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Thursday 2 December 2010

I mínalë - The Longing

 
Courte nouvelle en Quenya. L'essai est plutôt concluant au niveau du style, mais la langue reste néanmoins à assouplir et l'exercice difficile. J'espère ne décevoir aucun fan du Seigneur des Anneaux...I tried my best to keep the spirit (and the faith).

Une fois de plus, toute erreur m'est imputable (idem - surtout ? - pour l'anglais !)


I mínalë

Tarnyë i laï lancassë i undumeo, tálunya útancë – ondor undulávina hlollóravë i morinen, núra nún. Harwenyar liptëar, pantëar sívë vantanenyë; cennyë ná néca ar umis i alta silala coronnen ustala i parca nórë. I cirissi yurir núrë ar i lamni oantier andanéya. Calpanya ná cumna, lá usúcië auressen. Uminyë polë naina fírnenya nilmorin an lá haryanyë nírë lestaina.

Lá polenyë cenë i exa lanca i undumeo, mal ahlárienyë nas sanomë, i hayassë, menessë, racina valdëasseo. Ilya ne i hendu poler cenë ná tana alta palpala nairië huineo. Ecë nin harya lúmet nó tulesserya. Mal manan? Nas yando harna sinwavë, tana tulcanenyë. Mal umiryë fírna lá, polinyë ñolë holwërya i súressë, tenya útulunca rangarya i cemessë. Cenasit mis lúmet. Manen te poller návë ta ohtië? Mahtanentë neldë aurin andavë, queletsi tópalar i talan. Së ar lies lá né mahtala mittan parnava nór te ve, henpentë i lië fairieva, varnenta ar írentë cuina. Nilmornya fírier tirala sina intyë. Cotumulma yando fírier mal lá exa cilmë harnet: mapa hya firë manten ulca heruonta. Er saviryë tana yára intyessë ertaina noreo, erya ambalo lutúla or ilya mindon ilya ostossë. Húmi enquë coranári ar apáryentë munta tenna sí.

Sinomë sina nórë hehtaina ló Eru, i endessë muntieo massë er unqualë turë, haryëanyë nimba minë métima cilmë. Carë hya firë. Cenai náro hilyaina húminen nostaleryo i tulala coranárissen, i haryëa firë. Lá minë ná ava lestaina cuina, lá minë. Sina ná i Atar quentë yassë oantenyë mar-ostonya, ertanë nilmorinen i sóra súlimessë rómenna, auri ar lómi unótimarin, massë i móri fanyar né hostainar. Me mahtaner i airi cotumon i soltoner menna ve solmi rauto. Hyastanemmë tiemma i tillenen macilion; témarinta ristaner ar hanyanemmë imma ner linië er írë né acca telwa. Sé ilya telcontalë vantanemmë queletsinna, tópinar sercessë. Tyelimavë i métima cotumo né tarala, halla ar immo-valdëa, epemë, i voronwë nilmor. Minë ló minë nahtanerot, ilya lú nútala ambë núra harwë i nérello fírala.

Ar sí nanyë sinomë, i mentessë ilya nation, námala manë ar ulco martonyallo. I cotumo ná harë. Rama túrë yá haryëas vanwa suliërya, haryala carës ilya ata. 'Mava túrë nás qui lá imma?' cé equétier Atar. 'Ilya hossenta né aqua nahtaner er minë ohtaren.' Ahárientë munta.
Nányë sinomë. Sé métima. Yétalanye, ohta henduryatsë. Náro aistawa. Yando nányë aistawa. Lá ecë nin enquelë. Hepenyë súlinya maica ve macilnya. Ma nás honnya hya i alta cúma ni cana ya ná palpala ve únótimë rámar? Nányë sinomë.


***

The longing

I stand on the very edge of the abyss, my feet unsure – stones swallowed soundlessly by the dark, deep down. My wounds bleed, re-open as I walked; my vision blurs and it is not because of the great shining orb scorching the land dry. The cracks run deep and animals have left a long time ago. My gourd is empty; I haven't drunk in days. I cannot weep for my dead friends for I have no tears left.

I cannot see the other edge of the abyss, but I have heard it is there, in the distance, somewhere, deprived of importance. All that is left for the eye to see is that great pulsating expanse of darkness. I may have a few hours left before his coming. But what for? He too is wounded for sure, I have seen to that. But he isn't dead, no, I can smell his stench in the wind, feel his unsteady pace in the ground. Perhaps less than a few hours. How could they be so pugnacious? They had fought for three days on end, dead bodies covering the ground. He and his people were not fighting for some patch of barren land like them, they were preserving the peoples' freedom, their safety and their desire to live. My friends have died defending these ideas. Our foes have died too but they had no other choice: conquer or die at the hands of their wilful master. He still clings onto that old idea of a unified land, of a single banner floating over every tower in every town. Six thousand years and they have learnt nothing yet.

Here in this godforsaken land, in the middle of nowhere where only death prevails, I have to face one last choice. Do or die. Even if he must be followed by thousands of his kind in the coming years, this one still has to die. Not one must be left alive, not a single one. This is what Father had said when I left my home town, joined my friends in the long march to the East, for innumerable days and nights, where the black clouds were gathered. We fought the seas of enemies that surged against us like waves of metal. We hacked our way at the tip of our swords; their lines grew thinner and we realised ours were sparse only when it was too late. At every step we stumbled on a corpse, drenched in blood. Finally the only enemy left was standing, tall and proud, before us, the long-standing friends. One by one he brought them down, each time taking a deeper wound from the dying man.

And now I am here, at the end of all things, judging good and evil on the scales of my fate. The enemy is near. To claim a victory that has lost its meaning, having to do it all over again. 'Whose victory is it if not ours?' would have said Father. 'Their entire army but for one foot soldier has been wiped out.' They have understood nothing.

He is here. At long last. Looking at me, war in his eyes. He looks dreadful. I must not look any better. I must not fail again. I must keep my spirits as sharp as my sword. Is it my heart or the great void behind me that is beating like countless wings? He is here.

Alcarnarmo

Monday 25 October 2010

Chronique métropolitaine

Ses souliers soigneusement cirés, son complet usé impeccable, rasé de frais mais la mine grisée par l'implacable roue qui broie les hommes, il se tient droit, digne et dépité, la main tendue et les doigts tachés de ceux qui fument. Le regard affolé cherchant celui de ses congénères mais il est le mur auquel il doit s'adosser de peur de se faire mettre à terre. Il m'avoue, alors qu'à mon tour dos au mur je lui tends une maigre obole alimentaire, d'une voix aigre et mesurée, qu'il s'essaie aujourd'hui à la mendicité, pressé par la misère et la faim et l'usufruit. Que ne sachant comment s'y prendre pour faire ce métier qu'on ne veut apprendre, il a fait comme avant quand il travaillait. Je n'ai pas eu besoin de lui dire que ses efforts étaient vains et bien pires que de ne rien faire, car déjà ses paupières étaient lourdes de tort. Je l'ai quitté, me faufilant dans le flot des passants.
C'était il y a à peu près un an.
Je l'ai recroisé hier, assis par terre, échevelé, la barbe drue, pouilleux et puant, la main expertement tendue, les pièces toutes d'argent. Son œil s'est illuminé - le croiriez-vous - et son sourire était celui d'un fou.
" Tu vois, aujourd'hui j'ai appris, et je n'ai plus faim ! "

A Paris, le 24 octobre 2010.

Sunday 19 September 2010

Sa Majesté des Arbres

 
La bruine coule dans le vent d'ouest, et les flaques constellent la sente bordée d'arbres. Parfois une bourrasque apporte de la pluie et il me faut attendre pour poursuivre ma route, assis sur mes talons, à l'abri sous un mélèze. Le thé bien au chaud dans ma calebasse n'en est que meilleur, alors qu'entre chaque halte le soleil sèche mes habits de voyageur.

Les carpes qui ornent les étangs gobent à pleine bouche leur pain quotidien et les rares marcheurs, les pieds dans l'eau, observent en silence les gouttes s'égrener en perles à la surface.

Tout ce petit monde s'affaire, un peu lent et engourdi de canicule, sous les branches tranquilles d'un grand ginkgo. On s'interroge encore sur sa provenance, sur son histoire. Quand et où fut-il graine? On veut savoir pourquoi et qui l'a surnommé « arbre aux quarante écus », ou encore « arbre aux mille écus ». Pourquoi il a traversé les âges sans que l'éventail de ses feuilles ne prenne une ride. La seule certitude que l'on ait est que l'on s'arrête pour contempler son ramage, l'architecture saccadée de ses branches. On sait que même si l'on voit un sequoia géant ou un magnolia en fleur, ce ginkgo biloba 'reste sa majesté des arbres, sis sur son trône de verdure, à une entrée d'un jardin botanique dans une ville où il fait bon vivre.

Mais le voyageur, assis sur le banc juste en face de ce tronc d'où partent des branches grosses comme des arbres, trouve d'autres réponses à l'énigme fractale. Que son nom scientifique provient d'une erreur de transcription entre la graphie et la phonie, que son premier surnom vient du prix de ses plants, et qu'en Chine et au Japon, là où l'on a commencé à l'admirer en premier, c'est la poésie qui lui donné son dernier surnom en foulant son tapis de feuilles. Il se souvient également que le premier organisme à reprendre vie au pied d'Hiroshima fut non pas l'homme, mais un ginkgo.

Sa majesté des arbres m'a transporté dans l'ancienne Chine sur le dos de ses branches, et ses feuilles fendues comme des nèfles laissent voir le même monde qu'aux pieds d'un banian. Je suis, dans le labyrinthe de cet arbre dont chaque parcelle reproduit celui de la vie, serein observateur, à l'abri des questions sans importance.
 

