« Wolfgang Amadeus Mozart?
_ Ya?
_ Ich bin französisch und mein Name ist Jacques Trusquin.
_ Ya?
_ Und...äh...
_ Was wünschen Sie? »
Ici, nous allons imaginer que l'entretien qui va suivre se déroule en allemand, avec un léger accent bavarois.
« Je sais que vous n'allez pas me croire, mais je viens du futur. Nous avons trouvé le moyen de nous déplacer entre les dimensions spatio-temporelles.
_ Oui.
_ Vous imaginez? Du futur!
_ C'est bon, je ne suis pas sourd. Vous venez pour quoi au juste, je suis un peu pressé. »
Jacques Trusquin a la mine déconfite. Une fois n'est pas coutume, les gens ne sont pas impressionnés par son entrée en matière. Il n'arrête pas de la changer depuis que Léonard lui a éclaté de rire au nez. Léonard quoi! Grosse déception. Bref. Il recommencera, une fois n'est pas coutume, avec le prochain. car Jacques Trusquin, en plus de ses grandes qualités de linguiste et de sa mémoire éidétique, est patient.
« Je suis envoyé du futur pour délivrer des messages importants à certaines personnes influentes dans notre monde. Je suis donc venu vous dire que pratiquement tous les chefs-d'œuvres que vous avez écrit ou allez écrire – on est en combien là, exactement?
_ Nous venons de fêter la nouvelle année 1791.
_ Ah...je...vous...bref. Euh...humhum. Profitez-en bien! Il vous reste une grande œuvre à faire, si ce n'est LA plus grande.
_ Je sais.
_ Ah bon. On va gagner du temps comme ça.
_ Vous dîtes que vous venez du futur, c'est ça?
_ Oui, c'est ça! Alors en fait -
_ Et je suis très connu? »
Purée! Tous les mêmes! Alors voilà: le gouvernement français prend le pari sur vingt ans – vingt ans – et investit des sommes pharaoniques dans le plus grand secret – des milliards d'euros – pour développer la théorie des supercordes et la mettre en application dans un puits gravitationnel multi-complexe, le tout bombardé avec force canon à électrons et antigravité, pour emprunter un trou de ver de Lorentz, et ce en faisant le plus grand pied de nez au deuxième principe de thermodynamique, et tout ce qu'on trouve à dire ou à savoir c'est « est-ce que je vais être connu? » [W.A. Mozart, 1791], « est-ce que je vais enfin mettre la main sur Spitaménès » [Alexandre le grand, -328] ou « est-ce que je vais gagner le prix Nobel de truc? » [H.A. Lorentz, 1901], « quand est-ce que je vais mourir? » [e.g. tant la liste est longue, George Washington, 1789] ou encore « est-ce que je vais enfin me marier? » [Richard Cœur de lion, 1190] et patati et patata. Ré-vol-tant. Bref. Pas de mal à lui concéder ça, tout du moins.
« Oui, pour être connu, vous allez l'être, beaucoup plus que maintenant.
_ Bonne chose, ça.
_ Donc vos œuvres seront dénaturées par la main de l'homme qui les utilisera pour des publicités pour des shampooings, des pâtes ou des voitures, et vous trouvez ça bien?
_ Hein?
_ Imaginez que vous voulez acheter un carrosse. Celui qui veut en faire la promotion, pour attirer des acheteurs, vous présente le modèle avec votre musique.
_ C'est bon, ça! Si le carrosse est beau...
_ Mouais. À vrai dire, je ne sais pas si je suis vraiment surpris par votre réaction.
_ En même temps, vous me disiez que vous aviez des messages importants à délivrer. Je ne trouve pas que cela justifie un voyage dans le temps. Vous vous attendiez à quoi? À ce que j'arrête de composer?
_ Bonne question. Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi je délivre ces messages-là. Je respecte le protocole en cas d'extrême urgence, voilà tout. En plus, ça me fait passer le temps sans changer la concaténation des événements.
_ Je vous demande pardon?
_ Le cours des choses, si vous préférez. La marche « naturelle » de l'Histoire. Disons que l'histoire suit un chemin, comme une rivière suit son lit. Vous détournez le lit mais l'histoire coule toujours. C'est simple en théorie. D'ailleurs, la théorie est toujours simple, juste avant de rencontrer la pratique. Disons que ça a capoté à partir du Premier Changement ordonné par la Mission pour le Rétablissement de la Paix et de la Démocratie pour les Peuples. Ma mission était d'empêcher l'assassinat de François Ferdinand, archiduc d'Autriche.
_ Et vous avez échoué?
