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Friday 31 May 2013

Trois livres d'oubli



je t'ai oubliée dans les vapeurs d'alcool

mais tu es encore là. tu m'as fait dire de ces sales choses qui présagent d'une sale fin

et je suis encore là. pourtant je contemple le lourd bastaing

lui ne bougera pas. tu m'as fait pleurer de ces larmes avinées qui collent

et qui ne soulagent rien. j'ai de nouveau apprivoisé la soif de tout et la grande faim

et, surtout, tu m'as redonné l'enivrante envie de tout détruire

d'en finir avec tout dans ce temps de chien

avec la pluie, le pétrichor et les maudits andains

tu m'as insufflé l'ancienne envie de tout pétrir

de tout reconstruire car tu es même dans le vin,

dans le pain, dans le mauvais air, dans la lassitude et le fuir.

je t'ai oubliée le temps d'une soirée qui était prévue à cet effet

sachant de quelle couleur serait peint le lendemain

cet aujourd'hui imparfait

qui pèse autant que trois livres de lin.

je t'ai vomie dans la nuit.

mais tu es revenue. pourtant j'ai tout fui

sans reprendre terre.

tout est à refaire.

Sunday 26 May 2013

Matins



C'est encore un de ces matins où rien dans la vie n'a changé, où un laps de temps a juste passé. Un matin où l'on a envie de rien. Un matin avec un temps de chien, où l'on oscille entre hasard et nécessité, prendre part à la vie ou rester cloîtré. Un matin gris sur gris, rien sur rien. C'est pourtant lors d'un de ces matins que tout aurait dû exploser dans une cacophonie monstrueuse, car si l'on avait juste osé, la vie aurait été merveilleuse. Mais c'est un matin de chagrin.

Il faut être bien couard devant l'adversité pour ne pas vouloir fonder une réalité. Car un jour, on regrette nécessairement, on s'en veut, on serre les dents. On s'endort en pleurant. On se rend compte que c'est plus dur maintenant d'aller de l'avant, alors qu'on avait tout devant soi. On aurait pu, oui, être soi.

Mais au lieu de cela, on a choisi une autre voie.

Et on se réveille, on bâille, on s'étire, on regarde les corneilles tournoyer et bondir sur une toile fadasse et on se dit qu'on a manqué d'audace, on n'arrive pas à se dire de se lever car on ne voit pas bien par où prendre cette journée, on n'en voit pas la peine car on a trop de peines. Alors, la mort dans l'âme aussi grise que les nuages, la tête sous l'emprise de mirages, on se rendort sans trouver le sommeil, on ne sait plus bien si l'on veille, et l'on ne se tourne qu'un peu, seulement, de peur de toucher le froid du drap là où il y avait l'amant. On écrit des messages plein d'espoir que l'on garde dans un tiroir, que l'on n'enverra jamais, qui resteront là des années et qu'on finira par mettre au rebut quand on aura retrouvé un début. On broie du noir et on rejette du gris sombre. Le lit préfigure la tombe de la vieillesse, quand on sera gonflé de regrets et de tristesse. Les décombres de la vie alors encombreront les vestiges de l'ennui, et l'on repensera à ces matins sans nombres, ces longs matins sans ombres où l'on ne voyait rien de bien se profiler dans le lointain, et où l'on voulait baisser les bras. Mais on est encore là, sans trop savoir pour quoi.

Alors on se lève, on réchauffe son cœur et ses mains avec du thé et un peu de pain, on imagine les sacolèves mettre voile vers le levant. Les vents, propices auparavant, soufflent d'ores sur le ponant. Et on crève de voir qu'on a mis fin à son rêve. Le navire, resté amarré, moribonde sur les flots pers et l'on ouvre les volets et la vision se perd.

Pour l'heure, c'est un matin de poussière et la vie est derrière.

