Bon sang de petite voix. Machiavélique. Tentatrice. Il n'y a pas de mal à se faire du bien. Il le sait, mais elle lui fait faire et dire des choses qu'il n'aurait jamais soupçonnées. Depuis son fameux coup de soleil qui l'a fait dérailler, il a changé. Sa petite voix est devenu envahissante, totalitaire. Mais d'un autre côté il a obtenu, sur ses conseils, tout ce qu'il désire. Tout le monde l'écoute, s'occupe de lui, le traite comme ils auraient toujours dû le faire. Et il aime ça par-dessus tout.
« Tu es sûr?
_ Je voudrais pas abuser, mais tu peux m'apporter mon ordi?
_ Tu veux travailler? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je devrais demander à Cécile ce qu'elle -
_ Au diable Cécile! Je peux bien faire les choses sans qu'elle vienne fourrer son nez partout! » Il ne regarde pas Michel qui doit sûrement avoir une moue réprobatrice plantée au milieu du visage. Tu t'en fous, bien dit. Il sait. Mais il n'aime pas froisser Michel. On peut se défausser d'un atout, mais il faut tout de même conserver une bonne main.
« Je te trouve dur avec elle. Et je te dis ça en ami.
_ Merci du conseil. Ne t'inquiètes pas, je gère.
_ Tu sais pourtant que je l'ouvre pratiquement jamais. Je dis pas ce genre de trucs. Ça me met mal à l'aise...Je peux continuer?
_ Haha! Sacré Michel. Comme si tu avais besoin de moi pour dire ce que tu penses! Mais bien sûr que tu peux continuer.
_ Merci. Tout le monde pensait qu'après le mariage vous...comment dire...vous aviez...enfin...vous étiez ensemble quoi.
_ Pourquoi ça?
_ Ben je sais pas. Tu l'as pas ramenée chez toi?
_ Elle était ivre morte. Et puis ça aurait rien changé.
_ Euh...ah. Bon. Enfin, je trouve que t'es dur avec elle. Elle a fait tout pour que tu te sentes bien ici, surtout depuis ton retour. Elle fait tout comme d'habitude, quand tu étais à l'hosto.
_ C'est bon, on va lui décerner l'oscar de la meilleure aide ménagère.
_ Mais qu'est-ce que t'as contre elle?
_ Mais rien! C'est juste que c'est chacun à sa place. » Et maintenant tu la fermes, mon garçon. Il ne faut pas qu'il pousse mémé dans les orties. Il a dit ce qu'il avait à dire. C'est entendu. Mais il n'y a rien à ajouter, de part et d'autre. Tout de même...elle ne se prend pas pour n'importe qui, cette voix. Jamais il ne parlerait à Michel comme ça. Tu es sûr de toi? Il ne l'écoute pas tout le temps non plus.
« Merci Michel de t'inquiéter. Ça va. Je sais qu'on s'est rapprochés un peu, mais rien de grave ou de concluant. On n'est pas du même monde. D'ailleurs, tu sais que j'ai rendez-vous avec Hélène demain?
_ Oui, tu me l'as déjà dit. Tu es sûr que c'est bien pour toi?
_ On va juste se revoir en amis. Rien de plus. Et puis s'il se passe un truc, eh bien tant mieux!
_ Si tu le prends comme ça, tant mieux oui. Mais fais attention à ménager Cécile un peu. Si tu perds son aide, tu seras bloqué ici, comme avant.
_ Je peux m'affranchir de certaines choses, tu sais. Avec le temps, on développe des stratégies compensatoires. Je peux, avec un peu d'effort, me passer de son aide...» Une dernière fois, il esquive le regard de Michel. Sa moue. Quelle moue d'ailleurs? Il ne veut pas savoir. Surtout pas alors qu'il ajoute, tout bas, murmurant suffisamment pour suggérer à son compagnon que les choses vont changer: « surtout si Hélène revient. »

Sunday 10 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes, #21


« Que se passe-t-il? Michel m'a dit que vous étiez rentré? Vous ne vous ne sentez pas bien?
_ Mon bras me fait mal. J'ai mal, Cécile.
_ Vous n'avez plus votre bras. Rappelez-vous, vous l'avez perdu il y a plus d'un an. Vous avez eu un accident.
_ Mon bras......je vous dis que j'ai mal au bras...mais regardez! Faîtes quelque chose bon sang!
_ Vous êtes brûlant. Je vais appeler le SAMU. »