Wednesday 1 September 2010

Là où je dois être


 
Je suis là où je dois être. Je l'ai toujours été. Je le serai toujours, s'il plaît à Dieu.
J'ai vogué sur toutes les mers, navigué sur tous les océans, j'ai goûté leur sel. J'ai traîné mes guêtres sales sur les six continents de notre globe, j'ai vu tout ce qu'il y avait à voir sur cette terre, de Pétra au Pôle sud en passant par l'île de Pâques. Aucun pays qui n'ait vu mon ombre, aucun pays dont je n'ai vu un lever et un coucher de soleil. Aucun endroit où je n'ai laissé une quelconque trace de mon passage. J'ai traversé tous les déserts, fait couler leur sable entre mes mains. J'ai senti tous les vents de ce monde sur mon visage. Gravi toutes les montagnes. J'ai vécu tout ce qu'il y avait à vivre ici-bas. J'ai parlé à toutes les nationalités, il n'existe aucune langue dont je ne connaisse pas ne serait-ce qu'un mot. J'ai lu tout ce qui a été écrit depuis que l'homme sait s'exprimer, je lis encore tout ce qui est digne d'intérêt. J'ai voyagé par tous les moyens de locomotion disponibles. Je suis allé sur la lune. Je connais tous les types de pierre de cette terre. J'ai récolté tous les onguents et tous les remèdes. J'ai écouté tous les chants anciens et nouveaux, joué de tous les instruments. Je crois en le dénominateur commun présent dans toutes les religions. J'ai goûté tous les mets de main d'homme, bu tous ses breuvages, cueilli et mangé toutes les plantes qui pouvaient l'être, tous les fruits et tous les légumes. Tué et mangé au moins un animal de chaque espèce, écrasé chaque type d'insectes, brûlé toutes les essences d'arbres. J'ai senti et piétiné toutes les fleurs. J'ai construit une maison, j'en ai détruit mille. J'ai fait toutes les guerres de ma génération. J'ai vécu les tremblements de terre, les typhons, les tempêtes, les éruptions volcaniques. J'ai été foudroyé, empoisonné, brûlé, cancéreux, cachectique. J'ai vécu le célibat, le mariage, la paternité. J'ai tué un homme, une femme, un enfant.
Je suis en prison, là où je dois être.
 

Tuesday 20 July 2010

Le coffre - inspiré d'une illustration de Chab


 
Cette nuit-là, il faisait chaud et la lune baignait la ville dans une lumière blanche, détachant chaque angle du palais du Sultan, coupant les maisons du souk comme avec un cimeterre, affinant les silhouettes des minarets et allongeant les ombres. Notamment celle qui se dirigeait hors de la ville, alors qu'elle passait sous la petite arche à l'Ouest. Les gardes, assoupis, n'ayant pas même songé à allumer un feu pour y mieux voir, n'entendirent rien. L'ombre, capée de rouge, marcha rapidement jusqu'à la palmeraie où une autre ombre l'attendait en faisant les cents pas. On sentait l'impatience dans chacun de ses mouvements. Lorsque la deuxième ombre vit la première, elle stoppa net ses déambulations. Elle vint à sa rencontre.

« Mon frère! Tu l'as? Tu l'as trouvé?
_ Oui, mon seigneur. Je l'ai.
_ Je ne suis pas ton seigneur, je suis ton frère. Lorsque j'aurai récupéré mon trône, je saurai te le montrer. Où est-il? Dis-moi, je n'ai plus d'ongles à me ronger les sangs.
_ Le voici. »

Il sortit de sous sa cape rouge un petit coffre de la taille d'un poing. En fait, la lune cisela précisément chaque détail du coffre. Il était visiblement vieux, bosselé par endroits, mais la robustesse des attaches semblaient avoir défié les siècles de confinement.
« Où l'as-tu trouvé? Comment as-tu fait? Je n'arrive pas à y croire.
_ Il m'a fallu du temps, le vieux targui était réticent à me dire où se trouvait l'entrée du temple caché. J'ai dû marcher trois jours et trois nuits dans le désert pour arriver là où les dunes chantent.
_ Là où les dunes chantent? Où est-ce?
_ Je ne saurai vous dire, mon seigneur. Le vieux m'a dit de suivre l'ombre des dunes, ce que j'ai fait durant toute ma traversée, la lune et le soleil pour guides et pour témoins. Entendre le chant des dunes à des lieues à la ronde n'est pas un spectacle donné à tout le monde, et c'est une chose effrayante au noir de la nuit, car mille djinns ne ferait pas autant de bruit, cent mille chameaux en plein galop ne feraient pas autant trembler le sol et un million de niras ne pourraient égaler sa sonorité. Je suis longtemps resté pétrifié, mon sang glacé dans mes veines. Le vieillard m'avait prévenu, et il m'avait dit de penser à mon but, et votre pensée m'a réchauffé le corps et je suis allé au cœur des dunes, là où le chant se faisait le plus fort.
_ Je suis content d'avoir pu t'aider par la pensée, car je ne pouvais t'accompagner dans cette quête. L'endroit que tu décris est effrayant et fascinant à la fois.
_ Oui, mon seigneur, car tout dans mon corps vibrait à l'unisson des dunes, et il me semblait que le désert tout entier entonnait une chanson dont les paroles me semblaient dures et douces à la fois. Entouré par les plus hautes dunes, dans les plus fins replis du sable au fond de ce vallon, j'ai pu déterrer, après plusieurs heures, la petite porte en marbre du temple. Si vous aviez pu voir la finesse des arabesques sculptées à même la porte, mon seigneur, vous en auriez été ravi! Un long moment je contemplais chaque détail, les acanthes, les roses, les lignes entrelacées comme la vigne. Là encore, le vieillard m'avait mis en garde contre le charme du temple, car tout en cet endroit allait me mettre à l'épreuve. Une fois de plus, j'ai pensé à la noblesse de votre quête, mon seigneur, et j'ai pu alors pousser la porte, de toutes mes forces rassemblées dans votre but, et pénétrer dans le temple.
_ Tu as du courage, mon frère, comme peu en ont dans cette cité endormie.
_ J'ai longé un couloir obscur et étroit, et la lumière de la lune n'y pouvait pénétrer que de quelques pieds. Ma lampe à huile faisait danser mille et une inscriptions sur les parois, et je sentais une humidité qui me faisait froid dans le dos. Chaque bruit était amplifié et mes sens aux aguets percevaient les minuscules détails, un scarabée dérangé dans son sommeil, des toiles d'araignées embrasées par le feu de ma lampe, les pierres jonchant le sol inégal. Je dois dire que si je n'avais eu votre visage au devant de moi pour me guider, j'aurais pris peur et aurais quitté cet endroit maudit.
_ Tu as eu la bravoure d'Aladdin, mon frère.
_ C'est alors qu'au bout de ce couloir, dans une pièce plus haute que tous les palais que j'ai vus jusqu'alors, surmonté d'un dôme grand comme la voûte du ciel, je vis entassé des milliers de joyaux, de pièces d'or, d'armures flamboyantes, de somptueux vases, de lampes splendides et incrustés de pierres précieuses, en désordre, comme si quelqu'un était venu ici et avait déposé au fur et à mesure le butin de centaines de pillages de riches cités. Je n'en croyais pas mes yeux, et la simple lueur de ma lampe à huile suffit à éclairer cette salle immense, tant il y avait de bijoux et d'or amoncelés. Je savais du vieil homme qu'il ne fallait pas que je touche à une seule de ces pièces ou à un seul de ces bijoux, car aussitôt détourné de mon but la porte se serait refermée sur moi, me condamnant à une éternité au sein du temple.
_ Beaucoup aurait délaissé leur dessein et aurait succombé à la tentation de l'or, mon frère. Tu as su mettre dans la balance ce qui avait le plus de poids, ton amitié.
_ J'ai continué mon chemin par un couloir large comme une route et bordé de flambeaux brillant d'une lumière magique. Je savais ce qui m'attendait au bout de ce couloir, dans une partie du temple aux allures d'une grotte où pendaient de monstrueuses stalactites, aussi je dégainais mon cimeterre, celui-là même que mon seigneur a bien daigné m'offrir.
_ Il a appartenu, comme tu le sais, à Antar, noble héros qui tua un lion de ses seules mains.
_ Et sa force se transmit sans aucun doute à ma main, car je dus affronter des hordes de squelettes que la magie du lieu mettait en mouvement, leurs horribles os s'entrechoquant, leurs poings de mort serrant des cimeterres au fil brisé, des poignards vils et des sabres rouillés. Dans leurs orbites brillait une lueur rougeâtre, maléfique, démoniaque, qui baignait aussi ce lieu damné. Je réussis non sans mal, grâce à votre souvenir et à la force du sabre d'Antar, à me tailler un chemin parmi les cohortes de ces carcasses sans vie et à atteindre l'antichambre où reposait le but de ma quête. Je refermais la lourde porte de bois derrière moi et la bloquait d'un lourd basting. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Dans cet endroit, où aucun son ne filtrait plus, m'attendait l'épreuve ultime, celle qui allait tester ma foi et ma dévotion.
_ Tu as plus de courage que n'en a eu Saladin alors qu'il conquérait avec son maître la ville de Damas! Mais quelle est donc cette épreuve qui me donne la chair de poule malgré l'étouffante chaleur de cette nuit? As-tu eu à affronter pire qu'une horde de squelettes venus des enfers? Quel monstre horrible issu du malin te fallut-il pourfendre?
_ Rien de cela. Celui qui se tenait en face de moi, voûté par les ans, était ce même vieillard qui m'avait accompagné, par ses précieux indices, jusqu'ici. Il sourit et je ne pus m'empêcher de sourire à la vue d'un visage familier. Il me dit alors que ce que je cherchais se trouvait dans un coffre pas plus gros qu'un poing, une lieue sous mes pieds, au fond d'un puits. Il fit un pas de côté et laissa voir une entrée dans le sol, comme une gueule noire et avide. Je me penchais mais ne pus rien voir. Il me dit que les mots ici n'avait plus beaucoup de valeur, que les énigmes et les grands discours prenaient tout leur sens dans l'acte. Il me dit encore une chose, terrible celle-ci. Alors je pensais à vous, à ce que vous vouliez faire de cette cité et de ses hommes, quel grand homme plein de bonté vous étiez, et je sautais. Vous dire combien de temps dura ma chute, je ne saurai avec précision. Toujours est-il que les ténèbres s'emparèrent de mon corps à la seconde où mes pieds quittèrent l'antichambre. Il faisait froid, et le vent sifflait à mes oreilles, empoignait les pans de mon habit, faisait chuinter la lame de mon cimeterre. Je vis alors, après un temps où je crus bien fermer les yeux pour de bon, une lumière grandissante. Mes sens perçurent bientôt des fils comme des lianes le long des parois, et je pus distinguer alors un plan pour ne point me rompre la nuque. Je saisis du mieux que je pus des poignées de lianes, de-ci de-là, et mes muscles et mes membres criaient de souffrance mais je serrais les dents et réussis enfin à freiner cette descente infernale qui aurait eu raison de moi s'il n'y avait eu ces lianes providentielles.
_ Tu as volé tel Abbas Ibn Firnas, mon frère, mais tu as su négocié ta chute! Je n'en reviens pas que tu aies fait tout cela pour moi. Dis-moi la suite, comment as-tu réussi à obtenir ce coffre? Une énigme s'est-elle présentée à toi, sous quelle forme?
_ Non, mon seigneur, il se trouvait simplement à même le sol. J'eus peur de le ramasser, mais je repris confiance en vous et après l'avoir caché sous ma cape, j'empruntais un boyau qui me ramena, après des heures et des heures de marche dans l'obscurité la plus totale, à la surface. Et me voilà devant vous, et je vous donne ce coffre que vous m'avez mandé de chercher. J'espère que vous y trouverez tout ce dont vous avez besoin.
_ Viens que je te serre dans mes bras, mon frère, et sache que je te récompenserais au centuple pour ta bravoure et ton dévouement. Mais dis-moi, que le vieillard t'a-t-il dit, avant que tu ne sautes?
_ Oh, mon seigneur! Il a dit que je devrais venir prendre sa place dans l'antichambre.
_ Mais, mon frère!
_ Il a dit qu'il reviendrait chercher le coffre lorsque vous n'en aurez plus l'utilité, et qu'il me le ramènerait pour que j'en sois le gardien. »

