Wednesday 24 July 2013

Miroir



 Je ne comprends pas ceux qui ne peuvent passer une heure sans se regarder dans un miroir, dans la devanture d'un magasin, dans l'écran de leur téléphone portable. Je n'ai pas ôté le miroir chez moi, et je ne fais aucune de ces choses-là. Peut-être parce que je ne sors plus faire les magasins, pas même du lèche-vitrine. Peut-être parce que je n'ai plus de téléphone portable. Peut-être parce que je me dégoûte.

Peut-être que je dégoûte tout le monde : ces filles sur les sites de rencontre, celles que je regarde dans la rue ou dans le bus, celles avec qui je tchatte. Mes collègues au travail. Le gens à côté de moi au cinéma ou dans une file d'attente. Mes amis quand on se retrouve au bar et qu'ils regardent mes ongles, mon cou, ma barbe. Peut-être parce que je n'arrête pas de me gratter, jusqu'au sang souvent. Pourtant j'ai l'impression d'être propre, de ne pas sentir mauvais. Mais on sait tous ce que c'est que les impressions. Et on finit par ne plus sentir sa propre odeur corporelle après un temps. Alors ça reste possible.

Je sais que je répugne le caissier au supermarché. Il me regarde toujours de haut, même en étant assis, ce que je trouve très fort, il pince ses lèvres et ne me décoche jamais plus de trois mots. Il ne me regarde jamais droit dans les yeux – alors que normalement c'est moi qui évite les regards – et me tend le ticket du bout des doigts.

Il m'arrive de dégoûter les gens au téléphone, je le sens. Après un temps ils deviennent distants, et ne répondent que du bout des lèvres. Il doit y avoir un truc de sale dans le son de ma voix.

Je sais que je n'ai pas eu cet entretien pour un nouveau job parce que la directrice a mis son veto avant même d'avoir ouvert mon dossier. Il paraît qu'à la seule vue de ma photo elle a dit non. Comme si la perspective de se retrouver en face de moi lui était insoutenable.

Je sais que je dégoûte ma sœur quand je lui raconte quand je suis sorti le week-end. Peut-être que je bois trop et que je fais trop n'importe quoi.

Peut-être que je vis seul depuis trop longtemps. Pas un jour ne passe sans que je ne me touche. Je me dégoûte, mais je ne peux pas m'arrêter. Je n'arrive à rien sur ces maudits sites de rencontre. Pourtant je présente bien sur la photo, et je remplis toujours soigneusement ma présentation. Avec le temps, je suis arrivé à rendre mon profil attractif, enfin je crois, et drôle. Mais personne ne clique « j'aime », et si peu de personnes viennent visiter mon profil que j'ai l'impression qu'elles sont arrivées là par accident, en cliquant au mauvais endroit. Ou peut-être qu'elles sont désespérées et que quelque chose à un moment donné leur fait penser qu'elles ne sont peut-être pas si désespérées que ça. De toute façon, même si je recevais un message, je ne pourrais pas le consulter et encore moins y répondre, vu que je n'ai pas de quoi payer les frais d'inscription. Et c'est peut-être pas un si grand mal que ça, après tout, ça m'évite de me payer la honte encore une fois, comme au tout début lorsqu'une fille qui m'avait donné rendez-vous – pourtant tout se passait bien quand on communiquait par mails – est arrivée à la terrasse du café et la tête qu'elle a fait quand je lui ai fait un signe de la main pour lui dire que c'était moi, parce qu'elle cherchait du regard...elle avait dit que je ne ressemblais pas du tout à ma photo de profil. Elle a consciencieusement évité mon regard les dix minutes où elle est restée, n'a pas touché à sa menthe à l'eau puis est partie sans demander son reste pendant que j'étais parti aux toilettes.

Je passe littéralement des heures à chercher les filles qui correspondent à mon profil ou dont la photo me plaît. J'affine mon moteur de recherche et parfois je trouve, parfois je ne trouve pas. Toujours est-il que je n'ose jamais leur envoyer de message ou faire quoi que ce soit, à chaque fois je suis pétrifié. Et parfois, c'est moi le dindon de la farce : la toute dernière fille à me contacter, et ça faisait pas loin de 6 mois sans rien à l'horizon, pas même une visite, était en fait un spam...je ne pensais pas qu'on pouvait encore blesser mon ego, mais il semble que si.

Peut-être qu'on m'a trop marché dessus. Peut-être qu'on m'a trop piétiné. Comme le vendeur de chez Orange qui m'a traité d'incapable et qui n'a pas voulu m'aider à débloquer mon téléphone portable. Comme ces filles qui disent que je fais semblant d'être timide pour les attendrir, alors que je suis juste idiot. Comme mes collègues qui ne savent pas ce que je fais parce que je ne fréquente pas la machine à café, et qui disent du mal de moi à mots à peine couverts. Il y en a même qui ont coupé les fils de mon ordinateur, une fois, et d'autres qui avaient recouvert mon bureau avec des post-it sur lesquels ils avaient dessiné des sexes de femme. Comme ceux qui trouvent que je prends trop de place au cinéma parce que je suis un peu enrobé ou dans la file d'attente parce que je suis un peu grand et un peu pataud. Et comme je suis gros, je transpire vite, et beaucoup. Comme la dame chez le photographe qui me demandait si je pouvais faire dé-loucher mon œil gauche. Comme ce médecin qui me disait qu'elle espérait vraiment pour moi que la crème qu'elle venait de me prescrire atténuerait les irritations de mon zona. Elle était gentille avec moi, mais sa remarque m'a fait mal. Peut-être que oui, on m'a trop ridiculisé. Peut-être que c'est pour ça que je bois comme un trou certains week-ends, et que je pense à me foutre en l'air quand je me regarde dans le miroir.

Peut-être parce que je suis de trop.

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