Saturday 29 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #7


Vous demanderiez bien ce qu'il entend par « riche » et surtout « libre ». Vous pourriez peut-être même manigancer quelque chose pour filouter les bandits et empocher une partie du magot.
« Qu'est-ce que vous entendez par « riche »? » Son visage s'illumine avec un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant une rangée de dents en or flambant neuves.
« Je crois qu'on va s'entendre.
_ On verra ça après que vous ayez enlevé ce scotch sans m'arracher la moitié de la peau et des poils. J'ai mis vingt ans à avoir cette toison. »

Vous voyez bien dans les yeux des hommes qu'ils font attention à ne pas vous faire de mal, mais vous n'êtes pas certain qu'ils n'y prennent pas un certain plaisir. Toujours est-il que c'est les yeux larmoyants que vous vous dirigez vers la salle de bain ôter les derniers restes de collant sur votre peau. L'ambiance est beaucoup plus décontractée, et vous pourriez en profiter pour vous enfuir, pensez-vous en vous-même. Mais quelque chose en vous vibre lorsque vous pensez à ce que vous allez faire dans quelques heures.

Et soudain vous vous voyez comme dans un film.

L'eau ruisselle sur votre corps sur un air de piano triste, et en gros plan les marques de scotch sur votre peau, la chair de poule, le sang qui s'échappe de vos plaies et une flûte orientale résonne pour accompagner vos rictus de douleur. Ces sons s'entremêlent alors que le sang tourbillonne et s'échappe par le siphon de la douche. Une voix de femme, plaintive, vibre, ondule, entonne une longue mélopée. La scène s'éternise, l'eau coule et s'abat à vos pieds et votre sang en sillons le long de vos chevilles, quelques gouttes qui s'attardent ici et là. La musique continue sur un fond noir.
Vous voilà dehors, dans le matin frais. Marchant au ralenti, vos mouvements amples et mesurés. La voiture de vos acolytes vous attend, portière ouverte sur le trottoir. Et le chant de la femme est toujours là, en fil d'Ariane, une voix capable de sceller un destin. Tout comme vous en cet instant où, prenant place aux côtés de l'homme sans cagoule, vous scellez le vôtre. La caméra s'arrête sur le capot de la voiture. L'homme démarre, son visage impassible. Le vôtre en revanche est tendu, inquiet. Il vous tend une flasque. Vous avalez de grandes lampées d'un breuvage qui vous fait grimacer. Vos yeux semblent s'arrêter sur chacun des détails au dehors de l'habitacle, mais en fait on se rend bien compte qu'ils sont tournés vers l'intérieur, en vous, et les intonations lancinantes de la chanteuse font écho à cette joute manichéenne qui se joue en votre for intérieur. La flasque reflète la lumière des lampadaires. La voiture déambule dans les rues animées mais la caméra ne change pas d'angle, tournée vers le pare-brise et vos visages, le malfrat et le kidnappé soudain devenu complice.

Arrivé devant la banque, la voiture et la mélopée s'arrêtent.
« Alors tu te rappelles ce que tu dois faire?
_ Oui, et vous, vous serez où? Je ne serai pas loi, prêt à te récupérer. Tu diras que finalement tu te sens pas bien du tout et que tu rentres chez toi. Voilà le papier avec le numéro et le nom du propriétaire du coffre. Et n'oublie pas de lui demander ce qu'il se passe si un client perd sa clef.
_ OK. » Plus de questions à poser, obéir aux ordres. Et aux moment où vous sortez, au ralenti, une musique rythmée, avec des basses lourdes, sourdes, et des cuivres criants de toutes leurs tripes éclate en mille coups de tonnerre dans le lointain. Et rythme vos pas. Vous poussez la porte – gros plan par-dessus votre épaule de votre main. Caméra au niveau de votre bassin, la flasque dans votre main gauche, se balance au gré de votre démarche. Toujours la musique battant comme un cœur. Et vous montrez votre badge et vous passez les sas de sécurité et la batterie fait subitement place à un piano qui égrène une petite comptine alors que la caméra, en passant, fait le point sur des visages inquiets, des regards soupçonneux, désapprobateurs. Et un gardien vous arrête, montre d'un coup de menton la flasque. Vous la lui donnez d'un brusque revers de la main, qui vient cogner contre sa poitrine. Interloqué par ce geste, le gardien prend la flasque et vos pas reprennent non aux accents du piano mais aux pulsations de la batterie. Et les bureaux défilent et la caméra, juste au-dessus de votre tête, en légère contre-plongée, met un long couloir en perspective. Et la musique s'arrête alors que la plaque « M. Ponty, Chef des Coffres » s'affiche en gros plan.
« Monsieur Desmart, que me vaut l'honneur?
_ Je ne vais pas abuser ni de votre temps ni de votre gentillesse, Monsieur Ponty. Je suis ici pour un coffre que je dois vider de son contenu. Ma tante, Madame Desmarais, m'a chargé de cette formalité. Voici la clef.
_ Je suis au courant, figurez-vous. Votre « tante » m'a appelé en disant que quelqu'un de confiance viendrait récupérer ses effets personnels. Je n'aurais jamais pensé à vous. Vous devez néanmoins signer le registre comme tout le monde.
_ Cela va de soi. » Et un qanûn fait vibrer ses cordes mélancoliques et auguriennes dans l'air alors que vous apposez votre signature au bas du document. La femme – elle de nouveau – entonne un autre chant, plus profond, et vous accompagne, vous et Monsieur Ponty, vers la salle des coffres. Alors qu'un violon et un alto, comme par désenchantement, viennent tisser une trame mélodique dense, presque oppressante, et par-dessus votre épaule, flou parce que le point n'est pas fait sur lui, vous voyez le vieil homme qui vous jette des coups d'œil à la dérobée. La musique continue alors qu'il sort un trousseau de clefs et ouvre une, puis une deuxième porte blindée. Là des centaines de rectangles dorés apparaissent, entassés du sol au plafond, avec de petits numéros noirs dans les angles. Deux hommes sont au fond de la salle, assis à une table: ils s'interrompent à votre arrivée, puis voyant Ponty, reprennent leur discussion à voix basse.
Il vous désigne d'une main tendue un des rectangles. Vous demande votre clef. D'un geste expert, il sort de l'emplacement une longue boîte rectangulaire et la pose sur une petite table. Il va pour se retirer mais vous l'arrêtez:
« Monsieur Ponty, qu'est-ce qu'il se passe si un client perd sa clef?
_ Ah! Une bien bonne question! Comme quoi je me suis bien trompé sur vous, vous avez plus de jugeote qu'on ne le pense. Eh bien j'ai ceci, au cas où. » Et il déboutonne le col de sa chemise et en extrait une clef brillante, attachée par une lanière de cuir rabougri. Gros plan sur la clef dans la main tremblante, tâchée de vieillesse. « Ceci est le sésame, Julien, le sésame! » Et il remet le passe dans sa chemise. Il tourne enfin les talons, va saluer les deux hommes au fond de la salle.
Vous n'avez pas les idées très claires et la musique inquiétante revient. Vous ouvrez la boîte. Une grosse enveloppe marron s'y trouve. Une plus petite se trouve en dessous. Et une clef. Vous pliez la petite enveloppe et vous la fourrez ainsi que la clef dans votre poche. L'enveloppe sous le bras, précédé du vieil homme, vous regagnez le couloir, puis après lui avoir serré la main, vous regagnez votre bureau. La musique s'arrête subitement.
Que décidez-vous?

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