A ces mots, la deuxième ombre laissa tomber le coffre à terre et prit son ami dans ses bras. Ils savaient tous deux qu'il n'y avait qu'une parole, et que le destin ne souffrait pas que l'on traçât une autre ligne que la sienne. Ils durent se séparer, chacun pleurant la perte de l'autre, alors que la lune était encore haute dans la chaleur de la nuit. La première ombre reprit le chemin du désert, et la deuxième se laissa tomber à genoux, le coffre reposant près de sa main.

Celui qui allait devenir Sultan et mener sa cité, puis son pays, vers la paix et la prospérité, ouvrit ce coffre pas plus gros qu'un poing et aussi léger qu'une plume de paon, et ne trouva à l'intérieur rien d'autre qu'un morceau de parchemin. Sur ce fragment rongé par les âges, il lut un mot qui lui donna la force d'affronter son destin, et chaque jour il honora celui qui fut plus qu'un frère, qui fit plus qu'un ami pour lui.
Des années passèrent lorsqu'un vieillard se présenta à sa cour, demandant audience. Il sut d'un coup d'œil que c'était l'ancien gardien du coffre. Il l'amena, sans un mot, jusqu'à sa chambre où le coffre trônait sur un meuble haut près de son lit.

« Comment va mon ami, vieil homme?
_ Je ne sais. Je te rapporterai de ses nouvelles lorsque je le verrai.
_ Jusqu'à quand devra-t-il garder le coffre?
_ J'ai attendu cinquante ans avant que ton ami ne vienne. Le destin seul sait quand un autre cherchera ce que tu as trouvé.
_ Je suis triste, vieillard, d'avoir perdu mon ami. Ici personne n'a sa bravoure, personne ne l'égale en amitié, personne ne sait trouver les mots comme il le faisait.
_ Au contraire, Sultan, tu as gagné l'amitié la plus sincère qui soit, celle qui traverse les âges sans se soucier de ce qui arrive. Pour ma part, je m'en vais de ce pas rejoindre celui qui m'a reconnu, malgré les ans, comme son ami. Toi aussi, je l'espère, tu reverras celui qui fit don de lui à ta personne. Et sois assuré qu'il sera fier de toi lorsque je lui conterais tes exploits. A bientôt, Sultan.
_ Reviens vite me voir, vieil homme, car je languis de son retour. Dis-lui bien que je l'aime.
_ Sois assuré qu'il le sait déjà. »

Ainsi se termine l'histoire de deux ombres qui, par une nuit d'été, scellèrent leur amitié, alors que la lune embrasait tout, alors que le monde autour d'eux dormait.


***
L'illustration en question est ici. Je remercie Chab de l'avoir dessinée (même si c'était il y a longtemps, il faut revenir parfois en arrière pour trouver l'inspiration), et je m'excuse auprès d'elle dès à présent si ce qu'elle m'a inspiré ne reflète pas le dixième de son talent. Merci ma Chab.
***

Monday 5 July 2010

Histoire dont vous êtes les héros - Version PDF sur Scribd

Histoire dont vous êtes les héros (en quelque sorte)                                                                                                                                   

Histoire dont vous êtes les héros #10 - (en)fin!


...au gré du hasard. Ce dont vous êtes certain :

Le boucher slave, s'il n'a pas reçu votre projectile, doit être passablement sur les nerfs. Il a beau avoir reçu un tamashigiri dans les côtes, avoir un roquet poinçonné sur un mollet et s'être mangé une pelle en pleine poire, vous pensez qu'il a dû en voir d'autres. Ergo, il sera d'une humeur massacrante.

Ce dont vous n'êtes pas certain (et c'est peu dire) :

Où est partie cette satanée balle?

Tout peut s'expliquer en un centième de seconde – l'équivalent du trajet de la balle :

Imaginez donc cette balle à cœur de plomb chemisée de cuivre (tout cela, vous le savez de source sûre, n'est pas du tout éco-responsable) 9mm Parabellum (« Si vis pacem, para bellum » Vegetius, Epitoma Rei Militaris : si tu veux la paix, prépare la guerre) aka FMJ ou Full Metal Jacket, violemment amorcée par le percuteur, éjectée par le canon de l'arme, en l'absence de nuage de poudre (depuis les années 1890 il n'y en a plus – oust la sempiternelle poudre noire), lancée à une vitesse approximative de 350 m/s: donc Emir, situé à environ 3 mètres 95, allez, disons 4 mètres, devrait recevoir la balle, s'il la reçoit, dans 0,011428571428571428571428571428571 seconde (vous pouvez donc voir que vous aviez raison depuis le début). Ceci étant dit, ceci étant fait, vous voilà embarqué dans un récit qui dure 0,011428571428571428571428571428571 seconde.

La balle est sur son trajet, sa trajectoire est linéaire (l'impact de la distance est ici négligeable), droite, dans l'alignement imprimé par le canon. Elle a une légère tendance à vriller sur elle-même, mais là encore la distance fait que ce mouvement est négligeable. Vous pouvez d'ores et déjà éliminer la direction de l'épaule, l'angle du canon ne la permet pas.

Pendant le temps où la main du destin dirige votre balle, vous voyez le futur se dessiner au fin fond de votre esprit, aussi distinctement et aussi véritablement que Cassandre a dû voir le sien. Vous voyez Elena dans vos bras après une nuit d'amour enfiévré ; vous vous voyez affalé sur un transat sur une île paradisiaque, au beau milieu de nulle part, un hydravion en arrière-plan amarré à un ponton dans une crique bleu turquoise, à siroter un cocktail tout en écrivant une carte postale à Mme Froitemont accompagnée d'un chèque pour les croquettes au caviar de Polly ; vous vous voyez dans un appartement sur la cinquième avenue à New-York, votre Walther PPK exposé, bien en vue, dans une vitrine en verre, à donner une réception où vous ne reconnaissez pas encore tout le gratin, mais il y a bien quelques stars hollywoodiennes comme...comme...Woody Allen ou Gianna Michaels (NDLR n'allez pas voir, sauf si vous êtes majeur et vacciné – un vieux reste du célibat forcé de notre héros), ou encore Nicole Scherzinger, même si c'est une chanteuse (là ce n'est pas pareil, c'est une vieille habitude, NDLR) ; vous vous voyez main dans la main avec Elena dans les rues enneigées de la capitale moscovite – la balle a parcouru la moitié de la distance (soit deux mètres environ et 0,005714285714285714285714285714 seconde) et il est possible qu'elle aille se ficher dans le chambranle de la porte – vous vous voyez allongé sur le sol, dans une mare de sang, ce salaud d'Emir vous dominant de toute sa superbe, les mains maculées des sangs d'Elena, du vôtre, de Mme Froitemont. Dans un de ses poings hoquète le corps agonisant de Polly, ses poils collés en dread locks affreux ; vous vous voyez dans le meilleur des cas luttant contre le colosse, assénant son visage de violents coups de poings et lui ne bougeant pas d'un pouce, souriant même, une lèvre fendue, et vous envoyant valser sur votre table de salon, sur le mur de votre chambre, votre dos craquant sinistrement sur la table de chevet – la balle est pratiquement arrivée à destination – il ne fait plus aucun doute que seul l'un de ces scénarios est le bon : reste à savoir lequel – et en un instant aussi court qu'une poignée de microseconde, vous voyez cette balle venir de plein fouet se ficher 
 

Sunday 20 June 2010

Une histoire désopilante


Voilà, "finitatum est", comme aurait dit une connaissance à moi. J'ai dû lui faire sa fête. Il a eu son compte, il ne m'em...merdera plus. Faut dire aussi que ça trainait depuis un moment, cette histoire.

