Thursday 4 February 2010

L'insouhaitable #6


Thomas
         Thomas arrive devant chez lui, sonne à la porte pour que sa mère lui ouvre. Il se demande pourquoi sa mère ne lui fait pas confiance au point de lui confier les clefs de la maison, juste pour le midi, quand il rentre. Il attend sur le perron, l’oreille collée à la fente de la boîte aux lettres pour entendre ce pas qu’il reconnaîtrait entre mille.


Pierre
           « _ J’aimerai bien, pour une fois, me souvenir de mes rêves.»


André
           Il se débarrasse lentement de l’autre botte, titube et s’appuie contre le mur avec son épaule. Les parpaings sont froids comme le sol. Sa chemise frôle le mur qui s’effrite. Il ne se rappelle plus quand il a pleuré pour la dernière fois, ou peut-être ne veut-il pas se le rappeler, sous-entend la petite voix qui se tait aussitôt. Il a beau fermer les yeux, le rectangle bleu lumineux de l’entrée du garage reste obstinément collé contre sa rétine. Il a chaud. Il se ressaisit du mieux qu’il peut, tâtonne, trouve enfin la poignée de la porte de communication et rentre dans le couloir. Sans y penser, ses pieds enfilent les chaussons, il titube, parvient à maintenir son équilibre grâce aux murs qui paraissent s’enfuir à son approche. La cuisine est trop loin, immensément loin, la cuisine est une jungle inaccessible aux abords de la source du Congo.
 
            Il chancelle, se retient au chambranle d’une porte, il ne sait pas laquelle, sûrement celle de la salle de bain. La salle de bain, le havre de paix dans cette marée de sensations étranges. Il ne voit plus rien, semble sur le seuil d’un endroit qu’il ne connaît pas et qu’il craint, s’agenouille, sent le froid – un froid insupportable – le froid qui lui gèle l’esprit, les sens, qui remonte le long de ses jambes et qui lui vrille les tympans, bientôt il ne sent plus le froid, il ne sent que le vide sous ses pieds, croit-il. André reprend son souffle qu’il n’a pas senti se couper, ouvre les yeux, découvre cet endroit qu’il connaît pourtant.
 
            Agenouillé sur le sol et encore inconscient d’y être, il passe la main sur son visage – geste coutumier dans les moments de perplexité ou de crise – contemple le creux de sa main et s’étonne presque de ne pas y voir son visage décollé et flasque et, presque sans bouger, saisit d’une main qui n’est pas la sienne la pomme de douche et s’arrose la tête copieusement. La réaction de son corps, de ses sens, est immédiate : un cri de surprise, teinté d’effroi, retentit comme un coup de feu dans la salle de bain : les murs se redressent, la cuisine ne semble tout à coup plus aussi loin que le Congo, la marée des sensations s’est retirée.
 
            Les cheveux dégoulinant, il se relève. Les gouttes suintent dans son cou, son dos ; André s’interroge sur les raisons de son malaise, le premier, le tout premier. Il n’a pas encore cinquante ans, que diable. Il va devoir se ressaisir, se sécher les cheveux avant que sa femme ne rentre et ne s’inquiète, alors qu’il n’y a pas de quoi. Bien sûr qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Il a simplement besoin de repos, le pluvieux mois d’avril ne l’avait pas préparé à ce déluge de lumière bleue et de chaleur. Voilà la raison. Il devrait faire attention les prochains jours. Aucune raison de s’alarmer donc. Il irait s’allonger un peu après déjeuner.


Olivier
             L’image bleue sur sa rétine a pratiquement disparu lorsque, aux pieds du perron, il sonne à la porte. Il n’a pas le temps de retirer son doigt de la sonnette que la porte s’ouvre à la volée. Devant lui se tient son père. Olivier est tellement éberlué par cette présence inattendue qu’il reste coi. Son père le regarde quelques instants, puis lui demande ce qu’il attend pour entrer. Il ne sait que répondre, voilà des mois qu’il n’a pas vu son père. Mais il fait ce qu’on lui dit et entre. Tout son empressement, son enthousiasme à l’idée de revoir son frère s’est envolé, remisé dans un coin dans l’ombre de sa tête. Il ne sait pas pourquoi au juste, mais il pense au petit Thomas. Le matin même, encore, il lui avait flanqué une petite rouste, au nain, et il ne voulait toujours pas se joindre à sa bande. Il avait pourtant peur de lui, une frousse qui le faisait courir terriblement vite, mais il refusait l’honneur et la protection que lui, Raquin, qui défiait la pionne le midi, voire la CPE en fin de journée quand il avait bien les nerfs, lui offrait. Il ne savait pas non plus pourquoi il tenait tellement à ce que ce nabot fasse partie de son escorte, mais il sentait que si le nain grandissait un peu, ils ne seraient pas si différents que ça l’un de l’autre.
 
            Il pose son sac sur le carrelage de l’entrée, perçoit la présence de son père derrière lui, se retourne et dépose un rapide baiser sur chacune de ces joues qui, il l’avait presque oublié, semblent demeurer perpétuellement glabres. Il a satisfait son père qui dirige ses pas brusques jusque dans la cuisine, reprend sa discussion avec sa femme. Seul, dans le long couloir percé de plusieurs portes se terminant sur un escalier en colimaçon, il se rend compte qu’il se conduit comme un imbécile. Il défait ses chaussures, enfile ses chaussons usés et entre à son tour dans la cuisine envahie de lumière.
 

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