Je ne
comprends pas ceux qui ne peuvent passer une heure sans se regarder
dans un miroir, dans la devanture d'un magasin, dans l'écran de leur
téléphone portable. Je n'ai pas ôté le miroir chez moi, et je ne
fais aucune de ces choses-là. Peut-être parce que je ne sors plus
faire les magasins, pas même du lèche-vitrine. Peut-être parce que
je n'ai plus de téléphone portable. Peut-être parce que je me
dégoûte.
Peut-être
que je dégoûte tout le monde : ces filles sur les sites de
rencontre, celles que je regarde dans la rue ou dans le bus, celles
avec qui je tchatte. Mes collègues au travail. Le gens à côté de
moi au cinéma ou dans une file d'attente. Mes amis quand on se
retrouve au bar et qu'ils regardent mes ongles, mon cou, ma barbe.
Peut-être parce que je n'arrête pas de me gratter, jusqu'au sang
souvent. Pourtant j'ai l'impression d'être propre, de ne pas sentir
mauvais. Mais on sait tous ce que c'est que les impressions. Et on
finit par ne plus sentir sa propre odeur corporelle après un temps.
Alors ça reste possible.
Je sais que
je répugne le caissier au supermarché. Il me regarde toujours de
haut, même en étant assis, ce que je trouve très fort, il pince
ses lèvres et ne me décoche jamais plus de trois mots. Il ne me
regarde jamais droit dans les yeux – alors que normalement c'est
moi qui évite les regards – et me tend le ticket du bout
des doigts.
Il m'arrive
de dégoûter les gens au téléphone, je le sens. Après un temps
ils deviennent distants, et ne répondent que du bout des lèvres. Il
doit y avoir un truc de sale dans le son de ma voix.
Je sais que
je n'ai pas eu cet entretien pour un nouveau job parce que la
directrice a mis son veto avant même d'avoir ouvert mon dossier. Il
paraît qu'à la seule vue de ma photo elle a dit non. Comme si la
perspective de se retrouver en face de moi lui était insoutenable.
Je sais que
je dégoûte ma sœur quand je lui raconte quand je suis sorti le
week-end. Peut-être que je bois trop et que je fais trop n'importe
quoi.
Peut-être
que je vis seul depuis trop longtemps. Pas un jour ne passe sans que
je ne me touche. Je me dégoûte, mais je ne peux pas m'arrêter. Je
n'arrive à rien sur ces maudits sites de rencontre. Pourtant je
présente bien sur la photo, et je remplis toujours soigneusement ma
présentation. Avec le temps, je suis arrivé à rendre mon profil
attractif, enfin je crois, et drôle. Mais personne ne clique
« j'aime », et si peu de personnes viennent visiter mon
profil que j'ai l'impression qu'elles sont arrivées là par
accident, en cliquant au mauvais endroit. Ou peut-être qu'elles sont
désespérées et que quelque chose à un moment donné leur fait
penser qu'elles ne sont peut-être pas si désespérées que ça. De
toute façon, même si je recevais un message, je ne pourrais pas le
consulter et encore moins y répondre, vu que je n'ai pas de quoi
payer les frais d'inscription. Et c'est peut-être pas un si grand
mal que ça, après tout, ça m'évite de me payer la honte encore
une fois, comme au tout début lorsqu'une fille qui m'avait donné
rendez-vous – pourtant tout se passait bien quand on communiquait
par mails – est arrivée à la terrasse du café et la tête
qu'elle a fait quand je lui ai fait un signe de la main pour lui dire
que c'était moi, parce qu'elle cherchait du regard...elle avait dit
que je ne ressemblais pas du tout à ma photo de profil. Elle a
consciencieusement évité mon regard les dix minutes où elle est
restée, n'a pas touché à sa menthe à l'eau puis est partie sans
demander son reste pendant que j'étais parti aux toilettes.
Je passe
littéralement des heures à chercher les filles qui correspondent à
mon profil ou dont la photo me plaît. J'affine mon moteur de
recherche et parfois je trouve, parfois je ne trouve pas. Toujours
est-il que je n'ose jamais leur envoyer de message ou faire quoi que
ce soit, à chaque fois je suis pétrifié. Et parfois, c'est moi le
dindon de la farce : la toute dernière fille à me contacter,
et ça faisait pas loin de 6 mois sans rien à l'horizon, pas même
une visite, était en fait un spam...je ne pensais pas qu'on pouvait
encore blesser mon ego, mais il semble que si.
Peut-être
qu'on m'a trop marché dessus. Peut-être qu'on m'a trop piétiné.
Comme le vendeur de chez Orange qui m'a traité d'incapable et qui
n'a pas voulu m'aider à débloquer mon téléphone portable. Comme
ces filles qui disent que je fais semblant d'être timide pour les
attendrir, alors que je suis juste idiot. Comme mes collègues qui ne
savent pas ce que je fais parce que je ne fréquente pas la machine à
café, et qui disent du mal de moi à mots à peine couverts. Il y en
a même qui ont coupé les fils de mon ordinateur, une fois, et
d'autres qui avaient recouvert mon bureau avec des post-it sur
lesquels ils avaient dessiné des sexes de femme. Comme ceux qui
trouvent que je prends trop de place au cinéma parce que je suis un
peu enrobé ou dans la file d'attente parce que je suis un peu grand
et un peu pataud. Et comme je suis gros, je transpire vite, et
beaucoup. Comme la dame chez le photographe qui me demandait si je
pouvais faire dé-loucher mon œil gauche. Comme ce médecin qui me
disait qu'elle espérait vraiment pour moi que la crème qu'elle
venait de me prescrire atténuerait les irritations de mon zona. Elle
était gentille avec moi, mais sa remarque m'a fait mal. Peut-être
que oui, on m'a trop ridiculisé. Peut-être que c'est pour ça que
je bois comme un trou certains week-ends, et que je pense à me foutre
en l'air quand je me regarde dans le miroir.
Peut-être
parce que je suis de trop.
No comments:
Post a Comment
Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question