Monday, 13 May 2013

Les Nocturnes



Le jour passe avec une lenteur d'été. Les heures s'allongent. Les secondes s'éternisent à tel point que mon cœur pourrait battre deux fois entre chacune d'elle si seulement il ne s'était lui aussi mis à battre comme une cloche d'église. Et à chaque instant cette impression de glisser tout doucement dans un semblant de mort, de sentir mon pouls défaillir ou tomber dans l'incertitude. Battre ou ne pas battre. Il y a des fois où je le lui interdis, mais il persiste. Comme s'il savait mieux que moi. Comme s'il savait qu'on ne meurt pas d'être amoureux, mais uniquement de jalousie.

Toujours est-il que je me consume dans l'attente d'un amour qui ne vient pas, qui ne peut venir et qui ne viendra pas. Et quand je pense à elle, je sens les nuées de papillons dans mon bas-ventre qui s'éveillent, comme s'ils sentaient une bête ou un nectar parfumé.

Dormir devient absurde parce qu'il n'empêche pas de penser. Le manger et le boire sont relégués au rang des besoins que seul le désert invoque. Regarder devient obsolète parce qu'il ne peut empêcher l'esprit de se figurer sa silhouette. Sentir trompe autant qu'entendre et je me laisse berner par mes sens qui me font croire qu'elle est là alors que je suis seul.

Je sais que je devrais passer cette colonie de papillons par le feu, que je n'aurais jamais du les laisser s'installer, mais j'avais l'envie de les retrouver chevillé au corps. Et tant qu'elle ne la déracinera pas d'un sublime coup d'estoc en plein cœur, elle sera là, cette stupide envie. Lorsque ce coup sera porté, je fanerais, lentement, comme une kitanka. Non avec le panache du combat, non avec la gloriole de l'amoureux déçu, et encore moins avec l'absurde fierté d'avoir aimé. Non, je mourrai avec le cuisant échec de n'avoir su lui montrer le bonheur.

Parfois, je me dis qu'il vaudrait mieux continuer ma route avant qu'il ne soit trop tard. Mais à quoi bon ? J'ai cette sinistre impression que les choses suivent leur cours, que chaque seconde plantant sa fourbe lame se doit de la planter, que chaque mot de détachement n'a vu le jour que pour cet instant où il me transperce. Comme si l'Attente elle-même avait couvé des siècles durant pour n'enfanter que dans cette ridicule attente-ci.

Alors j'attends, et j'étouffe. J'ai des bouffées de froideur qui enserrent mes poumons dans une gangue de glace. Je fais parce que je dois faire, je marche parce que mes jambes impriment le mouvement, je respire parce que je n'y pense pas. J'ai beau essayer de mettre un terme à tout cela, je n'y arrive pas. J'ai les pieds en plomb, le sang comme de la mélasse et l'esprit englué comme une mouche sur ces papiers jaunes tombant en spirale du plafond.

Juste là, maintenant, alors que j'écris, assis en tailleur sur mon lit, je viens de mourir. En donner la raison n'aurait pas grand intérêt, car dans ces cas-là, seul le résultat est pris en compte – et il n'y a pas de petite case pour des cas comme le mien.

Donc demain, qui est déjà là depuis quelques heures encore sombres, sera difficile. Il ne faudra pas me demander de sourire ou de chercher le moindre rayon de soleil. Les morts ne sourient pas et se réfugient dans l'obscurité, à ce que je sais. Je ne parlerai pas plus que nécessaire, je ferai la sourde oreille et je longerai les murs. Les morts font ça aussi. C'est absurde de mourir pour ça, j'en conviens fort aisément, mais qu'y puis-je ? Tout ça parce que j'ai cru pouvoir partager de ces moments qui, dans un pied-de-vent, semblent posséder une aura hors du commun. Quel benêt je fais. Heureusement que l'on n'en arrive pas tous là...sinon le monde se serait vite dépeuplé.

Et ensuite, après cette petite mort qui prépare à la grande, il y aura beaucoup de bruit et de fureur et des intervalles de calme comme quand on flotte après un haut plongeon dans la piscine, en attendant le long silence des nocturnes.

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