Tout d'abord, je ne l'ai pas vu, planqué derrière les autres, à ras de terre. Il disait rien. Toujours de bon poil, quoi. Pas un mot plus que l'autre. Faut dire aussi que tous les matins ils sont en rangs d'oignons, et y'en a pas un qui moufte. Ce n'est qu'à la mi-journée que certains deviennent horripilants. Mais pas lui. Il attendait sagement dans son coin, en bon fourbe quoi. Pas bougé d'un cil quand je leur ai fait leur fête, aux autres, histoire de leur apprendre les bonnes manières et que ceux qui étaient restés à leur place se sont poilés comme des manches. Faut pas bouger, et ils le savent. Mais y'en a toujours qui veulent être plus malins que les autres et même s'ils savent pertinemment que je vais leur tomber sur le poil à bras raccourcis, il faut qu'ils la ramènent. Alors on les tond à grands coups de serpe devant les autres ou alors on les défrise, et en général ça marche au poil.

C'est pas rose tous les jours. On a beau représenter une certaine autorité, ça se pousse dans tous les sens; alors on réorganise, on ramène ceux qu'il faut dans le rang, on met de la discipline, on essaie de booster ceux qui ont un baobab dans la main. À chaque jour suffit sa peine. J'ai vraiment pas un métier facile, à enseigner à tous ces chevelus, à ces tondus, à ces mariolles de tous poils, à ces scalpés de la vie.

On fait ce qu'il faut, mais y'en a toujours un qui faisande dans son coin. Toujours. On l'attend au tournant parce qu'on ne sait jamais où il se planque. Tapi dans l'ombre. Faut dire aussi que les cours, c'est rasoir. C'est barbant, quoi. Mais c'est pas ça le problème, avec le petit fourbe. Je devrais plutôt dire le petit roquet, parce que c'est toujours, mais alors toujours, le plus petit qui aboie le plus fort, une fois qu'il est sorti de sa cachette. Il s'en faut parfois d'un cheveu pour qu'il en ait un sur la langue et que ça rende le truc encore plus ridicule. Faut dire qu'il y en a des hargneux, et ils reprennent du poil de la bête quand les autres suivent leur exemple. Mais on brosse tout le monde dans le sens du poil et ça repart comme sur des chapeaux de roue.

Sauf que des fois, c'est vraiment la cata. Celui qui préparait son coup en douce se manifeste un peu comme du poil à gratter, il démange, il gratte, il est tout rouge. Alors comme il nous cherche des noises, ben il nous trouve: on le gratte à rebrousse-poil, on lui taille un costard bien propre et souvent ça suffit. Mais des fois il se rebiffe et là encore il prend bien son temps, le petit fumier. On sait pourtant qu'il va revenir à la charge mais des fois c'est tellement long qu'on l'oublie. Et il revient comme un cheveu sur la soupe et alors là on a deux options: soit on se fait des cheveux blancs soit on se les arrache. Parce que dans toute la tignasse on sait qu'il n'y en a qu'un qui fait tout pour vous hérisser le poil, mais alors d'une puissance! Et puis il a tellement pris son temps qu'il a bien pris racine. Et y'a plus qu'une chose à faire: on prend la pince à épiler, et on triture, et on re-triture, et ça saigne, et c'est moche, voire très laid, la bidoche à nue, et ce satané poil qui ne se rend que parce qu'on va le chercher loin. À un poil près, ça nous gâcherait la journée.

Histoire pour les profs de tous poils, ou pour les esthéticiennes. À toutes et à tous, mea culpa.
 

Thursday 17 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #9 - Google error

Pourriez-vous, chers amis et chères amies, réitérer vos votes, car Google, cette gargouille gargarisée à la glue, semble prendre un malin plaisir à censurer mon bureau de vote!

Je vous redonne les propositions, et je vous serai reconnaissant de bien vouloir remettre vos votes en commentaires...par avance et pour faire la nique à Google, MERCI!


Vous êtes la main du destin: où allez-vous loger cette balle de Walther PPK?

- en pleine tête, entre les deux yeux. Bien fait!
- dans l'épaule, vous êtes clément, et surtout joueur.
- Ohlàlà. Trop compliqué tout ça. Vous laissez la main à votre sœur, Hasard.
- dans la porte.

Tuesday 15 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #9


James Bond. Il vous a appelé James Bond. Comportez-vous comme tel. Sortez sur les toits, trouvez un moyen de descendre, prenez le train et allez chez vos parents. Vous aviserez sur place.
Vous sortez enfin de vos pensées lorsque la porte s'ouvre et Elena rentre en scène, véritablement. Elle ne peut s'empêcher d'être théâtrale, celle-là. Suivie d'une autre beauté slave. A présent tout se met en place dans vos neurones: la comptable emboîte le pas à la traîtresse russe. Une enveloppe marron à la main. « Eh merde, » pensez-vous. Cela doit même se lire sur votre visage.
« Ne fais pas cette tête. Je n'ai rien dit à Emir. Viens dans le salon, il faut qu'on discute. » Vous n'avez pas trop envie de discuter, mais connaissant la demoiselle, elle doit avoir dans son sac à main tout une gamme d'armes, de la lime à ongle en kevlar jusqu'au pistolet TASER.
« Très bien, j'ai des choses à dire moi aussi. » Vous prenez place dans le salon, elles bien sur le rebord du canapé, vous sur un tabouret.
« Si ça ne te gêne pas, je vais commencer. Tu as essayé de te démarquer, c'est honorable, même si ça me surprend de toi. Mais nous avons les cartes en main à présent. Nous avons les listings et la clef. Je te propose un deal: tu viens avec nous et on partage, ou on te donne à manger à Emir et ses chiens. » Là-dessus, la comptable, qui ne comptait pas beaucoup jusque là, sort un drôle de pistolet de son sac à main.
« C'est quoi?
_ Une seringue hypodermique.
_ Bon, je ne pense pas avoir le choix. Je suis des vôtres donc. Mais il me faut une arme.
_ Tu as déjà tiré? » La comptable vous regarde droit dans les yeux. Vous avez dit ça comme ça, sans y penser. Elle considère votre remarque avec un aplomb désarmant. Elena reprend la parole.
« Visiblement non. Natacha, donne-lui le Walther. Comme ça il ne risque pas de nous tuer s'il nous tire dessus sans le vouloir.
_ La confiance règne.
_ On n'a pas beaucoup de temps avant qu'Emir ne vienne fourrer son nez ici. Tu n'as pas intérêt à nous lâcher, on ne sera pas trop de trois. On y va. » Vous êtes tous déjà debout. Vous n'avez pas le temps de réfléchir, vous suivez. Arrivés à la porte, celle-ci s'ouvre d'elle-même. En un instant, les deux filles se plaquent contre le mur et vous restez tout penaud, « comme un con » diraient certaines personnes médisantes, à regarder Emir, encore la poignée dans la main, vous dévisageant et ses yeux se fixant soudain sur votre arme.
« Un Walther PPK. On se prend donc vraiment pour James Bond. Allez-y les gars. » Il fait un pas de côté pour laisser passer trois murs noirs, dont un avec un pansement sur le nez. Vous auriez aimé faire quelque chose, mais les filles ne vous en laissent pas le temps. Un « pft » et l'un des gorilles n'est plus qu'une masse geignante sur votre tapis qui dit « BONJOUR ». Les deux autres se retournent et se retrouvent lacérés de coups de pieds et de poings, à tel point que vous vous demandez si les armes les plus efficaces ne sont pas les sacs à main, voire les mains elles-mêmes. En un rien de temps il n'en reste plus qu'un debout, mais c'est sans compter sur Emir qui, d'un geste d'une précision effroyable, enserre de ses larges mains poilues, en un instant, la tête de la comptable et la fait tourner avec un craquement sinistre. Elle ne comptera plus, désormais. Vous pouvez lire la peine sur le visage d'Elena qui sort un TASER de son sac à main et électrocute le dernier molosse qui voulait se rebiffer.
Elle se redresse. Vous voilà à deux contre un. Sauf que ce salopard d'Emir est beaucoup, mais alors beaucoup, plus rapide que vous. Il sort un couteau de son ceinturon, jaillit auprès de la jolie russe et la tenaille rudement, lui passe la lame sous la gorge fine. Un mince filet de sang laisse un sillon le long de l'albâtre de sa peau.
Vous n'avez pas bougé le petit doigt jusqu'à maintenant, il est peut-être temps de faire quelque chose, non? Vous pointez alors votre Walther PPK bien droit devant vous, le tenant à deux mains, les jambes bien écartées. Emir sourit.
« Lâche-la, pourriture.
_ Tu te crois dans un film? T'es vraiment un loser de première. Je sais pas ce que tu lui trouvais, Lena chérie, mais il est bon à foutre dans un film de série Z, ton zozo.
_ Bon, ça va aller? Je suis là et j'ai une arme pointée sur toi » et vous trouvez judicieux d'ajouter « connard ».
_ Vas-y, James Bond, tire. Qu'est-ce que tu attends? Tu as peur de louper ton coup? Il faut viser entre les deux yeux et pour un boss comme toi, ça devrait pas poser de problème. » Il marque un point, mais en même temps qui ne tente rien, n'a rien. Quelque chose sur le visage de la jeune femme vous indique que votre détermination respire la mort à plein nez en ce qui la concerne. Mais vous n'allez pas vous démonter en si bon chemin. Rien n'arrivait dans votre vie jusqu'à ce fameux matin où tout a basculé.
Votre doigt est sur ce que vous pensez être la gâchette. Le temps a dû ralentir, car le coup met une éternité à partir. Mais quelque chose vous surprend: Emir se tord de douleur alors que vous n'avez pas tiré, du moins vous semble-t-il. Vous ne comprenez pas non plus comment Elena a réussi à se dégager et à donner un violent coup « tamashigiri » dans les côtes du boucher slave, ni d'ailleurs ce qu'elle semble vous dire alors qu'elle plonge à terre. Ce qui vous intéresse, c'est de voir cet homme se retourner vers la porte encore ouverte et de vous étonner de la présence de Polly, les crocs visiblement bien plantés dans un mollet du barbare, puis de celle de Madame Froitemont, qui d'un geste fracassant abat une pelle à ramasser les cendres de cheminée sur la tête du malheureux soldat chvéïk. C'est alors que votre balle se décide à partir...


