Chartres.
Biiip. Message reçu à huit – heures – quarante – quatre: « C'est moi. Je comptais tomber sur toi. Tant pis, je vais devoir te dire tout ça via une boîte vocale sans âme. Je comprends ton désarroi. Tu veux m'aider et je ne le veux pas. Sache qu'il y a beaucoup de choses que je ne veux pas. Ce que je ne veux surtout pas que tu vois, c'est ma déchéance. Je ne me suis jamais considéré comme un abruti, et les gens se sont souvent arrêtés à ce trait de personnalité, je ne veux pas que tu sois témoin de ce que je ne suis plus, au fur et à mesure, au jour le jour presque. Je perd la boule, la mémoire; je vois double, triple, des couleurs que je connaissais pas; certes je vomis moins, mais je ne supporte plus ton regard de compassion au sortir des toilettes. Mes maux de tête me tiennent éveillé tout ou partie de la nuit, je m'ennuie à mourir. Et je veux vivre seul ces choses que j'ai toujours voulu faire. Mon temps est compté et oui, je suis égoïste. Je ne veux pas partager ça, ni avec toi ni avec personne d'autre. Je veux être seul, vivre avec moi-même et être le seul à me supporter, à observer ce lent déclin, ces prémisses à la ruine. Je ne veux plus être lié à qui ou quoi que ce soit d'autre que le ciel au-dessus de ma tête et la terre sous mes pas. Je veux mourir seul. Je pars. » Appuyer – sur – un – pour – rappeler – votre –correspondant – sur – deux – pour – conserver – ce – mess – Bip – message – effacé.
Eh bien pars si c'est ce que tu veux. Meurs seul, je ne serai plus là quand tu auras besoin de moi.
Finalement ils s'étaient revus la veille de son départ. Le hasard faisait décidément mal les choses. En plein centre-ville. Ils firent un peu de chemin ensemble. Il avait redit les mots, elle avait pleuré.
« Allez, arrête de pleurer. Viens là. Je sais que tu auras du mal à couper le lien, j'aurais sans aucun doute moins de mal que toi, j'admets, mais ça ne veut pas dire pour autant que je n'aurais pas de mal du tout. Ça sera dur, mais au fur et à mesure j'aurais d'autres choses en tête, notamment une tumeur. Tout ce que je peux te promettre, c'est que tu me retrouveras, mort ou vif. Je ne peux rien te promettre de plus. Si tu es attachée à quoi que ce soit de matériel, il faudra que tu fasses vite. »
Voilà comment elle en est arrivée là, sous le soleil libyen, à ne savoir que faire de son cadavre, lui qui avait passé près de deux années à traverser le monde de part en part.
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