Wednesday 14 November 2007

Opus #9

13 décembre,

L’assassinat tombe sous le sens. Nous passons un tiers de notre vie à dormir, un tiers à travailler et le dernier à essayer de ne pas trop penser aux deux autres, à essayer de vivre. A s’occuper comme on peut. La majorité vivote, avance tant bien que mal parce qu’il faut bien avancer. L’assassinat vient déranger tout cela, vient mettre du piment dans la nourriture du quotidien. Un accident de voiture, de train, de vélo ; une attaque cardiaque ; un tueur en série ; un crime passionnel ; une explosion de gaz ; une tempête, une inondation, un tremblement de terre. D’accord, on se dit, il y a une probabilité parce qu’il y a toujours une probabilité que cela arrive, même infime. Mais un assassin qui court les rues. Qui a déjà fait des dizaines de victimes aux quatre coins de la France. Ce n’est plus la même équation. La probabilité est exponentielle. Les experts pourraient dire que ce ne sont pas quelques dizaines de personnes sur un total de plusieurs dizaines de millions qui crée une différence notable. Qu’en plus à mesure que le nombre de victimes augmente la probabilité d’être pris augmente pluri-exponentiellement. Tout ceci n’est rien moins qu’un processus stochastique, qu’un processus aléatoire. On peut quantifier l’incertain. La théorie des probabilités a été créée dans ce but. On peut prédire, non pas l’avenir mais l’existence d’un événement ou d’un objet, objet étant à prendre dans le sens le plus large qui soit. Il n'y a rien de moins tangible qu'un assassin et le processus de dynamisation qu'il enclenche, par la peur et un simple changement du calcul des probabilités. Lorsqu’un assassin prend en main une société, il la dynamise, il la met en exergue. Ses composantes ressentent le besoin de vivre avec plus d’intensité ; il y a un mouvement de masse alors qu’elles resserrent les rangs, parce qu’elles ont peur. Elles renouent le contact avec leurs proches, leurs amis, leurs collègues. Avec cette épée de Damoclès au-dessus de la nuque, on se sent pousser des ailes, bizarrement. Les langues se délient. L’assassin est donc le gardien des fondements de toute la société, de tout ce qui est humain dans l’homme. Il est le catalyseur de vie et de mort. L’assassin que je suis, contrairement à la masse des serial killers, sait qu’il peut être pris à tout moment, que ses plans, aussi élaborés soient-ils, peuvent être déjoués ; que son hasard, aussi chanceux soit-il, peut être décodé ; qu’un jour, peut-être, il devra répondre de ses assassinats, de son œuvre. Je suis partagé entre le frisson de ne jamais être découvert et, comme tout bon assassin, rester dans l’ombre qui l’a vu naître, et le frisson d’être percé à jour et de devoir expliquer, analyser, déchiffrer mon ouvrage avec la société qui m’a vu naître et qui m’a formé.

Voilà huit jours que je n’ai pas tué, et je commence à avoir des fourmis dans les doigts.

Tuesday 13 November 2007

Opus #8

12 décembre,

[Tout avait changé ce fameux soir. Son premier enfant. Il avait bien failli tout compromettre. Son grand plan et tout le reste. Il avait pris peur en voyant cette innocence dans les yeux du jeune garçon. Auparavant, même deux secondes avant d’empoigner cette gorge fraîche qui lui faisait envie, il ne savait pas ce qu’il allait devoir tuer. Ce soir-là, il n’avait pas assassiné par plaisir, mais par crainte, par peur, par instinct de conservation. L’enfant n’avait pas crié, n’avait pas émis le moindre son. Il l’avait suivi sans mot dire, docilement. Il avait vu le couteau et alors l’enfant s’était un peu débattu, mais sans plus de conviction. Peut-être se sentait-il déjà impuissant. Il s’était accroupi pour regarder ce visage rond et poupin droit dans les yeux alors que la vie le quitterait – il aimait déjà à faire cela – mais une fois à genoux il avait vu cette chose qui lui avait fait dresser les poils sur les avant-bras et la nuque. Il ne s’était pas attendu à voir cela, lui qui d’habitude buvait la peur, l’angoisse, l’agonie comme on se délecte d’un vin liquoreux. Il avait eu à assassiner l’innocence, purement et simplement. Il avait hésité, l’enfant l’avait senti ; mais à trop repousser l’échéance, il était tombé nez à nez avec un passant, les mains et les chaussures couvertes de sang. Il n’avait dû sa survie qu’à son instinct. Aurait-il réfléchi, il serait derrière des barreaux à l’heure actuelle.]

