Tuesday 27 October 2009

Chroniques d'un égoïste ordinaire #2


      Désert blanc
      Pas d'ombre, nulle part. Pas même derrière ces dunes comme des vagues figées pour quelques heures. Le guide dit qu'elles changent sans arrêt de place. Le vent. Difficile à croire que ce vent, qu'ils appellent « ghibli » entre eux, puisse déplacer de telles masses de sable. Elle regarde la couverture en toile blanche, soulevée de temps à autres par le ghibli. Alors le voilà. Après tout ce temps à se demander où il était. Bientôt deux ans. Son visage a-t-il changé? Il doit être marqué, éprouvé. Mais y a-t-il un rictus de douleur, des rides au coin des yeux, près des ailes du nez, aux commissures des lèvres, qui pourraient témoigner d'une atroce souffrance, d'un calvaire quotidien, d'un combat acharné contre le mal qui le rongeait? Sans aucun doute, sinon pourquoi serait-il parti, lui qui avait toujours raison?
      Elle hésite. Elle n'a pas fait trois mille cinq cent kilomètres pour rien, pour ne pas l'affronter. Elle l'avait cherché, ça oui, au début. Six mois sans nouvelles. Puis une piste qui n'avait menée nulle part, ou plutôt si, mais loin, en Albanie. Pas une lettre, pas un email ou même un coup de téléphone. Silence total. Et le voilà étendu de tout son long, sur le dos. Elle n'a plus envie de pleurer, les larmes elle a déjà donné et ça n'a rien amené de bon, pas même un peu de soulagement. On l'avait plaint, on l'avait vilipendé, traité de tous les noms, mis plus bas que terre. Elle n'est pas certaine que cela l'ait aidée à l'oublier. Elle se demande pourquoi, après tout ce temps et ces kilomètres qu'elle a parcourus à bride abattue, elle n'a pas plus envie que cela de le voir, ni même de le ramener. Pourquoi d'ailleurs le ramener, exécuter les dernières volontés d'un égoïste pareil? Elle a bien envie de le laisser pourrir ici. Que les bestioles s'il y en a viennent se repaître de cet homme qui a fait souffrir plus que de mesure! Que le sable recouvre ce corps voué à une mort violente et prématurée!
      Le vent souffle un peu plus fort. Les trois hommes la regardent, ils semblent inquiets. Elle ne peut détacher les yeux de cette silhouette blanche sous laquelle se dessine le visage tourné vers le ciel, les bras le long du corps, les jambes tendus, les pieds. Ils ont déplacé le corps, l'ont retourné par curiosité ou par nécessité – un corps étendu face contre terre doit être retourné – puis ils ont trouvé le livre. Celui qu'elle n'a cessé de lire depuis que le bédouin le lui a tendu de sa main noueuse et tannée par une vie de soleil accablant. Ce livre, le journal qu'il a tenu depuis le jour de sa fuite organisée, ce livre, elle ne peut s'empêcher de l'ouvrir, de le sentir, de le toucher, mais les mots, les mots! Ceux-là qu'il aimait tant et ceux pour qui il a tout quitté, ces foutues idées, ces foutus bouquins qu'il lisait sans cesse. Ils étaient plus importants que les gens, que la réalité; plus importants même que ceux qui les avaient écrits. Ces mots, elle les hait du plus profond de son âme. Mais elle n'a rien d'autre. Plus rien d'autre; non pas pour comprendre, mais pour accepter. Elle va devoir tout reprendre depuis ce jour maudit.

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