Vous êtes la main du destin: où allez-vous loger cette balle de Walther PPK?

Tuesday 1 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #8


Vous pouvez essayer de vous enfuir. Peut-être y a-t-il assez d'argent dans l'enveloppe pour partir? Qui ne tente rien n'a rien! Fébrile, vous regardez votre montre. Il ne vous reste plus qu'à feindre la nausée – ce qui ne devrait effectivement pas tarder – selon le plan du Boucher slave. Voilà que, bien inconsciemment, vous vous mettez à réfléchir. Vous fouillez dans votre tiroir et en extrayez une enveloppe marron sensiblement de la même taille que la plus grande. Vous vous demandez s'ils savent exactement ce que contenait le coffre, mais vous vous sentez de taille pour les berner. Vous voilà prêt: vous ouvrez l'enveloppe. Une liasse de feuilles A4 avec tout un tas de numéros et de noms. Comme c'est un peu votre métier, vous saisissez tout de suite que ce sont des comptes bancaires en...suisse peut-être, et qu'un sacré paquet d'argent transit dessus. Vous voilà fixé. Au tour de la petite enveloppe à présent. Rien d'autre qu'un petit bout de papier, vraisemblablement arraché d'une nappe comme dans les brasseries l'été, sur lequel figure un nom bizarre, ou un mot, « M ektoub » et un numéro, peut-être de téléphone.
Il reste la clef. Une clef basique. De boîtes aux lettres, peut-être, quoiqu'un peu longue.
Sans l'avoir véritablement décidé, vous vous retrouvez devant la photocopieuse qui avale la liasse et la ressort dupliquée. Vous ne croisez personne alors que vous retournez dans votre bureau, replacez l'original dans la nouvelle enveloppe.
Il ne vous reste plus qu'à savoir où mettre le numéro et la clef. Ni une ni deux, vous glissez le tout – photocopies, clef, morceau de papier – dans une autre enveloppe marron, écrivez l'adresse de vos parents dessus et la mettez sur votre bureau. Elle partira au courrier en fin d'après-midi. C'est à ce moment qu'entre la comptable. Vous ne l'aviez jamais remarqué, mais il y a une sorte de beauté indéfinissable en elle. Ses traits sont fins, elle est élancée mais ses hanches se laissent deviner sous ses vêtements un peu lâches. Elle a de beaux cheveux noirs, fins, ramenés en chignon sur le haut de la tête qu'elle porte droite, bien maintenue sur ses épaules carrées. Un rien strict. Elle vous demande si vous allez bien, vous êtes pâle comme un linge. Vous lui demandez si la secrétaire est là, pour l'avertir que bien que soyez venu, vous ne vous sentez pas bien. Vous allez rentrer chez vous. La comptable se balance sur un pied et son déhanché attire votre regard. La secrétaire est en réunion avec le patron, si vous voulez elle fera passer le message. Même pas besoin de feindre. C'est pas beau ça? Vous la remerciez, et pensez pour vous-même qu'une fois cette histoire de fous furieux terminée, vous l'inviteriez bien à déjeuner, histoire de faire plus ample connaissance. En attendant, vos yeux s'attardent sur ses jambes, ou est-ce plus haut, alors qu'elle quitte votre bureau en vous souhaitant de vous remettre rapidement. Un joli sourire.

Qui contraste nettement avec les visages qui vous scrutent alors que vous montez dans la voiture du Boucher slave, garée au coin de la rue. Il y a trois gorilles à l'arrière de la Volvo. Tous habillés avec de longs manteaux noirs au col relevé. Vous ne pouvez vous empêcher de dire « Salut la Gestapo! » alors que leurs mines pas tibulaires pour deux sous vous font froid dans le dos. Vous vous demandez ce qui peut bien motiver une telle arrogance de votre part.
« Assieds-toi au lieu de dire des conneries. Ton patron se doute de quelque chose? » Visiblement, le Boucher n'est pas là pour discuter le bout de gras.
« Je n'ai vu que la comptable. La secrétaire n'était pas là.
_ Emir! » Le gorille du milieu est visiblement tendu, prêt à en découdre. Il sert ses poings et ses articulations sont blanches, les veines saillantes.
« Mais ils parlent en plus!
_ Ta gueule. Ils sont énervés alors je te conseille de pas les chercher. Tu as tout? L'enveloppe, c'est bien. Et il devait y avoir une clef. Une petite clef. Elle est où ?
_ Une clef ? J'ai rien vu, et j'ai tout bien regardé. » L'autre excité derrière pose une question, rapidement. Il parle comme il doit tirer avec une Kalachnikov, lui. Emir répond « Нет ». S'ensuit une bousculade dans le mètre cube de l'habitacle. Vous sentez l'odeur du cuir prêt de votre visage. Vous ne voyez plus rien. Vous ne vous sentez pas très à l'aise, pour dire le moins. Trop de corps autour de vous, sur vous. C'est pesant, lourd de reproches. Vous sentez même des mains agripper votre cou. C'est alors que dans la confusion des bras et des pieds qui volent un peu partout, vous voyez le poing d'Emir s'abattre au milieu de la masse. Un « Argh » vient mettre un terme au joyeux bordel. Vous voyez de nouveau. Ils vont finir par alerter les passants avec leurs conneries.
« Andreï, Делайте не дерьмо! » L'autre bougre a le nez en sang. Il est plus calme, bizarrement. Il a sorti un étrange mouchoir brodé, ouvragé même. D'un blanc immaculé. Un souvenir du pays, sans aucun doute. Plus trop immaculé maintenant.
« Bon, pas de panique. Tu es certain qu'il y avait pas de clef?
_ Certain. Elle sert à quoi cette clef?
_ A fermer ton cercueil si on met pas la main dessus. Essaie de rien dire pendant deux minutes. » Là-dessus, il descend de voiture, vous laissant avec les joyeux drilles. Et dire que vous pensiez il y a trente secondes que l'ambiance était tendue. Vous espérez, vous agrippant au siège d'une main, l'autre sur la poignée de la porte, qu'Emir ne va pas passer trois heures au téléphone. D'ailleurs, qui peut-il bien appeler? Vous aimeriez bien regarder devant vous, ignorer l'ignorance brutale assise derrière vous, mais il semble qu'un démon bien impertinent ait pris possession de vous. Vous vous retournez, un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant vos belles dents qu'un orthodontiste chevronné et d'une patience d'ange a mis plusieurs années à refaçonner pour qu'elles restent toutes dans votre bouche – dents dont vous ne doutez pas perdre le contrôle si vous continuez à titiller vos amis d'un jour. Trois paires d'yeux vous fixent avec autant d'amicalité qu'une roche prête à s'effondrer sur vous. Vous ne savez pas ce qui les retient. Ils semblent se faire la même réflexion. Vous les voyez, comme d'un seul homo brutus castagnus, avancer les épaules vers vous. Ils se remettent dos à la banquette alors que leur chef se remet derrière le volant.
« Je te ramène chez toi. On t'appellera plus tard.
_ Je suis pas libre? Vous m'aviez dit –
_ Tu es vivant, à ce que je sache. Tant qu'on n'a pas la clef, on peut rien faire. Il va falloir que tu retournes au coffre, mais pas aujourd'hui. En plus, on n'en a pas tout à fait fini avec toi. »
Le trajet se fait sans encombres, mais vous vous sentez rougir. Est-ce la chaleur humaine qui ne vous sied pas? Vous avez mal calculé. Vous êtes dans la panade. La clef est en partance pour le Poitou. Alors qu'il vous dépose au pied de votre immeuble, Emir se tourne vers vous:
« Pas de blague, James Bond, si tu appelles la police ou si tu essaies de me jouer un tour, je te ferai regretter ça toute ta vie, longue ou courte. » Vous acquiescez du chef, l'estomac juste derrière vos amygdales que, il n'y a pas si longtemps, vous étiez fier d'avoir conservé.
De retour dans votre appartement où rien n'a bougé – même leur matériel est resté – vous examinez les possibilités qui s'offrent à vous.

