Wednesday, 4 November 2009

Chroniques d'un égoïste ordinaire #10


Paris.
A partir de la dernière entrée elle a remarqué une nette dégradation au niveau de la précision des dates, de la qualité de son écriture manuscrite. Il avait visiblement souffert. Quelque chose avait changé.


matin
pluies torrentielles. j'ai été recueilli par un vieil homme, dans la montagne. Je ne comprends pas ce qu'il me dit. Voilà à quoi m'a mené mon insatiable hubris: apprendre une dizaine de langues et je suis incapable de communiquer. mal de tête, bourdonnements, fourmis. nausée.


il Ne peuT pas ne paS Avoir raison. IL ME DIT qu'il n'y pas rais on poru que ça aille pas, mais moi je saiS


nuit
Restent trois comprimés. Pas lourd. Ne sais pas trop où je suis. Vieil homme sympathique, sa voix est douce et râpeuse. Nuit calme. Il me montre des étoiles, m'explique, assis sur ses talons, vêtus de haillons. Son visage est ridé, surtout lorsqu'il sourit. Ses yeux brillent comme la mer sous les feux de la lune. Je deviendrai libre ou je mourrai en tentant de le devenir.


Nuit
le vieil homme m'a donné une pipe en bois, je crois, pour m'accompagner. M'a pratiquement arraché des larmes. Il a salué longtemps, la main en l'air, alors que je redescendais sa montagne. Je vais mieux, ou plutôt: mon corps va mieux.


Matin
retrouvé une vieille amie, presque par hasard. Dans une agence de voyage. Nous avons dîné ensemble, avec son mari et ses trois enfants, chez elle. Arzu me traite de fou, mais elle a bien voulu traduire le message en arabe classique. Je l'ai agrafé sur la première de couverture. Précaution qui trouvera son utilité? Devenu homme de peu de mots, ironie trouvée dans une simple phrase que je peine à comprendre, moi qui, il y a peu pour quiconque et une éternité pour moi, trouvait mon bonheur dans l'utilisation effrénée de verbes. J'ai appris à partager, même si je possède peu. Le peu d'objets qui ont compté pour moi, je les ai offerts, de bon cœur, à ceux qui leur trouveront une utilité, quelle qu'elle soit. J'ai appris à aimer, aux dépens de certaines personnes. J'ai appris à me connaître, au crépuscule de ma vie. Il n'est jamais trop tard. J'ai surtout appris qu'il vaut mieux mourir dans la tentative de liberté que de vivre dans l'acceptation du carcan.


Après cela il n'y a que des pages blanches. Dans ce livre toute l'histoire de sa déchéance, de sa lente descente aux enfers. L'explication de son geste, la justification de son égoïsme sans pitié. Cette tumeur qui l'a terrassé au beau milieu du désert lui a permis de comprendre que son attitude n'était pas viable. Il savait que Conrad avait raison, mais ne voulait pas l'admettre, pour une raison ou pour une autre, qu'il a emporté avec lui, qu'il ignorait encore peut-être.

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