Wednesday 4 November 2009

Chroniques d'un égoïste ordinaire #11 (last episode)


Blois.
La voilà arrivée à sa destination finale. Sa sœur l'attend sur le perron. Cette sœur qu'il a lamentablement abandonnée, ainsi que ses neveux et nièces. Ils accourent vers elle, l'embrassent. Ils apprendront à être heureux sans leur oncle. Il est mort. C'est comme ça. Il aura, au final, satisfait sa dernière volonté à elle même si, après tous ces mois sans nouvelles, cette ultime intention n'avait plus la même signification, le même impact. Amener sa dépouille jusqu'ici, la terre de ses ancêtres, était celle de sa sœur.
Le corps enveloppé dans son linceul blanc, d'abord traîné sur les dunes, laissait un passage sinueux et macabre. Elle avait demandé à le faire mettre sur un chameau, quitte à marcher à côté de l'animal. Hafez avait partagé sa place, apparemment nullement incommodé par la pestilence. Elle avait dû attendre deux jours de plus pendant qu'Arzu, une amie à lui qu'il avait connue avant la fac, mettait les papiers en ordre. Puis elle avaient décollé, voyagé, atterri, le corps dans la soute. Un corbillard réfrigéré les attendaient sur le tarmac. Il avait déposé la dépouille au funérarium, quatorze jours après sa découverte.
Elle fait un compte-rendu à la sœur, pauvre âme errante. Il était peut-être mort un, deux jours plus tôt. Le sable n'avait pas eu le temps de le recouvrir. Elle raconte le livre, le lui montre. La sœur le prend dans ses mains tremblantes. Ses larmes tombent sur la table de la cuisine, silencieusement. Elle le feuillette, s'arrête vers la fin, lit, fronce les sourcils, un rictus amer se dessine progressivement sur son visage, puis elle jette l'ouvrage contre le mur, se tient la tête entre les mains.
Elle-même ne comprend pas. Elle a vérifié. Il n'y a plus rien à lire.
Elle ramasse le cuir racorni, à présent abîmé sur toute la tranche. Trouve la page, l'avant-dernière.


Jour 720, Désert blanc.
Matin
J'ai changé d'avis. Laisse-moi où je suis. Que je reste là où le sort a voulu m'appeler. Que la nature prenne de moi ce dont elle a besoin. Je n'ai trouvé aucun endroit dans le monde où je me sente à l'aise que le monde lui-même. Le désert, la jungle, l'océan, les montagnes. J'ai vu ce que je voulais voir. Les photos resteront dans ma tête, pour une fois. Les odeurs, les sons, les images, les sensations, les pleurs, la douleur. Tout ça pour moi, et rien que pour moi. Je ne l'ai pas fait pour rien. Plus de gens pour m'ennuyer, se mêler à moi, plus de société pour me conditionner, plus personne pour me dire que penser, que faire, que vouloir. Pour me juger. Je n'ai pas eu plus de patrie que tel rocher ou tel arbre ou tel nuage. Je n'ai peut-être pas eu le droit d'en avoir. Je m'en fous maintenant. Ça n'a pas plus d'importance que de savoir si demain il pleuvra ou pas. Il a plu bien des fois, tout au long de ces quelques sept cent jours qui ont passé comme des milliers, bien des fois il a neigé, venté, tempêté même. Et à chaque fois ce même plaisir de retrouver le soleil, cet infatigable compagnon de route. D'avoir à affronter les éléments qui, eux, ne font pas de plus infime cadeau que celui de la vie. Aucune voie pour me guider que celle de mes pas. Aucune limite que celle de mon corps. Limites qui se font plus pressantes. Plus présentes, plus proches. Je pense avoir les ressources physiques pour aller plus loin; oui, je pense pouvoir retraverser ce désert déjà conquis une fois. Il est néanmoins possible que l'on me retrouve au mitan du désert. Peut-être ne retrouvera-t-on rien d'autre que ce journal. Peut-être ne retrouvera-t-on jamais rien de moi, car je serais là où même les bédouins ne vont de peur de s'y perdre, le sable comme linceul, et l'abandon pour seule issue. Que Dieu et les hommes me laissent en paix, livré à la bonne ou mauvaise volonté de personne d'autre qu'à la mienne. Je suis libre désormais.


Elle hocha la tête, referma le livre. Elle soupira, en elle-même, pour elle-même. Oui, il était libre.

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