Saturday 29 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #7


Vous demanderiez bien ce qu'il entend par « riche » et surtout « libre ». Vous pourriez peut-être même manigancer quelque chose pour filouter les bandits et empocher une partie du magot.
« Qu'est-ce que vous entendez par « riche »? » Son visage s'illumine avec un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant une rangée de dents en or flambant neuves.
« Je crois qu'on va s'entendre.
_ On verra ça après que vous ayez enlevé ce scotch sans m'arracher la moitié de la peau et des poils. J'ai mis vingt ans à avoir cette toison. »

Vous voyez bien dans les yeux des hommes qu'ils font attention à ne pas vous faire de mal, mais vous n'êtes pas certain qu'ils n'y prennent pas un certain plaisir. Toujours est-il que c'est les yeux larmoyants que vous vous dirigez vers la salle de bain ôter les derniers restes de collant sur votre peau. L'ambiance est beaucoup plus décontractée, et vous pourriez en profiter pour vous enfuir, pensez-vous en vous-même. Mais quelque chose en vous vibre lorsque vous pensez à ce que vous allez faire dans quelques heures.

Et soudain vous vous voyez comme dans un film.

L'eau ruisselle sur votre corps sur un air de piano triste, et en gros plan les marques de scotch sur votre peau, la chair de poule, le sang qui s'échappe de vos plaies et une flûte orientale résonne pour accompagner vos rictus de douleur. Ces sons s'entremêlent alors que le sang tourbillonne et s'échappe par le siphon de la douche. Une voix de femme, plaintive, vibre, ondule, entonne une longue mélopée. La scène s'éternise, l'eau coule et s'abat à vos pieds et votre sang en sillons le long de vos chevilles, quelques gouttes qui s'attardent ici et là. La musique continue sur un fond noir.
Vous voilà dehors, dans le matin frais. Marchant au ralenti, vos mouvements amples et mesurés. La voiture de vos acolytes vous attend, portière ouverte sur le trottoir. Et le chant de la femme est toujours là, en fil d'Ariane, une voix capable de sceller un destin. Tout comme vous en cet instant où, prenant place aux côtés de l'homme sans cagoule, vous scellez le vôtre. La caméra s'arrête sur le capot de la voiture. L'homme démarre, son visage impassible. Le vôtre en revanche est tendu, inquiet. Il vous tend une flasque. Vous avalez de grandes lampées d'un breuvage qui vous fait grimacer. Vos yeux semblent s'arrêter sur chacun des détails au dehors de l'habitacle, mais en fait on se rend bien compte qu'ils sont tournés vers l'intérieur, en vous, et les intonations lancinantes de la chanteuse font écho à cette joute manichéenne qui se joue en votre for intérieur. La flasque reflète la lumière des lampadaires. La voiture déambule dans les rues animées mais la caméra ne change pas d'angle, tournée vers le pare-brise et vos visages, le malfrat et le kidnappé soudain devenu complice.

Arrivé devant la banque, la voiture et la mélopée s'arrêtent.
« Alors tu te rappelles ce que tu dois faire?
_ Oui, et vous, vous serez où? Je ne serai pas loi, prêt à te récupérer. Tu diras que finalement tu te sens pas bien du tout et que tu rentres chez toi. Voilà le papier avec le numéro et le nom du propriétaire du coffre. Et n'oublie pas de lui demander ce qu'il se passe si un client perd sa clef.
_ OK. » Plus de questions à poser, obéir aux ordres. Et aux moment où vous sortez, au ralenti, une musique rythmée, avec des basses lourdes, sourdes, et des cuivres criants de toutes leurs tripes éclate en mille coups de tonnerre dans le lointain. Et rythme vos pas. Vous poussez la porte – gros plan par-dessus votre épaule de votre main. Caméra au niveau de votre bassin, la flasque dans votre main gauche, se balance au gré de votre démarche. Toujours la musique battant comme un cœur. Et vous montrez votre badge et vous passez les sas de sécurité et la batterie fait subitement place à un piano qui égrène une petite comptine alors que la caméra, en passant, fait le point sur des visages inquiets, des regards soupçonneux, désapprobateurs. Et un gardien vous arrête, montre d'un coup de menton la flasque. Vous la lui donnez d'un brusque revers de la main, qui vient cogner contre sa poitrine. Interloqué par ce geste, le gardien prend la flasque et vos pas reprennent non aux accents du piano mais aux pulsations de la batterie. Et les bureaux défilent et la caméra, juste au-dessus de votre tête, en légère contre-plongée, met un long couloir en perspective. Et la musique s'arrête alors que la plaque « M. Ponty, Chef des Coffres » s'affiche en gros plan.
« Monsieur Desmart, que me vaut l'honneur?
_ Je ne vais pas abuser ni de votre temps ni de votre gentillesse, Monsieur Ponty. Je suis ici pour un coffre que je dois vider de son contenu. Ma tante, Madame Desmarais, m'a chargé de cette formalité. Voici la clef.
_ Je suis au courant, figurez-vous. Votre « tante » m'a appelé en disant que quelqu'un de confiance viendrait récupérer ses effets personnels. Je n'aurais jamais pensé à vous. Vous devez néanmoins signer le registre comme tout le monde.
_ Cela va de soi. » Et un qanûn fait vibrer ses cordes mélancoliques et auguriennes dans l'air alors que vous apposez votre signature au bas du document. La femme – elle de nouveau – entonne un autre chant, plus profond, et vous accompagne, vous et Monsieur Ponty, vers la salle des coffres. Alors qu'un violon et un alto, comme par désenchantement, viennent tisser une trame mélodique dense, presque oppressante, et par-dessus votre épaule, flou parce que le point n'est pas fait sur lui, vous voyez le vieil homme qui vous jette des coups d'œil à la dérobée. La musique continue alors qu'il sort un trousseau de clefs et ouvre une, puis une deuxième porte blindée. Là des centaines de rectangles dorés apparaissent, entassés du sol au plafond, avec de petits numéros noirs dans les angles. Deux hommes sont au fond de la salle, assis à une table: ils s'interrompent à votre arrivée, puis voyant Ponty, reprennent leur discussion à voix basse.
Il vous désigne d'une main tendue un des rectangles. Vous demande votre clef. D'un geste expert, il sort de l'emplacement une longue boîte rectangulaire et la pose sur une petite table. Il va pour se retirer mais vous l'arrêtez:
« Monsieur Ponty, qu'est-ce qu'il se passe si un client perd sa clef?
_ Ah! Une bien bonne question! Comme quoi je me suis bien trompé sur vous, vous avez plus de jugeote qu'on ne le pense. Eh bien j'ai ceci, au cas où. » Et il déboutonne le col de sa chemise et en extrait une clef brillante, attachée par une lanière de cuir rabougri. Gros plan sur la clef dans la main tremblante, tâchée de vieillesse. « Ceci est le sésame, Julien, le sésame! » Et il remet le passe dans sa chemise. Il tourne enfin les talons, va saluer les deux hommes au fond de la salle.
Vous n'avez pas les idées très claires et la musique inquiétante revient. Vous ouvrez la boîte. Une grosse enveloppe marron s'y trouve. Une plus petite se trouve en dessous. Et une clef. Vous pliez la petite enveloppe et vous la fourrez ainsi que la clef dans votre poche. L'enveloppe sous le bras, précédé du vieil homme, vous regagnez le couloir, puis après lui avoir serré la main, vous regagnez votre bureau. La musique s'arrête subitement.
Que décidez-vous?

Tuesday 25 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #6


Vous ne savez que faire, vous n'avez jamais été braqué avant. Vous vous jetteriez bien sur eux, mais quelque chose vous en empêche. Alors plus qu'une solution: crier, et fuir. Pour une raison inconnue – d'un autre côté vous ne pouvez pas tout savoir, n'est-ce pas ? – vous faîtes l'inverse de ce que vous aviez décidé de faire. Vous fuyez donc, vers la chambre et vous criez ensuite. Vous trouvez ceci fort dommageable alors que votre cri aurait pu alerter les voisins, car ce qui sort de votre bouche presque aussitôt muselée par une poigne forte par-derrière ne ressemble pas beaucoup à un cri. Un gargouillis peut-être, tout au plus.
Alors, en une fraction de seconde, vous voyez le futur défiler devant vos yeux embués de larmes – le malfrat vous fait un mal de chien : vous vous voyez menotté au radiateur, avec un ruban adhésif noir sur la bouche, à devoir regarder ces trois renégats violer la pauvre Elena puis lui trancher la gorge avant de vous faire subir le même sort. Ou alors ils ne vous violeront pas mais vous éviscèreront en prenant leur temps, vous injectant toute une gamme de produits pour vous maintenir éveillé, conscient dans votre agonie, et la douleur vous arrachant des spasmes, des sanglots que personne n'entendra dans le noir de la nuit mais que tous vos voisins imagineront avoir entendu lorsqu'ils entendront, de la bouche de Mister Goussard, gardien de l'immeuble et rapporteur à quatre chandelles, qui jurera tous les grands dieux qu'il a tout vu parce qu'il a dû ouvrir la porte aux policiers et mon dieu tout ce sang des boyaux partout ça puait la viande avariée – excusez-moi Madame Froitemont – GRRRRR – du calme Polly – et il y en avait partout ils ont dû le droguer pour qu'il ne crie pas c'est horrible de devoir endurer autant de souffrance que ça sans pouvoir crier.
Et un instant plus tard, vous vous dîtes que vous venez d'envoyer un message prévenant de votre absence demain: personne ne viendra à la rescousse ni n'aura la moindre puce à l'oreille, pas même le collègue – s'il y en a – qui vous appellera pour prendre de vos nouvelles et qui tombera à chaque fois – c'est-à-dire deux fois – sur le répondeur.
Tout ceci pour dire que si vous aviez crié puis fui, tout ceci aurait pu mieux se terminer.
Mais l'ordre de la soirée est différent. Vous êtes ligoté avec de larges bandes de scotch noir – vous appréhendez déjà l'épilation quasi-intégrale avec leur force de brutes épaisses et ricanantes – et on vous jette sans ménagement sur le lit – qui est vide – car Elena – est en train d'embrasser un des hommes, à travers sa cagoule. La lumière de la lampe de chevet ne laisse rien voir de ses émotions. Peut-être tout simplement parce qu'elle n'en a pas.