Je me souviens bien de cet enfant, de ses traits ; il m’arrive de les revoir en rêve, rêve dans lequel se mêle l’appréhension, la colère et un frisson dont je ne saurai dire s’il est de culpabilité ou de plaisir. J’y repense souvent, également. A l’époque cet épisode m’avait beaucoup affecté et j’avais écrit ceci : « Non, non, non. Tout cela me déplaît. Il n’y a pas d’ordre, pas de méthode. Cela a tout d’une boucherie sans nom, d’un effroyable gâchis et pas d’un grand œuvre dédié à l’homme et aux générations futures. Je suis méthodique, cartésien ; le parangon de ma patrie. Je me dois de le prouver à la postérité pour qu’elle puisse apposer un nom à mon ouvrage. Dorénavant, je serai minutieux dans mon hygiène, soucieux dans mon éthique. Si je dois à l’instar d’Hérode être sis sur une montagne de cadavres, que cela soit un trône, un monument duquel je contemplerai le monde à mes pieds, puissant et fier, une mer de sang fumant et emplissant l’air de ses effluves de Styx, comme un brouillard assassin. »

A présent, bien des choses ont changé. Il avait fallu une première fois, durant laquelle il avait – il devait bien l’admettre – perdu ses moyens. A présent, il prenait plaisir à étouffer cette innocence, à la regarder périr entre ses doigts, se débattre, murmurer du bout de ses lèvres cyanosées. Il avait, ce soir-là, ajouté la cruauté à la méthode. Il avait franchi une nouvelle étape dans son achèvement personnel, il se rapprochait du but inavoué, celui vers lequel tout assassin tendait mais n’avait encore atteint. Lui, bien loin de tomber dans la folie, le plagiat ou l’anonymat, réussirait.

Monday 12 November 2007

Opus #7

11 décembre,

Ah, que j’aime relire ces passages, quand tout était beau.

« Le plus dur est fait. Ce soir est un grand soir. Les choses changent, je change. Les perspectives sont différentes. Avant que de la porter, on ignore qu’une jambe pèse autant que cela. Qu’un corps puisse contenir autant de litres de sang, autant de mètres d’entrailles. Que les os sont aussi durs que de la pierre, qu’un tendon est pire à trancher qu’une corde mouillée. Qu’il faut plus de quatre heures pour creuser un trou assez profond – i.e. plus de deux mètres – pour enterrer un cadavre (n.b. afin d’éviter que le premier chien errant ne vienne malencontreusement l’exhumer) Mon Dieu que le corps humain est une machine incroyable.

Tout était parfaitement calculé. Je m’étais posté au coin de la rue Gambetta, et elle est arrivée à 21h35, comme à son habitude. Je pensais bredouiller en l’abordant mais penses-tu, j’étais confiant, presque sûr de moi. Elle cherchait ses clefs dans son sac. Je me suis excusé, tout penaud de la déranger mais ma voiture – elle a sursauté. C’est elle qui m’a fichu la frousse. Je n’osais pas regarder si cette cruche avait alerté un voisin, un passant. Elle m’a reconnu après un temps et un pas en arrière. Elle a prétexté la lumière du réverbère. Ma voiture est en panne et il n’y plus de bottin dans la cabine au coin et – pourquoi ne pas faire le numéro des renseignements ? – Ah, je n’y avais pas pensé…j’avais pensé faire un petit coucou en passant mais vous venez à peine de rentrer du travail sûrement, je vais…Non, non, je m’excuse de vous avoir importunée. Bon, je vous remercie. Un seul coup de fil et je prends mes jambes à mon cou, promis. »

[Ce qui avait suivi lui donnait encore la chair de poule, de joie, de contentement, de satisfaction.]

Friday 9 November 2007

Assassin #6

10 décembre,

La lassitude parfois de n’arriver à rien. A ne rien écrire, à ne pas réussir. J’aime les mots, je les connais ; j’ai l’histoire, je la maîtrise. Mais il manque toujours un petit quelque chose qui fait pourtant tout. On n’accroche pas à l’histoire. Ça ne sert à rien d’écrire. Je me console avec un peu de poésie, elle ne risque pas d’être publiée. Mais les romans. Une vraie chienlit. Plus envie d’écrire que d’écrire quelque chose dont les gens vont penser que c’est une belle merde. On veut terriblement mais on ne peut pas. Parfois le mot juste – cette épiphanie singulière de l’écrivain qui se dit : « C’est exactement le mot que je veux ; la phrase que je devais écrire » – même ce mot juste me fait douter : moi, je le trouve juste, mais ai-je amené le lecteur à considérer ce mot, ce passage, comme le bon ? Au moins avec le sang on n’a pas ce problème. On assassine et quelque soit la méthode on a l’ivresse.

