Friday 8 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes, #17


Il ne faut jamais désespérer. Tout vient à point à qui sait attendre. Tant qu'il a y de la vie, il y a de l'espoir. Pourquoi ne pas attendre le déluge, tout simplement? Il ne sait plus quoi faire. Ne sait quoi lui dire pour qu'elle le remarque, qu'elle voit autre chose en lui qu'un homme avec un bras en moins, qu'un employeur qui loue sa gentillesse.

Elle marche, tranquillement. Elle flâne. Elle n'a aucun remords de lui avoir fait croire qu'elle avait du travail. Rien de tel qu'un bon repérage avant une séance shopping avec sa mère. Il est quand même particulier, ce bonhomme. Rien à voir avec les autres. La MDPH lui donne en général des cas particuliers au vu de sa formation, mais là...c'est le pompon.


Et dire qu'il est revenu plus tôt du bureau pour passer plus de temps avec elle, et elle part sans ménagement. Ce n'est pas comme s'il n'y était pour rien dans ce départ précipité. Une vraie tête à claques. Elle doit se protéger, ça doit être ça. D'autres hommes ont déjà dû lui demander de dîner avec elle. Elle a peut-être un compagnon. Et pourtant il ne veut pas d'elle. Il ne la désire pas. Il veut juste manger avec elle, passer un peu plus de temps, apprendre à la connaître. Menteur, lui susurre une petite voix.


« Oui, maman? Dis-moi, tu sais faire le risotto? Non, je suis en ville. Alors – quoi? À Esprit, mais il n'y a rien. Je garde Cop-Copine pour la fin. Ah bon? Pourquoi? Ça ne m'arrange pas. Mais pourquoi papa a quand même pris le rendez-vous? Il est embêtant, je ne suis pas disponible sur commande. Oui, je suis au courant, merci de me le rappeler. Bon, je vais m'arranger. »


Son moignon le démange, parfois, vivement. Comme la cicatrice autour de son biceps, avant, mais puissance mille. D'ailleurs, cette cicatrice, pourquoi y pensait-il encore, rêvait-il encore d'elle? Elle était gravée sur un membre écrabouillé qui depuis longtemps avait été incinéré avec l'ensemble des déchets organiques de ce sombre carnage autoroutier. Des cendres. Il avait demandé à voir ce qui restait de son bras au pompier qui avait fait le déplacement pour lui annoncer sa trouvaille. On lui avait dit qu'il n'y avait pas grand chose à voir. Pas de clin d'œil de connivence, c'était donc que la cicatrice ne lui avait pas sauté aux yeux. Le seul défaut de son plan, son unique faute, son unique honte était partie en fumée.


Elle n'a pas la tête entièrement à ce qu'elle fait. C'est un signe qui ne trompe pas: se retrouver à Cop-Copine et ne rien essayer. Sans aller jusqu'à acheter, elle n'a rien vu de probant. Diantre. Qu'est-ce qui peut bien la perturber ainsi? Pas le travail. Ça n'est jamais le travail. Pas ses parents. Même si son père l'excède parfois à faire son petit chef. Pas ses ami(e)s. D'ailleurs il faut qu'elle confirme sa venue à l'apéro ce soir chez Benji, le nouveau jules de sa meilleure amie Aurélie. Pas sa voiture, pas les impôts, pas ses règles. Pas ses comptes. Elle se dit que si ce n'est rien de tout ça, alors ce ne doit pas être vital. Elle verra plus tard. Ah oui, appeler Auré.


Appeler Michel. Lui dire de lui envoyer de quoi travailler ici. Se jeter à corps perdu dans le boulot.


« La pudeur n'a rien à voir avec ça. La plupart des gens que j'aide sont fiers. S'ils étaient pudiques, ils ne me montreraient pas leur moignons, leurs vergetures ou leurs escarres. Je ne les masserais pas. Ce qu'ils ne veulent pas, c'est que je les juge, d'une quelconque manière. Ils ne veulent pas être traités comme des handicapés, et beaucoup ne profitent pas de tout ce que le système a à leur proposer. Par fierté.
_ C'est débile. » Merci Benjamin, tu es en train de marquer beaucoup de points auprès d'Aurélie.
« Merci pour cette remarque très humaine et profondément inspirée.
_ Ils pourraient vivre mieux s'ils prenaient tout ce qu'on leur donne.
_ Je suis certaine que la plupart échangerait tout cet argent et ces avantages contre ce qu'ils ont perdu.
_ Ouais, OK, mais leur misère serait moins pénible avec de quoi acheter leur confort.
_ L'argent n'achète pas tout. Elle ne rachète pas la liberté de mouvement. De plus, ils n'auraient pas grand chose de plus, c'est juste des aides au quotidien, pas de quoi s'acheter une prothèse ou même un fauteuil roulant. Beaucoup le louent ou bénéficient d'un prêt.
_ OK, mais tu ne me feras pas croire que même si on pouvait techniquement les refaire marcher ou leur remettre leurs bras ou leur œil ou leur je sais pas quoi, eh ben ils seraient plus les mêmes. » Elle ne regarde pas sa meilleure amie, mais elle peut palper son embarras. D'ailleurs, celle-ci se lève.
« On ne pourrait pas parler d'autre chose? Qui veut du tarama? » Un bon point Benjamin; si nous avions eu plus de temps, j'aurai pu te faire dire que tu étais un con dénué de sentiment. C'est Auré qui doit être contente de te donner un peu d'air. Et de consistance.



Il va falloir émigrer vers le lit. Le vin fait son effet. Le bourguignon aussi. Heureusement que Cécile passe un peu de temps à lui préparer deux plats pour la semaine. Il n'en aurait pas mangé une fois de plus. Il doit arrêter de penser à elle.

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