Partir
n'est jamais un plus beau paysage que lorsque le pied foule le
premier arpent d'un chemin inconnu. On apprend à se connaître sous
la pluie et le phosphore, attentif au langage du vent. L'odeur des
jours de soleil tatoue des marbrures sur nos visages, à jamais.
Nyénasuma se grave en nous, alors que nous nous retournons
sur nos pas inscrits dans le sable.
On
cherche la sagesse dans le sel des lacs, et la nostalgie des halliers
nous rattrape. On marche, parce qu'on ne veut rien faire d'autre.
Parce qu'on ne peut rien faire d'autre. Parce qu'on ne sait rien
faire d'autre. Une foulée ne se grave pas dans la pierre.
On
traverse des champs entiers de femmes-arbres érigés par les siècles
de malédictions. Ce sont des mères cruelles, mais qui ne sont
sanguinaires que parce qu'elles ont été maudites. L'enfant se
nourrissant à leurs seins ne laisse aucune empreinte dans la neige,
car l'araignée est apostée à l'orée des montagnes. Nous, nous ne
faisons qu'observer ce phénomène naturel, remplissant notre gourde
avec de pleines poignées de flocons. Voici le nyénasuma que
certains appellent, du bout et des lèvres et le regard lent, hiba
hati.
On
ne batifole pas ici, car le faucon guette, affûte son regard aux
arêtes des montagnes. S'enroule dans des pelotes de cheveux qu'il
avait pris pour des branches de faux.
Jadis,
l'une de ces femmes-arbres fut une jeune femme. Elle avait pour
habitude de porter un manteau en feutre vert, boutonné jusqu'en
haut. Elle portait un de ces sacs à main en cuir très discret.
Chaque fois qu'un homme s'asseyait en face d'elle dans le train, elle
présentait seulement l'ovale de son visage. Elle détournait
toujours le regard, lentement. Même si elle souriait. Un sourire si
ténu, juste assez pour que les hommes le remarquent, mais pas assez
pour creuser des fossettes dans les pommettes de ses joues. Oui,
peut-être était-elle triste.
Il
exista un ciel dénué des sillons aériens, mais celui-ci demeure
introuvable de nos jours. À présent il nous faut partir, quoi qu'il
s'affiche dans ces cieux gris de givre. Nous devons quitter ce champ
de silence avant qu'il ne devienne notre logis. Notre sort est de
laisser les êtres au leur. Et de marcher aussi loin que notre cœur
le permet, avant qu'il ne se change en pierre pour mieux résider là
où il se sent chez lui parce qu'il aura élu ce lieu en toute
connaissance de ce qui se trouver ailleurs, et qui dorénavant
portera le fier nom de 'foyer'. Notre regard, alors, brillera des
découvertes, sans hésiter, même si, en fin de compte, il
trébuchera avec une infinie lenteur sur les traces de pas dans le
sable et le sillage du faucon.
_________
Nyénasuma :
tristesse, nostalgie (littéralement « regard lent ») en
Bambara (langue parlée au Mali, Burkina Faso, Côte d'Ivoire,
Gambie, Mauritanie, Sénégal)
Voici l'une des peintures qui m'a inspiré pour ce poème, mais pas seulement :
Giovanni Segantini, Le Cattive Madri (Les Mauvaise Mères), 1894
C'est absolument magnifique...
ReplyDeleteNul commentaire, inutile par ailleurs, ne suffirait à décrire de quelle façon la lecture de ton poème a fait "ré(ai?)sonance", au plus profond de mon âme.
Grazzie tanto, amico mio !
Ah oui, c'est très beau ! J'adore tes poèmes en général alors...
ReplyDeleteContinue à être inspiré par tout ce que tu vois, on se régale après.