Sunday 19 May 2013

Momentum



Ce moment où l'indifférence
blesse plus que la présence

Ce moment où même le thé
ne parvient plus à réchauffer

Ce moment que l'on sent monter
quand l'alcool montre ses effets

Ce moment de déliquescence
où il n'y a plus qu'inférence

Ce moment où l'incertitude
naît d'un mot dit ou tu

Ce moment où le sol se dérobe
et la tristesse tout englobe

Ce moment où le souvenir d'une robe
contient en lui tout un globe

Ce moment où la solitude,
de ses griffes acérées, tue

Ce moment où les hétérocères
fuient par milliers l'air de la mer

Ce moment où les vagues chargent
la mémoire de souvenirs sans âge

Ce moment où l'on brûle de prendre le large
alors qu'on échoue même à brûler une page

Ce moment où les sentiments sincères
se doivent mourir est amer

Ces moments ne sont, au final,
qu'un long et sinistre râle.

Saturday 18 May 2013

Regard(s)



Je viens d'user mon deuxième plafond
à force de le fixer. Pas d'œillades,
Non. Un long regard de typhon
qui laisse de grandes estafilades
larges comme le poing, et profondes.

C'est quand même fou de haïr à ce point –
haïr le temps avec une férocité, une hargne
qui nous fait serrer les dents et les poings.
Le jour devient torture, la nuit un bagne.
Le calme seul quand la première étoile point.

J'ai aussi usé trois amis avec la lecture
de messages d'amour et d'indifférence.
Ils m'ont conseillé l'ingestion de picrate pure,
de dormir, de m'occuper en permanence,
de travailler assidûment ma musculature.

Et j'ai perdu mon charme – quand on n'a pas de chance,
Rien ne va plus et on se sent foncer droit dans le mur –
tout ça pour dire qu'avant j'étais plein d'insouciance.
Je n'ai jamais clamé être un optimiste pur et dur,
mais là j'avoue être à deux doigts de la déchéance.

Je sens que ce plafond ne fera pas long feu –
Pourquoi diable suis-je tombé amoureux ?

Friday 17 May 2013

La rivière



La rivière coulait en contrebas.
Le soleil, l'usure des jours,
le village des hommes,
l'ont rendue sèche comme
le cou des vieilles femmes,
celles qui ont perdu l'amour,
celles qui ont un regard las.

Elle coulait là, pourtant,
depuis bien longtemps.
Seuls le soleil et le vent
savaient depuis quand.

Mais maintenant elle n'est plus
qu'un tas de rochers blancs et nus.

Les hommes ont, depuis, disparu,
leurs chaumières et leurs rebuts
seuls attestent de leurs vies vécues.

Les arbres ont dépéri, flétri dans leur essence,
On ne sent plus le pétrichor quand la pluie danse.
Il n'y a ici plus aucune vie. Plus aucune chance
de voir paître la biche ou tournoyer le vautour,
plus rien ici ne rôde que le silence
que seul l'éboulis brise en échos sourds.

Pourtant plus haut, bien plus haut dans la montagne,
on entend un mugissement plein de hargne,
une fureur dont l'orage raffermit la poigne.
Là-haut, on sent que la source n'a point tari.

Et le marcheur, que soudain l'espoir gagne,
redouble d'effort et devient plus hardi.
Ce n'est point le destin qui l'accompagne,
il le sait, c'est le chemin qui l'a aguerri.

Lorsque, après une ultime journée de marche,
Il se trouve face à la source glacée,
Il sourit, joint les mains en coupe et se penche
pour étancher cette gorge taraudée.

La tête lui tourne soudain.
En un instant, il se ressouvient.
Il regarde ses mains –
rien n'est pourtant anodin :
cette rivière est, bel et bien,
malgré toutes les rivières,
malgré tous les chemins,
celle qui répond aux prières
que l'on fait quand on erre.
Il n'y en a qu'une, il le sait bien.
Elle a dédaigné son ancien lit,
elle a empreinté une autre vallée –
ce pour une obscure raison.
Mais là n'est point la question.
Toute son amertume ravalée,
il contemple l'horizon
et en souriant il saisit
qu'il connaît chacun des replis,
chacune des ondulations
de cette onde qui ne peut changer.

