Monday 2 November 2009

Chroniques d'un égoïste ordinaire #9


Dans l'avion.
« Pas plus d'entrain que ça, » se dit-elle. Elle rentre pourtant. Au bercail, voir sa famille. Elle se sent nostalgique, mais de quoi. De quoi, bon sang. Elle n'était plus amoureuse de lui, il ne lui avait fallu qu'une nuit pour s'en rendre compte. Il lui restait un profond, un sincère attachement – dévouement, lui susurra une petite voix – mais elle en avait bavé. Et lui aussi, selon toute vraisemblance.


Jour 256, Saint Pétersbourg.
Je me souviens, comme si c'était hier, du verdict. Choc brutal du diagnostique. Un nom abominable suivi de tout un chapelet de mots tout aussi ignobles. Je savais que les maux de tête et les troubles de la mémoire n'auguraient rien de bon, mais pas ça. On entend les mots Glioblastome multiforme mais on ne comprend pas tout. On demande de parler français. Le mot tumeur tombe comme une lame de guillotine puis on entend en sourdine et en écho en même temps: tumeurs gliales anaplasiques...pronostic vitale...entre deux et quatre ans. J'ai entendu que dans mon malheur j'avais de la chance et que la tumeur se situait dans le lobe occipital. Je n'aurai pas, du moins dans l'immédiat, la dégénérescence neurologique et la dégradation de la personnalité qui accompagnent généralement les autres symptômes. Je lui signale que je n'aurai pas la chance d'avoir dégoté une tumeur asymptomatique. Il fait la moue. Et elle qui pleure, alors que ça m'arrive à moi. Le pire dont je puisse souffrir pour le moment, avant que la tumeur ne grossisse, sont des hallucinations visuelles. Il ne peut expliquer pourquoi je ne fais pas de crises d'épilepsie, mais me dit quoi faire en cas d'hémiparésie. Il délivre tout un paquet de médicaments, pour certains j'en ai encore sur moi, au cas où. Je renouvelle au fur et à mesure, quand je le peux, dans les grande villes, auprès de médecins complaisants.

Jour 365, Vladivostok.
Si j'ai bien comptabilisé le nombre des jours, voilà un an que je suis parti. Une année de voyage. D'errance ou de fuite doivent se dire certains, si tant est qu'ils pensent encore à moi. Mon acte, qualifié d'égoïste à n'en pas douter, était un choix de solitude, de privations. Bien fait, diront ces mêmes personnes. Je savais en partant que cela faisait partie de la donne, que rien ne serait simple. Mes capacités physiques diminuent, je le sens. Il y a des hauts, des bas. Je m'en fous. Peu de gens sur cette terre peuvent se targuer d'avoir vu ce que j'ai vu. Budapest sous un matin de neige; Prague en tenue de soirée; l'écho des vagues me berçant à Bari et bien d'autres choses encore. J'ai traversé des montagnes, des mers, des marécages, des steppes, des déserts arides, des vallées verdoyantes. Et il y en aura d'autres encore, si Dieu le veut.


Jour 469, Kyōto, route du Tōkaidō
Le docteur à Ōsaka a bien essayé de me faire comprendre que mon voyage, ma fuite si j'ai bien compris, n'était que pure folie. Il a essayé de m'en dissuader, mais sa culture l'a rattrapé et il m'a laissé partir. Brave homme. Me voilà dans l'ancienne capitale. Un rêve. Des années que j'attendais cela. La route mythique. Le vieux monde. Ce peuple qui à bien des égards intrigue, fait peur, révulse, alors qu'il est méconnu mais admirable. Le Hanami est un événement unique. Tout le monde sourit. On vient me serrer la main, me demander ce que je fais ici. La même chose qu'eux, je leur réponds, et ils sourient. Ils me convient à partager leur repas et leurs enfants me regardent avec attention. Le plus petit, pas encore tout à fait stable sur ses deux pieds, vient à moi, touche mes cheveux, mes paupières, s'amuse de mes grands yeux. Je resterai, pour cette famille, un voyageur devant l'éternel, et pas un homme condamné cherchant à fuir. Ils savent que je trouve ce que je cherche, et ils n'ont pas eu besoin de beaucoup de mots pour le comprendre.


Jour ? (596?)
Perdu quelque part en Chine. Perdu au nombre des jours. Désert du Taklamakan. Jamais vu un endroit pareil. Encore un cran à ma ceinture, je perd du poids à vue d'œil, il va falloir que je me remplume. Pas ici: rien. Pas même un animal, un insecte ou un charognard. Le vide total. Cri étouffé par la chaleur, par l'immensité. Pas d'ombre. Je marche. Aucun repère si ce n'est celui que la boussole veut bien me faire espérer. Pas de trace de passage, de civilisation, même nomade, même primitive. Je résisterai. Quoi qu'il m'en coûte.

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