« Il délire complètement. Il n'arrête pas de dire qu'il a mal au bras alors qu'il ne l'a plus depuis plus d'un an.
_ A-t-il été malade récemment? » Le médecin urgentiste va vite, observe méthodiquement.
« Pas que je sache, non. Il ne prend pas de médicament non plus.
_ Vous êtes sa femme? Pas d'anti-dépresseurs?
_ Mon bras...!
_ Son aide ménagère. Non. Je n'ai jamais retrouvé d'ordonnance non plus. Vous pensez à une fièvre?
_ Due à quoi? Vous semblez dire que rien n'explique ce délire. Prend son pouls. » Son jeune collègue s'exécute. Elle a l'impression qu'il la juge, la teste. Il griffonne sur son calepin. Impression de déjà-vu.
« Aaaargh! » Elle le regarde souffrir. Alors elle se lance.
« Ce n'est pas une nosocomiale. Pas une grippe non plus. C'est peut-être un érythème actinique, regardez son visage et son avant-bras. Ou une hyperthermie.
_ Un coup de soleil? C'est peut-être dû au fait qu'il a du mal à respirer. Il a vomi?
_ J'en peux plus! Tranchez-moi le bras!
_ Je pense oui, mais pas depuis que je suis arrivée.
_ Comment pouvez-vous l'affirmer donc?
_ Le gant de toilette sentait le vomi.
_ On va vérifier sa température pour l'insolation. Vous êtes médecin ou quoi? » Elle préfère ne pas répondre, détourne le regard. « Bon, c'est pas grave. On va l'emmener, au cas où il y aurait autre chose. Ils le mettront en observation un peu. Vous connaissez sans aucun doute le chemin de l'hôpital. Allez, on le brancarde. » Oui, elle connaît le chemin, et elle t'emmerde, accessoirement.


Elle décommandera, en route derrière l'ambulance, ses rendez-vous, demandera à une collègue de la remplacer pour cette après-midi – elle lui renverra l'ascenseur, promis – appellera Michel pour lui dire de venir. Michel qui lui confirmera qu'il est allé déjeuner un sandwich dans un parc et qu'il s'est endormi en plein soleil. Et tout le long de cette route où il n'y a que des péquenauds qui n'avancent pas, elle espérera – sans aller jusqu'à prier, parce qu'elle ne fait plus ça depuis longtemps, mais ça y ressemblera étrangement – que dans son délire, il ne se souviendra d'aucune bribe de cette conversation.

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes, #20


« Pourquoi vous m'avez laissée boire comme ça. J'ai mal à la tête!
_ Vous aviez l'air inarrêtable. Je n'ai donc pas essayé.
_ Je maudis votre cartésianisme.
_ Vous ne devez pas être en si mauvais état que ça: vous utilisez des mots de plus de quatre syllabes.
_ Ça m'arrive plus souvent que vous ne semblez le croire. Pas souvent à bon escient.
_ Je vois que vous avez trouvé où sont les peignoirs...Vous avez une sale tête.
_ Je vous retourne le compliment. Je suppose que j'ai dû être très volubile.
_ En effet, vous m'avez confié de nombreuses choses intéressantes. D'autres moins.
_ Comme?...Ne me faîtes pas languir, je n'aime pas ça...Allez!...Vous êtes infernal!
_ Laissez-moi me délecter de ce moment de toute puissance, c'est si rare dans la vie d'un handicapé!
_ Il vaut mieux entendre ça que d'être sourde. Ça vous dérange si je me fais un café?
_ Depuis quand vous me demandez la permission? Ça ne me dérangera pas si vous en faîtes pour moi aussi.
_ J'ai la gueule de bois, pas celle des mauvais jours. C'est juste que je ne suis pas, comment dire, « en service ».
_ Vous réagissez comme ça? Étrange. Alors je vous donne mon absolution tout de suite.
_ Pour quoi? En deux mots « pour » « quoi ».
_ Pour prendre une douche.
_ Et je suppose que vous trouvez ça drôle. Je réagis à deux à l'heure et vous vous moquez.
_ Juste un peu. Allez faire ce café, vous reviendrez plus vite dans le monde des mortels. » Elle traîne des pieds. Elle qui est si dynamique d'habitude. Il l'entend prendre le café dans le placard du bas et les tasses dans celui de droite, en haut.
« Non. Je suis une déesse. Rien ne peut m'atteindre, et surtout pas la bave d'un mortel comme vous. » Bon sang, mais c'est ça! C'est ça qui lui fait tant plaisir et qu'il déteste chez elle: c'est comme si elle vivait chez lui, mais n'habitait pas ici. Elle connait l'appartement comme sa poche, elle a ses marques dans chaque pièce, mais elle est encore une étrangère chez lui, parce que c'est ça qu'elle veut.
« J'y pense. Vous n'avez personne à prévenir? Personne qui s'inquiète de ne pas vous trouver au lit en ce jour superbe?
_ Un: belle technique, mais un rien pachydermique et Deux: ce n'est pas vos oignons.
_ Tant pis pour vous. Vous donnez donc votre vie en pâture à mon imagination. (Il l'entend étouffer un rire). Donc de deux choses l'une: soit vous avez un compagnon occasionnel dont vous préférez taire l'existence, soit vous n'en avez pas et vous avez peur de passer pour une beauf parce que vous êtes seule à plus de – quel âge vous avez, au fait? » Elle a le dos appuyé au montant de la porte de la cuisine. Elle essuie une tasse. Elle sourit.
« Je vous voyais aller droit dans le mur et je vous ai laissé faire. Vous êtes mignon, parfois. Je resterai coquette sur mon âge. J'apporte le café.
_ Ne partez pas. Mais – d'accord – (il se lève) vous ne pouvez pas « rester coquette » sur votre âge! Les dames font ça quand elles ont plus de cinquante ans.
_ Alors je ne fais pas mon âge.
_ Pour une fois, arrêtez d'esquiver. Répondez.
_ Je vais prendre une douche. Je vais ensuite faire à manger pour la semaine, comme ça je n'aurai pas à revenir demain. Pendant ce temps, vous me préparerez votre liste de courses. Vous me direz quelles chemises et quels pantalons vous voulez porter. Je repasserai le plus urgent tout à l'heure et je finirai le reste mardi. (Elle se dirige vers le couloir, puis se retourne.) Et une dernière chose: je n'esquive pas. Je suis coquette littéralement, nuance.
_ On ne peut pas dire que vous manquez d'aplomb. » Mais il parlait déjà à son dos.