Thursday 8 November 2007

Assassin #5

9 décembre,

Je suis cantonnier. Les gens dans la rue ne me voient pas. Ils détournent le regard ou m’ignorent complètement. Ils rejettent tout ce qui ne leur ressemble pas, loin d’eux. Je ramasse les fèces de leur chien, je nettoie les caniveaux des feuilles mortes, des rats au ventre gonflé, des oiseaux écrasés, les vomis dominicaux sur les trottoirs. J’ai un balai entre les mains et j’aime faire des pauses qu’ils se complaisent à appeler « syndicales » pour aller boire un ballon de vin rouge au bistrot du coin. J’ai le teint aviné et je n’ai pas besoin de gants l’hiver parce l’alcool tient chaud. Je vis vieux parce que l’alcool préserve. Je vis dans un misérable logement de bonne sous des combles insalubres parce que mon misérable émolument ne peut me donner mieux et le fait que je n’ai pas fait d’étude me donne le droit de ne rien dire, de ne pas me plaindre. La société est déjà assez bonne de me donner un emploi et un toit. Assez bonne de m’héberger en son giron compatissant mais limité. De travailler pour me sustenter. La société ne peut rien faire de plus que de passer son chemin. Après tout, il n’y a pas qu’un cantonnier sur terre. Qui se ressemble s’assemble. On a mis l’eugénisme au ban de la société alors qu’elle le pratique couramment et sans remords. On ne m’a jamais appris à lire. Je ne sais pas me comporter en société. Je rote, je pète. Je me lave quand j’ai le temps, quand j’arrive à sortir suffisamment de ma léthargie éthérée pour aller justifier le maigre salaire que la société a consenti à me donner. Nombre de mes compatriotes se sont passés la corde au cou, pour le plus grand désintéressement de la population, pour le très bref désoeuvrement de la mairie. Personne n’est irremplaçable. Je prouve au monde que justement si. Que je m’éduque en autodidacte parce que je n’ai pas eu l’opportunité de le faire plus tôt. Que je connais plus de choses sur les anciennes civilisations que l’idiot moyen qui foule le petit tas de poussières sur le trottoir que je balaie. Que je sais lire le grec et le latin. Que je peux parler plus de six langues. Que je connais chaque partie du corps humain, peut-être aussi bien qu’un chirurgien. Que je reconnais une œuvre musicale classique dès les cinq premières notes. Que je connais mes peintres. Mes auteurs. Que je possède plus de deux mille livres dans le gourbi dans lequel je traîne ma pauvre carcasse. Deux mille livres lus. Et desquels je me souviens. Que je hais la plupart des êtres humains dont je croise le chemin. Que je suis capable de vider un gros porc de ses sept litres de sang en moins de vingt minutes. Que je suis capable d’étrangler une personne en moins de sept secondes sans qu’elle puisse émettre le moindre son, pas même le plus léger gargouillis. Que je peux dépecer un homme dans un parc un dimanche après-midi en moins de trente minutes sans que personne ne remarque quoi que ce soit, surtout pas son enfant qui est en train de jouer six mètres plus loin sur une balançoire. Que je suis assez lucide pour voir que ce que je fais est qualifié de monstrueux et de barbare par la plèbe sans pour autant être condamné par le reste de la planète en temps de guerre. On a parlé de moi, certes, à plusieurs reprises et assez violemment dans les bars et autres échoppes de la ville et je suppose également à travers le pays, mais rien ne transparaît à l’échelle mondiale. Les familles sont émues mais ne cherchent pas à se venger par leurs propres moyens. Gilgàmesh n’aurait jamais laissé les choses se passer ainsi. Ni Hector ni Médée. Il n’y a bien qu’un universitaire dégarni et gâteux pour s’extasier devant un jeu de mot tel que un coup de dé jamais n’abolira le hasard. Le hasard est justement le jeu de dé. Et je joue au dé avec chacune de mes victimes.

Wednesday 7 November 2007

Location unknown

To be or not to be, that is the question...

Assassin # 4

8 décembre,

Le poète doit agir parce que l’homme agit sur le monde qui l’entoure. Il ne sert à rien d’avoir inventé des mots pour les laisser tomber ensuite. Ceux qui ont fait ça ignorent ce qu’est une patrie, complètement. Ils ne savent pas ce qu’être homme a pu signifier dans une ère où l’homme avait la place de subalterne et de maître. Il maîtrisait tout et ne maîtrisait rien. Il avait encore peur. Et s’intéressait à tout avec l’ingénuité d’un enfant. Il ne dédaignait rien. Pas même ce qui n’était que périphérique à sa vie. Il travaillait et donnait tout son sens à cet aphorisme de Saint-exupéry qui résonne comme une sentence: "La grandeur d'un métier est avant tout d'unir les hommes ; il n'est qu'un luxe véritable et c'est celui des relations humaines." Nous existions parce que nous nous serrions les coudes.

