Sunday 10 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes, #20


« Pourquoi vous m'avez laissée boire comme ça. J'ai mal à la tête!
_ Vous aviez l'air inarrêtable. Je n'ai donc pas essayé.
_ Je maudis votre cartésianisme.
_ Vous ne devez pas être en si mauvais état que ça: vous utilisez des mots de plus de quatre syllabes.
_ Ça m'arrive plus souvent que vous ne semblez le croire. Pas souvent à bon escient.
_ Je vois que vous avez trouvé où sont les peignoirs...Vous avez une sale tête.
_ Je vous retourne le compliment. Je suppose que j'ai dû être très volubile.
_ En effet, vous m'avez confié de nombreuses choses intéressantes. D'autres moins.
_ Comme?...Ne me faîtes pas languir, je n'aime pas ça...Allez!...Vous êtes infernal!
_ Laissez-moi me délecter de ce moment de toute puissance, c'est si rare dans la vie d'un handicapé!
_ Il vaut mieux entendre ça que d'être sourde. Ça vous dérange si je me fais un café?
_ Depuis quand vous me demandez la permission? Ça ne me dérangera pas si vous en faîtes pour moi aussi.
_ J'ai la gueule de bois, pas celle des mauvais jours. C'est juste que je ne suis pas, comment dire, « en service ».
_ Vous réagissez comme ça? Étrange. Alors je vous donne mon absolution tout de suite.
_ Pour quoi? En deux mots « pour » « quoi ».
_ Pour prendre une douche.
_ Et je suppose que vous trouvez ça drôle. Je réagis à deux à l'heure et vous vous moquez.
_ Juste un peu. Allez faire ce café, vous reviendrez plus vite dans le monde des mortels. » Elle traîne des pieds. Elle qui est si dynamique d'habitude. Il l'entend prendre le café dans le placard du bas et les tasses dans celui de droite, en haut.
« Non. Je suis une déesse. Rien ne peut m'atteindre, et surtout pas la bave d'un mortel comme vous. » Bon sang, mais c'est ça! C'est ça qui lui fait tant plaisir et qu'il déteste chez elle: c'est comme si elle vivait chez lui, mais n'habitait pas ici. Elle connait l'appartement comme sa poche, elle a ses marques dans chaque pièce, mais elle est encore une étrangère chez lui, parce que c'est ça qu'elle veut.
« J'y pense. Vous n'avez personne à prévenir? Personne qui s'inquiète de ne pas vous trouver au lit en ce jour superbe?
_ Un: belle technique, mais un rien pachydermique et Deux: ce n'est pas vos oignons.
_ Tant pis pour vous. Vous donnez donc votre vie en pâture à mon imagination. (Il l'entend étouffer un rire). Donc de deux choses l'une: soit vous avez un compagnon occasionnel dont vous préférez taire l'existence, soit vous n'en avez pas et vous avez peur de passer pour une beauf parce que vous êtes seule à plus de – quel âge vous avez, au fait? » Elle a le dos appuyé au montant de la porte de la cuisine. Elle essuie une tasse. Elle sourit.
« Je vous voyais aller droit dans le mur et je vous ai laissé faire. Vous êtes mignon, parfois. Je resterai coquette sur mon âge. J'apporte le café.
_ Ne partez pas. Mais – d'accord – (il se lève) vous ne pouvez pas « rester coquette » sur votre âge! Les dames font ça quand elles ont plus de cinquante ans.
_ Alors je ne fais pas mon âge.
_ Pour une fois, arrêtez d'esquiver. Répondez.
_ Je vais prendre une douche. Je vais ensuite faire à manger pour la semaine, comme ça je n'aurai pas à revenir demain. Pendant ce temps, vous me préparerez votre liste de courses. Vous me direz quelles chemises et quels pantalons vous voulez porter. Je repasserai le plus urgent tout à l'heure et je finirai le reste mardi. (Elle se dirige vers le couloir, puis se retourne.) Et une dernière chose: je n'esquive pas. Je suis coquette littéralement, nuance.
_ On ne peut pas dire que vous manquez d'aplomb. » Mais il parlait déjà à son dos.

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