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Saturday 26 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #9


Encore une fois, aujourd'hui, il s'était strappé le bras. Et une fois n'était pas coutume, on avait bien failli démasquer la supercherie. Il se sentait honteux. Il ne savait encore si cette honte venait du fait qu'il trompait la crédulité de ses contacts ou du fait qu'il voulait à tout prix devenir infirme. Bref. De toute façon, il fallait qu'il se montre plus distant avec les gens, qu'ils arrêtent de lui mettre la main dans le dos alors qu'ils le laissaient passer en premier le seuil du bureau. Il gagnait des contrats, nom de Dieu. Il devrait faire attention que ces personnes-là ne se parlent pas, ne viennent pas à se demander si l'une ou l'autre ne se souvenait pas l'avoir déjà vu valide, celui-là. Encore heureux qu'il ne faisait pas ça à chaque fois.

Il avait vaguement des nouvelles d'Hélène, par une connaissance commune; elle allait bien. Avait une relation. Tant mieux. Après un an, il était temps. Lui? Il ne cherchait pas. N'en éprouvait pas le besoin. Michel ne comprenait pas ça, lui avait besoin de...comment le dire dans des termes moins clairs que les siens...besoin de se rapprocher physiquement de son ex-femme. Était-il allé voir ailleurs? Non. L'herbe était assez verte...Aller savoir ce qu'il entendait par là était à coup sûr prendre le risque de se confronter à une blague aussi grasse que son herbe.


Ils s'entendaient bien. Il l'appelait Tovarich; Michel l'appelait le bleu. Ils avaient décidé, dès l'arrivée des beaux jours, de se faire une virée tous les deux. Ils prendraient des RTT et partiraient en Corrèze, du côté de Tulle. Michel avait une maison de famille là-bas, dans l'arrière-pays limousin. Ils n'auraient en plus qu'à prendre l'Occitane et ils seraient rendus en deux temps, trois mouvements. Il fallait qu'ils se dépêchent, cependant, Michel et son ex-femme se rapprochaient souvent ces temps-ci.


Tous les jours la boîte s'ouvrait un peu plus. Il ne se laissait pas faire, parce qu'il y avait beaucoup plus en jeu que le regard des gens et son bien-être. Il y avait bien d'autres choses à perdre que son bras. Il se mettait des challenges chaque année. Mais celui-ci n'en faisait pas partie. C'était le challenge d'une vie, comme peu de gens osaient mettre au devant d'eux.

Le soir, il pensait au jour où il perdrait son bras. Parfois il était mélancolique, d'autres fois cela l'énervait d'attendre. Et l'énervement laissait parfois place à la colère, à la frustration. Puis, encore plus rarement, une rage démesurée lui faisait prendre un couteau tranchant, aiguisé pour l'occasion avec le même élan rageur. Il s'attachait donc à détacher son bras du reste de son corps. Une vilaine cicatrice boursouflée courait tout autour de son biceps. Mais la douleur, la douleur, voilà ce qui lui avait fait perdre ses moyens. C'était loin d'être une simple question de volonté. Il taillait dans les chairs à vif, sa peau plissant sous la lame. Ses muscles tressautaient, ses veines pulsaient et régurgitaient leur sang, son sang noir strié de carmin qui venait tacher l'émail terne de la baignoire. Sa vue se troublait ou alors des points translucides dansaient dans son champ de vision. Sa peau flasque baillait de chaque côté de la tranchée écarlate, palpitante. La gaine blanchâtre du muscle, le tendon, les faisceaux peut-être. Les mâchoires serrées, les lèvres ourlées en un rictus de douleur, de haine, de hargne.


Les trois fois où il en était arrivé là, il s'était évanoui après quelques minutes. Réveil tremblant de froid, nu dans la baignoire, recroquevillé, les genoux ramenés contre la poitrine, ensanglanté de la tête au pied. Odeur âcre du cruor séché, coagulé. Cruor, ce mot aperçu au hasard d'une lubie d'adolescent. Souvenirs pêle-mêle, puis plus rien. Dans un état second il pansait la plaie béante, sanglotant, se gavait d'anti-douleurs pour reprendre le travail le lendemain ou surlendemain et il ne pensait à rien. À rien. Annulé. Comme si on remettait les compteurs à zéro. Le regard vide croisé face au miroir alors qu'il se nettoyait le visage au gant de toilette. Les gouttes de sang sillonnaient le lavabo. Dessinaient de morbides constellations. Nausées. Vertiges. Mains agrippées au rebord froid. Tiraillements et grésillements dans tout le bras. Deux larmes en berne aux commissures des lèvres. Deux larmes, chaudes, salées jusqu'à l'amertume.

