I
Outre les tremblements du présent
la lumière jaillit en feuilles.
Marcher suffit
un rocher, du papier, un crayon
et l'écrasante métaphore du monde à
démêler.
Le lichen plus pierre que pierre
les fenêtres ouvertes attendent
l'orage
la façade écaillée comme un vieil
iguane
avant sa dernière mue
quelques vieilles ratiches sur un coin
de friche
s'élancent poignarder le projet
d'urbanisation –
ici on reconstruit le passé
calqué sur le papir buvard du présent.
Le murmure des sacs à main en
terrasse.
Se griffer au crépi de la ville
on en connait les moindres bruits
Les lignes droites obliquées forcent
la perspective
le pas de côté pour déformer l'angle
mais le banc de la nuit reste
horizontal
l'accoudoir de la bienséance, on s'en
est accommodé
les grues en équilibre sur un pied
narguent
nuages gris, grues grèges et gravité
grisante
les diagrammes de métal échafaudent
la ruine
orchestrent l'archie et la texture du
renouveau.
L'herbe trop faible pour embrasser
l'imminence de l'ondée
le lierre, résistant didactique,
les pigeons, bien assis dans leur
royaume,
attendent eux-aussi l'orage –
pourtant le lac reste imperturbé
solide dans ses limites de juin.
Les veines aux tempes palpitent comme
l'été
la sueur au pli du coude abritant le
regard
la peau qui se pigmente au feu de la
sieste
c'est l'année de la flanelle et de la
soie.
Le matin balayé de larges lavis de
brume.
Au seuil de l'étoffe la cigarette se
consume
l'excentricité de la chair affranchie
de l'étoffe rugueuse.
II
L'orage arrive, l'air flétrissant la
torpeur
le pas des badauds pressant le pavé
la peau se grêle avant son arrivée
l'insouciant, lui, finit son discours
les ronds de mousse cerclant la paroi
du verre
l'après-midi s'étire plus encore
l'orage amène au seuil du soir.
Dans l'indolence de la digestion.
Le ressouvenir de Vergina et son air
crépitant de cigales
abasourdi de touffeur
la nuit le souffle rauque de l'air
conditionné
à aucun moment le silence
l'été débardant des stères de
lumière
dévalant les collines du Pyrée à
bride abattue
tabula-rasant pour mieux préparer la
prochaine moisson.
La chair est faible dans la poigne
estivale.
III
Le lointain tonnerre noyé dans
l'expectoration du traffic
on ne voit jamais bien que le ventre
des nuages
ondulant comme la peau de l'océan
danse du ventre aux ruminements
menaçants
ils nous rappellent à notre mortalité
les pigeons, eux, ont déserté la
terrasse
si appétissantes des touristes que
rien n'étonne
alors que le tonnerre tonne, chappe de
plomb
pressurant l'atmosphère et nos
instincts
forçant le regard à s'élever
par-dessus le champ des toits –
oui, les pigeons sont partis.
L'ouest flamboyant de noirceurs
épaisses et poisseuses, suintant de
mélancolie.
L'enfant en équilibre sur son ombre
soucieuse du gouffre
s'offre une paire d'ailes de bronze
comme le saint Michel trônant sur
l'église
rêveillant sa propre mort et sa propre
résurrection
avec d'intranquilles battements de cœur
et de paupières, le corps fléchi
et l'esprit contreplongé dans l'eau de
la forge.
Les petits romanichels au visage adulte
le sourcil constamment froncé.
IV
La ligne droite existe aussi peu que le
bleu du ciel
ou que le noir de la nuit
l'illusion entretenue par la rémanence
rétinienne,
par la permanence cristalline de la
perspective
incohérence physique de notre
physiologie
et beoins viscérale de notre esprit de
croire,
de croître en ce qu'il voit,
malgré l'impermanence des états de la
matière
malgré l'entropie et notre désir
d'équilibre
l'impossibilité du noir et du blanc
l'indomptabilité du boson,
combattre notre tendance à l'accrétion
notre préférence de la prévalence
notre vouloir être au centre d'un
tout.
La marée basse des nuages.
On se croit amarré au bonheur des
terrasses
chamarré d'impatience des devantures
d'aventures méritées en des terres au
plus loin
le malheur nous terrasse d'habitudes
millimétrées
pave nos ventricules de manque à
gagner
nous igonrons le nœud dans la gorge
en grands boustrophédons que nous
sommes.
Nous traçons donc le médian de
Schrödinger,
esquivant le déplaisant de la réalité
de comptoir
parce qu'on n'aura pas louvoyé le
grand arbre
phylogénétique pour se saborder au
vide de la tombe.
L'immédiateté du verbe.
La tension de la brèche
la fissure dans la maçonnerie témoigne
du déficit de cette tension que
l'araignée investit
qu'elle entoile non par cette peur du
vide
qui nous empoigne
mais parce que les jours comptent et
n'existent pas
entre les tremblements du présent,
entre les calques du verbe conjuguable.
Les frémissements du sens sous les
mailles du vent
dans l'échoc des silex des phonèmes.
L'étincelle de la connaissance ouvre
les bogues.