Saturday 9 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes, #19


« J'aime bien discuter avec vous.
_ Je croyais que vous ne le diriez qu'une fois.
_ Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. D'ailleurs, en parlant d'imbéciles, vous aviez raison: il y en a un sacré vivier ici. Belle cuvée, franchement. Je me suis faite abordée sur le chemin des toilettes – alpaguée plutôt – par un cousin par alliance de votre Michel. Passablement éméché, le bougre. Il semblait vouloir profiter de mes charmes qu'il a exprimé dans un langage plus fleuri qui n'aurait pas déplu à Verlaine.
_ Alors?
_ Alors quoi? Eh bien, je l'ai embrassé fougueusement dans le cou et nous avons fini notre affaire dans les toilettes.
_ Bien. Rien de tel que la jeunesse pour rappeler aux anciens les plaisirs de la vie. Vous avez pris votre pied?
_ Non mais! Je vous en prie. Ce n'est pas parce que nous venons d'entamer et de finir cette bouteille de Bordeaux ensemble, que cela vous permet d'être contaminé par la grivoiserie environnante.
_ Alors?
_ La réponse est non.
_ Dommage, mais s'illustre bien là votre destinée dans toute sa splendeur. Vous ne retirez jamais de plaisir de vos relations avec les infirmes de ce monde, avec les nécessiteux qui vous tendent la main.
_ Je vous remercie de cette fine analyse, même si elle sent un peu le cliché.
_ De rien. » Blanc. Encore un. Ils ont été nombreux ce soir. Elle observe souvent les groupes de discuteurs, de danseurs, de buveurs – les plus nombreux – le sourire aux lèvres. Il ne regarde qu'elle. Elle se tourne vers lui en tenant son verre à hauteur de son visage. Il ne regarde que ses yeux verts.
« Si je peux me permettre, vous aviez tort au niveau des flonflons. » Deux petites boules de duvet blanc, accrochées au pied du verre, pendaient festivement. Il se demanda deux secondes pourquoi il pensait à « festivement » et ce qu'il pouvait bien entendre par là, puis il vit le sourire éclatant de Cécile.
« Vous avez l'air de bien vous amuser.
_ Je dois dire que ce remariage dépasse mes attentes.
_ Vous êtes sévère. Michel a beaucoup de qualités.
_ On choisit ses amis, pas sa famille. » Autre blanc. Il ne lui a pas demandé pourquoi elle a changé d'avis aussi soudainement. Le lendemain de leur « mise au point », il avait vu son numéro s'afficher sur son portable, n'avait pas décroché, avait attendu qu'elle laisse un message. Elle avait appelé trois fois avant de s'avouer vaincue. Il imaginait l'attente entre ses appels. Le questionnement. Le doute. La résolution prise, au final, de laisser le message qui disait qu'elle viendrait au mariage avec lui, en tout bien tout honneur.


