Désert Libyque.
Elle lit, ballottée par la démarche chaloupée du chameau. Elle a tout d'abord, comme à son habitude, feuilleté l'ouvrage. Bribes éparses sans possibilité de donner un sens à toute cette mascarade. Si elle veut savoir, elle doit tout lire, depuis le début. Elle en aura le temps. Hafez a prévu deux jours de voyage à dos de chameau, ensuite une journée en jeep jusqu'à cette ville poussiéreuse dont elle se fiche du nom. Puis un taxi. L'hôtel où elle pourra enfin se laver, la télévision, la civilisation.
Il fait diablement chaud ici. Il y a des paysages magnifiques, des vues sur le désert, sur des sculptures de calcaire à couper le souffle. Elle se dit que cela pourrait être une prochaine destination de voyage...mais non, ce pays est désormais souillé par son empreinte. Il a toujours laissé des marques indélébiles, chez les gens ou dans les lieux. Toujours on se souvient de lui, plus souvent en bien qu'en mal, certes. Mais là...ça sent la putréfaction. Elle n'a jamais vu ou même senti de cadavre avant cela. Oui, il laisse encore des marques, dans tous les esprits; il n'épargne personne, pas même lui. Contrée corrompue par la présence d'un homme qu'elle ne sait ni aimer ni haïr, voilà ce qu'est devenue la Libye à ses yeux. Comment revenir sans voir autant de beautés annihilées du coup par cette odeur âcre et tenace, ou même le souvenir de cette odeur, par ce cadavre en rémanence sur sa rétine?
Jour 1, sur la route.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas fait d'auto-stop. On rencontre tout un tas de gens sympathiques, ou pas. Plus important, on fait beaucoup de chemin. Me voilà à Strasbourg. Il est vingt heures, j'ai planté la tente, je n'ai pas faim. J'observe les gens qui commencent à déplier leur auvent, à se faire des voisins, à s'inviter à l'apéro. This is life. This is what being human is all about. « We only exist insofar as we hang together. » Conrad avait raison. Et je reste persuadé que ce n'est pas incompatible avec ma façon de voir les choses.
Jour 2, encore sur la route.
J'avance moins vite, même si j'ai pris les grands axes. Moins de gens veulent d'un auto-stoppeur en route vers le bout du monde. Les gens n'ont plus d'humour. Encore en France, à attendre sur le bord de la route. Du temps, je ne sais pas combien j'en ai. Je vais continuer à pied. L'homme est né marcheur, alors il marche, se doit de marcher.
C'est tout lui, ça. On ne comprend jamais où il veut en venir avec tous ces mots, toutes ces idées obsolètes d'auteurs morts depuis des lustres. Comme si les gens avaient les mêmes références que lui, pensaient comme lui. Comme s'il était inutile d'expliquer aux gens, qu'ils devaient comprendre par eux-mêmes. Voilà ce qu'on lui reprochait toujours en tant qu'écrivain, souvent en tant que personne; à toujours prendre les gens de haut, même sans le vouloir. Il était né sans tact, voilà tout.
Hafez la regarde à la dérobée, avec insistance. Ce n'est pas pour lui déplaire, mais pas là, pas ici, pas avec la tache blanche dans son esprit.
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