Saturday 19 September 2009

Monsieur Virgile #5


« Maman dit qu'il s'est embolie. »
Ce n'était pas qu'elle était bête ou ne savait pas parler, elle mettait simplement les sons au mauvais endroits. Monsieur Virgile fit la moue.
« Pas embolie, Hélène. Il s'est emBEllie. De plus ta maman n'a pas tout à fait raison. Il va mieux, donc il a meilleur mine. On ne peut pas dire que François soit plus beau, on ne peut pas dire non plus qu'il soit folichon, d'ailleurs.
_ Mouais. Je suis pas sûre, je pense que maman a bien voulu dire qu'il s'était embelli.
_ Hm. Je ne vois pas ce qu'elle lui trouve...bref.
_ Vous êtes quand même vraiment trop fort, monsieur Vrigile. Vous arrivez à guérir tout le monde. Maman dit que vous êtes un vrai portier!
_ Sorcier? Ah, ça non, je n'ai vraiment pas l'âme d'un portier – d'un sorcier! Ah! Que diable, tu me contamines. »
La clochette tinta. La mère d'Hélène était sur le pas de la porte.
_ Tu es encore fourrée ici? Je t'ai cherchée partout! Je me suis un peu inquiétée quand même. Tu sais que tu embêtes peut-être monsieur Virgile?
_ Maman! Monsieur Virgèle dit que je l'ai étaminé!
_ CONtaminé. Hélène, je t'ai dit que quand tu venais me voir, tu devais laisser un message à ta mam –
_ J'ai oublié! » Elle était déjà partie dans le coin que le vieil homme lui avait aménagée pour y lire.
« Je me doutais bien qu'elle devait être là, monsieur Virgile. Comment va monsieur François?
_ Il se remet sur pied, même si c'est laborieux. De plus, ses prescriptions ne traitent pas le mal, mais stabilisent un état qui ne peut qu'empirer.
_ Ah bon? Moi je pense que vous vous sous-estimez. Je pense qu'il va guérir. Bon, il faut que je retourne au boulot. Je repasserai la chercher en fin d'après-midi. Demain ya école.
_ Les devoirs sont faits, ne vous inquiétez plus.
_ Ah, oui, merci. » Tintement de clochette. Elle était inconsciente. Pas seulement elle, les autres aussi. Ils ne voyaient que l'extérieur. Ils ne voyaient pas les dégâts à l'intérieur, la gravité de la situation. Le champ de ruines. Mais les livres allégeaient un peu la douleur.
L'après-midi, comme à son habitude, s'étira, traîna en longueur. Pas beaucoup de monde. Très calme. François appela pour dire qu'il passerait le lendemain matin. La mère d'Hélène tardait à venir. Il n'avait plus beaucoup de livres à restaurer. Plus beaucoup de poussières à faire. Plus beaucoup de livres à classer. Il en avait encore à lire – ce n'est pas comme s'ils allaient arrêter de s'écrire. Mais...il y avait, oui, une sorte de lassitude. Sourde.
Hélène était à côté de lui. Elle lisait attentivement. Sa huitième prescription et toujours aucune amélioration. Pas même une syllabe revenue au bon endroit. Ça ne devait pas être drôle tous les jours à l'école. Elle devrait encore porter son bandage sur l'œil pendant deux semaines encore. Elle vous fixait de son œil bleu comme la banquise et elle ne vous lâchait pas. Un théorème de mathématiques devenait du coup un sacré problème.
Ils n'avaient pas eu de fille, seulement un fils, et il lui semblait que sa femme aurait aimé Hélène.
Clochette. Un couple qui se tenait la main, même pour ouvrir la porte. Ils s'avancèrent jusqu'au comptoir. La jeune fille lui donna un coup de coude, discret mais décidé.
« Oui, euh, bonjour monsieur. Voilà, euh, en fait... » Il donnait de brefs coups de tête vers la fillette qui lisait sur son tabouret de bar, à côté.
« Oui, monsieur?
_ C'est-à-dire que vous voyez, c'est assez délicat comme ça...hum...si vous pouviez... » Coups de tête, encore. Gros yeux. Sourires gênés.
« Hélène, tu ne veux pas aller nous chercher un petit goûter à la boulangerie?
_ Ben il est pas un peu tard? Je sais pas si mam –
_ J'ai une petite faim, ma grande. Un...pain au chocolat. Tu diras à madame Granger de mettre ça sur mon ardoise. Tu peux choisir ce que tu veux, si seulement tu ne dis rien à ta mère.
_ Coooooooooooooooooooooooooooool! » Il l'entendit encore crier à pleins poumons jusque dans la rue, et sûrement jusque dans la boulangerie.
« Merci, monsieur. Je ne savais pas comment amener le sujet...
_ En parlant de cela, qu'est-ce qui vous amène?
_ C'est, comment dire...
_ Vous n'avez eu qu'un bref exemple de la célérité de cette jeune fille. Elle sera –
_ Nous avons un petit problème au lit. » Les deux hommes tournèrent la tête en même temps. Il est vrai qu'elle n'avait dit mot depuis qu'ils étaient entrés. « On ne va pas y passer la journée.
_ Bien, bien. Il faut prendre les choses en main, pour ainsi dire. Est-ce...monsieur ou madame qui éprouve des difficultés?
_ En vérité, ni l'un ni l'autre. C'est juste que, c'est comme si on avait perdu le petit truc. On...en bref, on s'ennuie tous les deux.
_ Ah...bon, ce n'est pas si simple, ça. On peut essayer un certain nombre de choses...bon, nous n'avons pas deux heures. Je vous prescris Justine ou les malheurs de la vertu en édition illustrée, on ne trouve pas ça partout. S'il ne fonctionne pas, nous concentrerons nos efforts sur d'autres aspects, peut-être moins...bref, vous comprend –
_ J'ai pris une seringue au chocolat!
_ Une MEringue! En plus c'est pas une meringue, mais une religieuse!
_ Ah? Pas grave! » Le couple regarda un instant la jeune fille engouffrer de large bouchées de pâte et de crème. Il fallait reprendre le dessus. Il posa un peu vivement le livre, le couple sursauta. Il expliqua, une énième fois, le système de prêt. Le bruissement du sac en papier marron. La main tendue, anxieuse. Le bruit de l'argent posé sur le comptoir, le raclement des pièces, le froissement des billets. La lumière qui diminuait. La gêne du couple. Son sourire gêné.
L'insouciance d'Hélène, son visage maculé de crème pâtissière. Son œil bleu, malicieux, plein de vie. Elle avait oublié de lui prendre son pain au chocolat.

1 comment:

  1. Justine... Une belle histoire, un guide pratique pour les novices...

    ReplyDelete

Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question

Habits

I am a man of habits I got to this conclusion because I flash-realised that I am hoping that someone, someday will see the patterns the rou...