« Cette demoiselle n'arrête pas de vous fixer depuis tout à l'heure.
_ Je crois pouvoir expliquer ça par le vide dans ma manche droite.
_ Cessez de tout ramener à votre bras. Je vous dis qu'elle vous dévisage et qu'elle a autre chose en tête que votre bras.
_ À quoi voyez-vous ça?
_ Elle me fixe comme si j'étais LA femme à abattre. »


Sur les conseils de Cécile, il avait fait le premier pas. Il devait être deux, trois heures du matin. Beaucoup manquait déjà à l'appel. Partis cuver la première tournée de vin rouge et de champagne. Toute cette viande soule reviendrait pour la soupe à l'oignon. Lui, Cécile et la charmante demoiselle manqueraient la soupe, tout occupés qu'ils seraient à faire connaissance. Il avait fini par faire céder Cécile qui, du coup, se serait retrouvée seule au milieu de...de ce groupe, dirons-nous. Elle ne voulait pas s'immiscer entre eux deux, mais ne pouvait se résoudre à fraterniser, même sous l'effet euphorisant de tout type d'alcool, avec quiconque ici, surtout pas les membres de la gent masculine.
Une discussion à bâtons rompus s'était engagée sur la nécessité ou non de mettre des fanfreluches au pied des verres. Cécile avait au préalable remis les compteurs à zéro en se présentant comme son « employée ». Il avait rectifié en disant « mon indispensable aide à vivre ». Elle avait paru touchée, Élisabeth ravie. Et comme lui avait susurré Cécile à l'oreille: « Ya plus qu'à. » Ils avaient donc bavardé sans discontinu jusqu'à ce que...


La soirée touche à sa fin.


« Voilà le dilemme. Soit vous me raccompagnez chez vous – pour que je puisse récupérer ma voiture – et vous la laissez là. Soit je me fais raccompagner par le – par le – cousin de Michel que je vais devoir – sortir de sa torpeur alcoolisée – et vous rentrez avec elle finir votre – discussion autour d'un dernier – verre de – Beaujolais.
_ C'est là que vous vous posez les mauvaises questions. Je vais vous ramener. Élisabeth attendra. Nous allons échanger nos numéros et nous nous reverrons dans d'autres circonstances.
_ Vous m'impressionneriez, si seulement – si seulement, je ne savais pas – qu'elle vous plaît beaucoup.
_ Elle me plaît, j'en conviens – votre manteau – mais il faut dissocier plaisir d'un soir et déplaisir du lendemain.
_ Il n'y a pas de mal à se faire du bien.
_ Je ne m'en ferai pas si j'agissais de la sorte, en vrai mufle.
_ Je ne vous connaissais pas avant, mais vous avez changé. Moi je dis: plaisir d'un soir, espoir!
_ Vous êtes soule. Tenez votre langue.
_ Ou quoi? Vous voulez me faire taire? Cette langue est folle, prenez garde. Elle n'obéit qu'à une langue plus folle encore. » Elle se rapproche d'un coup, tanguant sur ses pieds. Elle se raccroche à lui. Son haleine empeste le vin. Son visage est plus près qu'il n'a jamais été.
« Vous êtes soule, l'une comme l'autre, et je parle d'Élisabeth.
_ Oui, mais moi je vous connais plus qu'elle. » Il n'a jamais entendu ce ton dans sa voix.
« Mon Dieu, seriez-vous jalouse?
_ Vous venez de le dire: je suis soule, je ne sais pas ce que je dis.
_ In vino veritas. » Elle a fini par écraser sa tête dans son épaule. Elle dort debout. Au loin, au fond de cette salle des fêtes jonchée de cotillons, sur les tables en désordre – plusieurs chaises sont renversées, des bouteilles aussi, répandant leur précieux liquide sur le parquet – Élisabeth a la tête dans ses bras croisés. Elle doit dormir. Il demandera son numéro à Michel.
Il passe son bras gauche autour de la taille de son « aide indispensable à vivre » et entame le long chemin tortueux vers la voiture, dans la voiture puis à travers la campagne, la ville, puis le parking de sa résidence, puis dans l'ascenseur, le couloir, l'appartement, jusqu'à son lit. Il dormira sur le canapé. Et là, en un instant, les larmes montent, embuent son regard. Pourquoi? demande la petite voix aigrelette. Parce que même s'il le voulait, il ne pourrait pas la déshabiller sans son aide. Il ne pourrait pas la porter dans ses bras si elle le demandait. Il n'a pas fait l'amour une seule fois depuis son amputation. Il ne sait tout simplement pas. Alors, après un dernier verre de vin, il se laisse sombrer, au petit matin d'un dimanche déjà bien entamé, dans un sommeil agité.
Cécile, dans quelques heures, le réveillera en s'asseyant à côté lui, un verre d'Efferalgan à la main et les cheveux en bataille.

