Sunday, 20 December 2009

Jeu de la semaine: Cadavre exquis au goût de poisson (Merci à Caro!)


Il se sentait comme un poisson dans l'eau, sur cette plage déserte, malgré le récent naufrage du bateau de croisière. Il allait devoir apprendre à vivre sans filet. Cette perspective lui était finalement assez réjouissante. Il vivait de baies sauvages, regardait des couchers de soleil magnifiques sous son abri de fortune, une vieille plaque de tôle à la peinture écaillée. Et cette étendue, de sable et de temps infinis. Un bonheur brut, une égoïste retraite tant convoitée. Que de péchés pour en arriver là ! Naufrage du bateau, tout le monde mort sauf lui...il n'avait plus qu'à buller en attendant les secours qui mettraient des semaines avant d'arriver! Tuer le temps... Écrire... Mais avec sa mémoire de poisson rouge, il ne savait même plus comment on fabriquait du papier à base d'écorce de palmier... Il se prit donc à gratter l'intérieur de l'écorce avec l'arête d'une pierre tranchante, inventant du même coup un nouvel alphabet. Cela lui permettrait peut-être de faire de sa vie de requin de la finance un nouveau conte de fée... Mais il y avait baleine sous gravillon. Parfois comme un ronronnement vibrait dans l'air paradisiaque de l'île. Il devait tirer ça au clair. Comme le vent dans les voiles, il furetait, cherchait à appâter ces idées qui lui trottaient dans la tête. Il avait une bonne ouïe, mais il n'était pas certain que le bourdonnement vienne du "dehors". Assis sur ce banc, face à la mer et à son fils Éole, l'heure du bilan semblait avoir sonné. Une vie à l'horizon se pâmait d'incertitudes. Une certaine mélancolie semblait l'envahir. Rien ne servait de tourner comme dans un bocal mais il ne pouvait s'en empêcher. Il devait agir, et vite. Pourquoi agir d'ailleurs ? Quelques gouttes de raison, un rêve en papillote, un zeste de folie... et un territoire infini de pensée, quel festin! Une idée semblait surnager dans cette soupe: rester. Il n'était pas né pour vivre dans une boîte à sardine en ville. Il avait l'espace, le temps. Il avait enfin le choix, de frayer ou non, au fond de ses pensées. Pas de contraintes et pas d'à priori... un avant-goût de paradis. Soudain, il vit au loin le panache de fumée d'un navire. Il n'allait pas mordre à l'hameçon. Il prit ses jambes à son cou et s'enfuit dans la jungle. Les mailles du filet commençaient à se rompre... et c'était tant mieux! Mais voilà, il allait tout de même falloir survivre. Il devrait se prémunir des navires de passage pour ne pas se faire harponner en plein bonheur, et aussi assurer sa survie. Le tour de l'île il fit et se nourrit en chemin de trois exquises et juteuses papayes. Quelle joie de penser à la tête de merlans frits de ses collègues, ces zombis de la finance s'ils le voyaient à cet instant, la bouche gavée de papaye, le cheveu long et la barbe rêche, ils en seraient médusés! Et sa deuxième femme, cette morue qui ne pensait qu'à la pension alimentaire de son inculte rejeton... il ne put retenir un sourire de contentement... car il n'accosterait plus jamais dans ce port-là. Ni dans aucun autre d'ailleurs... Il se sentait désormais si léger qu'aucun plomb ne pourrait jamais plus lester cette solitude enfin retrouvée.

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Silly little details

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