Thursday 24 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #8


Cela faisait bientôt dix ans qu'il se préparait avec patience, quotidiennement, au moment où il perdrait son bras droit. Ou l'usage de son bras droit, il ne savait pas trop encore. C'était juste un pressentiment, mais parfois il était si puissant qu'il en avait les larmes aux yeux. Il se préparait avec la détermination d'un athlète qui sait que tout se joue dans quatre ans, aux jeux olympiques. Il se mettait à imaginer les regards des gens une fois sur le podium, la compassion, sa souffrance reflétée dans celle des autres en regardant son moignon qu'il exhiberait avec une fierté toute dissimulée. Mais il n'y avait pas que cela.

Bien entendu il n'était pas devin et il pourrait passer sa vie avec son bras droit comme la plupart des gens, cependant il savait depuis tout petit qu'il aurait à souffrir d'un grand traumatisme, comme celui de perdre un membre de sa famille ou une partie de son corps. La perte de son bras droit s'était imposée d'elle-même, au fil du temps: c'était celui dont il se servait le plus, celui dont on s'attendait à serrer la main. Depuis ce fatidique jour d'avril, il se forçait non pas à devenir ambidextre, mais bel et bien à tout faire de la main gauche, sans aucune aide ou presque de sa main droite. Il lui arrivait parfois d'espérer conserver un moignon suffisamment grand pour pouvoir au moins faire levier, au tard de la nuit, le bras strappé dans le dos, dégoulinant de transpiration.

La trentaine passée, voilà plus de dix ans qu'il attendait ça avec l'impatience d'un chirurgien plasticien quelques heures avant une double mammectomie et reconstruction mammaire dans la foulée. En son for intérieur il savait devoir subir cela, pour une sombre raison, pour un prétexte aussi insignifiant peut-être qu'une paire de claque en rentrant de l'école. Parce qu'il avait été comme ça, petit. Tout devait prendre une ampleur démesurée, il fallait faire une montagne de la plus petite chose. Il lui fallait de la démesure parce qu'il était banal. Il n'avait rien pour être heureux. Il n'était ni beau ni repoussant. Pas grand chose pour lui, à part peut-être sa volonté d'aller de l'avant. Il était d'une banalité affligeante, le type qu'on croise dans la rue et qu'on ne voit pas. Le type dont on remarque plus le chien lorsqu'il le sort que lui-même.
Être un amputé lui apporterait tout, tout ce qu'il désirait: le regard des autres, le pathos, la compassion, l'empathie. Surtout, il serait ce qu'il était véritablement: un homme complet dans son incomplétude. Un homme entier par son handicap visible. Il n'était pas trop couard pour mettre un terme à cette complétude inachevée: les choses se feraient d'elles-mêmes, un jour surprenant. Il savait que son destin résidait dans ce bras de trop dont il se servait par défaut, ce bras qui lui ferait voir la vérité, comme un Tirésias ou un Œdipe qui, ayant perdu l'usage de ses yeux, voyait enfin l'homme dans ce qu'il était de plus pur, en bien ou en mal. Il verrait l'Homme et il se verrait lui-même, fier de son reflet dans le miroir. Comme ces aveugles qui enfin se connaissaient eux-mêmes.

Il savait qu'il y avait un nom pour ça, au fait de ne plus vouloir une partie de son corps, mais à la rigueur il s'en fichait: il était différent de toute cette engeance-là. Il n'était pas du même bois que ces tarés. Il était unique, sans précédent ni successeur.

Wednesday 23 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #7


« J'ai rendez-vous avec le type...zut...je sais plus son nom. Le gars du BTP.
_ Jean-Philippe Janvier. D'accord. Tu reviens à quelle heure?
_ Dans deux, trois heures, tout va dépendre du trafic. Tu me téléphones si tu as un problème?
_ No problem, boss! »
Ahaha, toujours aussi drôle, ce Michel. Bon. Un dernier coup d'œil aux courriels de la matinée et hop, en voiture. Il n'avait pas tant de route à faire que cela. Son client était un gros ponte des BTP, le numéro deux de l'entreprise. Ils avaient des chantiers partout dans le monde: Dubaï, Pékin, Los Angeles, Londres, Sao Paulo, Rambouillet. Il allait donc le rencontrer là-bas, parce qu'il était quasiment injoignable si on ne venait pas le voir sur un de ses chantiers. Et puis il fallait faire du forcing: ils étaient trois sur la même affaire. Ce n'est pas Coluche qui disait qu'il valait mieux être plusieurs sur une bonne affaire que tout seul sur une mauvaise? Bref, ça lui reviendrait plus tard. Il monta dans la voiture, s'engouffra dans le trafic déjà dense de la rocade. Pour être à deux heures à Rambouillet, il s'y prenait bien à l'avance. Il prendrait même l'autoroute.