Friday 8 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #18


« Allez, venez quoi!
_ Je vous ai déjà dit non avant-hier, hier et aujourd'hui. Je ne changerai pas d'avis.
_ Mais ce n'est que le remariage d'un collaborateur. Il y aura beaucoup de monde. Vous ne serez pas seule avec moi, si c'est ça qui vous inquiète.
_ Vous avez plutôt peur d'y aller seul et de passer pour un beauf parce que vous êtes seul à trente ans passés?
_ Vous êtes dure avec moi.
_ Ou alors avez-vous peur de vous faire draguer par une quinquagénaire divorcée trois fois?
_ Je sais me débrouiller seul. Je n'ai peur de rien de ce qui se passera lors de cette fête. Vous, au contraire, vous semblez sur la défensive.
_ Mais vous n'avez de cesse de me harceler!
_ Mais c'est parce que vous vous obstinez à ne rien vouloir partager avec moi! Je me répète: ce n'est qu'une simple cérémonie à la mairie et une fête dans une salle en campagne – et en plus Michel, mon collaborateur, se remarie avec son ex-femme. Pas de flonflons, pas de fanfreluches. Sa famille, ses proches.
_ Je ne suis ni l'un ni l'autre.
_ Même si je vous promets de bons moments de blagues grasses et de chansons paillardes? Il se pourrait même que nous ayons matière à cancaner.
_ Ne me prenez pas par les sentiments. Pourquoi tenez-vous tant à ce que nous partagions quoi que ce soit?
_ Mais vous m'êtes sympathique, voilà tout! J'aime bien les conversations que nous avons eu. Vous êtes intelligente, cultivée, drôle parfois. Mais vous êtes un vrai roc. Rien ne vous atteint.
_ Écoutez-moi bien, parce que je ne vais le dire qu'une fois: j'aime moi aussi discuter avec vous, il est vrai. Mais vous semblez vouloir faire déborder notre relation professionnelle de son cadre. Je suis contente que vous me trouviez intelligente, cultivée etc, mais je ne m'en sens pas flattée.
_ Je suis sûr que vous êtes plus gentille avec les autres personnes dont vous avez la charge qu'avec moi. Vous êtes cinglante.
_ Je ne me suis jamais posé la question. Je ne sais pas. Toujours est-il que vous commencez à avoir des sentiments pour moi et ça, ce n'est pas possible.
_ Je vais vous demander de partir, Cécile. Vous voulez garder vos distances, soit. Vous avez vos raisons et je suppose qu'elles sont aussi bonnes les unes que les autres.
_ Ne le –
_ Je respecte vos choix, au vu de votre détermination. À présent, c'est votre employeur qui s'adresse à vous. Vous avez fini d'ouvrir les bouteilles de Beaujolais et j'ai de quoi manger pour la semaine. Merci. Vous remercierez votre mère de ma part pour le risotto et pour l'idée de la salade de légumes d'été. Je n'ai pas regardé le calendrier, donc je ne sais pas quand vous êtes censée revenir. À la prochaine fois, donc. »
Sans un mot, elle prit son manteau. Il l'accompagna jusqu'à la porte.
« Je dois moi aussi me préserver. » Elle ne semblait ni en colère, ni vexée. Pour la première fois, elle semblait soucieuse. Peut-être même triste. Ça c'est toi qui veut la voir triste, dit la petite voix. Peut-être. Toujours est-il qu'il n'espérait plus rien d'autre. Elle ne lui jeta aucun regard, pas même de dédain, en sortant.


Mieux valait passer à autre chose. Peut-être rencontrerait-il quelqu'un, finalement, à ce remariage.

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes, #17


Il ne faut jamais désespérer. Tout vient à point à qui sait attendre. Tant qu'il a y de la vie, il y a de l'espoir. Pourquoi ne pas attendre le déluge, tout simplement? Il ne sait plus quoi faire. Ne sait quoi lui dire pour qu'elle le remarque, qu'elle voit autre chose en lui qu'un homme avec un bras en moins, qu'un employeur qui loue sa gentillesse.