Assassin #3

7 décembre,

On ne parle même plus de vous dans les journaux. Peut-être que la police cherche à faire croire au meurtrier que je suis que plus personne ne le recherche. Banal ne veut pas dire que je ne prenne plus mes précautions, je les ai toujours prises, ce n’est pas maintenant que je vais me trahir. On pensait que même les journaux à scandale avec leurs mots sirupeux et aguicheurs tiendraient la distance, même pas. On a fait la une pendant quelques temps et puis on s’est lassés de mes corps, de mes œuvres à cœur ouvert. On n’a plus trouvé cela beau, on a trouvé cela morbide et le mot m’allait bien mais il avait un goût de défaite dans la bouche alors j’ai laissé tomber cette voie-là et j’ai continué avec une perspective artistique cette fois. Mes poèmes prenaient de belles envolées et tout tendait à ce que je réussisse à trouver ce que je cherche désespérément mais tout est tombé à l’eau quand ils m’ont dit avoir trouvé une empreinte partielle. Mais je n’ai mordu à cet hameçon que deux jours. Deux jours durant lesquels j’ai bien failli me compromettre à plusieurs reprises. Je suis même retourné sur les lieux pour demander aux badauds ce que les policiers avaient trouvé en essayant de ne pas attirer les soupçons. Un peu plus et ils me demandaient à prélever un échantillon de salive. De salive. Mon cœur battait à tout rompre et j’ai manqué m’évanouir mais j’ai réalisé quelque chose que je n’avais pas vu jusqu’alors : j’aimais le risque. Le frisson qui vous parcourt l’échine alors que vous découpez un foie et qu’il ne vous reste plus que le cœur. Que quelqu’un vous surprenne pendant l’acte. Et puis un jour il faudra bien que je me fasse prendre ou alors que je me rende pour trouver alors les mots avec les gens de justice et une nation entière qui ne comprendra pas. Nous comprendrons ensemble. Nous trouverons les mots ensemble, nous les inventerons s’il le faut. Nous laisserons de côté ceux qui fleurent trop la banalité et nous en déterrerons des âges immémoriaux, ceux qui servirent jadis à éventrer les troyens ou les spartes, ceux qui servirent à fonder le monde et le valhallah.

Thursday 1 November 2007

Assassin #2

6 décembre,

La texture râpeuse de mots, rêche ou parfois douce, m’est perdue. Je ne saurai prédire l’avenir, savoir si ce goût perdu reviendra. Je dois vivre, à la place, avec le goût du sang. Il y a beaucoup de mots qui décrivent le goût du sang : chaud et liquoreux, excitant parce qu’il a le goût de l’interdit, amer parfois, sucré selon, entêtant, puissant, galvanisant. Ce goût m’est venu comme par hasard, par instinct presque. Oui, j’ai tué. Tué parce que j’étais déjà en train de perdre le goût des mots et je pensais, à tort, que tuer me redonnerait le goût de vivre, de communiquer, de parler et de ressentir. Tuer ne m’a jamais apporté que des soucis. Ce n’est que des embêtements à répétition et desquels on ne se sort pas. Se débarrasser d’un corps devient vite une corvée, le meurtre perd de son attrait, peu à peu, corps après corps. Peu à peu on perd le goût des mots dans le goût âcre du sang, on ne cherche plus qu’un échappatoire qui nous échappe de plus en plus sans qu’on y puisse rien faire et on se sent perdu, de plus en plus perdu, loin de tout déjà et s’éloignant à mesure que l’on tue, et les corps finissent par se ressembler et on finit par tuer par habitude et puis on se ressaisit et on se dit qu’on ne tuera plus et puis on finit par tomber sur un corps qui a toute la vigueur du monde et on finit par succomber à la tentation et on a déjà du sang jusqu’aux coudes avant de réaliser qu’on a recommencé à tuer. Il ne faut jamais commencer à tuer, on ne s’arrête plus ensuite. La salive finit par prendre la texture du sang, puis son goût, puis on l’a dans la bouche du matin au soir et la nuit aussi quand un klaxon vous réveille en sursaut et on finit par s’en lasser et par ne plus y faire attention et ça devient banal. C’est à cela que je veux en venir. Les mots à l'instar du sang se perdent dans l’océan du banal, du quotidien, du trivial qui laisse des traces de boue sur nos paillassons les jours de pluie. C’est lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter que cela devient dramatique.

Habits

I am a man of habits I got to this conclusion because I flash-realised that I am hoping that someone, someday will see the patterns the rou...