Sunday, 16 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #5


« On monte ? Je dois bien avoir une bouteille de vin qui traîne quelque part...on discutera en buvant et vous pourrez enfin me dire votre nom. »
Elle ne vous répond que par un sourire. Si seulement à ce moment-là vous aviez tourné la tête vers le côté opposé de la rue...mais vous n'en êtes pas encore là. Vous la précédez et vous montez tous les deux dans l'appartement. La montée se fait beaucoup plus calmement qu'il y a à peine vingt-quatre heures, et vous vous demandez ce qui a bien pu se passer entre hier et aujourd'hui. Mais elle est là, vous entendez ses pas sur les marches, vous sentez son parfum, vous imaginez sa démarche un rien chaloupée...et en moins de temps qu'il ne l'a fallu la dernière fois, vous vous retrouvez plaqué contre le mur et vous sentez ses mains le long de votre corps, s'attarder à l'entrejambe et votre chemise est déboutonnée et – la suite se passe de commentaires. Il suffit de dire que lorsque vous ouvrez enfin la bouteille de vin, elle est allongée sous les draps, nue, les cheveux couvrant son visage. Votre cœur bat encore la chamade.
« De quoi veux-tu parler, Julien?
_ Eh bien, je ne sais pas, commençons par ton nom.
_ Est-ce si important que cela? Pourquoi veux-tu absolument savoir ça?
_ Il me semble que ça pourrait aider dans nos relations, on apprend beaucoup de choses avec un prénom.
_ D'accord, d'accord. Je m'appelle Elena. Sans H. Tu es content?
_ Oui! Passons à la question suivante: comment as-tu connu Albertine?
_ C'est un interrogatoire?
_ Ne le prends pas mal, Elena, je veux juste savoir ce qui nous a amené à être ensemble.
_ Pourquoi ne pas se laisser aller? Pourquoi toujours vouloir tout contrôler? Viens à côté de moi, détends-toi. Trinquons. » Vous faîtes la moue, mais face à un si joli minois, vous ne résistez pas longtemps. Vous n'êtes qu'un homme, après tout. Donc vous trinquez avec Elena, sans H, et au final vous voilà à discuter de tout et de rien, de votre travail – pour une fois que quelqu'un semble réellement intéressé par ce que vous faîtes – de votre vie – idem que pour votre travail – et vous voilà à ouvrir une autre bouteille – et vous remarquez ses tâches de rousseur dans le bas de son dos – la nudité ne semble en rien la gêner – et un léger accent indéfinissable – et elle regarde son portable toutes les cinq minutes – « Tu attends un coup de téléphone?
_ Non, c'est juste qu'il ne faut pas que je laisse passer l'heure.
_ Pourquoi? Tu as quelque chose à faire, quelqu'un à voir?
_ Tu es jaloux? » Et c'est précisément à cet instant que vous tombez définitivement amoureux d'Elena. Son sourire durant cette seconde vous frappe de plein fouet: jamais vous n'avez vu de femme si belle, de sourire si innocent, si envoûtant, si – vous en perdez vos mots. Et quelque chose a du transparaître dans votre regard car elle s'approche de vous et vous embrasse langoureusement et – la suite se passe de commentaires.
Vous continuez comme ceci jusque tard dans la nuit. Votre réveil indique peut-être deux heures, peut-être cinq, mais vous avez trop bu pour distinguer correctement quoi que ce soit. Elena est assoupie, enfin. Jamais vous n'avez eu à satisfaire autant d'ardeur sexuelle. Vous vous levez sans faire de bruit et vous dirigez vers les toilettes.
Au calme, la lumière éteinte, un rai de lune frappant le sol à quelques centimètres au-dessus de votre tête, par la lucarne, vous réfléchissez, le caleçon sur les chevilles. Il y a deux jours, vous ne connaissiez par Elena, et vous voilà à lui faire l'amour comme jamais. Il y a deux jours encore, votre routine était inaltérable et vous en étiez fier, de cette routine que vous aviez mis plusieurs mois à peaufiner. Il y a deux jours, vous n'aviez pas de sentiments – à présent vous sentez votre cœur battre, vos artères se gorger de sang, vos idées claires. Comment une vie peut-elle basculer en si peu de temps? Il y a quand même des choses qui vous chiffonnent, alors que vous vous essuyez: Elena a mis un certain temps à vous dire son prénom, et vous l'avez obtenu de mauvaise grâce. Ensuite, vous ne savez rien de ce qui la lie à Albertine. Elle semblait avoir besoin de vous de manière assez urgente, lorsqu'elle vous a retenu par le bras devant la banque. Maintenant, il ne semble même plus en être question. Bref, vous verrez cela au réveil, tranquillement – vous préviendrez le bureau que vous ne vous sentez pas bien et que vous prenez le reste de la semaine pour vous remettre – d'ailleurs pourquoi ne pas envoyer un mail directement? Cela fera plus crédible.
Aussitôt dit, aussitôt fait, vous tirez la châsse d'eau, vous vous lavez les mains et, assis sur une des chaises de la cuisine, de votre téléphone portable vous envoyez un mail à Nadine, la secrétaire. « Je ne me sens pas bien du tout, j'irai chez le médecin dans la matinée. Je ne pense pas être d'attaque avant la semaine prochaine. Je vous tiens au courant par mail ou par téléphone. Je vous donnerai l'arrêt de travail à mon retour. Bon courage pour le travail. Julien. » Il y a quelque chose d'excitant, que vous avez du mal à vous définir. Mais voilà: vous venez de mentir, et c'est bien la première fois, en ce qui concerne le travail. Jamais vous n'avez resquillé ainsi, « sans vergogne » conviendrait parfaitement. Vous allez pouvoir passer le reste de la semaine avec Elena, en apprendre plus sur elle, la découvrir comme un explorateur découvre un nouveau continent. Et c'est guilleret que vous décidez d'aller la réveiller lui annoncer la bonne nouvelle. Vous vous levez de votre chaise et vous mettez à imaginer ce qu'elle va bien pouvoir vous faire, cette fois.
D'ailleurs, vous entendez son téléphone portable à elle: elle vient de recevoir un message. Tiens, c'est vrai ça: elle n'arrêtait pas de regarder son téléphone. Elle a du oublier un rendez-vous. Pour vous.
Mais la joie est de courte durée: une fraction de seconde plus tard et vous entendez la porte d'entrée s'ouvrir et du bout du couloir – où vous êtes en ce moment crucial – trois figures sombres pénètrent dans votre appartement. Vous n'avez pas beaucoup de temps.

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