Il ne lui fallut qu'une grosse demi-heure pour arriver à destination. Plus que trois-quarts d'heure à tuer le temps. Ou pas. Depuis qu'Hélène était partie – surtout depuis qu'elle n'était pas revenue – une sorte de démon s'était emparé de lui. Son plus grand secret tapait contre le couvercle de la boîte où il l'avait enfermé. Violemment parfois. Il faisait mine de ne pas l'entendre en journée, pour mieux s'y adonner la nuit venue, seul dans cet appartement où plus aucune trace de celle qui avait partagé sa vie durant ces années n'apparaissaient. Ça aurait fait trois ans, s'il n'avait pas joué au con. Bientôt un an à Chartres. Bref. Toujours est-il qu'il ne ressentait aucunement la solitude, mais au contraire mettait à profit cette période de célibat pour être lui-même. Les relations avec Michel s'était largement détendues – il l'appréciait même. Ils avaient longuement échangé, lui avait expliqué sa vision du monde, des affaires et avait évoqué la direction qu'il voulait imprimer à son entreprise. Michel, désormais son unique employé, avait quant à lui exprimé ses craintes, son incapacité à suivre le rythme, avait évoqué l'humeur changeante du boss.
Il avait donc mis en place beaucoup de choses, outre son changement radical d'humeur, notamment un « partenariat », plus qu'une fusion, avec un collègue. Ils se partageaient la gestion des plus gros dossiers. Cela arrangeait tout le monde et Michel, du coup, en était devenu efficace. Il avait également appris beaucoup de choses sur lui: il avait divorcé quelques mois avant d'entrer dans la boîte suite à sa dépression et sa perte d'emploi. Ils se voyaient toujours, lui et son ex-femme, côtoyaient encore la famille et la belle-famille, ensemble, pour leur bien à tous les deux. Ils parlaient de se remettre ensemble mais ils avaient chacun un grand besoin de liberté, de vivre un temps chacun de son côté.
Pendant ce temps-là, inconsciemment, il était en train de laisser le couvercle de la boîte s'ouvrir. Le problème, avec les boîtes comme celle-ci, est qu'elles ont une fâcheuse tendance à s'ouvrir d'elles-mêmes.
Il prit une autre chemise dans sa valise, une plus ample, lui qui aimait les porter près du corps. Il changeait de chemise régulièrement avant chaque rendez-vous à l'extérieur, pour éviter les auréoles sous les aisselles et autres taches probables de nourriture ou d'encre. Il voulait toujours avoir l'air impeccable, au moins on ne lui reprocherait pas ça. Tout en enlevant son ancienne chemise encore propre, il lui vint l'idée de coincer son bras droit dans le dos. Pour être certain qu'il reste près de son corps ou qu'il ne se serve pas de son bras par mégarde, il l'enturbanna avec de l'élastoplaste.
Techniquement, c'était se faire passer pour un infirme alors qu'il était tout ce qu'il y a de plus valide. Peut-être pour gagner le contrat. Ou pas. Voir la pugnacité de l'infirme qui confronte le monde sans sourciller, à bout de bras – qui n'a ni singulier ni pluriel définis. Ou plutôt un pluriel qui va de soi: on a tous deux bras, non? Ça, ça calmait les ardeurs des plus furieux. Les gens vous écoutaient. Et puis ils étaient trois sur cette affaire.
Techniquement, c'était tricher. Mais éthiquement, il ne trichait pas, sans aucun doute par omission – omission qu'il désirait à corps et à cris.

Tuesday 22 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #6


« Mais pour qui tu te prends? »
Gifle en pleine tête. La question résonnait encore entre ses deux oreilles rouges de colère, mais il se reprit vite.
Deux fois qu'il l'entendait, cette putain de phrase. Bon, d'accord, la première fois c'était lui qui l'avait prononcée, clairement, distinctement, pour qu'il n'y ait aucune méprise.
« Mais pour qui tu te prends? Tu sais que j'ai juste à appuyer sur un bouton et ton siège éjectable saute. Tu es dans une team, et si t'as pas le team spirit alors tu prends la porte.
_ Écoute, j'ai pas l'habitude qu'on me parle sur ce ton, surtout un gamin qui a vingt ans de moins que moi. Alors tu vas commencer par te calmer, et me parler autrement. Je suis pas Michel. Si tu veux que tes « ordres » – et il mima les guillemets en l'air – soient obéis, tu as tout intérêt à les formuler plus clairement que ça.
_ Tu as peut-être vingt ans de boîte de plus que moi, le monde a changé mon ami. Il faut te mettre à la page et être dans l'air du temps.
_ Je t'ai dit d'arrêter de faire le dur. Tu es le patron, mais ça va pas m'empêcher de dire ce que j'ai sur le cœur. Tu diriges ton équipe comme un chef, mais tu t'en fous de savoir si on a des sentiments ou pas, des états d'âme ou pas, si on a des problèmes ou pas. Tu sais pertinemment que Michel ou moi on a pas fait les mêmes études et –
_ Je t'arrête tout de suite – il lève la main, paume vers l'extérieur – si tu veux me faire la morale. Nous sommes dans un monde de requins: si tu ne bouffes pas, tu te fais bouffer. La vie se résume à ça. Life and Death.
_ Eh! Oh! T'es plus à la bourse là, mon coco! C'est la vraie vie qui se joue! On est humains!
_ Et c'est pour ça qu'on va devoir se passer de ton humanité.
_ Ah ouais, comme ça. Tu me vires comme ça.
_ Si c'est de l'argent que tu veux, tu auras des indemnités. J'ai toujours drivé comme ça et les résultats sont toujours venus.
_ C'était pas de l'argent que je cherchais, mais un boulot sympa avec des gens sympa, dans une ambiance sympa. Qu'on me traite avec respect. Qu'on me demande des résultats ça ne me dérange pas. Mais je ne vendrais pas mon âme au diable pour ça. Bonne fin de journée. »


