Tuesday, 1 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #8


Vous pouvez essayer de vous enfuir. Peut-être y a-t-il assez d'argent dans l'enveloppe pour partir? Qui ne tente rien n'a rien! Fébrile, vous regardez votre montre. Il ne vous reste plus qu'à feindre la nausée – ce qui ne devrait effectivement pas tarder – selon le plan du Boucher slave. Voilà que, bien inconsciemment, vous vous mettez à réfléchir. Vous fouillez dans votre tiroir et en extrayez une enveloppe marron sensiblement de la même taille que la plus grande. Vous vous demandez s'ils savent exactement ce que contenait le coffre, mais vous vous sentez de taille pour les berner. Vous voilà prêt: vous ouvrez l'enveloppe. Une liasse de feuilles A4 avec tout un tas de numéros et de noms. Comme c'est un peu votre métier, vous saisissez tout de suite que ce sont des comptes bancaires en...suisse peut-être, et qu'un sacré paquet d'argent transit dessus. Vous voilà fixé. Au tour de la petite enveloppe à présent. Rien d'autre qu'un petit bout de papier, vraisemblablement arraché d'une nappe comme dans les brasseries l'été, sur lequel figure un nom bizarre, ou un mot, « M ektoub » et un numéro, peut-être de téléphone.
Il reste la clef. Une clef basique. De boîtes aux lettres, peut-être, quoiqu'un peu longue.
Sans l'avoir véritablement décidé, vous vous retrouvez devant la photocopieuse qui avale la liasse et la ressort dupliquée. Vous ne croisez personne alors que vous retournez dans votre bureau, replacez l'original dans la nouvelle enveloppe.
Il ne vous reste plus qu'à savoir où mettre le numéro et la clef. Ni une ni deux, vous glissez le tout – photocopies, clef, morceau de papier – dans une autre enveloppe marron, écrivez l'adresse de vos parents dessus et la mettez sur votre bureau. Elle partira au courrier en fin d'après-midi. C'est à ce moment qu'entre la comptable. Vous ne l'aviez jamais remarqué, mais il y a une sorte de beauté indéfinissable en elle. Ses traits sont fins, elle est élancée mais ses hanches se laissent deviner sous ses vêtements un peu lâches. Elle a de beaux cheveux noirs, fins, ramenés en chignon sur le haut de la tête qu'elle porte droite, bien maintenue sur ses épaules carrées. Un rien strict. Elle vous demande si vous allez bien, vous êtes pâle comme un linge. Vous lui demandez si la secrétaire est là, pour l'avertir que bien que soyez venu, vous ne vous sentez pas bien. Vous allez rentrer chez vous. La comptable se balance sur un pied et son déhanché attire votre regard. La secrétaire est en réunion avec le patron, si vous voulez elle fera passer le message. Même pas besoin de feindre. C'est pas beau ça? Vous la remerciez, et pensez pour vous-même qu'une fois cette histoire de fous furieux terminée, vous l'inviteriez bien à déjeuner, histoire de faire plus ample connaissance. En attendant, vos yeux s'attardent sur ses jambes, ou est-ce plus haut, alors qu'elle quitte votre bureau en vous souhaitant de vous remettre rapidement. Un joli sourire.

