Chartres.
« Tu sais, je vais me mettre à brûler la chandelle par l'autre bout. Tu vas te brûler les ailes avec moi, passer le reste du temps qui m'est compté et puis, quand tout sera fini, tu feras quoi? Tu essaieras de reprendre une vie normale? J'en ai encore pour quoi, deux, trois ans au grand maximum? Pendant toute cette période-là tu perdras pied avec le monde, avec ta vie, avec ton boulot, tes amis, ta famille. Tu penses que tu pourras reprendre comme si de rien n'était, alors que le monde a continué sa route. Tu te trompes. Je ne veux pas que tu gâches ta vie alors que je m'en vais perdre la mienne dans un dernier tour de piste. En plus, je dormirais où je pourrais, me laverais si je peux, mangerais si je trouve de quoi. C'est pas vraiment des conditions pour toi.
_ Tu penses que je vais te freiner?
_ Il y a de ça aussi, oui.
_ Tu ne m'aimes plus, alors?
_ On en a déjà parlé. Tu sais que ce n'est pas ça du tout, que ça n'a plus rien à voir. Je vais mourir et ni toi ni moi n'y pouvons rien. On a partagé beaucoup de bons moments ensemble. Tu as l'occasion de partir, saisis cette chance. Tu es encore jeune. Tu sais qu'entre nous ça va plus très fort. De toute façon on vend la maison. Il n'y a qu'un poste et il est pour toi. J'aurai bien suivi et tu le sais, mais je sais aussi que ce voyage-là, c'est le tien. C'est ton pays depuis toujours. Tu t'y sens bien. Tu pourras recommencer à zéro de là-bas. Tu auras des opportunités, tu sais que tu en auras.
_ Ça a l'air de te faire plaisir.
_ Pas dans le sens où tu le penses. On a été heureux dès le début. On a appris à construire ensemble. On s'est soutenus, on a parlé, on s'est confiés l'un à l'autre. On est devenus meilleurs. On sait ce que c'est que de faire confiance à présent.
_ Tu veux te débarrasser de moi.
_ Bon. Apparemment tu ne veux pas comprendre. Je ne veux plus avoir cette conversation. Tu sauras rebondir. J'ai pris ma décision. Si tu veux qu'elle soit égoïste, libre à toi. Je la prends en mon âme et conscience. J'ai pesé le pour et le contre, exercé le peu de logique que j'ai acquis dans ma courte vie. Je ne veux pas balancer l'argument de la souffrance, mais ça m'arrive à moi, à moi. Et malgré tous les changements qui s'opèrent en moi contre ma volonté, je pense être quelqu'un de raisonné. Si tu ne veux pas te rendre à l'évidence – mon évidence certes – eh bien tant pis. Je ne veux rien dire de plus. »
L'agent immobilier était passé, avait estimé, avait posé des questions gênantes. La maison n'avait pas tardé à être visitée, puis vendue, à un bon prix. Ils y avaient investi beaucoup de temps, pendant qu'ils se construisaient – pour rien, pensa-t-elle. À partir de ce moment-là, les rapports s'étaient faits moins fréquents, plus espacés, plus froids. Puis, un matin, il avait laissé un message pour dire qu'il partait. Il avait appelé deux fois puis laissé un message. Elle n'avait pas voulu décrocher. Sur le coup elle était loin de le regretter.
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