« Mais tu te prends pour qui? » Cette fois-ci ce fut Hélène, debout face à lui affalé sur le canapé.
« Ton père est pas vitrier.
_ Bouge ton cul de ce canapé à la con. Mais pour qui tu te prends?
_ Tu te répètes. Je me prends pour le chef de famille. Pour celui qui paye le loyer et les factures. Ça me donne un paquet de droit.
_ Chef de famille? Non mais tu planes à dix mille, mon pauvre. Y'a pas de famille ici.
_ Mouais, pour l'instant. Ça fait combien de mois maintenant?
_ Combien de mois de quoi?
_ Que t'es enceinte? »
Elle écarquilla les yeux. Il l'avait surprise et elle ne put s'empêcher de l'être. Elle n'aimait pas ces moments de faiblesse avoués. Elle se força donc à sourire, ne serait-ce que pour reprendre le dessus, en apparence.
« Je ne sais même si j'ai envie d'avoir cette conversation. Je suis loin d'être enceinte. Je sais pas si t'es au courant mais ce que tu demandes au lit, c'est loin d'être la norme. Donc je risque pas de l'être. De toute façon ça résout rien à notre affaire. Et puis non merci!
_ Ohlà! Monte pas sur tes grands chevaux, cowboy. Tu prends un autre ton avec moi. Je suis pas ton père.
_ Ne commence pas. Pas là-dessus. » Encore un coup bas. Il avait bel et bien déterré la hache de guerre. Quelle mouche le piquait? Elle connaissait ses sautes d'humeur, mais depuis quelques jours il battait des records.
« Attends, c'est toi qui viens me chercher et faudrait que je ferme ma gueule? T'as pas tiré le bon numéro. T'as un sérieux problème à régler. Tu penses que les autres sont à ta botte et que tu peux en disposer comme tu veux? No way!
_ Très belle auto-analyse. Je suis pas ton chien. Quand tu reviens du boulot, t'es soit exécrable soit tu m'adresses pas la parole. Je sais pas lequel je préfère. Soit je suis une merde, soit je suis rien.
_ Ben donne le change et réfléchis un peu, t'auras la solution toute trouvée. » Au moment même où les mots sortirent de sa bouche, il sut qu'il était allé trop loin, que, connaissant Hélène, elle ne reviendrait pas, pas après ça. Il fit un geste de la main vers elle, étonné d'être debout, de sentir son cœur cogner contre ses côtes, contre ses temps, étonné d'être aussi près d'elle et qu'elle fut déjà aussi loin. Elle n'avait pas paru surprise, cette fois. Comme un déclic, un flash au fond des pupilles. C'est tout ce qu'il avait vu. Tous ces longs mois à construire quotidiennement, avec acharnement et détermination, un couple qu'il venait de cingler avec le pire des fouets. Anéanti en quelques secondes. Ou peut-être avait-il perdu pied bien plus tôt. Comment en étaient-ils arrivés là? Pour la première fois il ne sentait pas Hélène entièrement fautive. Il devrait peut-être mettre sa dernière question au singulier.
Il l'entendit sortir la valise de dessous le lit, dans la chambre. Il ne la retiendrait pas. Ils avaient besoin de cette coupure. De toute façon elle n'était pas en état d'entendre quoi que ce soit. Elle n'en ferait qu'à sa tête, elle voudrait avoir raison et ne s'arrêterait pas à son point de vue à lui. C'est cela: elle était inarrêtable.
Il s'assit dans le canapé, regardant la télévision sans la voir. Les oreilles aux aguets. Elle sortit de la pièce sans même jeter un regard sur lui, sans dire un mot. De toute façon, elle était inarrêtable.