L'un des trois, celui que cette p..etite traîtresse d'Elena a embrassé, donne les ordres dans une langue que vous ne reconnaissez pas, mais une langue slave. Pourquoi pas du russe? Ou du serbo-croate. Bref. Une langue de sanguinaires. Ils ne semblent pas vous voir, font des allées et venues dans l'appartement, entreposent du matériel dans la cuisine, boivent des bières à la paille. Il y a quelque chose de ridicule à porter une cagoule – une balaclava, pour être plus précis, mais vous ne le pouvez pas – avec des trous pour les yeux et la bouche. Les yeux parlent aussi, disent des centaines de choses. Sauf que là, rien ne vous parle moins que les yeux inexpressifs des trois hommes. Elena est partie, donc il n'y a pas grand chose à regarder.
Il est six heures douze. Et à cette heure-là, ce jour-là, vous regardez votre chambre avec d'autres yeux. Et vous vous trouvez pitoyable: aucune touche féminine, mélanges de couleurs sans aucun goût ni structure, des objets ternes, sans relief: rien n'accroche l'œil. Tout est plat. À cette même minute, le leader vient s'accroupir à vos côtés. Son haleine est un savant mélange de tabac, de café, de bière et de transpiration. Vous froncez les sourcils.
« Qu'est-ce que tu sens? » vous demande-t-il. Sa voix est mesurée, mais vous en sentez la puissance tapie derrière les « r » qui roulent comme des trains de marchandises.
« J'ai droit à un joker?
_ Tu boiras plus tard. Dis-moi ce que tu sens. Sois honnête, je ne te frapperais pas.
_ Ben vous sentez plutôt mauvais. Ça sent la sueur et le mauvais café. Ça sent le tabac froid et la bière en canette. Je plains Elena d'avoir à vous embrasser. » Voilà que vous lancez des répliques à la James Bond qui se retrouve acculé, prisonnier – sauf que lui réussit toujours à s'en sortir. Votre peau ne vaut pas bien cher dans l'état actuel des choses, mais vous n'avez pu vous empêcher d'insulter ce barbare avec ses yeux de porcs et ses poils de barbe qui passent au travers du tricot. Et contre toute attente – il sourit. On dirait que ça lui plaît que vous l'insultiez. Si ce n'est que cela, vous êtes prêt à recommencer, mais il vous devance.
« Très bon, tavaritch, très bon. J'ai fumé ma dernière cigarette hier et je ne bois pas de bière. Juste du café. Pour la sueur, on ne peut pas dire que j'ai beaucoup transpiré. Elena avait raison, tu es celui qu'il nous faut.
_ J'ai bien peur –
_ Toi, tu te tais. Tu vas faire ce que je te dis de faire. Tu vas aller au travail un peu en retard, faire comme si de rien n'était. Tu vas te débrouiller pour parler à monsieur Ponty. Il t'aime bien, d'après ce qu'on sait, et tu vas lui demander de l'accompagner dans la salle des coffres pour retirer le contenu d'un certain coffre. Voilà la clef. Et tu vas y aller bourré, sans faire de vagues. Si tu fais ça, tu es un homme riche, et un homme libre. » Vous avez envie de lui rire au nez – et c'est ce que vous faîtes.
« Ahahaha, si vous saviez, mon pauvre, Ponty ne peut plus me blairer depuis que j'ai par erreur vu sa boîte mail. Je n'ai fait que voir le titre des deux premiers messages: le vieux est abonné à un site porno. » Il vous a semblé voir un froncement de sourcil, mais la voix ne tremble pas, pas plus que les lèvres ou les cils. Tout paraît sous contrôle.
« Ça, c'est pas grave. Tu as la clef, il ne peut pas te refuser l'accès. Tu inventeras un bobard s'il te demande comment tu as eu la clef. Alors, tu dis quoi? »

Sunday 16 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #5


« On monte ? Je dois bien avoir une bouteille de vin qui traîne quelque part...on discutera en buvant et vous pourrez enfin me dire votre nom. »
Elle ne vous répond que par un sourire. Si seulement à ce moment-là vous aviez tourné la tête vers le côté opposé de la rue...mais vous n'en êtes pas encore là. Vous la précédez et vous montez tous les deux dans l'appartement. La montée se fait beaucoup plus calmement qu'il y a à peine vingt-quatre heures, et vous vous demandez ce qui a bien pu se passer entre hier et aujourd'hui. Mais elle est là, vous entendez ses pas sur les marches, vous sentez son parfum, vous imaginez sa démarche un rien chaloupée...et en moins de temps qu'il ne l'a fallu la dernière fois, vous vous retrouvez plaqué contre le mur et vous sentez ses mains le long de votre corps, s'attarder à l'entrejambe et votre chemise est déboutonnée et – la suite se passe de commentaires. Il suffit de dire que lorsque vous ouvrez enfin la bouteille de vin, elle est allongée sous les draps, nue, les cheveux couvrant son visage. Votre cœur bat encore la chamade.
« De quoi veux-tu parler, Julien?
_ Eh bien, je ne sais pas, commençons par ton nom.
_ Est-ce si important que cela? Pourquoi veux-tu absolument savoir ça?
_ Il me semble que ça pourrait aider dans nos relations, on apprend beaucoup de choses avec un prénom.
_ D'accord, d'accord. Je m'appelle Elena. Sans H. Tu es content?
_ Oui! Passons à la question suivante: comment as-tu connu Albertine?
_ C'est un interrogatoire?
_ Ne le prends pas mal, Elena, je veux juste savoir ce qui nous a amené à être ensemble.
_ Pourquoi ne pas se laisser aller? Pourquoi toujours vouloir tout contrôler? Viens à côté de moi, détends-toi. Trinquons. » Vous faîtes la moue, mais face à un si joli minois, vous ne résistez pas longtemps. Vous n'êtes qu'un homme, après tout. Donc vous trinquez avec Elena, sans H, et au final vous voilà à discuter de tout et de rien, de votre travail – pour une fois que quelqu'un semble réellement intéressé par ce que vous faîtes – de votre vie – idem que pour votre travail – et vous voilà à ouvrir une autre bouteille – et vous remarquez ses tâches de rousseur dans le bas de son dos – la nudité ne semble en rien la gêner – et un léger accent indéfinissable – et elle regarde son portable toutes les cinq minutes – « Tu attends un coup de téléphone?
_ Non, c'est juste qu'il ne faut pas que je laisse passer l'heure.
_ Pourquoi? Tu as quelque chose à faire, quelqu'un à voir?
_ Tu es jaloux? » Et c'est précisément à cet instant que vous tombez définitivement amoureux d'Elena. Son sourire durant cette seconde vous frappe de plein fouet: jamais vous n'avez vu de femme si belle, de sourire si innocent, si envoûtant, si – vous en perdez vos mots. Et quelque chose a du transparaître dans votre regard car elle s'approche de vous et vous embrasse langoureusement et – la suite se passe de commentaires.
Vous continuez comme ceci jusque tard dans la nuit. Votre réveil indique peut-être deux heures, peut-être cinq, mais vous avez trop bu pour distinguer correctement quoi que ce soit. Elena est assoupie, enfin. Jamais vous n'avez eu à satisfaire autant d'ardeur sexuelle. Vous vous levez sans faire de bruit et vous dirigez vers les toilettes.
Au calme, la lumière éteinte, un rai de lune frappant le sol à quelques centimètres au-dessus de votre tête, par la lucarne, vous réfléchissez, le caleçon sur les chevilles. Il y a deux jours, vous ne connaissiez par Elena, et vous voilà à lui faire l'amour comme jamais. Il y a deux jours encore, votre routine était inaltérable et vous en étiez fier, de cette routine que vous aviez mis plusieurs mois à peaufiner. Il y a deux jours, vous n'aviez pas de sentiments – à présent vous sentez votre cœur battre, vos artères se gorger de sang, vos idées claires. Comment une vie peut-elle basculer en si peu de temps? Il y a quand même des choses qui vous chiffonnent, alors que vous vous essuyez: Elena a mis un certain temps à vous dire son prénom, et vous l'avez obtenu de mauvaise grâce. Ensuite, vous ne savez rien de ce qui la lie à Albertine. Elle semblait avoir besoin de vous de manière assez urgente, lorsqu'elle vous a retenu par le bras devant la banque. Maintenant, il ne semble même plus en être question. Bref, vous verrez cela au réveil, tranquillement – vous préviendrez le bureau que vous ne vous sentez pas bien et que vous prenez le reste de la semaine pour vous remettre – d'ailleurs pourquoi ne pas envoyer un mail directement? Cela fera plus crédible.
Aussitôt dit, aussitôt fait, vous tirez la châsse d'eau, vous vous lavez les mains et, assis sur une des chaises de la cuisine, de votre téléphone portable vous envoyez un mail à Nadine, la secrétaire. « Je ne me sens pas bien du tout, j'irai chez le médecin dans la matinée. Je ne pense pas être d'attaque avant la semaine prochaine. Je vous tiens au courant par mail ou par téléphone. Je vous donnerai l'arrêt de travail à mon retour. Bon courage pour le travail. Julien. » Il y a quelque chose d'excitant, que vous avez du mal à vous définir. Mais voilà: vous venez de mentir, et c'est bien la première fois, en ce qui concerne le travail. Jamais vous n'avez resquillé ainsi, « sans vergogne » conviendrait parfaitement. Vous allez pouvoir passer le reste de la semaine avec Elena, en apprendre plus sur elle, la découvrir comme un explorateur découvre un nouveau continent. Et c'est guilleret que vous décidez d'aller la réveiller lui annoncer la bonne nouvelle. Vous vous levez de votre chaise et vous mettez à imaginer ce qu'elle va bien pouvoir vous faire, cette fois.
D'ailleurs, vous entendez son téléphone portable à elle: elle vient de recevoir un message. Tiens, c'est vrai ça: elle n'arrêtait pas de regarder son téléphone. Elle a du oublier un rendez-vous. Pour vous.
Mais la joie est de courte durée: une fraction de seconde plus tard et vous entendez la porte d'entrée s'ouvrir et du bout du couloir – où vous êtes en ce moment crucial – trois figures sombres pénètrent dans votre appartement. Vous n'avez pas beaucoup de temps.