Les meules des nuages pointillent le
champ du ciel.
V
L'emprise araignée épouse
l'anfractuosité
pavés sculptés par la foudre des
talons.
La chair de l'olive est une gorgée
d'été
lorsque la soif prend
son noyau, lui, occupe la bouche
affamée de l'hiver
c'est au dehors qu'a lieu la discorde
il faut rompre la chantage de
l'équilibre
le pas ferme au milieu des ruines
et au plus près du combat
la danse à même de raviver les
braises.
Il est temps d'agir
lorsqu'on laisse le jour aux
acouphènes.
Il nous faut essarter nos consciences
même si cela doit se faire par
l'orage.
Les matins de lune insomnieuse amarrent
la volonté
accentuent la soif plus que de raison
l'ennui enfile sa cagoule noire
d'un coup d'oeil sait où la chair
est la plus tendre.
Fardé d'empoie mais le regard direct
le débardeur choisi révèle la gêne
et la blessure aux cuticules n'a pas
encore croûté.
VI
La ville, saisie à la dune de sa
torpeur,
laisse tomber son quotidien à peine
parcouru
et deux siècles intenses de lumières
rappelée à l'ordre de la barbarie
ne pouvant laisser filer une si belle
opportunité
de se dédouaner de sa propre cruauté
l'eau manque mais les bulles de savon
s'envole
en un geste éolien difficile à
comprendre
détaché de son effroyable contexte
pourtant la ville s'est construite sur
la destruction
l'acharnement à l'harnachement des
ressources
qui ont toujours été ailleurs.
L'origami du temps à oublier
la honte saisie au creux du pli
d'une forme si parfaite que la déplier
réveille la bête qui a mû le maître
l'orage surprend la fenêtre ouverte au
dehors
sans avoir pensé qu'il pouvait y
entrer.
Le coup de tonnerre semonce les
insouciants
la moitié de la ville apprend la peur
l'autre enfile veste et chapeau,
éteint les lumières
et prie un dieu qu'on détache du mur
vademecum qui surprend la poche
et du même coup la déforme.
La panique amène le cœur au bord des
livres
le moindre haut-le-cœur et finitatum
est
elle pourtant aussi experte en
enjambement
de cadavres que de raisonnements
la ville tremble, se rassemble sur la
place
où est né le sentiment de liberté
comme les animaux sauvages dans la
clairière
quand la secousse est trop grande
le toît ne protège plus et il devient
stèle,
comme le petit cherchant la mamelle
sèche
le lait y coulant parfois encore.
L'arbre retrouve sa texture et sa
divinté
la ville le rélègue dès lors aux
parcs
oublie que la forêt dort sous le
bitume
ourlant la moindre brèche de lierre ou
de lichen
dans son infatiguable et invisible
travail de sape.
Elle détruit moins qu'elle n'affirme.
Il est temps de se lever, le chemin
attend.
VII
Le vent roidit le corps déjà
engourdit de solitude.
On s'abstient de montrer la défaite du
visage
on ne croise plus le regard de peur
d'être vu
la traque continue, implacable.
Le seul nénuphar de l'étang est en
fleur,
patient, attendu et rubis sur l'ongle
ne déçoit pas le jardinier, premier
et
second à l'admirer pour boire à sa
lie
coupe fraîche d'amertume blanche
un vrai vin dyonisiaque au cœur de la
ville.
Le poète, lui non plus, n'en attend
pas moins.
La fleur de digitale, elle, émergeant
d'entre les barreaux
flétrit à vue de printemps.
L'armoise attend son tour, son heure de
gloire,
au fond d'un verre surprenant d'âpreté.
Le temps délie les langues pâteuses
l'eau manque et le noyau d'olive,
net comme un squelette de désert,
vient d'être craché d'impatience :
l'orage ne doit pas décevoir.
Les conversations se font murmures
sur le ton tragique de la confidence
l'étiage résonne comme une
malédiction
– on a pris les marques pour les
journaux intimes –
le badaud s'étonne de l'étonnement
se fait shaman, thaumaturge, druide,
présentateur météo –
le boiteux le sent dans sa guibolle
bien avant tout ce petit monde.
Il rit. Il rit dans sa barbe usée,
jaunie à la gitane,
brûlée au siècle de la grappe et du
houblon.
Il jette un dernier coup d'œil amusé
au poète
mais il a d'autres jeux à jouer,
d'autres dieux à exploiter, plus
dociles.
Le soir s'éteint au seuil du lotus
ses pétales arrangés en nuages
corollés
le messager du vent aux joues de silex
fronce son marteau, horloge déréglée
sonnant l'écart à tout-va, au
tout-venant.
VIII
Plus d'écart. Le poète respire à
peine
claquemuré dans le sourire de la
dépression
drainé des ultimes gouttes d'amour
personnel.
Il regarde la vie trépidante, goulue,
se dandiner aux fenêtres bourgeoises,
aux fenêtres des HLM, narquoise,
petits pas chassés sur la pointe des
pieds
et d'un revers de main antique
lui faire la plus pittoresque nique.
