Le jour passe avec une
lenteur d'été. Les heures s'allongent. Les secondes s'éternisent à
tel point que mon cœur pourrait battre deux fois entre chacune
d'elle si seulement il ne s'était lui aussi mis à battre comme une
cloche d'église. Et à chaque instant cette impression de glisser
tout doucement dans un semblant de mort, de sentir mon pouls
défaillir ou tomber dans l'incertitude. Battre ou ne pas battre. Il
y a des fois où je le lui interdis, mais il persiste. Comme s'il
savait mieux que moi. Comme s'il savait qu'on ne meurt pas d'être
amoureux, mais uniquement de jalousie.
Toujours est-il que je me
consume dans l'attente d'un amour qui ne vient pas, qui ne peut venir
et qui ne viendra pas. Et quand je pense à elle, je sens les nuées
de papillons dans mon bas-ventre qui s'éveillent, comme s'ils
sentaient une bête ou un nectar parfumé.
Dormir devient absurde
parce qu'il n'empêche pas de penser. Le manger et le boire sont
relégués au rang des besoins que seul le désert invoque. Regarder
devient obsolète parce qu'il ne peut empêcher l'esprit de se
figurer sa silhouette. Sentir trompe autant qu'entendre et je me
laisse berner par mes sens qui me font croire qu'elle est là alors
que je suis seul.
Je sais que je devrais
passer cette colonie de papillons par le feu, que je n'aurais jamais
du les laisser s'installer, mais j'avais l'envie de les retrouver
chevillé au corps. Et tant qu'elle ne la déracinera pas d'un
sublime coup d'estoc en plein cœur, elle sera là, cette stupide
envie. Lorsque ce coup sera porté, je fanerais, lentement, comme une
kitanka. Non avec le panache du combat, non avec la gloriole de
l'amoureux déçu, et encore moins avec l'absurde fierté d'avoir
aimé. Non, je mourrai avec le cuisant échec de n'avoir su lui
montrer le bonheur.
Parfois, je me dis qu'il
vaudrait mieux continuer ma route avant qu'il ne soit trop tard. Mais
à quoi bon ? J'ai cette sinistre impression que les choses
suivent leur cours, que chaque seconde plantant sa fourbe lame se
doit de la planter, que chaque mot de détachement n'a vu le jour que
pour cet instant où il me transperce. Comme si l'Attente elle-même
avait couvé des siècles durant pour n'enfanter que dans cette
ridicule attente-ci.
Alors j'attends, et
j'étouffe. J'ai des bouffées de froideur qui enserrent mes poumons
dans une gangue de glace. Je fais parce que je dois faire, je marche
parce que mes jambes impriment le mouvement, je respire parce que je
n'y pense pas. J'ai beau essayer de mettre un terme à tout cela, je
n'y arrive pas. J'ai les pieds en plomb, le sang comme de la mélasse
et l'esprit englué comme une mouche sur ces papiers jaunes tombant
en spirale du plafond.
Juste là, maintenant,
alors que j'écris, assis en tailleur sur mon lit, je viens de
mourir. En donner la raison n'aurait pas grand intérêt, car dans
ces cas-là, seul le résultat est pris en compte – et il n'y a pas
de petite case pour des cas comme le mien.
Donc demain, qui est déjà
là depuis quelques heures encore sombres, sera difficile. Il ne
faudra pas me demander de sourire ou de chercher le moindre rayon de
soleil. Les morts ne sourient pas et se réfugient dans l'obscurité,
à ce que je sais. Je ne parlerai pas plus que nécessaire, je ferai
la sourde oreille et je longerai les murs. Les morts font ça aussi.
C'est absurde de mourir pour ça, j'en conviens fort aisément, mais
qu'y puis-je ? Tout ça parce que j'ai cru pouvoir partager de
ces moments qui, dans un pied-de-vent, semblent posséder une aura
hors du commun. Quel benêt je fais. Heureusement que l'on n'en
arrive pas tous là...sinon le monde se serait vite dépeuplé.
Et ensuite, après cette
petite mort qui prépare à la grande, il y aura beaucoup de bruit et
de fureur et des intervalles de calme comme quand on flotte après un
haut plongeon dans la piscine, en attendant le long silence des
nocturnes.
No comments:
Post a Comment
Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question