Elle marche, tranquillement. Elle flâne. Elle n'a aucun remords de lui avoir fait croire qu'elle avait du travail. Rien de tel qu'un bon repérage avant une séance shopping avec sa mère. Il est quand même particulier, ce bonhomme. Rien à voir avec les autres. La MDPH lui donne en général des cas particuliers au vu de sa formation, mais là...c'est le pompon.


Et dire qu'il est revenu plus tôt du bureau pour passer plus de temps avec elle, et elle part sans ménagement. Ce n'est pas comme s'il n'y était pour rien dans ce départ précipité. Une vraie tête à claques. Elle doit se protéger, ça doit être ça. D'autres hommes ont déjà dû lui demander de dîner avec elle. Elle a peut-être un compagnon. Et pourtant il ne veut pas d'elle. Il ne la désire pas. Il veut juste manger avec elle, passer un peu plus de temps, apprendre à la connaître. Menteur, lui susurre une petite voix.


« Oui, maman? Dis-moi, tu sais faire le risotto? Non, je suis en ville. Alors – quoi? À Esprit, mais il n'y a rien. Je garde Cop-Copine pour la fin. Ah bon? Pourquoi? Ça ne m'arrange pas. Mais pourquoi papa a quand même pris le rendez-vous? Il est embêtant, je ne suis pas disponible sur commande. Oui, je suis au courant, merci de me le rappeler. Bon, je vais m'arranger. »


Son moignon le démange, parfois, vivement. Comme la cicatrice autour de son biceps, avant, mais puissance mille. D'ailleurs, cette cicatrice, pourquoi y pensait-il encore, rêvait-il encore d'elle? Elle était gravée sur un membre écrabouillé qui depuis longtemps avait été incinéré avec l'ensemble des déchets organiques de ce sombre carnage autoroutier. Des cendres. Il avait demandé à voir ce qui restait de son bras au pompier qui avait fait le déplacement pour lui annoncer sa trouvaille. On lui avait dit qu'il n'y avait pas grand chose à voir. Pas de clin d'œil de connivence, c'était donc que la cicatrice ne lui avait pas sauté aux yeux. Le seul défaut de son plan, son unique faute, son unique honte était partie en fumée.


Elle n'a pas la tête entièrement à ce qu'elle fait. C'est un signe qui ne trompe pas: se retrouver à Cop-Copine et ne rien essayer. Sans aller jusqu'à acheter, elle n'a rien vu de probant. Diantre. Qu'est-ce qui peut bien la perturber ainsi? Pas le travail. Ça n'est jamais le travail. Pas ses parents. Même si son père l'excède parfois à faire son petit chef. Pas ses ami(e)s. D'ailleurs il faut qu'elle confirme sa venue à l'apéro ce soir chez Benji, le nouveau jules de sa meilleure amie Aurélie. Pas sa voiture, pas les impôts, pas ses règles. Pas ses comptes. Elle se dit que si ce n'est rien de tout ça, alors ce ne doit pas être vital. Elle verra plus tard. Ah oui, appeler Auré.


Appeler Michel. Lui dire de lui envoyer de quoi travailler ici. Se jeter à corps perdu dans le boulot.


« La pudeur n'a rien à voir avec ça. La plupart des gens que j'aide sont fiers. S'ils étaient pudiques, ils ne me montreraient pas leur moignons, leurs vergetures ou leurs escarres. Je ne les masserais pas. Ce qu'ils ne veulent pas, c'est que je les juge, d'une quelconque manière. Ils ne veulent pas être traités comme des handicapés, et beaucoup ne profitent pas de tout ce que le système a à leur proposer. Par fierté.
_ C'est débile. » Merci Benjamin, tu es en train de marquer beaucoup de points auprès d'Aurélie.
« Merci pour cette remarque très humaine et profondément inspirée.
_ Ils pourraient vivre mieux s'ils prenaient tout ce qu'on leur donne.
_ Je suis certaine que la plupart échangerait tout cet argent et ces avantages contre ce qu'ils ont perdu.
_ Ouais, OK, mais leur misère serait moins pénible avec de quoi acheter leur confort.
_ L'argent n'achète pas tout. Elle ne rachète pas la liberté de mouvement. De plus, ils n'auraient pas grand chose de plus, c'est juste des aides au quotidien, pas de quoi s'acheter une prothèse ou même un fauteuil roulant. Beaucoup le louent ou bénéficient d'un prêt.
_ OK, mais tu ne me feras pas croire que même si on pouvait techniquement les refaire marcher ou leur remettre leurs bras ou leur œil ou leur je sais pas quoi, eh ben ils seraient plus les mêmes. » Elle ne regarde pas sa meilleure amie, mais elle peut palper son embarras. D'ailleurs, celle-ci se lève.
« On ne pourrait pas parler d'autre chose? Qui veut du tarama? » Un bon point Benjamin; si nous avions eu plus de temps, j'aurai pu te faire dire que tu étais un con dénué de sentiment. C'est Auré qui doit être contente de te donner un peu d'air. Et de consistance.