Un soupir passe ses lèvres.
Tout ceci n'est peut-être qu'un rêve.
Mais il n'a aucune hésitation :
cette fois-ci, c'est pour de bon.

Il part alors se mêler aux méandres et à leur éclat –
en contrebas, on distingue les lourds thyrses des lilas.

Thursday 16 May 2013

Petrichor



L'harmattan arrive, entend-on chuchoter au village.
Voilà de longs mois qu'on attend de lui
Qu'il souffle cette interminable pluie.
Le ciel, jusqu'à peu, était ridé de mauvais présages.
Il y a eu des bêtes emportées dans des coulées de boue
Et des maisons que la crue a entraînées encore debout.
On ne compte plus les salines embourbées par les trombes
Ni les corps flottants comme des troncs d'arbre dans le courant,
Et il pleut, il pleut des mois durant.
Dans quelques jours, on verra les vallées érigées en catacombes,
On retrouvera les brebis égarées, la laine et le ventre gonflés d'eau,
On retrouvera ceux qui s'étaient offerts pour faire cesser le supplice
Et ceux qui avaient abandonné l'espoir d'un armistice.
Déjà on sent la décrue et on grave le nouvel étiage sur un poteau.



Voilà trois saisons de lune que le vent souffle sans discontinu.
Une femme devenue folle a plongé hier dans un précipice,
Et le vacarme ininterrompu pèle les pensées à nu :
Pourtant personne n'avouera avoir vu les insensés abysses.
Les gorges se dessèchent, les peaux se crevassent,
Le soleil brûle autant que le vent érode et efface.
Les récoltes sont tout juste bonnes : on remercie les dieux.
On mange à sa faim, puis on devient parcimonieux,
Car le vent s'abat d'un coup plus fort et étouffe la liesse.
On trace des signes sur le sable, on descend au fond des puits,
On crie face aux bourrasques pour qu'elles cessent –
On en vient à sacrifier des vierges pour faire venir la pluie.
Les bêtes errent ça et là, tournaillent, rôdent le museau en l'air,
Et au loin on voit déjà les coups de griffes du tonnerre.
 

Wednesday 15 May 2013

Opprobre



Enterre toi-même ton âme, mécréant immonde !
Creuse ta propre fosse et rabat la glaise sur toi,
Car personne ne viendra te porter ni terre, ni deuil,
Et j'interdirai à quiconque de porter ton cercueil.
Que même tes os blanchis ne reparaissent à la face du monde !

Je ruinerai ta famille et j'abrogerai tes lois.
Il n'y aura point d'épitaphe, point d'arbre
pour signifier là où tu gis.
Je ferai effacer ton nom des stèles de marbre.
On oubliera ce que tu fis.

Je brûlerai les cartes de ton royaume,
J'en raserai les villes, les tours et les châteaux :
N'y régneront donc plus que les fantômes,
N'y respirera donc plus que le sirocco.

Je prierai pour que ton cœur soit emmortaisé
Pour que les diables criblent ton corps de sarcomes.
Alors, peut-être, alors mon ire sera apaisée.

Tuesday 14 May 2013

Les papillons



Je marche contre le vent des papillons des plaines.
Quelque chose naît. Je le sens dans mes vieux os.

Pour l'instant rien ne bouge, si ce n'est l'aurore.

Un jour comme aujourd'hui, j'ai soif et je n'ai pas d'eau.
La chaleur grésille et les ailes courroucées fulminent.

Mais d'ici je ne les vois pas encore.

Un jour, on m'a dit de me reposer quand je serai fatigué.
Cela voulait dire « Cours ! » non pas sans s'arrêter,
Car il y a aussi un paysage à contempler,
Car il y a aussi des visages à qui parler.

On sent comme une pulsation dans l'air du Nord.

Je marche contre le grondement des ailes furieuses,
J'avance lentement dans les heures laborieuses.

Au loin, c'est comme une pluie de météores.

Il n'y a plus qu'à attendre les lépidoptères,
et les secousses des images des ocelles
parviennent jusqu'à moi avec un raffut de tonnerre.
Je perçois enfin le roulement de leurs ailes.