Monday 21 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #5


Enfin seul...Hélène couchée, la télé et lui en tête à tête, la télécommande dans la main gauche. Ce soir, comme parfois il fait, il plaque son bras droit contre son dos, sous le t-shirt. Puis, adossé au canapé, il ne fait rien d'autre qu'exister. Les soirs comme ceux-là, il se sent vivre. Il sent d'abord les fourmis courir le long de son biceps, puis de son triceps peu de temps après. Il faudra bien une heure avant que ces fourmillements ne parviennent dans chacune de ses phalanges et ne finissent d'anesthésier complètement son bras. Et là...

Sunday 20 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #4


Aujourd'hui, il n'était ni en avance, ni en retard. Il ne fit ni ses ablutions, ni un geste envers celle qui ne partageait pas que sa couche. Il ne vit pas les parures vermillons de l'horizon, ni ce disque rougeoyant qui se dévoilait minute après minute; pourtant, il ne se pressa pas. Il ne prêta aucune attention au vol d'oies sauvages qui coupa un ciel sans nuages. Il ne conduisit ni prudemment, ni imprudemment. Il ne se gara pas à sa place habituelle. Il ne dit mot à ses deux collègues qui ne s'y feraient jamais. Il ne parla point et pourtant il ne fit pas que son travail ce matin-là. Les yeux absents, dans le vague d'un rapport parfois, il ne se déconcentra pas, ni n'arriva à se connecter à ce qu'il faisait.
Aujourd'hui, il ne remarqua pas la demoiselle qui papillonna des paupières en lui tendant son ticket de caisse, n'espérant pas qu'un regard, qu'un sourire, qu'un au-revoir appuyé, reconnaissant. Il ne se dépêcha en rien. Il ne dégusta pas son sandwich bio, ni même sa salade de fruits d'été bio. Il n'arriva pas à satiété. L'eau qu'il but ne le désaltéra pas. Il ne téléphona pas à son amie, ni ne décrocha lorsqu'elle ne put faire autrement que de l'appeler. Il ne resta pas au bureau pour déjeuner.
Aujourd'hui n'était pas un autre jour, n'était pas un jour dans les règles de l'art. Il ne semblait plus y avoir de règles d'ailleurs. Il n'était ni maussade ni enjoué. Il n'avait goût à rien mais ne détestait pas son métier, bien au contraire. Il n'avait pas l'impression qu'aujourd'hui était un jour sans. Il ne s'emporta pas contre Michel qui ne le lui fit pas remarquer, mais ce dernier ne se priva pas d'en toucher deux mots à son martyr de collègue. Rien n'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Rien ne lui était égal. Il n'avait aucune patience mais rien ne l'énervait.
Aujourd'hui, il n'avait pas que la gueule de bois. Il n'y avait pas qu'un vide dans sa poitrine. Il n'y avait pas qu'une attente sourde, souterraine, sournoise. Pas d'autre choix que d'avancer, que de marcher vers demain. La lassitude n'était pas la seule à le malmener et il ne savait que faire de ses deux bras.
Aujourd'hui, il n'était pas prêt à affronter le monde dans cet état-là. Il lui manquait quelque chose, ou bien , il ne se l'avouait pas totalement, il avait quelque chose de trop.

