Nagymaros, le 07.08.2010,
Ce qui devait arriver arriva à Nagymaros. Petite angina pectoris, sûrement récoltée entre Vienne et Prague, et patiemment amenée à maturation jusqu'ici. Heureusement, Àdàm, Rita et Klàrà – la mère d'Àdàm – s'occupent très bien de moi : kénier, voy és mís. Klàrà ne cesse de me dire que je suis « shelank » – maigre. Egeszegedre ! Pourtant, les bons plats préparés par l'ensemble de la famille, boblévès (soupe de haricots) par Àdàm, tísta avec du cottage cheese et des œufs par Rita et des polachinta (crêpes fourrées à la confiture de prunes) par Klàrà ; pourtant, la ballade post-prandiale avec Rita et Àrmin sur les bords ensoleillés du beau Danube bleu, avec les monts de Visegràd en arrière-plan ; pourtant, les discussions enflammées avec Àdàm et sa mère sur la culture, l'art, les soviets auraient dû me soigner. Mais rien n'y a fait. Mekhtoub.
J'estime beaucoup Klàrà d'ailleurs, car ne parlant que le hongrois et l'allemand, elle a pris le parti de me parler, longuement parfois, dans sa langue maternelle, mais aussi avec ses mains noueuses, ce qui fait qu'avec un peu d'aide de son fils ou de sa belle-fille, on arrive à se comprendre, à se parler. Köszönöm Klàrà.
Àrmin m'a surnommé Baci Dodo – Rodolphe étant un poil difficile à prononcer à à peine deux ans – ce qui veut dire textuellement « tonton canard » en hongrois, et je sais que ça en fera sourire au moins une.
J'aime beaucoup les discussions que nous avons ici, sous le patio, à l'ombre des monts de Nagymaros. Àdàm et moi partageons la même passion, mais pas le même médium. Je vous enjoins, une fois de plus, à aller voir les œuvres photographiques ou peintes de mon ami, elles valent le détour. Àdàm et moi avons vu différents endroits du monde, mais les mêmes envers aussi. Il a parcouru le continent sud-américain, est tombé amoureux du moyen-orient, a vécu avec des pêcheurs monténégrins dans leur village oublié, a connu des îles paradisiaques encore intouchées par la main de l'homme, a partagé le quotidien des yéménites à Sanaa, des iraniens, des cubains, des équatoriens et la liste est longue. Il a vu des mondes et il les photographie avec cet œil pointu, vif, et il peint d'autres mondes avec agilité et grâce, fluidité et harmonie. Cet homme, rencontré par hasard dans un café viennois à Budapest, prête attention au monde dans lequel il évolue, sans pour autant comprendre pourquoi il est devenu aussi stérile. Mais il continuera à lui prêter cette attention de tous les instants car il a soif de découverte, il a cette curiosité débordante qui fait lacer des chaussures sur un coup de tête, cet intérêt sincère qui le pousse vers les autres pour mieux les comprendre, les aimer, pour mieux les voir.
Chez Àdàm, à Budapest, quartier de l'Opéra, dans un grand appartement dans un ensemble du début du XXème siècle si ce n'est avant, j'ai eu cette même impression de grandeur que devant les bâtiments garnis de moulures en stucco, avec ces masques du théâtre grec antique, ces feuilles d'acanthe...vous verrez les photos, y'a rien à jeter! Retrouvailles autour d'une húslévès avec des Matzo balls, dans ce même petit restaurant juif en face du Moulin Rouge, avec le même plat, le même pianiste et son allure désinvolte et ses gras dégingandés, la même serveuse – sauf que la dernière fois que je m'y trouvais, c'était il y a trois ou quatre ans, avec Yeow Wei, sur les conseils d'Àdàm justement. Un vrai régal. Nous sommes repassés, avant-hier matin, en revenant du marché et nous apprêtant à partir pour Nagymaros, devant le café viennois où nous nous étions rencontrés. Il a bien changé à présent, étant plus café voire bar, que viennois. Plus à boire qu'à manger. Les temps changent, dirait Bob Dylan.
Nagymaros, le 08.08.2010,
En attendant que le dodo cuise lentement dans le four à bois – roast in peace, dead duck –, j'écris sous le patio, le brouillard nimbant progressivement les monts alentours, diffusant son crachin sur le coude du Danube. Une vraie halte dans ce marathon que je recommence demain, dès que possible, car la route pour la Croatie est longue, surtout sans GPS, ni même un guide pour la ville.
Hier, sur le chemin du retour de notre ballade, Rita, Àrmin et moi avons assisté à un mariage dans une vieille église. Tous les gens, le jour de leur mariage, sont stressés, d'où qu'ils soient dans le monde, semble-t-il. Stressés mais heureux, comme tous les invités qui ont fait la queue, bien en file indienne, pour féliciter les jeunes mariés et leur donner leurs vœux de bonheur, les uns après les autres. Il me semble que chez nous, cela se fait pendant le vin d'honneur, mais étant très loin d'être un spécialiste de la question, je me trompe sûrement. Toujours est-il que c'est une belle petite église.
Je repense soudainement à Bratislava. Mon opinion, et Àdàm la confirme, est que cette ville n'a pas trop su rebondir après l'épisode soviétique, toujours engoncée dans l'attente d'une dynamique immobilière, salariale, culturelle, venue d'en haut, que ce « en haut » soit européen ou poutinien. Peut-être en eût-il été autrement si la Slovaquie avait encore fait partie de l'empire austro-hongrois dont beaucoup ont encore la nostalgie. Qui sait?
Une amie de la famille, Maria, est venue se joindre à nous pour partager des gombóc, abricots fourrés à la prune enrobés dans une pâte de pommes de terre, crème fraîche, beurre et une chapelure de sucre de canne et de cannelle. Les puristes les mangent avec de la confiture de prune, les autres puristes avec un mélange de cannelle et du sucre de canne. Le canard, lui, à défaut d'être vivant, n'est toujours pas cuit. Nous ferons sans lui, mais comme nous sommes patients, il fera notre repas du soir. Repas au cours duquel on m'offrira un livre sur le vin par un sage hongrois et soufiste de surcroît.
La journée se passera tranquillement, à grands coups de sieste, de ballade et de glaçes au citron. La vie est dure.
J'ai la nette impression que je vais devoir pédaler deux fois plus pour éliminer tout ça! Néanmoins, je tiens à remercier toute la famille Balogh de m'avoir accueilli comme ils l'ont fait. Un grand köszönöm!
Je tiens à spécifier que je ne me suis pas mis au hongrois, car j'ai orthographié les trois quarts des mots que j'ai utilisés au jugé. Ne prenez surtout rien là-dedans pour argent comptant!
From Europe, with love.
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