Je tremble, moi qui ai affronté la manticore.

Je m'arrête au sommet de la plus haute dune.
De là je contemple les hordes de l'horizon blêmi.
Et les reflets des soies brillantent la lune.
Du haut de mon mirador de sable, je frémis.

La nuée immense avance, cumulus chromophore.

Un jour, ma mère m'a dit : « On récolte ceux que l'on aime. »
Je ne l'ai pas compris alors. Mais aujourd'hui je sème.

Bientôt, il n'y aura plus qu'un monde versicolore.

Ainsi qu'un shamal bigarré, la cohorte obscurcit les cieux
de milles teintes, comme une fresque démesurée recouverte avec soin.
Voilà les papillons qui soufflètent mon corps, mes mains, mes yeux.
Demain, j'aurai oublié l'ouragan diapré de satin. Mais demain, c'est loin.

Saturday 11 May 2013

Mordoré



Il y eut, pendant un instant, un rayon de soleil accroché dans tes cheveux, sur les remparts, puis un filament de nuage enroulé dans ton sourire, un peu plus tard. Lumière éteinte, j'ai vu un éclat de nuit en suspens dans tes yeux et un grain de plage qui s'étendait dans ton soupir. Le noir passa, le jour se fit. Tu étais bien là.

et moi, que la solitude guettait aux abords des fenêtres, des chemins de ronde, des mondes sans monde qu'un seul de tes gestes a rendu immondes, j'attendais, j'attendais et je souhaitais.

et dans le mordoré de ton regard j'ai vu cent mille batailles et le chamarré des grisailles que laissent les oaristys blafards, j'ai vu les assauts du temps et les arrhes que la vie prend à ceux qui ferraillent

et j'attends, j'attends, je ne sais que faire d'autre, je n'ai rien envie d'autre que d'affronter le temps et l'on ne sait ce qu'est le temps tant qu'on ne s'est pas mesuré à l'attente d'une femme, tant que l'on ne s'est impatienté de longues heures durant dans l'espoir d'un télégramme, des mots de quelques grammes, qui anodins, qui inconséquents, font pourtant retrouver la gaieté, et resoulignent le charme de celle qu'on entend

et je me prends à sourire en ré-entendant ton rire qui engloutît l'huître sur la plage et hésita un instant avant de rejeter sur le rivage la coquille vide – tu venais d'avaler un souvenir – et de ces quelques jours nous fîmes des ressouvenirs, et en ces instants nous n'avions plus d'âge

et en quelques jours tu m'as fait retrouver le goût des huîtres, le goût du cidre et du sel sur les lèvres, le goût du vent et des cheveux aux doigts emmêlés, le goût de l'amour, du sable et des pantalons retroussés, le goût de l'horizon et de la mer sur les pieds, le goût du risque d'un baiser, celui de l'inquiétude et d'une main qui caresse, celui de la quiétude et de la tendresse – ils étaient pourtant morts, ces goûts-là, je les ai vus de mes yeux las, inertes et tors, un couteau fiché dans le corps, terrassés sans pugilat

et toi, d'un coup, tu as redonné vie à tout ça.


à elle.

Sunday 5 May 2013

L'ordre des choses



J'ordonne au jour d'être clément avec toi et de ne point obscurcir ta blonde chevelure. Je lui ordonne de briller sur toi, quoiqu'il arrive.
J'ordonne aux nuages de ne point pleuvoir sur toi, sous peine de poursuite impitoyable.
J'ordonne au vent de ne point souffler sur toi, de simplement mettre cette frange au milieu de tes yeux qui étincellent et s'illuminent de milliers de lueurs comme autant de lucioles cherchant leur chemin dans une nuit d'encre.
J'ordonne au crépuscule d'attendre que nous soyons réunis pour se coucher.
J'ordonne au temps de ne point poursuivre sa course sans notre consentement.
J'ordonne aux éléments, d'un signe de la tête, de donner leur assentiment pour que, dès lors, sans un bruit autre qu'un bruissement d'aile de papillon pris dans une tempête, je dépose un baiser sur ces lèvres que je n'ai su amadouer au dernier regard de pluie.