_ Ben non, le problème est que j'ai réussi! D'après mes calculs et grâce à l'aide de Léonard de Vinci, j'ai pu conclure à l'éradication de mon présent – de votre futur, en gros. J'espère que nous nous sommes trompés.
_ C'est gênant.
_ Le pire, c'est que nous sommes plusieurs sur la ligne. J'ai rencontré un type, le gros malin, qui m'a enguirlandé comme du poisson pourri parce que j'allais fausser toutes les données du flux temporel.
_ Son nom?
_ Merlin. Il m'a même dit qu'il y avait beaucoup de monde ces temps-ci qui s'amusaient à aller et venir.
_ Mais comment cela est-il possible?
_ C'est très compliqué à expliquer et sans vouloir vous froisser, même Léonard n'y a rien compris. Je vous laisse imaginer la galère avec Galilée. Bref. Une histoire de thermodynamique et de MC². AH! Si seulement je pouvais communiquer avec la base! Pffffff. Tout ça pour se dire que le multivers n'existe pas. C'est vraiment pas de bol. On planche là-dessus pendant des plombes, on spécule, on schématise, on prophétise et qui se retrouve le bec dans l'eau entre les dimensions? C'est Bibi! Non mais ya de quoi devenir chèvre! Oh et puis vous, là, retournez sonner vos sonates au clair de lune. Ah non, merde, c'est Debussy ça.
_ On se calme, jeune homme. On se calme. Vous voulez une verveine? Ça va vous apaiser. Constanze! Une verveine pour le monsieur du futur! »
Quatre ans, selon ses calculs. Quatre ans à bourlinguer entre ici et là et là-bas et jadis et naguère. Comment garder son calme? Il ne trouvait pas de solution à son problème, et à chaque fois qu'il essayait de se mettre en quête de quelqu'un qui pourrait peut-être le sortir du pétrin, il devait repartir. Mozart le regardait, l'œil malicieux. Pas un mauvais bougre. La plupart du temps, les hommes ne ressemblaient pas à leurs représentations graphiques, ou même à l'image qu'on se faisait d'eux. Dans certains cas, si.
« Vous êtes bien aimable, monsieur Mozart. Vous savez, je suis sous pression. Je n'arrive pas rentrer, je ne sais même pas si je peux rentrer...il ne me reste qu'à attendre à chaque fois que cette stupide montre sonne pour m'annoncer mon départ vers une autre dimension, un autre espace-temps.
_ Et ça arrive souvent?
_ M'en parlez pas! Tous les deux jours environ, parfois plus. L'avantage, c'est que je sais quand j'irai la prochaine fois. Quand et où.
_ Et où cela se trouve-t-il?
_ La France! Je rentre au bercail, même si c'est en 1880. C'est pas comme si y'avait pas de monde à voir, hein? L'avant-dernier voyage, je me suis retrouvé en Mésopotamie en moins 4000 et des brouettes avant Jésus. Autant dire que c'était pas la fête au village. Le truc, c'est que tous les paradoxes temporels tombent comme des mouches et que je n'ai pas encore eu la chance de divulguer quoi que ce soit à mon gouvernement! La date la plus avancée à laquelle je suis retourné est 1982.
_ Et ça n'avait pas commencé?
_ Loin de là. Le projet MRPDP a vu le jour le 8 mai 2048. Mais même en 1982 je n'aurai rien pu dire, j'étais coincé en Ouzbékistan. Pas étonnant que j'en aie perdu mon flegme et mon français. Bon, ben je vous laisse. Je dois essayer d'aller voir Victor Hugo pour lui dire que la prison qui portait son nom a fermé avant que je parte.
_ J'hésite à vous dire bon voyage.
_ Ça ne mange pas de pain. Bon courage à vous, pour la dernière.
_ Vous n'auriez pas l'occasion par hasard de me donner un petit coup de main? Mmh? Sans forcer le destin, non, rien de tout cela. Juste les premières notes?
_ Tous les mêmes. Une fois que vous vous mettez à réfléchir, personne ne peut vous arrêter. Bon. Je vais pas faire grand mal. Ça ressemble à un truc du genre: « Taaaaa dadaaaaaaa, tadadadadaaadaaaaaaa »
_ En fait, oubliez. C'est mieux comme ça, non? Je ne prendrai aucun plaisir à ne pas trouver tout seul, n'est-ce pas?
_ Mouais. Bref. Vous imaginez sans peine que nous n'avons jamais eu cette conversation, je n'ai jamais existé. Le futur ne doit pas entendre parler de moiBIIIIIIP.
_ Vous n'êtes déjà plus là. Monsieur Trusquin? Monsieur Trusquin? »
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