Saturday 19 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #3

Aujourd'hui, pour changer un peu, il se brossait les dents de la main droite et s'habillait de la gauche...et justement il l'était, gauche. Il avait eu l'idée depuis peu et c'était là un bon entrainement. Peu concluant niveau temps, se dit-il néanmoins, parce qu'il devait souvent s'aider de la droite et, donc, cela ralentissait le brossage. Enfiler pantalon et chemise, ça allait. Les boutons lui donnaient du fil à retordre, et il regrettait sa maigreur et l'obligation de porter une ceinture qu'il mettrait quinze plombes à accrocher s'il ne consentait pas à s'aider de sa main droite. Nom de – encore à la traîne ce matin. Pourquoi ne pas faire comme tout le monde? Pour une simple et bonne raison que la raison n'ignorait pas, mais qu'elle ne pouvait accepter.
Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'il sacrifierait au rituel des câlins matinaux; en plus il se souvint qu'Hélène avait un examen blanc en début d'après-midi, donc il lui faudrait toutes ses forces. Il lui laissa un petit mot d'encouragement sur la table de la cuisine, à la va-vite, au dos d'un post-it. Il y avait une ancienne liste de courses au recto. Ses yeux tombèrent machinalement sur les mots en désordre – lui qui adorait les suites de mots, de choses, de nombres – et après les tomates et le produit vaisselle se glissait, en toute fin, un « Test » griffonné lui aussi à la hâte, fébrile. Il s'arrêta net, le papier rose entre les mains. Que voulait dire ce « Test »? Test, test. Pas un test de grossesse quand même? Elle le lui aurait dit. Ils se disaient tout. Enfin – elle lui disait tout. Elle ne pourrait pas lui cacher ça, pas à lui qui lisait dans les gens comme certains lisent des livres ou des étoiles. Il avait une furieuse envie d'aller la réveiller et de la confronter, brandissant le post-it coupable sous son nez, sous ses yeux embués de sommeil. Au saut du lit personne ne peut mentir. Puis il se ravisa: et si ce « Test » n'était en fait rien, s'il se trompait? Il se targuait de connaître la psychologie féminine mieux que beaucoup d'entre elles – ayant le recul nécessaire pour être objectif – mais les relations humaines l'étonnaient parfois du fait de leur caractère imprévisible. Il n'irait donc pas la retrouver, assis sur le bord du lit, le regard accusateur ou pire, inquisiteur.
Il repensa au post-it une bonne partie de la matinée, puis les e-mails, fax, vidéo-conférences successives eurent raison de son attention.
« Michel, des nouvelles de Rexel?
_ Pas encore. J'ai juste eu un message de Daniel me disant que les pontes se réunissaient ce matin.
_ Michel, c'est justement ça que j'appelle des nouvelles. » Il considéra ne pas avoir dit cela sur un ton assez incisif, donc il crut devoir ajouter: « C'est justement à cette satanée réunion qu'ils vont décider de notre sort. » Même si le « notre » ici sonnait comme un « mon » Il avait rarement rencontré quelqu'un d'aussi niais que ce Michel, et jamais dans le monde de la finance. C'était un défaut rédhibitoire, incompatible avec la gestion du patrimoine et de l'économie d'un pays. Il soupira. Il devrait appeler l'agence de recrutement pour trouver quelqu'un d'autre. Ça l'embêtait pour plusieurs raisons, notamment parce qu'il devrait reformer une personne aux arcanes du métier, renégocier, recommencer. Et puis il y avait le côté « virer quelqu'un »: il n'aimait pas ça. Il avait beau faire partie de cette engeance plus communément nommée « requins », il détestait saintement devoir virer du personnel, même pour incompétence. Surtout pour ce motif. Le regard perdu qui dit « je suis mauvais, je ne suis pas à la hauteur »; la moue triste, déçue, qui dit « Je m'en doutais » ; les mains qui se nouent et se dénouent et qui disent, elles, « Et maintenant, je fais quoi? » Affronter tout ça le dérangeait moins lorsque c'était un FG, un « Faute Grave », mais un « Inc »...ça lui fichait le frisson de devoir ressentir cette commisération, cette gêne à devoir mettre quelqu'un sur le carreau. Il n'avait pas cette fibre darwinienne qui caparaçonnait nombre de ses anciens collègues. Il répugnait à sentir la pitié grésiller dans l'extrémité de ses doigts, marteler sa poitrine de battements de cœur sourds, puissants.
« Tu fais quoi ce week-end Jean-Luc?
_ Je vais dans la belle-famille, qui n'a de belle que le nom. Et toi?
_ Pareil! Il se pourrait même qu'on aille faire une balade après le repas, et il est probablement possible d'émettre l'hypothèse selon laquelle nous fassions une partie de belote ou de manille. Les seuls bons points du week-end: la prune dans le fond du café et le corsage de la belle-sœur qui vaut bien qu'on se tape son bourguignon trop cuit!
_ Hahaha! Tu les sors d'où tes blagues, mon Michou? »
Oui, c'est clair, d'où les sort-il ses blagues vaseuses? Un vrai beauceron. Les deux d'ailleurs, pas un pour racheter l'autre. Ces « pays-âneries » lui tapaient sur le système. Hahaha! « Pays-âneries »! Elle était bonne celle-là! Ils se retrouvèrent donc à rire tous les trois, pas pour les mêmes raisons certes, mais Michel crut qu'il avait, grâce à ce petit trait d'humour – le même depuis toujours – effacé sa bourde avec le fax de Rexel, les compteurs remis à zéro. Il rit de plus belle, en plissant les yeux et en se tapant la main sur le genou.
Le téléphone sonna. « C'est Rexel, » annonça-t-il. Plus de rire. Michel ne se demanda pas comment on pouvait passer aussi vite d'une gorge déployée à rire à cette gorge nouée et sèche, mais il sentit bien le changement physiologique. « Oui, M. Petersen, c'est moi-même. Bien, et vous-même? Pas du tout. Oui, oui. Cela va sans dire. D'accord! Bien. » Il regarda ses collègues en levant le pouce bien haut et en souriant de toutes ses dents, collègues qu'il méprisait encore, mais il fallait bien partager ça avec quelqu'un. Ce soir, il ne resterait plus rien du post-it. Une petite bribe s'était pourtant nichée toute la journée dans une anfractuosité de sa tête, pour finalement disparaître sous l'éboulis. Un chercheur d'or n'aurait pas négligé un aussi maigre filon, lui si.