à elle.

Sunday 28 April 2013

La part des choses


La part des choses
est faite
                                                                Et l'on vivote
au détour d'une lettre
défaite,
                                                                au fond d'une grotte
un bout de prose
posée sur l'entête
                                                                sans espoir
d'une nappe morose
un soir de fête
                                                                dans le noir
sans cause
et désuète.
                                                                sans bruit
La glose imparfaite
en attente de métamorphose
                                                                dans le fond de la nuit
voit les nuits inquiètes
et grandioses
                                                                sans un souffle.
s'éteindre dans un souffle.

Wednesday 24 April 2013

Nuage vide



Ce qui arracha Edmond à sa rêverie
ce fut l'impression d'avoir vécu sa vie
comme un long voyage à bord d'un nuage vide.
Jamais il n'avait ressenti ce gouffre en son torse
et en son bas-ventre avec une telle force
que lorsqu'il fut bercé par ce ciel limpide.

Cette impression lui resta engluée à la peau derrière les oreilles tout le jour durant, si bien qu'il ne put se concentrer correctement pour coller ses timbres bien proprement dans le cadre prévu à ce effet.

Idée pernicieuse accouchée quarante-sept ans plus tard –
Long périple, solidement nichée au creux d'une feuille,
à la fin duquel il prit un éclat de soleil dans l'oeil.
L'Edmond sur le papier n'était plus l'Edmond dans le miroir.
Alors il partit loin dans le désert du Taklamakan
Il chercherait jusqu'à ce qu'il trouve, nul ne savait quand.

Son expédition dura une éternité – non parce qu'il ne s'était pas trouvé – ceci fut tôt réglé dans un trou de glace où il prit son bain – mais parce qu'il n'avait plus rien à lui, là-bas où le temps efface, où il s'était perdu, sans presque aucune trace.
 

Thursday 18 April 2013

Aciers



Il fait froid. Nous grelottons. La nuit d'acier broie nos âmes
Le vent cisaille notre peau, gerce nos lèvres,
Nos ombres courant sur les murs sont des origami
Pliages courbant l'échine
Nous aurions pu avancer fièrement
Avec un peu moins de malchance
Car nous ployons sous les croix des drames
L'acier des couteaux luit dans les réverbères
Celui des canons est de la matité de la nuit
Celui des regards comme une braise va s'éteindre
À demi-morts, à demi-nus, à demi-mots
La gêne s'installant de se voir ainsi dépouillés
Il n'en fallait pas plus pour détourner les yeux
Nos mains en coupe protégeant des œillades notre entrejambe
Exposés dans des cages de verre et d'acier
Sur les photos de mariage nous sourions, pourtant,
Alors l'acier nous nourrissait
À présent il nous a désappris à sourire
Il a tranché dans le vif des clichés
Le feu a équarri, le vent abattu, la mer nivelé,
Mais c'est l'acier qui a enseigné les plus grandes leçons
On ne referme pas aussi facilement ses entailles
Agélastes par le seul fait d'un couteau mis sous la gorge
Le jour si présent par nos paupières amputées
Amputée notre masculinité, notre féminité
Bafoué notre droit de respirer
Voilà des années que nous sommes en apnée
Alors que nous ne demandions qu'à être pendus haut et court
Nous ne demandions qu'à avoir la gorge tranchée d'un trait
Pas que nous renâclons à souffrir
Mais c'est l'attente qui nous chiffonne,
C'est l'acier qui rugine, qui équarrit, qui ruine
C'est sa capacité à surprendre les chairs encore fermées
À s'y frayer un chemin alors qu'on respire encore.
L'acier, dans tous ses usages, fait frémir.

