Il fait chaud dans la voiture. Ils roulent à tombeaux et fenêtres ouverts. Chacun a un bras par la fenêtre. Une bien belle image de vacances si quelqu'un les prenait en photo, de face. Le coupé Z4 file au ras du sol, un avant caréné en tête de requin et eux, deux zigotos le sourire jusqu'aux oreilles, un bras pendu nonchalamment de chaque côté. Il lui a laissé conduire son bolide, lui qui n'a jamais eu affaire qu'à de vieilles guimbardes. Michel jubile, pousse les rapports, sono à fond. Deux célibataires en virée. L'après-midi se passe. Après deux heures et demi de voiture ils n'ont plus grand chose à se raconter, à voir ou de quoi se moquer. Le soleil plombe le paysage. Même le ciel pourtant d'un bleu immaculé semblait aplati. Pas un oiseau. Pas une vache dans les champs. Peu de voiture. Ils avaient évité le flot en partant plus tôt. Vive les RTT! La radio braillait des chansons vulgaires, sans âme, des flots de paroles dépourvues de sens sur des rythmes effrénés ou sirupeux au possible. Il détestait cela mais faisait avec. Après tout, il n'était pas dans sa voiture. Il s'assoupit.
Les genoux de sa mère. Voile fleuri, vaporeux. Pantalon de serge brune. Un peu chaud pour l'époque. Il ne voit que des genoux. Il lève la tête. Voit une multitude de paires d'yeux qui le fixent. Il sourit parce que les visages lui sourient. Que fait-il ici? Il n'a pas peur, il ne sait simplement pas où il se trouve ni ce qu'il doit faire. On attend toujours quelque chose de lui, un rire, un sourire, qu'il ouvre la bouche, qu'il donne sa main, qu'il dorme. Parfois il ne veut pas, parce qu'il n'a pas envie. Alors on le force, on lui donne une petite tape sur les mollets. Il n'aime pas ça, alors il pleure. Crie. La claque est plus sèche, alors il continue de plus belle. Parfois, une main douce vient apaiser le feu sur la peau, parfois quelque chose de cinglant vient rosir un peu plus les chairs. Aujourd'hui il fait chaud. Il fait beau. Il y a un petit vent qui caresse ses cheveux, joue avec les pans des robes. On marche sur des gravillons blancs. Il aime leur couleur, leur chaleur après une journée sous le soleil. Il en met quelques-uns dans sa poche. On ne lui a pas demandé de donner sa main, ni même de suivre. Mais il suit. Et va mettre sa main dans celle de sa mère. C'est une belle journée, mais il ne sait toujours pas ce qu'il faut faire, et ça commence à devenir lassant, ou énervant. Alors il s'arrête. Il a mieux à faire ici avec les petits cailloux blancs. Ils ont tous une forme différente. Il aime le contact de leurs angles cassés. Une main, rugueuse, forte, empoigne son bras; une autre lui fait ouvrir sa main et fait tomber tous les gravillons à terre, comme si c'était sale. L'entraîne de force vers le groupe qui est loin devant. Il est surpris. Ne veut pas, crie, hurle malgré les claques sur les mollets, les cuisses, les fesses.
Cette main, inexorable, le tire en avant et son bras lui fait mal. Il voudrait être comme les lézards dans le jardin qui se coupe la queue pour s'échapper. Les regards des gens, les sourcils froncés, les moues réprobatrices, il s'en fiche. Il a mal au bras maintenant.
Il se réveilla en sursaut, affalé dans le siège. On était entre chiens et loups. Le soleil était passé derrière la bande nacrée d'horizon. L'air était plus frais, l'habitacle s'était notablement rafraîchi. Il préférait néanmoins cette fraîcheur à la chaleur grésillante de l'après-midi, celle qui réchauffait encore la peau de son bras. Il en aurait presque des frissons. Il y avait quelques nuages. Michel se frottait les yeux.
« Tu veux que je te reprenne?
_ Non, ça va aller; il nous reste quoi, quarante bornes? On a pas passé Uzerche. »
Il prit la carte pliée et repliée, jetée en vrac à ses pieds, la retourna. Il se félicita intérieurement de n'utiliser que sa main gauche.
« Mmmh, mouais, quelque chose comme ça. » La carrosserie était encore chaude sous son bras droit, il sentait les vibrations causées par les aspérités de la route, par le vrombissement du moteur.
