Sunday 27 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #10


À Los Angeles, ils passent enfin à aujourd'hui. À Auckland, ils passeront à demain dans trois heures. Tandis qu'ici, maintenant, c'est déjà un autre jour.
Même trajet, même bureau. Même Michel, même blague matinale. Même sonnerie de téléphone. Même stylo, même post-it, même interlocuteur avec un nom qui aurait pu être le même. Même sandwich, même midi. Même journée, en somme.
Et pourtant. Une certaine joie de vivre l'avait levé du lit, bien avant le réveil. Il avait pris un copieux petit-déjeuner, était passé sous la douche, s'était brossé les dents, habillé ambidextrement. Il avait pris tout son temps pour aller au bureau, ralenti même pour admirer un peu plus longtemps le soleil se lever derrière le plat de l'horizon, avait pris par le centre-ville, s'amusant à regarder les passants et les écoliers se diriger vers la place des Épars. Le ciel, sans nuage, était d'un beau bleu profond. Les étourneaux cabriolaient dans les airs, d'arbre en arbre. Il ne savait pas ce qui se passait en lui, mais tout allait bien. Sa cicatrice ne le démangeait pas. Il ne pensait pas qu'à utiliser sa main gauche. Oui, il avait envie d'embrasser le monde.


Michel fut surpris de trouver les croissants sur son bureau. Peut-être que le printemps y était pour quelque chose. Son ex-femme aussi était toute guillerette. Quelle nuit! Ça valait bien quelques cernes. En revanche, ils avaient du pain sur la planche. Faire les comptes, faire un tour des clients pour savoir si allait va bien, faxer les trucs à l'URSSAF. Le bleu viendrait flairer le fax, il en mettait sa main à couper. C'était de bonne guerre. Il avait croisé Jean-Luc qui n'avait toujours pas retrouvé de boulot. Peut-être qu'il en toucherait deux mots aujourd'hui; depuis peu il sentait son bras s'allonger. On ne savait jamais...au printemps tout était possible. « Ne manquez pas votre unique matinée de printemps, » disait un philosophe dont le nom lui échappait. Vieux reste de fac...ça ne le rajeunissait pas, tout ça.


« J'y réfléchirais. » Voilà tout ce qu'il a pu dire. Il n'a ni feint ni masqué sa surprise. Après tout ce qu'ils s'étaient dit l'un sur l'autre...mais les gens changent. Les besoins aussi. Il veut vraiment donner un coup de fouet à cette entreprise qui certes prospère, mais qui pourrait s'enrichir tout autrement. Il a envie de donner ça à Michel, de lui faire connaître le luxe, l'opulence, les joies de dépenser sans compter, de dessiner la perspective d'un avenir sans travail, d'une retraite bien méritée prise bien avant l'heure. Il est satisfait de son salaire, mais il ne soupçonne même pas les sommets qu'ils pourraient atteindre. Et pourquoi pas Jean-Luc aussi. Il a quelque chose, ce garçon de vingt ans son ainé. Une fibre supérieure à celle de Michel, un contact possible avec les clients de haut vol s'il voulait bien se donner la peine d'apprendre de lui. Il a tant à offrir aux gens. Ce monde de requins est sans appel et il le sait d'expérience: il faut être vif, apprendre des erreurs des autres sans en faire soi-même de grave, ne jamais se retourner, se faire des amis parmi ses ennemis, toujours avoir en tête un but précis. Froid et calculateur, voilà comment on le perçoit et cette image ne lui déplaît pas.
Alors oui, il y réfléchit de plus en plus. Ce pourrait être le tremplin pour sa boîte. Ils pourraient décoller, tous les trois.

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