Wednesday 23 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #7


« J'ai rendez-vous avec le type...zut...je sais plus son nom. Le gars du BTP.
_ Jean-Philippe Janvier. D'accord. Tu reviens à quelle heure?
_ Dans deux, trois heures, tout va dépendre du trafic. Tu me téléphones si tu as un problème?
_ No problem, boss! »
Ahaha, toujours aussi drôle, ce Michel. Bon. Un dernier coup d'œil aux courriels de la matinée et hop, en voiture. Il n'avait pas tant de route à faire que cela. Son client était un gros ponte des BTP, le numéro deux de l'entreprise. Ils avaient des chantiers partout dans le monde: Dubaï, Pékin, Los Angeles, Londres, Sao Paulo, Rambouillet. Il allait donc le rencontrer là-bas, parce qu'il était quasiment injoignable si on ne venait pas le voir sur un de ses chantiers. Et puis il fallait faire du forcing: ils étaient trois sur la même affaire. Ce n'est pas Coluche qui disait qu'il valait mieux être plusieurs sur une bonne affaire que tout seul sur une mauvaise? Bref, ça lui reviendrait plus tard. Il monta dans la voiture, s'engouffra dans le trafic déjà dense de la rocade. Pour être à deux heures à Rambouillet, il s'y prenait bien à l'avance. Il prendrait même l'autoroute.


Il ne lui fallut qu'une grosse demi-heure pour arriver à destination. Plus que trois-quarts d'heure à tuer le temps. Ou pas. Depuis qu'Hélène était partie – surtout depuis qu'elle n'était pas revenue – une sorte de démon s'était emparé de lui. Son plus grand secret tapait contre le couvercle de la boîte où il l'avait enfermé. Violemment parfois. Il faisait mine de ne pas l'entendre en journée, pour mieux s'y adonner la nuit venue, seul dans cet appartement où plus aucune trace de celle qui avait partagé sa vie durant ces années n'apparaissaient. Ça aurait fait trois ans, s'il n'avait pas joué au con. Bientôt un an à Chartres. Bref. Toujours est-il qu'il ne ressentait aucunement la solitude, mais au contraire mettait à profit cette période de célibat pour être lui-même. Les relations avec Michel s'était largement détendues – il l'appréciait même. Ils avaient longuement échangé, lui avait expliqué sa vision du monde, des affaires et avait évoqué la direction qu'il voulait imprimer à son entreprise. Michel, désormais son unique employé, avait quant à lui exprimé ses craintes, son incapacité à suivre le rythme, avait évoqué l'humeur changeante du boss.
Il avait donc mis en place beaucoup de choses, outre son changement radical d'humeur, notamment un « partenariat », plus qu'une fusion, avec un collègue. Ils se partageaient la gestion des plus gros dossiers. Cela arrangeait tout le monde et Michel, du coup, en était devenu efficace. Il avait également appris beaucoup de choses sur lui: il avait divorcé quelques mois avant d'entrer dans la boîte suite à sa dépression et sa perte d'emploi. Ils se voyaient toujours, lui et son ex-femme, côtoyaient encore la famille et la belle-famille, ensemble, pour leur bien à tous les deux. Ils parlaient de se remettre ensemble mais ils avaient chacun un grand besoin de liberté, de vivre un temps chacun de son côté.
Pendant ce temps-là, inconsciemment, il était en train de laisser le couvercle de la boîte s'ouvrir. Le problème, avec les boîtes comme celle-ci, est qu'elles ont une fâcheuse tendance à s'ouvrir d'elles-mêmes.
Il prit une autre chemise dans sa valise, une plus ample, lui qui aimait les porter près du corps. Il changeait de chemise régulièrement avant chaque rendez-vous à l'extérieur, pour éviter les auréoles sous les aisselles et autres taches probables de nourriture ou d'encre. Il voulait toujours avoir l'air impeccable, au moins on ne lui reprocherait pas ça. Tout en enlevant son ancienne chemise encore propre, il lui vint l'idée de coincer son bras droit dans le dos. Pour être certain qu'il reste près de son corps ou qu'il ne se serve pas de son bras par mégarde, il l'enturbanna avec de l'élastoplaste.
Techniquement, c'était se faire passer pour un infirme alors qu'il était tout ce qu'il y a de plus valide. Peut-être pour gagner le contrat. Ou pas. Voir la pugnacité de l'infirme qui confronte le monde sans sourciller, à bout de bras – qui n'a ni singulier ni pluriel définis. Ou plutôt un pluriel qui va de soi: on a tous deux bras, non? Ça, ça calmait les ardeurs des plus furieux. Les gens vous écoutaient. Et puis ils étaient trois sur cette affaire.
Techniquement, c'était tricher. Mais éthiquement, il ne trichait pas, sans aucun doute par omission – omission qu'il désirait à corps et à cris.

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