« Il m'éblouit ce con. Merde mais il est à contre-sens! » Il eut juste le temps d'abaisser la carte que la lueur des phares emplit l'espace de la voiture. Michel avait un bras tendu contre le volant, une main en visière devant ses yeux plissés. « Mais il nous fonce dessus – MERDE! » La voiture fit une embardée sur la droite, vint percuter la rambarde de sécurité, fit une autre embardée sur la gauche et vint percuter une deuxième voiture arrivant en sens inverse.
De ce qui s'ensuivit, il ne vit rien. Les pompiers le lui racontèrent, peu après, alors qu'il était allongé sur son brancard, enfin lucide. La voiture qui s'était engagée en sens inverse sur l'autoroute abritait quatre malfaiteurs qui venaient de braquer une banque. Ils les avaient évités de justesse, mais pas la voiture de flics qui les poursuivait. La fatigue avait émoussé les réflexes du conducteur – et c'est peut-être ce qui les avait sauvés tous les deux. Après avoir percuté la rambarde, leur voiture s'était dirigée directement sur les policiers qui avaient braqué complètement à droite: les deux véhicules avaient ainsi évité la collision frontale qui leur aurait forcément été fatale à tous. Au lieu de cela, lui et son ami avait enfoncé l'arrière de la voiture de police. S'ensuivirent une série de têtes à queue qui les télescopèrent quelque part sur la voie.
Les braqueurs, quant à eux, ont fait deux kilomètres de plus avant de se pulvériser dans l'avant d'un trente-huit tonnes. Morts sur le coup. Ce qui fait que les pompiers sont arrivés sur les lieux du deuxième accident en premier, et là se joue le clou du spectacle: il semblerait que son ami, ayant repris ses esprits, ai commencé à déboucler leurs ceintures pour les faire sortir du véhicule lorsqu'une voiture, passée au travers du second accident sans encombres, les percuta de plein fouet par l'arrière. Ils furent catapultés hors de la voiture, à plusieurs mètres de distance, chacun d'un côté. À leur arrivée les pompiers ont découvert ce qu'ils appelaient « un chantier ». Trois véhicules, un corps étendu en travers de la route, six inconscients dans leur siège. Le calme plat. Pas un bruit, pas même la sirène, devenue du coup inutile. Prise rapide des pouls, constat des commotions. Il faudrait désincarcérer. Celui sur la route était plus inquiétant. On s'affaire autour de lui. Et là, sorti de nulle part, on entend un râle et ils tournent tous la tête dans la direction: ils voient un homme arriver vers eux en boitant, ramassé sur lui-même, pleurant et geignant. Il balance une épaule en avant dans sa claudication, son bras gauche serré sur sa poitrine, sa main enveloppant son épaule. Ses vêtements sont maculés de sang, surtout d'un côté. Il vacille, donne l'impression de chuter à chaque instant, à chaque pas. Il s'écroule avant qu'ils aient pu réagir. Cet homme bien mal en point, c'est lui.
Il n'en avait bien entendu aucun souvenir. Autour de lui que de visages souriants – son ami venait de sortir du coma, il pourrait le voir d'ici peu. Il se releva pour serrer la main à tous ces hommes de courage – et tomba à la renverse. Un des pompiers lui mit une main sur la poitrine, lui désigna d'un bref signe du menton son épaule droite. Il ne vit rien, ne compris pas sur le moment. Il lui fallut quelques secondes avant de réaliser que c'est justement parce qu'il n'y avait rien à voir qu'il fallait regarder. Il releva sa manche: son bras droit était enturbanné de gaze rougie, peut-être dix centimètres sous l'épaule. Les bras lui en seraient tombés si seulement il avait toujours les deux.
A cet instant, comme si une synapse venait de faire le lien entre ses neurones, il se remémora la douleur intense, aigüe, alors que la voiture tapait violemment contre la rambarde, alors que son bras pendait encore nonchalamment par la fenêtre. La chaleur de la carrosserie, les vibrations de la route: voilà les dernières sensations que son bras aura ressenties. Il n'avait pas prêté attention à la douleur, son regard était déjà happé par la rambarde de l'autre côté, l'autre voiture en face, le danger imminent de mort.
Il osa regarder les visages autour de lui: la magie opérait déjà.
hiya
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