Wednesday 30 September 2009

36000 étoiles


        Monsieur Olbers, un jour qu'il était à Brême dans un salon réservé à ceux qui fumaient des cigares et buvaient du brandy tout en racontant des histoires de chasse (on est en 1800 et quelques, alors on les excuse), sûrement autant pour pimenter un quotidien morose que pour réveiller tous ces flemmards en charentaises, jeta un pavé dans la mare: « Pourquoi fait-il nuit? » Ou demandé dans l'autre sens: « Pourquoi à un moment donné ne fait-il plus jour? » Les plus prompts à vouloir reprendre leur article de journal – les inconscients! - rétorquèrent: « Eh bien! C'est parce que la terre a tourné sur son axe et que le soleil n'est plus visible de notre position, pardi! » Ils se firent traiter de fifrelins, de galvaudeux, de bas de plafond. Certes, la lumière du soleil occulte celle des étoiles, étant plus proche que ses consœurs distantes de plusieurs milliers d'années-lumière. Donc lorsque le soleil est occupé à éclairer nos amis de l'autre côté de la terre, il fait nuit chez nous, certes. Et là Heinrich Olbers fulmine: « Et encore ça c'est que le début – ok, d'accord, faîtes les malins, mais vous savez combien d'étoiles? Hein? Hein? Ben y'en a un sacré paquet, des milliards de milliards même, alors si y'en a autant pourquoi quand il fait nuit eh ben on voit pas tout un ciel rempli d'étoiles? Hein? Y devrait pas y avoir de noir entre les étoiles. » Il était sacrément sur les dents, le médecin (ah oui, au fait, il était médecin). Bande de crétins!
        Face à tant d'emportement pour si peu de choses, on posa son verre de brandy et on exposa clairement la situation à ce bon vieux Olbers qui d'habitude ne faisait pas de vague: « Mon cher, rien ne sert de s'énerver! Voyons: auriez-vous oublié de prendre en compte les astres qui ne rayonnent pas? Ils occultent l'éclat de toutes les étoiles situées derrière eux par rapport à notre champ de vision. Ensuite, il y a des étoiles qui ne rayonnent pas autant que notre bon vieux soleil. De plus, les étoiles meurent. Et pour finir, regardez la distance qu'il y a entre nous et les planètes, ou même les systèmes solaires, il y a un sacré vide entre chaque sphère. » Tiens, pensèrent-ils, cloué le bec au Olbers. Bon, où ai-je mis mon verre, moi?
        Sauf qu'il était pugnace, coriace comme un de ces morceaux de plastique qu'on n'a découpé qu'aux trois-quarts – par pure fainéantise, il faut l'admettre – et qu'on veut finir de « découper » en tirant dessus comme des sourds. « Rien à faire gnnnnnnn, ça veut pas venir. Gnnnnnnnnn! C'est pas vrai de voir ça, je vais être obligé de reprendre les ciseaux! » Il était comme ça, Olbers, il avait tendance à faire serrer les dents, mais il y pouvait pas grand chose, il faisait de son mieux, croyez-moi. Il revint à la charge, bille en tête: « Ah ah, mon ami, vous vous fourvoyez le doigt dans l'œil jusqu'aux mollets! Certes les étoiles ont une durée de vie finie, certes les étoiles ne sont point distribuées uniformément, et que l'espace soit fini ou non, statique ou non, importe peu: l'univers est en expansion! Ce que vous avez omis, et c'est grâce à la longueur de mon ami Planck que j'ai pu le déduire, c'est que la lumière non seulement perd en intensité avec la distance – même si le rayonnement des étoiles est gargantuesque – mais qu'avec cette même distance et le phénomène d'expansion elle se décale vers le rouge! Ah ah, vous ne savez plus que dire, vous voilà bien attrapé! »
        Malheureusement pour lui, il les avait perdus quelque part entre « fourvoyez » et « mollets ». Ceux, peu nombreux, qui lisaient près de la bibliothèque ne purent s'empêcher d'admonester du regard celui troublait leur quiétude et l'apostrophèrent en ces termes: « Je ne sais pas qui est ce planqué qui se prend de langueur, mais que vient faire le rouge là-dedans? »
        « Pu**** mais t'es relou, tu piges rien! Le rouge foncé c'est presque du noir! 'Tain mais en plus c'est d'la lumière visible dont j'te cause, handicapé du cerveau! Et tu laisses mon pote Planck sinon j'te dévisse le crâne! Faut tout vous apprendre c'est un truc de malade: les étoiles elles se cassent. Elles en ont marre de vos sales gueules! A cause de l'expansion elles s'éloignent, bande de mous du gland. Sa mère, même les atomes dans la voûte ont pas assez de densité pour éclairer vos culs tout blancs! Zonards!, Ziva vous m'les cassez grave! Si c'est comme ça j'me tire! »
        Sur ces entrefaites, il prit congé de ses camarades, les laissant à leur perplexité. Il savait au fond de lui qu'il avait raison: « Au fond de moi, je sais que j'ai raison. Nul ne me fera changer d'avis. Je vais voir mon ami Goethe, lui saura m'écouter. Non mais!»
        Ce n'est pas comme s'il y avait une centaine d'années de décalage entre lui et monsieur Planck, ou comme si plusieurs de ses observations ne pouvaient être faites qu'avec un spectrographe à unité intégrale de champ, non. Tout de même, quel avant-gardiste ce Olbers. Il avait tout compris.

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