Jour 18, Berlin.
On ne se ressemblait plus. Elle ne faisait plus l'amour et ne savait pas pourquoi, ne se posait même plus la question. Quelque chose clochait et elle faisait l'autruche. Il fallait se rendre à l'évidence crue, à l'inévitable fin directement sans passer par ces déchirements banals de couple banal. Au final, cette tumeur aura eu raison de nous, pour le meilleur sans aucun doute.
Le salaud! Il n'a rien compris. Plus elle lit et moins elle a envie de continuer. Elle lui en veut de rabaisser les moments qu'ils ont passé ensemble. Lui-même avait dit qu'ils en avaient bien profité. Pourquoi renier? Il était peut-être vrai qu'ils faisaient moins l'amour à l'époque, mais après les premiers mois où chacun découvrit l'autre, la routine s'installa; et puis il y avait le travail, la maison à rénover. Il n'était pas juste. Comme si, par dessus le marché, il lui mettait ça sur son dos à elle.
Jour 40, Budapest.
Un jour, quelqu'un demandera pourquoi je suis parti, pourquoi j'ai abandonné mes amis, ce qui restait de ma famille. Peut-être est-ce déjà fait, je me fous de savoir qui. Je n'aurai qu'une chose à lui répondre: une citation qui dès sa lecture m'a fichu la chair de poule, chaque mot résonnant et s'inscrivant du même coup dans mon cortex cérébral qui, même en décomposition rapide, ne pourra plus se souvenir en dernier lieu que de ceci:
« I will not serve that in which I no longer believe, whether it call itself my home, my fatherland, or my church: and I will try and express myself in some mode of life or art as freely as I can and as wholly as I can, using for my defence the only arms I allow myself to use – silence, exile, and cunning. [...] You made me confess the fears that I have. But I will tell you also what I do not fear. I do not fear to be alone or to be spurned for another or to leave whatever I have to leave. And I'm not afraid to make a mistake, even a great mistake, a lifelong mistake, and perhaps as long as eternity too. » Jusqu'à mon dernier souffle j'espère ne me souvenir que de ces mots, afin de voir ma vérité en face.
L'a-t-il vu, sa vérité?
Elle a toujours cette odeur abjecte dans les narines. Le feu crépite. Hafez et Azdim ont fini d'installer la tente. Les nuits sont froides, paraît-il. Ils dormiront dans la même tente, elle est d'accord. Non, elle n'a pas peur, ni de lui ni d'Azdim. Elle les remercie de leur patience, de leur gentillesse, de leur générosité. Elle ajoute qu'elle a laissé l'argent à Arzu, pour plus de sécurité. Ils hochent de la tête, sourient. Chacun se comprend dans sa propre appréciation de l'anglais. Ce n'est pas sa tasse de thé non plus, elle parle le portugais couramment. Elle est plutôt Amérique latine: Brésil, Pérou...D'ailleurs elle aurait dû partir, accepter le boulot qu'on lui proposait là-bas, mais elle avait cru qu'il reviendrait, qu'ils reprendraient tout à zéro, et elle avait laissé passer sa chance.
Sa mort achève quelque chose. Une sensation étrange dans son bas-ventre, le frémissement de quelque chose en train de mourir de la plus lente et de la plus disgracieuse des morts.
Cette nuit-là, elle se rapprochera de Hafez, comme pour se rassurer de son existence, de la matérialité de son corps. Elle aura tout le temps de s'abandonner à ses larmes plus tard.
No comments:
Post a Comment
Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question