Monday 15 April 2013

No quiero olvidar tu sonrisa



No quiero olvidar tu sonrisa
Y tu piel que siente la vida

Je ne veux pas oublier ton sourire
Et ta peau qui sent la vie
Lisse comme les feuilles d'olivier

Et plus sauvage qu'une coulée de lave
Ton tonnerre claque chacun de mes jours
Et à chacune des marées que tu invoques
Armée de tes bras comme des faux
Capable de trancher des horizons
Tu ressacques le limon qui m'enlise
Et rien ne m'importe plus que les vagues
De ta chevelure d'automne
Et des filaments blancs de tes iris

Je n'ai jamais su faire face
Jamais su refaire surface
Je n'ai jamais su que dire
Et parfois je me surprends à sourire
En repensant au goût des fraises de Malte
Quand je t'embrasse
Et le bleu de la mer
Dans l'écho de la conque
Dans le roulis de la barque

Tu m'as appris qu'il faut savoir s'obstiner de temps à autre
Laisser de côté la fureur et marcher
Éviter le regard des méduses
La morsure des soleils de Fez
Et marcher sans d'autre prière
Que celle de clémence faite au vent

Certains se sont fait un peu moins qu'un nom
En gravant "j'étais là" dans la pierre de Corinthe
Passée par le sabre et le feu et le temps
L'anonymat ou l'immortalité
À portée de plainte contre la mort

Tu m'as appris que pleurer comme un enfant
Ne doit pas faire peur, et ça m'est passé,
Car plus d'un a péri sans un souffle conservé
Et l'équilibre est maintenu comme une assiette
Sur la pointe d'une baguette.
Tout arrive si vite qu'on n'a plus le temps.

Alors on disculpe à tour de bras
Et l'envie tourne au vinaigre
Parce qu'on ne sait plus comment faire.
Et d'une poigne de fer on plie la dune.

La nuit semble impénétrable pour qui ne sait pas que la nuit existe
La magie du doigt opérant l'entaille dans le vif de la pierre
Rectiligne car il n'a jamais eu à faire ce geste
Et il ne le répétera jamais –
Il aurait suivi une courbe s'il avait cru en Dieu.

Certains tournent la page en fuyant le jour,
Laissent une traînée incandescente de misère dans leur sillage.
Le marbre dalle nos allers et venues.
Tu m'as appris qu'on fait des choix par amour.

Tu m'as appris qu'il y a des cris dans la nuit
Dont on n'entend que la fin,
Pour peu qu'on ait laissé la fenêtre entrouverte.
Sinon on n'entend rien, car la voix s'arrête, ou on a fui.

Et les aurores reprennent dans tes pupilles
Car tu m'as appris que la vie continue
Car souvent dix mille mains tendues
N'y suffisent pas. Si on le veut, on vacille.

Et les branches des pins bruissent entre tes doigts,
Pareilles à des montagnes qui se caressent
Douze mille ans durant tu m'as manqué
Car la nuit vint s'interposer entre nous
Alors que nous marchions dans les oliveraies de Damas
Douze mille ans que je n'ai baisé tes lèvres
Et autant à attendre ta venue sur ce chemin de terre.

À présent que tu es arrivée,
Je sais que je n'ai pas oublié ton sourire
et ta peau qui sent la vie.

Tuesday 29 January 2013

Dans chaque plateau de la balance


L'orpailleuse de son œil d'aigle le fixe de la tête aux pieds. Il est mal à l'aise.
Oui, répond-il, c'est pour lui la première fois. Il se sent en faute.
Elle, ne cille pas. Plus. Elle, ça fait vingt ans. Elle en a vu d'autres.
Elle estime les bijoux devant ses balances, les griffe, les certifie, les pèse.
A moins d'hésitation à les acheter que le jeune homme à les vendre.
Il sent la peau de son cou se tendre, attend le cachet.
Il se mord l'intérieur des joues, jusqu'au sang.
Mais ce n'est pas le remord qui le ronge, mais belle et bien la faim.
Ce soir, il mangera. Pas autant que son appétit l'exigerait -
Car demain la faim rôdera, malgré tout les festins -
Mais il la repoussera, un temps. Car Prudence est mère de survie.
Il sait à présent la différence entre besoin et envie.
Car il n'est de plus grand sacrifice que l'or qu'on hérite.
Elle le sait ; lui vient de l'apprendre, et pleure sur ses frites.
 