Tuesday 15 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #2


Une de plus. Une journée de plus et pas une bière en vue. Pas même une mise en bière. Michel avait réussi, Dieu sait comment, à faire parvenir l'avenant au contrat. Pas par fax en tout cas. Il se demandait s'il ne donnerait pas une formation flash à son collègue sur les arcanes de cette machine du diable.
Il n'y avait plus qu'à attendre un retour de Rexel. Le premier gros contrat. Il avait encore des billes de côté, ainsi que quelques cartouches au cas où, mais ce serait vraiment une bonne opportunité pour booster la boîte. Ils avaient bossé around the clock pour joindre les deux bouts en un temps record, ça devait compter pour quelque chose, ou quelqu'un. Il drivait son équipe comme un boss. On ne pourrait pas lui faire ce reproche-là.
Il était presque neuf heures. Plus un chat sur la rocade. Il espérait qu'Hélène avait fait à manger. Il n'avait envie que de cela: arriver, les pieds sous la table, se sustenter, prendre une douche, regarder à la télé un programme qu'il savait sans cervelle mais c'est tout ce qu'il recherchait. Rire un bon coup à une blague grasse, à une tarte à la crème bien lancée. Dormir. Et recommencer le lendemain.
Toujours le volant coincé par le genou, il arrivait même à doubler les rares voitures qui trainaillaient sur la file de droite. Ces bouseux, alors, toujours à conduire à deux à l'heure, comme s'ils avaient un tracteur dans les mains. Une petite voix lui rappela qu'il avait appris à conduire sur un tracteur, les mains calleuses de son grand-père guidant les siennes, le sillon du champ pour seul guide, le bout du champ pour seul horizon. Sauf que lui s'était affranchi de la boue qui crottait ses galoches, de ces cals qui râpaient les poignées de main viriles, de cette mauvaise haleine de mauvaise bière ou de ces dents tachées de villageoise. Il était devenu un golden boy à la seule force de sa volonté et amassait des fortunes, alors que ses grands-parents avaient amassé de quoi survivre à la force éreintante du poignet, alors que ses parents vivotaient derrière un bureau dans une officine de cambrousse poussiéreuse.
Il n'y était pas retourné depuis qu'il avait amené sa petite amie, voilà presque deux ans – elle avait insisté des jours entiers, à en devenir rasoir à la fin – il se souvint y être allé dans son coupé-cabriolet BM flambant neuf qui lui avait coûté, comme on disait dans le jargon, an arm and a leg. Tout le monde avait admiré l'engin, campés les bras croisés sur la bedaine, hommes et femmes confondus. Ils avaient mangé une blanquette de veau, comme des arsouilles, et il avait honte, nom de Dieu, ça oui, la rage, la honte cuisante qui lui rougeoyait le visage encore plus que les sales bobines avinées des pochetrons accoudés au bar-tabac-PMU, le visage du tôlier couperosé comme le cul d'un porc. Ça ne lui ressemblait pas, lui qui ne buvait que des grands vins – il s'autorisait la bière parce qu'elle préparait l'ivresse – qui avait une hygiène irréprochable et surtout de grandes valeurs morales et esthétiques. Et – woaw! Belle embardée! Son genou avait glissé de dessous le volant, sûrement à cause d'un nid de poule. Route de merde. Il avait rattrapé le bolide in extremis, juste avant qu'il ne touche la rambarde de sécurité. Il en était quitte pour une belle frayeur. Le cœur battant la chamade et les deux mains tremblantes sur le volant, il s'enfonça dans la nuit, sans un mot.