Qui contraste nettement avec les visages qui vous scrutent alors que vous montez dans la voiture du Boucher slave, garée au coin de la rue. Il y a trois gorilles à l'arrière de la Volvo. Tous habillés avec de longs manteaux noirs au col relevé. Vous ne pouvez vous empêcher de dire « Salut la Gestapo! » alors que leurs mines pas tibulaires pour deux sous vous font froid dans le dos. Vous vous demandez ce qui peut bien motiver une telle arrogance de votre part.
« Assieds-toi au lieu de dire des conneries. Ton patron se doute de quelque chose? » Visiblement, le Boucher n'est pas là pour discuter le bout de gras.
« Je n'ai vu que la comptable. La secrétaire n'était pas là.
_ Emir! » Le gorille du milieu est visiblement tendu, prêt à en découdre. Il sert ses poings et ses articulations sont blanches, les veines saillantes.
« Mais ils parlent en plus!
_ Ta gueule. Ils sont énervés alors je te conseille de pas les chercher. Tu as tout? L'enveloppe, c'est bien. Et il devait y avoir une clef. Une petite clef. Elle est où ?
_ Une clef ? J'ai rien vu, et j'ai tout bien regardé. » L'autre excité derrière pose une question, rapidement. Il parle comme il doit tirer avec une Kalachnikov, lui. Emir répond « Нет ». S'ensuit une bousculade dans le mètre cube de l'habitacle. Vous sentez l'odeur du cuir prêt de votre visage. Vous ne voyez plus rien. Vous ne vous sentez pas très à l'aise, pour dire le moins. Trop de corps autour de vous, sur vous. C'est pesant, lourd de reproches. Vous sentez même des mains agripper votre cou. C'est alors que dans la confusion des bras et des pieds qui volent un peu partout, vous voyez le poing d'Emir s'abattre au milieu de la masse. Un « Argh » vient mettre un terme au joyeux bordel. Vous voyez de nouveau. Ils vont finir par alerter les passants avec leurs conneries.
« Andreï, Делайте не дерьмо! » L'autre bougre a le nez en sang. Il est plus calme, bizarrement. Il a sorti un étrange mouchoir brodé, ouvragé même. D'un blanc immaculé. Un souvenir du pays, sans aucun doute. Plus trop immaculé maintenant.
« Bon, pas de panique. Tu es certain qu'il y avait pas de clef?
_ Certain. Elle sert à quoi cette clef?
_ A fermer ton cercueil si on met pas la main dessus. Essaie de rien dire pendant deux minutes. » Là-dessus, il descend de voiture, vous laissant avec les joyeux drilles. Et dire que vous pensiez il y a trente secondes que l'ambiance était tendue. Vous espérez, vous agrippant au siège d'une main, l'autre sur la poignée de la porte, qu'Emir ne va pas passer trois heures au téléphone. D'ailleurs, qui peut-il bien appeler? Vous aimeriez bien regarder devant vous, ignorer l'ignorance brutale assise derrière vous, mais il semble qu'un démon bien impertinent ait pris possession de vous. Vous vous retournez, un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant vos belles dents qu'un orthodontiste chevronné et d'une patience d'ange a mis plusieurs années à refaçonner pour qu'elles restent toutes dans votre bouche – dents dont vous ne doutez pas perdre le contrôle si vous continuez à titiller vos amis d'un jour. Trois paires d'yeux vous fixent avec autant d'amicalité qu'une roche prête à s'effondrer sur vous. Vous ne savez pas ce qui les retient. Ils semblent se faire la même réflexion. Vous les voyez, comme d'un seul homo brutus castagnus, avancer les épaules vers vous. Ils se remettent dos à la banquette alors que leur chef se remet derrière le volant.
« Je te ramène chez toi. On t'appellera plus tard.
_ Je suis pas libre? Vous m'aviez dit –
_ Tu es vivant, à ce que je sache. Tant qu'on n'a pas la clef, on peut rien faire. Il va falloir que tu retournes au coffre, mais pas aujourd'hui. En plus, on n'en a pas tout à fait fini avec toi. »
Le trajet se fait sans encombres, mais vous vous sentez rougir. Est-ce la chaleur humaine qui ne vous sied pas? Vous avez mal calculé. Vous êtes dans la panade. La clef est en partance pour le Poitou. Alors qu'il vous dépose au pied de votre immeuble, Emir se tourne vers vous:
« Pas de blague, James Bond, si tu appelles la police ou si tu essaies de me jouer un tour, je te ferai regretter ça toute ta vie, longue ou courte. » Vous acquiescez du chef, l'estomac juste derrière vos amygdales que, il n'y a pas si longtemps, vous étiez fier d'avoir conservé.
De retour dans votre appartement où rien n'a bougé – même leur matériel est resté – vous examinez les possibilités qui s'offrent à vous.

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