Saturday 29 December 2012

Bribes prises à la nuit



Les taches d'ombre coulent comme du mercure électrisé à la périphérie des torches. Tout est ombre. La neige est ombre. Même les paillettes de glace scintillent avec un éclat d'ombre. Ce pays est nuit.


Et les particules d'ombre dansent en de longs serpents indociles dans la lueur des phares et un vent malin les fait se dresser et surgir sur notre chemin en de massifs djinns de neige.


Le vent dessine sur la neige comme il dessine sur le sable.


Le sombre de lune plus parfait que ce coucher de soleil qui n'en finit pas, qui n'a même pas commencé.

De la nuit



La nuit est lourde, compacte, longue. Elle est intense, vibrante comme un ruisseau, coule comme les eaux du canal dans la mer Baltique.
La nuit est lourde. Elle s'alourdit d'heure en heure. Elle s'allonge. Devient le temps même, et repousse ses limites à mesure qu'elle grandit. Elle redéfinit elle-même ses espaces au fur de son allongement. Pourtant, le solstice est passé. Comme s'il n'avait de cesse, ayant été une fois. La nuit est intense. Elle fait battre son cœur contre la peau tendue du monde.
La nuit, compacte et infinie comme un atome, devient le cosmos, prend la place de l'espace, et ses cheveux – parce qu'elle n'est qu'un visage – obombre l'univers et notre monde devient la nuit. La nuit est le monde. La nuit est longue. Et lourde.
La nuit est lente ; elle prend son temps. Elle teinte la neige de sa noirceur d'encre, et la neige devient noire à son tour. Des paillettes étincelantes d'obscurité. Des cristaux de carbone voletant dans l'air noir. Des taches d'ombres dans l'ombre.
La nuit est rigoureuse, exigeante. Elle force l'attention. Elle pénètre par les narines et ressort par les pores de la peau – en laissant au passage un peu de ce qu'elle est au fond de nous, un peu de nuit, un grain de nuit qui pourtant change tout.
La dernière fois que nous vîmes le soleil fut également la première, avant d'entrer dans la nuit par un goulet étroit, bien plus au Sud qu'on ne pourrait l'imaginer. Ici, et maintenant, il n'est plus – il ne peut plus être tant la nuit contraint les possibles.
La nuit s'écaille en pétales noirs et froids. La nuit verticalise le regard et horizontalise le silence. Mais, avant tout, la nuit est glaciale.
Le jour peine à se lever, la nuit l'en empêche. Ses rets comme des marbrures d'obsidienne dans le ciel. Ni totalement le jour, ni totalement la nuit. Mais l'issue de l'heure est évidente. C'est bien le jour qui résiste vainement, qui suffoque, qui halète tant il est étouffé. La nuit, elle, patiente, l'œil fixe.

Entre Stockholm et Luleå, 23.12.12

Friday 16 November 2012

Le sablier



j'ai toujours aimé contempler
l'écoulement du sablier
je peux y passer
des heures
c'est insensé
des heures entières
le sable autant que son verre
la même matière
égrenant le passé
forçant l'avenir
dans son étroit goulet
sans ralentir
ni faiblir
patiemment
gravement

ce rêve qui me tire de ma jeunesse
ce goût de sable entre le palais et la langue
la tristesse coincée entre les dents
comme un éclat de laitue sur l'émail

je sais que bon an mal an
mon regard glace le sang
de ceux qui croient
cracher le plus loin
je m'y emploie parfois
inlassable et j'aime bien

pour aller faire mes courses je coupais par le cimetière
de grandes nappes de soleil et de vent souvent
balayaient les rites funéraires et les allées de sable
et les stèles riaient à marbre déployé
certains noms ne cachaient rien de leur déception
d'autres arboraient des moues passablement défaites
renfrognées ou dédaigneuses
ce qu'il faut faire parfois pour ne pas mourir

entre les fissures des nuages
invisibles et imaginaires
les particules qui n'ont pas d'âge
défient les scrutateurs de l'air
alors qu'on croit tout immobile
tout s'active
tout dérive
tout s'enroule et tout s'empile
tout et rien et tout ou rien
tout est rien
et ceux qui croient cracher plus loin
en réalité ne crachent rien

