Une de plus. Une journée de plus et pas une bière en vue. Pas même une mise en bière. Michel avait réussi, Dieu sait comment, à faire parvenir l'avenant au contrat. Pas par fax en tout cas. Il se demandait s'il ne donnerait pas une formation flash à son collègue sur les arcanes de cette machine du diable.
Il n'y avait plus qu'à attendre un retour de Rexel. Le premier gros contrat. Il avait encore des billes de côté, ainsi que quelques cartouches au cas où, mais ce serait vraiment une bonne opportunité pour booster la boîte. Ils avaient bossé around the clock pour joindre les deux bouts en un temps record, ça devait compter pour quelque chose, ou quelqu'un. Il drivait son équipe comme un boss. On ne pourrait pas lui faire ce reproche-là.
Il était presque neuf heures. Plus un chat sur la rocade. Il espérait qu'Hélène avait fait à manger. Il n'avait envie que de cela: arriver, les pieds sous la table, se sustenter, prendre une douche, regarder à la télé un programme qu'il savait sans cervelle mais c'est tout ce qu'il recherchait. Rire un bon coup à une blague grasse, à une tarte à la crème bien lancée. Dormir. Et recommencer le lendemain.
Toujours le volant coincé par le genou, il arrivait même à doubler les rares voitures qui trainaillaient sur la file de droite. Ces bouseux, alors, toujours à conduire à deux à l'heure, comme s'ils avaient un tracteur dans les mains. Une petite voix lui rappela qu'il avait appris à conduire sur un tracteur, les mains calleuses de son grand-père guidant les siennes, le sillon du champ pour seul guide, le bout du champ pour seul horizon. Sauf que lui s'était affranchi de la boue qui crottait ses galoches, de ces cals qui râpaient les poignées de main viriles, de cette mauvaise haleine de mauvaise bière ou de ces dents tachées de villageoise. Il était devenu un golden boy à la seule force de sa volonté et amassait des fortunes, alors que ses grands-parents avaient amassé de quoi survivre à la force éreintante du poignet, alors que ses parents vivotaient derrière un bureau dans une officine de cambrousse poussiéreuse.
Il n'y était pas retourné depuis qu'il avait amené sa petite amie, voilà presque deux ans – elle avait insisté des jours entiers, à en devenir rasoir à la fin – il se souvint y être allé dans son coupé-cabriolet BM flambant neuf qui lui avait coûté, comme on disait dans le jargon, an arm and a leg. Tout le monde avait admiré l'engin, campés les bras croisés sur la bedaine, hommes et femmes confondus. Ils avaient mangé une blanquette de veau, comme des arsouilles, et il avait honte, nom de Dieu, ça oui, la rage, la honte cuisante qui lui rougeoyait le visage encore plus que les sales bobines avinées des pochetrons accoudés au bar-tabac-PMU, le visage du tôlier couperosé comme le cul d'un porc. Ça ne lui ressemblait pas, lui qui ne buvait que des grands vins – il s'autorisait la bière parce qu'elle préparait l'ivresse – qui avait une hygiène irréprochable et surtout de grandes valeurs morales et esthétiques. Et – woaw! Belle embardée! Son genou avait glissé de dessous le volant, sûrement à cause d'un nid de poule. Route de merde. Il avait rattrapé le bolide in extremis, juste avant qu'il ne touche la rambarde de sécurité. Il en était quitte pour une belle frayeur. Le cœur battant la chamade et les deux mains tremblantes sur le volant, il s'enfonça dans la nuit, sans un mot.
Le perso est vraiment bien campé... Jeune con ! ^^ J'attends la suite pour voir s'il va devenir attachant, peut-être qu'il n'est pas aussi fort qu'on ne le pense ?
ReplyDelete"le visage du tôlier couperosé comme le cul d'un porc" : ça m'a bien fait rire, il y a de belles trouvailles !
Marki ChabiChabo! Ça va venir, vous allez le découvrir un peu plus...il en a encore sous la pédale! Bizzzzz
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