Sunday 9 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #4

Vous vous rasseyez, décidé à ne pas vous lever (de toute façon vous avez du mal) et à bouder un peu. Ce ne sont pas des manières. Elle se tient devant vous, sa respiration est haletante; elle porte une saharienne et un chèche blanc cassé qui contrastent avec ses joues rouges.
« Vous m'en voulez? Je suis désolé.
_ Vous êtes en retard.
_ Vous êtes ivre.
_ Farpaitement. Mais moi j'étais à l'heure.
_ Allez, arrêtez de bouder un peu, Julien.
_ Je n'ai toujours pas l'honneur de savoir à qui je m'adresse. » Elle prend visiblement son temps pour s'installer, sourit même. « Qu'est-ce qui vous fait sourire?
_ Je ne sais pas pourquoi je m'installe. Nous n'allons pas rester bien longtemps de toute façon. »
Interloqué est encore un mot qui aurait pu vous venir en aide. Vous remarquez ses traits fins, son nez légèrement aquilin, ses lèvres minces. Elle pourrait vous plaire. En un instant son visage se grave en vous.
« Vous ne me demandez pas pourquoi?
_ ...
_ Un peu plus et vous allez baver.
_ Hein?
_ Appelez le garçon, commandez de quoi éponger tout cet alcool, puis nous monterons chez vous. » Vous n'en revenez toujours pas, vous faîtes ce qu'elle vous dit.
« François, je vais pendre une salade niçoise prendre . » Silence gêné. Vous, ainsi que François, avez le regard braqué sur la jeune fille. Elle ne dit rien. « Ce sera tout. Et une carafe d'eau. Merci, François. »
Aucun mot n'est dit tandis que vous patientez. Elle ne fait que vous fixer de son regard amusé. Elle sourit. Aussi loin que vous vous le rappelez, François vous a toujours servi avec des manières très affectées, marquées comme elles doivent l'être dans les grands restaurants. Corbeille de pain, carafe froide, constellée de bulles d'air sur les parois intérieures. Vous le remerciez. Vos yeux se rencontrent et vous ne savez dire s'il vous implore ou veut savoir si vous avez besoin d'aide. Il prend congé, sans que vous ayez le temps de donner une réponse que vous n'avez pas encore vous-même formulé.
« Vous voilà servi. Mangez. Vous aurez besoin de toute vos forces.
_ Mais de quoi vous parlez? Je comprends rien du tout.
_ Ne faîtes pas l'innocent, Julien, vous savez très bien ce que nous ferons lorsque nous monterons chez vous. » Votre gorge se serre. « Nous ferons l'amour comme des sauvages, bien entendu. » A cet instant vous croyez à votre bonne étoile: si la fourchette que vous tenez en suspens à quelques centimètres de votre bouche était arrivée à destination, vous auriez recraché tout son contenu au visage de celle qui vous fait face. A cet instant, vous n'êtes que ridicule. Bouche ouverte, coude levé, fourchette à l'horizontale. Vos yeux ronds comme des soucoupes. Vous n'avez même pas à vous poser de questions du genre « c'est du lard ou du cochon? » ou « ya marqué 'pigeon' sur mon front? » Elle se penche vers vous, repousse la fourchette de sa main, vous embrasse langoureusement la lèvre inférieure.
Mais ceci n'est rien à côté de ce qu'elle vous fait une fois dans la cage d'escalier. Vous mettez ça sur le compte de l'alcool, mais vous vous souvenez vaguement que c'est vous qui avez bu. Vous ne pouvez fermer les yeux, vous vivez vos rêves. Si seulement vous ne sombriez pas, si seulement les contours de votre champ de vision ne s'estompaient pas, si seulement les lumières de votre appartement ne cédaient pas aux ténèbres.
Le jour où commençait votre histoire était un jour ordinaire. Aujourd'hui, à bien des égards, l'est tout autant. Il est 6h52 précisément, la sonnerie de votre portable vous tire d'un sommeil sans rêves et surtout de plomb. Vous ouvrez les yeux promptement, et passez aux toilettes, buvez un grand verre d'eau pour réveiller votre corps autant que votre esprit. Peut-être entendez vos pas traîner sur le parquet, peut-être. Vous prenez ensuite un solide petit-déjeuner: thé Lipton, deux tranches de pain/beurre/confiture plus ou moins bien tartinées, un bol de corn-flakes un peu trop sucré, un yaourt nature brassé et un grand verre de jus d'orange sans pulpe. Douche, brossage de dents, comme d'habitude. C'est au moment de l'habillage que rien ne se passe. Votre costume en plusieurs exemplaires vous tend les bras, mais quelque chose dans le coin de votre œil vous alerte. Dans le lit. Là, sous vos yeux ébahis. Personne. Là où il devrait y avoir quelqu'un, quelqu'une, eh bien c'est le vide. Un vide Co(s)mique, intersidérant. Comme aurait dit Audiard, vous avez le palpitant qui s'emballe. Il s'emballe tellement que vous l'avez au bord des lèvres.
Vous avez des souvenirs confus de la soirée, si ce n'est une odeur indescriptible, forte, entêtante. Vos membres se relâchent soudain, deviennent gourds, lourds, encombrants. Mais qu'avez-vous donc fait hier soir? Des folies de votre corps diraient certains. Et son visage vous revient comme un coup de tonnerre. Vous vous asseyez sur le bord du lit. Vous prenez le post-it que vous venez d'apercevoir entre vos mains fébriles.
« Merci. On se voit ce soir? Je ne serai pas en retard, promis. xxx » C'est le pompon. Toujours pas de nom.
En vous rendant au travail vous ne prenez ni journal, ni bus, ni attention à quoi ou qui ce soit. Vous hélez le premier taxi, vous engouffrez à l'intérieur. Vous tendez le premier billet de votre porte-feuille au conducteur. « Ça c'est pour vous si je suis au bureau dans un quart d'heure.
_ Cinquante euros? Ok patron, vous y serez en moins de temps que ça. » Vingt minutes plus tard vous voilà devant la banque. Vous avez quand même pu gagner du temps. Vous scannez la place du regard: aucune trace de l'inconnue. Pas de temps à perdre.
Vous direz bonjour aux autres plus tard, de toute façon vous êtes dans les premiers, avec la comptable. Ordinateur allumé, dépêchedépêche, vous vous connectez à Internet, tapez « Albertine Froissard » fébrilement sur le clavier. Bon, Facebook, Copains d'avant. Elle a bloqué son profil sur le premier site mais vous décidez de lui envoyer un message.
« Albertine, je ne sais pas si tu te souviens de moi, cela fait longtemps – tu parles, ça doit bien faire dix piges. J'espère que tu vas bien – même si je m'en fous pas mal – et que tu as pu mener tes projets à bien – même si t'es caissière à Leclerc je m'en tamponne. – Bon, LE passage délicat – Je me demandais si tu connaissais bien l'amie que tu m'as « envoyée », faute d'un autre mot. Une personne s'est présentée à moi en me disant qu'elle était une de tes amies, et elle a oublié de me donner son numéro de téléphone. Pourrais-tu m'aider – et pas dans dix ans –, merci ? – Bon par la même occasion je vais te demander en amie comme ça je te montre que je suis de bon volonté – En espérant avoir des nouvelles de toi, Julien Desmart. » Ça, c'est fait. Plus qu'à attendre une réponse.
Ce que vous ignorez encore, c'est que cette journée sera longue, à penser à la fille et à vos dossiers et vice-versa, à répondre à des coups de téléphone en espérant que ce soit elle et vous tombez sur votre collègue du bureau d'à côté qui vous demande des agrafes, à vous mettre près de la vitre le midi dans la brasserie pour pouvoir scruter la place au cas où elle vous y attendrait, à consulter vos e-mails toutes les cinq minutes et vous énerver sur « l'autre gourdasse » qui ne vous répond pas.
Vous êtes passablement énervé lorsque vous descendez du taxi (toujours dans l'optique « ne pas perdre de temps »), le soir venu. Mais elle est là, elle vous attend.
« Il faut qu'on parle », lui dîtes-vous.

Mais parler de quoi?

thirty thousand people

The day was torn and grim birds yet began to sing as if they knew nothing’s eternal and old gives way to new that man, one day, will fall t...