Wednesday 23 September 2009

Monsieur Virgile #9


Voilà bien deux semaines que François n'était pas venu. Il est vrai qu'il continuait sa multi-thérapie, il avait donc beaucoup à lire. Même Hélène s'inquiétait. Il avait appelé, trois fois, sans succès. Mais une de ses anciennes prescriptions était revenue entre-temps. Il devait l'avoir déposée lui-même, il ne lui connaissait ni ami ni famille. La mère d'Hélène avait décidé de prendre une journée de congé pour le retrouver. Il l'attendait, elle ou son coup de téléphone. Hélène était là. Elle venait maintenant tous les soirs après l'école. Ils faisaient ses devoirs ensemble, comme ils avaient pris l'habitude de faire tous les mercredis.
De temps à autre elle relevait la tête et regardait tour à tour la rue sous la pluie battante et le vieil homme. Celui-ci sentait son cœur s'accélérer à chaque coup d'œil. Il y avait quelque chose de terrible dans ces deux couleurs si tranchées l'une de l'autre. Au Moyen-Age elle n'aurait pas fait long feu.
« Tu t'en sors?
_ Oui, ça va. C'est que de l'orthographe après tout.
_ Je pense qu'il serait plus sage de me laisser juge. L'orthographe et toi ça doit faire cinq ou six, dans un bon jour. Fais-moi voir.
_ ...Vous croyez que François va bien?
_ Ne t'inquiètes pas. Même si le traitement est complexe et qu'il lui fait parfois plus de mal que de bien, c'est quelqu'un qui en a vu d'autres. Il est résistant au mal, sinon il ne serait pas ici avec nous.
_ Oui mais moi il m'a dit que des fois il en avait barre.
_ Je sais, à moi aussi.
_ Monsieur Virgile...j'ai peur...
_ Allez, viens, c'est pas grave. Tout ira bien. »
La clochette tinta. Ils tournèrent la tête d'un même mouvement. C'était la mère d'Hélène, les cheveux ruisselant de pluie. Lui, avec ses yeux si ternes, si gris de poussière, voyait bien que ce qui coulait sur ses joues n'étaient pas des gouttes de pluie, mais bien des larmes. Qui sait ce que voyait la fillette, avec ses yeux de chimère? Elle devait avoir percé sa pauvre mère de part en part. Celle-ci était restée vissée au sol. En un instant il se retrouva à sa place: il voyait ce regard hybride lancer ses questions en coups de boutoir, décocher son incompréhension hérissée de barbillons à la face du monde. Il s'avança, ou plutôt elle s'avança, sans mot dire.
Il ne viendrait pas. Plus. Hélène ne comprenait pas. Elle soutenait qu'il s'était empellie, qu'il allait vieux. Qu'il priait même. Que monsieur Vigile périssait tout le monde. Elle pleura. Elle chercha de son regard bicolore les réponses rassurantes dans les yeux mornes des adultes. Elle ne trouverait rien. Non, parfois, lui avait-il dit, monsieur Vigile ne parvenait pas à guérir tout le monde. Sa mère la prit dans ses bras, ne cherchant plus à cacher ses larmes dans les gouttes de pluie. Lui pleurerait peut-être, en se réveillant au beau milieu de la nuit, sous son plaid, un livre tombé aux pieds du chesterfield, mais pas maintenant. Il y avait la déception à surmonter, l'échec était là. Il n'y avait pas de miracle, plus aucune chose glorieuse à attendre. L'échec cuisant. Il avait choisi de ne plus souffrir. Il avait choisi la facilité. Il avait baissé les bras. Il aurait pu apprendre à vivre à ce stade de souffrance, avec tous ces symptômes certes encore présents, mais diminués. Néanmoins, nous ne savions pas à quel stade il était. Personne n'est égal face à la douleur. Lui-même n'aurait sûrement pas tenu deux ans avec ce corps souffrant, avec ce corps qui le trahissait, avec l'isolement, la dépression. Mais ils étaient là. Il y avait Hélène. Il devait avoir pesé le pour et le contre. Avec quelle balance. Face à la douleur, ils n'étaient rien. Il avait choisi.
Baba Yaga attendrait encore sa rose bleue.
La nuit même, sous son plaid, il pleura dans son sommeil, son livre ouvert sur sa poitrine parfois secouée de sanglots. Après un temps il se calma, les rêves reprirent le dessus. Il ne se rendrait compte de rien.

No comments:

Post a Comment

Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question

Habits

I am a man of habits I got to this conclusion because I flash-realised that I am hoping that someone, someday will see the patterns the rou...