Il va falloir émigrer vers le lit. Le vin fait son effet. Le bourguignon aussi. Heureusement que Cécile passe un peu de temps à lui préparer deux plats pour la semaine. Il n'en aurait pas mangé une fois de plus. Il doit arrêter de penser à elle.

Tuesday 5 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes, #16


« Pourquoi vous me posez cette question? » Elle était brute de décoffrage. Il aimait ça.
« Je suis simplement curieux. » Faire languir, rentrer dedans plus subtilement.
« J'aime aider les autres, et cette réponse devra vous satisfaire. Donc je récapitule: vous avez besoin que je fasse les courses, que je prépare les repas, que j'ouvre des bouteilles de vin, que je fasse le ménage et que je repasse vos chemises.
_ C'est ça. Sans vouloir vous vexer, vous savez vraiment cuisiner? » Même pas peur.
« Qu'est-ce qui vous fait dire le contraire? » Elle esquive.
« Eh bien, vous êtes rudement jeune... » Sur le fil.
« Donc, si je suis jeune je ne sais pas cuisiner? » Classique.
« Non, c'est pas ça! C'est que vous pourriez faire autre chose que de vous occuper de gens comme moi. Vous pourriez être autre chose. » Aucune réaction. Elle a compris, oui ou non?
« Sans vouloir vous vexer, vous vous enfoncez. Nous pourrions nous concentrer sur ce que je dois faire? Y a-t-il autre chose? » Elle ne s'engage pas dans le combat, ne sort pas de l'arène pour autant.
« Non, je pense que ça va aller pour l'instant. En ce qui concerne votre salaire, je vous paierai par chèque à chaque fin de mois. Madame Germain m'a dit que c'est ce qui se faisait le plus si on ne payait pas par chèque emploi-service.
_ C'est vous qui payez, c'est vous qui décidez. » Elle en est presque énervante. Elle tient à être détachée, mais elle n'ignore pas qu'elle est belle avec ses yeux verts et ses cheveux lisses, longs, avec son carré plongeant. Avec ses formes généreuses et discrètement mises en valeur. Ou alors il se fait des films. Toujours est-il qu'il sent son corps vibrer à son contact – indirect – cette fille au visage ovale et aux traits pourtant un rien quelconques ne le laisse pas de marbre. Et il sait qu'il devra se contenter de ce qu'elle lui a donné jusqu'à présent. Pas grave. Du moment qu'elle lui permet de s'épanouir en ôtant ces barrières de son chemin et qu'elle n'est pas désagréable à regarder...il faudra de temps en temps la taquiner et qu'elle reste à sa place – pas trop de souci à se faire là-dessus, lui souffla une petite voix. L'essentiel pour le moment reste de se mettre au travail, d'arrache-pied.




Un an plus tard.