Tous ces regards tournés vers lui
qui ne le regardent pas vraiment
qui espèrent mais pas autant que lui,
la solitude comme une presse
d'imprimeur
qui aurait toujours peur de ne pas
serrer assez fort
les lettres s'encrant à chaque tour
plus profondément
pour ne pas cesser finalement leur
pression
qu'après avoir buté contre l'os.
La passion du mot brûle le cœur
sable sous les paupières de l'humanité
et les badauds se moquent, dénient,
échangent un mot, un geste vindicatif
et comme si l'illusion de leur bonheur
en dépendait, harponnent un message de
haine
sur sa porte et s'en vont, se frottant
la panse
comme après un bon repas.
Lui attend, les mains jointes au bout
des doigts,
comme laissant suffisamment d'espace
à des espaces dans des espaces
du vide dans du vide dans du vide :
le plus sûr moyen d'en avoir assez
pour créer.
La matière en suspension en puissance
les particules nécessaires créées
depuis
la grande division euclidienne –
trame de la trame – plus précisément
–
trame toujours renouvelée de la trame
usée –
bien en désordre planifié
n'attendant qu'un ultime bloc
pour façonner l'arrangement.
Il n'aurait qu'à claquer les paumes
pour entamer le long voyage
aux confins de la solitude,
comme un coup de tonnerre
dans la nuit d'ivoire
dernier refuge avant la traversée.
Devant l'absolue nécessité du vide
il appréhende chaque interaction
chaque contact avec la matière
avec une précaution de tétrodon.
IX
Il a peur. Peur.
De cette solitude magnifique
magnifiée par la douleur,
les quolibets, les qu'en-dira-t-on,
l'échec de l'impression
la débâcle sordide du baiser.
L'avoir essayé, dernier clou au
cercueil.
Il se dit qu'il peut encore attendre –
l'attente rallonge la sensation du
temps
mais n'oblige pas à vivre :
il préserve la profondeur de champ
sans contraindre à la récolte.
Oui, il se dit qu'il peut faire ça,
faire semblant d'attendre l'orage
faire semblant de tendre les filets
de rentrer au port, un noyau d'olive en
bouche,
s'attabler pour écrire, laissant le
temps s'écrouler
tout en observant ces visages attentifs
et ces nuages s'étirant à perte de
vue
cherchant l'omission dans l'oraison
muette
tout en serrant les points tout en
pleurant.
Le vent du nord, cendreux, force
l'imaginaire
des clairs-obscurs des banc publics
sur la même place où deux cents ans
plus tôt
la tête du roi tombe telle une comète
aux cris de liesse d'une foule
abasourdie.
Les groupes dansent au gré des
affinités,
des sourires timides, des regards
entendues –
grand ballet au tiré de rideau du jour
torpeur que l'herbe et la pierre
n'oublient pas –
les amoureux transis seuls sont laissés
à la tranquillité rayonnant des clins
d'œil
et le poète, parce qu'il observe,
conserve à la mémoire la joie
rassasiée
garant de la clôture indifférente du
jour
témoin de la palsiante fraîcheur
qui s'explique et pourtant qui surprend
peintre fatigué d'un tableau banal
vu mille fois à chaque porte du monde.
Sont-ils déçus, peut-être,
mais jamais les acteurs ne voient la
pièce.
X
Derniers coups de langue de lumière
lappant les vitres luisantes sur les
toits.
Au pavé soudain les peaux se grêlent.
L'hésitation de granit au frémissement
de juin
rappelle ces coups de fusil tonitruants
que personne pourtant ne semble
entendre
provenant de la grange pleine de foin
sombre.
La nuit s'est faite et la pluie
appuyée des prières les plus
pressantes
lave les toits de la ville.
L'ombre est familière dans le canevas
de la sorgue
équarrie au millimètre près par la
mémoire
alors que l'œil ne l'a pas encore
reconnue.
Les passants filent comme un ciel de
traîne
les couleurs meurent dans l'asphyxie
des briques
la foule comme des vagues qui ne
s'échouent
qu'en dehors du champ de vision
chaînes d'atomes en roue libre
impétus orbital centrifuge
axe hors des gonds sans réel contrôle
bientôt un lointain souvenir
les ouvrages de pierre et de
métal-cénotaphes.
La nuit dort contre les flancs de la
bête
la ville ceinte des torpeurs d'un été
improbable
appuie sa tête languide sur son ventre
dans cet amas de respirations lentes
le poète écoute chaque souffle pour
le conter.
Il ne reste plus qu'un pas à faire
pour saisir le seuil et sentir le suin
de la nuit laver la sueur du jour
sceller le corps dans la stupeur de
juin.
Récolter la nuit attardée sous les
pierres
dans les combes en longs filins
chanvrés
qu'on amènera à la rivière pour les
rouir,
cette nuit qui a le goût de terre
pour rien au monde on ne l'échangerait
même si on n'a pas pu en jouir.
Plus le matin est clair, plus sombre
est le thé.
Au mitan des ténèbres il est d'une
pâleur de spectre.
L'oreille collée au flanc régulier
le battement s'estompe dans l'aurore
la bête rythmant les souffles
vient d'ouvrir un œil.
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