Saturday 20 July 2013

Dans la nuit



nous ne sommes qu'un tas de pierres brisées
on nous fait avancer dans la nuit, pieds et poings liés,
les étoiles comme une cascade de tessons de verre
et les orbites noires des fusils nous fixent
avides du moindre faux-pas, gueules de fer,
éclatants tonnerres dans la sorgue d'onyx

le mal s'élance des reins jusque dans nos jambes
et beaucoup ont courbé l'échine si bas qu'ils trébuchent
aucun ne doit tomber car on nous abat comme des bûches
et on nous laisse traîner à même le chemin, sans tombe
ni dernier regard ni même un mot sur un morceau de roche
pour indiquer qui fut fauché-là sans même un son de cloche

alors on avance dans des bruits de chaînes
qu'on finit par ne plus entendre
et l'empyrée à notre passage déchaîne
comme un volcan son nuage de cendres
des millions de braises incandescentes

alors on poursuit notre marche harassante
les yeux rivés sur les pierres de la sente
ou sur la ligne d'horizon cyanescente

on n'a que faire de la beauté en pareil cas
le destin nous paraît pour le moins indélicat
de nous donner à voir spectacle si beau
alors que nos chemises en lambeaux
laissent engouffrer une brise pénible
qui nous fait frissonner tout entier
alors que le soudard irascible
beugle comme un charretier
jure devant dieu qu'il va tous nous tuer
si nous n'accélérons pas le pas

et dans l'aurore à peine née
la foudre sur mon voisin s'abat
le reître vient de tuer mon compagnon
mon maître que je rattrape par ses haillons

mais je n'ai pas la force de lutter contre le mercenaire
qui me fait lâcher prise et qui d'un coup de crosse
me remet dans la ligne qui jamais ne revient en arrière

le jour se lève et éteint doucement le cosmos
les limbes de cette nuit longue et belle et atroce
s'accrochent à nos poings et nos pieds de pierre
cette nuit à jamais constellée de tessons d'univers

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