« Pourquoi ne restez-vous pas? Cela fait des mois que vous prétextez, que vous vous évadez.
_ Je ne m'évade pas! Je suis très occupée. Vous n'êtes pas le seul sur terre à avoir besoin d'aide.
_ Je ne relèverais pas votre soufflet. La véritable question est: suis-je le seul à vous inviter à partager un repas?
_ Non, mais! Je ne vous permet pas! Je –
_ Ne vous énervez pas. Laissons ça de côté pour l'instant. » Il imagine sa tête outrée, dans la cuisine, à leur préparer un thé.
« Concentrez-vous sur votre liste de courses. » Elle revient avec deux tasses fumantes qu'elle tient délicatement par les anses. Pourtant il sait, à son sourcil gauche si légèrement froncé, qu'elle se brûle.
« Bon alors, j'avais envie d'un risotto...mais est-ce que c'est dans vos cordes? » Un an et rien n'a changé pour lui.
« Je ne relèverais pas non plus. Ma mère me montrera comment faire. » Charmante dame.
« Si c'est votre mère qui vous montre tout, elle doit être un sacré cordon bleu.
_ Il est vrai que c'est ma mère qui est dans votre cuisine à vous préparer les petits plats dont vous n'avez de cesse de complimenter. » Un sacré trait, dit d'un seul souffle. Sans réfléchir. Du grand art.
« Vous êtes impossible, il n'y a rien à vous dire. Vous déformez tout.
_ Un risotto à quoi?
_ Quelque chose de simple.
_ Pour que je sois sûre de réussir?
_ Tiens oui, pour cette raison-là. Un risotto de poulet, voilà ce que je veux!
_ Voudrais. Ne sous-estimez pas ma capacité à échouer.
_ Pour ne pas oublier, je vais me souvenir du goût si prononcé de ce bœuf thaï. » Elle sourit. Bon dieu, qu'elle est belle quand elle fait ça. Un sourire à se damner.
« Je suis revenue vous faire autre chose, souvenez-vous de ça aussi. Bon, je ne vais pas tarder à y aller.
_ Déjà? Mais vous venez à peine d'arriver. Vous n'avez même pas fini votre thé!
_ C'est pour ça que je suis encore là. De toute façon, je reviens demain pour vos chemises.
_ Mais je serai au travail. Vous êtes injuste.
_ Il faut bien que vous gagniez assez d'argent pour me payer mes étrennes.
_ Je pourrai m'arrêter de travailler, sous savez. Sans aucun problème.
_ Tout le monde dit cela. Neuf personnes sur dix qui le disent pensent qu'ils vont gagner au loto sans y jouer, le reste le dit en sachant qu'ils devront reprendre d'ici dix ans parce que la vie est comme ça: chère.
_ Je pourrai vous prendre au mot et vous prouver que je ne rentre dans aucune de vos catégories. Vous ne savez même pas dans quoi je travaille, vous n'avez jamais eu cette curiosité.
_ Je ne suis pas là pour être curieuse, mais pour être efficace. Si vous trouvez à redire à quoi que ce soit – mis à part mes ratés culinaires occasionnels – je suis ici. Il est temps que j'y aille, vous semblez irritable.
_ Ne prenez pas la mouche. » Ne pars pas. « Avec vos vibrations négatives, vous faîtes tourner ce merveilleux thé vert.
_ Raison de plus de partir, donc. À lundi prochain. » Pas encore un week-end sans toi. Quel con. Ferme ta grande gueule la prochaine fois. Elle enfile son manteau. Il se lève. S'il avait encore son bras droit, il serait tendu vers elle.
« Je suis maladroit. Je vous demande pardon, Cécile. » Le tout pour le tout. Pas comme avec Hélène. Il n'est pas prêt, il n'y a pas réfléchi. Elle est à la porte, la main sur la poignée. Ses mots l'ont arrêtée.
« Ne donnez pas dans le mélodrame. Vous êtes mon employeur, je suis votre employée. Il n'y a rien de compliqué là-dedans.
_ Écoutez, je viens de m'excuser. Ne pensez pas que je vous fais là un honneur comme un roi à un sujet –
_ Ça y ressemble furieusement.
_ Non! C'est simplement que vous ne semblez pas prendre conscience que je ne le fais jamais, que je ne l'ai peut-être jamais fait.
_ Au contraire, je ne le sais que trop. » Clac. Porte fermée. Tout d'un coup, toute la compassion du monde, celle de Michel et de Jean-Luc, des Pierre, Paul, Jacques, celle très sirupeuse de la caissière à Total, celle plus diffuse de Mme germain, il n'en a plus rien à faire. Elle ne compte plus alors qu'il s'appuie dessus comme une béquille, car avec ou sans bras Cécile l'aurait éconduit comme l'a fait. Il n'a donc pas changé. Il n'est pas cet homme nouveau qu'il sent pourtant s'ébattre dans ce corps endurci. Il n'est pas amoureux d'elle, mais il aime sa présence. Elle seule avait été à même de comprendre ce qu'il ressentait, au plus profond de lui, alors qu'elle lui coupait les ongles de la main. Elle avait insisté pour lui couper les ongles des pieds, pour plus de commodités avait-elle rétorqué. Il soupçonnait qu'elle avait pris plaisir non seulement à se rendre utile, mais aussi à lui donner une leçon d'humilité. Elle était parfois de méchante humeur en arrivant. Il la faisait rire malgré elle, et tout allait mieux.
Sans échanger un mot, ils se comprennent, et pour lui ça vaut tout l'or du monde.

Habits

I am a man of habits I got to this conclusion because I flash-realised that I am hoping that someone, someday will see the patterns the rou...