Monday, 2 November 2009

Chroniques d'un égoïste ordinaire #8

Tripoli.
Arrivée à l'hôtel. Hafez est parti avec la récompense promise. Il retourne dans le désert parmi les siens. Elle dans sa patrie. C'est mieux ainsi. Elle s'allonge sur le grand lit. La douche, elle en avait rêvé. Elle avait accueilli l'eau sur son corps comme une bénédiction. Le livre est posé sur son sac. De là où il est elle ne peut voir qu'une partie de la couverture au cuir écorché, vieilli, et le message de secours écrit en arabe. Elle avait corné les pages « intéressantes », celles où il décrivait sa nouvelle passion. Elle avait eu raison de lâcher prise, de stopper ses recherches après le coup de Londres.


Jour 90, Tirana.
Je me rends à Londres. Le temps presse. Je dois voir Pauline, finir ce qui a été commencé il y des années. La seule qui m'ait jamais compris.


Jour 95, Tirana.
De retour dans la capitale albanaise, accompagné de Pauline. Nous parlons à bâtons rompus. Huit années d'incompréhension balayées en quelques mots. Je voulais me détruire, m'empêcher d'être heureux. Je ne voulais pas qu'on me comprenne, qu'on me dise que j'avais tort. Que j'avais besoin d'aide, que je vivais un enfer sans nom, chez mes parents. Voilà pourquoi je l'ai quittée. Elle a compris. À présent elle est ici. J'écris des poèmes, elle les lit, les aime. Nous marchons ensemble. Elle me soigne, m'aide lorsque j'en ai besoin. Elle sait que ceci n'est que temporaire, que je voudrais, à un moment donné et indéterminé, vouloir reprendre ma solitude. Je pense qu'elle profite des instants qu'elle n'a pu avoir auparavant. Bien narcissique comme idée. Ou alors elle prend ce que la vie lui donne, en profite tout autant que de moi, que moi. Nous nous ressemblons. Peut-être va-t-elle se lasser.


Jour 137, Samothrace.
La pluie creuse les dunes de ses épaules. Je n'ai rien vu de plus beau. Son ventre à même le rivage, ses seins lourds frôlent le sable fin, la cambrure de ses reins épouse les formes des îles au loin. Nous sommes seuls sur cette plage. Fait assez rare pour être souligné, il pleut en Grèce. Mais je suis avec Pauline et en fin de journée l'Eosphoros solaire reviendra sécher cette nature grandiose. Ma victoire de Samothrace. Je suis heureux. Pendant quelques instants, oui, j'ai cru ne pas devoir mourir, j'ai cru mériter ce moment de plénitude. Mais rien n'est dû, tout a un prix.


Jour 159
Pauline est partie, dans la nuit. Elle m'a confié ne pas aimer les adieux, les hôpitaux, les malades. Comme je la comprends. Elle a décidé qu'il était mieux pour elle de me quitter, de conserver un souvenir de moi qui ne soit pas désagréable, ou pire. Elle ne veut garder que le meilleur. Je reprends donc mon errance, seul, face au monde qui reste à parcourir.


Il n'avait eu que ce qu'il méritait. Confronté à une autre égoïste, il s'était vu retirer l'objet de son bonheur. Le problème est qu'il prenait tout, comme à son habitude, avec philosophie. Peut-être était-ce là sa façon de se protéger, de tout rationaliser, pour ne pas avoir à en souffrir. Elle est vannée, éreintée. Sur les rotules. Tout ça pour un mort. Son vol est dans deux jours, elle visitera la ville, pour se vider l'esprit.

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