j'ai vu les monts opaques comme griffant le ciel
les mers comme d'air liquide en constant mouvement
j'ai vu les déserts onduler comme des vagues
les hommes habiter les sabliers comme des maisons
j'ai vu nombre de regards perdus
déchirés ou vendus ou acheteurs ou déchirants
tristes ou rêveurs ou ripailleurs ou extatiques
sincères ou fourbes ou tranquilles
je n'en ai vu qu'un qui m'avait retrouvé
et la foule l'a emporté

depuis j'attends que le retournement
du sablier me ramène ce regard
que je n'ai pu oublier malgré les ans
ces yeux couleur de sable et de hasard

Monday 2 July 2012

Battements de paupières



Battement de paupières
Ses pieds dans l'herbe.
Flou blanc et vert.
La pointe et le coup de pied
Comme éperonnant la terre.
Frôlant juste le sol
Comme un djinn aérien
Passant par-dessus moi.
Une ombre blanche
Et sereine, avance.

Battement de paupières
Ses mains fripées par l'eau
Essuient une tomate
Expertement
Sous le robinet.

Battement de paupières
Un rire perdu dans la nuit
Souvenir d'un rêve
Fait la veille
À table.
Secouée de rires
Dans son sommeil.

Battement de paupières
Ses doigts remettent en place
Une mèche rebelle
Geste brusque
Derrière le lobe de son oreille.
Ses deux sourcils
Dessinent un grand V
Irrité.

Battement de paupières
Chair de poule
Un matin d'été
Long cheveu blond
Sinuant entre ses omoplates.

Battement de paupières
Coup d'oeil dérobé
De sa robe de cocktail.
Droite comme un crayon.
Visiblement intéressée.

Battement de paupières
Coup d'oeil à la dérobée
Entre deux phrases
Et un battement de paupière
Plus sensible qu'un clin d'oeil
Destiné et connu de moi seul.

Monday 25 June 2012

Undómiel



La première étoile du soir brille devant moi et je ne peux suivre son cap,
Non pas que les nuages l'obscurcissent à ma vue;
La nuit est claire, l'horizon dégagé.
Les lames éperonnent le navire dont je suis le capitaine,
Mais il n'y a aucun vent; nos voiles semblent des suaires.
Mes instruments ne réagissent pas au contact de l'astre.
Elle jette ses lumières mordorés à la face du monde,
alors qu'au dehors, la nuit terrifie les plus courageux.
Comme si, pour une fois, elle aimerait
Que l'on suive un cap autre que le sien.
Elle ne sait pas qu'elle n'y en a pas d'autres.
Alors elle aveugle, désoriente, fait douter.
Tout le monde sur le pont susurre, de peur d'éveiller
Quelque malédiction enfouie dans les eaux noires.
Il y a comme un grand vide autour d'elle qui ne s'explique pas.
Elle reste suspendue, comme veillant ou attendant.
Il y a peu nous étions sereins. Je l'étais.
Je regardais les pages du livre de bord,
Rien n'annonçait ce désastre.
Elle est l'unique page blanche qui ne se peut écrire.
On lui a donné mille nom, cents offrandes,
On lui tout donné parce qu'on lui doit tout,
Mais elle ne reçoit rien, inatteignable.
Elle ne voudrait être que pour un et pas pour tous,
Pour celui qui guide nos jours.
Cent yeux tournés dans ma direction, alors que nous devrions,
Tous, avoir le visage rivé au ciel car cette nuit,
Comme toutes les autres d'ailleurs, il n'y a pas d'autre chemin
Que par son éclat.



"Parfois, la nuit,
le simple fait de regarder une étoile
me fait tourner la tête."

PS : Vieux poème daté de juin 2010 dont je ne retrouve aucune trace sur le blog...c'est donc que j'ai oublié de le poster.

thirty thousand people

The day was torn and grim birds yet began to sing as if they knew nothing’s eternal and old gives way to new that man, one day, will fall t...