Saturday 12 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #1


Il était en retard, vraiment à la bourre. Heureusement qu'il avait pris sa douche hier soir, il avait eu le nez creux. Il n'avait plus qu'à se brosser les dents, ce qu'il était en train de faire. Il allait vite, avec application, la main droite bien au fond de la poche. Il pensait qu'il allait devoir convoquer Michel pour le remettre dans les rails. Il avait quand même bien dépassé les bornes, ce crétin. Le dossier Rexel était leur top priorité et ils ne pouvaient se permettre de le laisser passer, surtout pas avec une bévue de ce calibre-là. Il n'avait pas abandonné son boulot de trader pour se faire emmerder par des cons. Exercer en conseil d'affaires et gestion du patrimoine ne payait pas autant mais c'était plus intéressant, plus diversifié. Plus humain, et c'était aussi son côté le plus gonflant, surtout avec des Michels dans le coin. Merde, il fallait aussi passer à la banque. Il se donna un grand coup de brosse à dents dans les gencives. Il cracha dans le lavabo. Ça faisait un mal de chien. Il se rinça la bouche, vérifia qu'il ne saignait pas. Les ratés étaient encore fréquents, mais il y travaillait d'arrache-pied. « Go, go go, » lui susurra sa petite voix d'ex-trader.
Amoureux ou pas, heureux de vivre ou pas, il se souvenait avoir toujours eu cette haine solide du travail presque crampée au fond de l'estomac, a lui vriller les intestins. S'il avait pu, il aurait été rentier. Ne rien glander de la journée, bouquiner, draguer, voyager. Il se voyait d'ailleurs très bien dans un transat avec un bon polar, sur le bord d'une piscine, une belle blonde à ses côtés en train de passer du monoï sur son corps de déesse, le bruit de l'océan pacifique, à quelques dizaines de mètres de là, berçant leurs oreilles. Cette vision resta agrippée dans son cerveau un certain temps, puis finit par se dissiper pour laisser place au magnifique rond-point de Paris dans la brume, embouteillée comme d'habitude le lundi matin. Il conduisait en calant le volant avec son genou et en passant les vitesses de la main gauche, la main droite agrippée à sa cuisse. Pas pratique mais mieux que rien; il conduisait mieux que la plupart de ces.... Mais bon Dieu, d'où venaient et où allaient tous ces gens? La population chartraine semblait centupler sur les axes routiers, alors qu'un rapide coup d'œil un samedi après-midi dans l'une des rues principales suffisait à se faire une opinion morose de cette ville morose. Pas de quoi fouetter un chat, encore fallait-il le trouver avant que celui-ci ne crève d'ennui.
L'ennui. Plaie indécrottablement humaine. On pouvait passer quinze heures au boulot en avalant un sandwich au-dessus d'un clavier d'ordinateur et ne pas en souffrir. À l'instant même où l'on se disait qu'on aimerait une petite bière entre collègues pour se détendre et parler d'autre chose, on se disait primo: les collègues étaient tous du coin, donc une ouverture d'esprit grande comme une porte de grange et une capacité à prolonger les silences dans les conversations aussi étendue que les champs autour de la capitale beauceronne. Secundo: trouver un endroit où les gens ne vous dévisageaient pas de la tête aux pieds et où on ne servaient pas de la pisse d'âne relevait du parcours du combattant mais il ne désespérait pas de trouver. Et tertio: c'était justement le bon point de son raisonnement, la bouée de sauvetage de cette ville: il n'y avait pas de tertio. Il reconnaissait que son constat était sévère, mais il n'était pas sans appel. Il avait suivi sa petite amie, qui reprenait ses études après un changement brutal de cap, et ils n'étaient installés que depuis six mois. Ils n'avaient pris le temps de visiter que la cathédrale et le vieux Chartres, et de faire deux trois tours dans le centre-ville. Ils avaient donc encore le temps de prendre leurs marques, lui et son amie. D'ailleurs, son téléphone entrait en transe.
« Ouais.
_ C'est moi.
_ Ouais, je sais, j'ai vu. T'as bien dormi?
_ Comme une masse. Je t'ai pas entendu partir.
_ J'étais à la bourre, j'ai pas voulu te réveiller juste pour deux secondes de câlins. Tu as cours today?
_ On a des TD toute la matinée et des CM cet aprèm. Vivement que je le passe ce foutu concours, ça commence à saouler tout le monde.
_ Tiens bon. Vous êtes des winner, vous allez tous y arriver.
_ Ben non, pas tous, juste moi! Combien de fois je t'ai dit qu'il y a un nombre de places limitées!
_ Désolé, j'étais que trader moi. J'ai pas fait d'études.
_ Très drôle. T'es où, là?
_ Le centre névralgique du secteur routier.
_ Au rond-point? Encore? T'es vraiment à la bourre! Heureusement que c'est toi le patron!
_ Très funny. Je sais pas pourquoi j'ai pas loué l'office à côté de l'appart.
_ Trop petit. Tu veux agrandir si ça marche.
_ Sauf que je sais pas si avec des branques comme Michel je vais pouvoir justifier l'investissement. Si on loupe Rexel à cause de lui, je le crucifie. Je le jure.
_ Attends un peu, si ça se trouve ça va se tasser, ton affaire. Bon, faut que j'y aille, poussin. Tu m'appelles à midi?
_ OK coral. Bye.
_ Bye qui?
_ Bye poulette.
_ Bonne journée mon poussin! » S'il détestait quelque chose encore plus que cette ville et sa brume et sa population rustre, c'était bien ces foutus surnoms. Elle en poulette couvant, et pas que du regard, son petit poussin. Il était plus vieux qu'elle de deux ans et elle ne le prenait pas au sérieux. Jamais. Pas même quand il lui avait dit être devenu trader à 23 ans ou qu'il gagnait les mauvais mois 4000 euros net et sans les bonus, pas même quand il lui avait dit monter sa boîte à Chartres pour pouvoir la suivre. En deux mois, après avoir tiré les anciennes ficelles, il avait trouvé des locaux pas trop pourris et en avant Simone! Même là elle ne l'avait pas pris au sérieux. Un carnet d'adresses épais comme un bottin en poche, la boutique n'avait pas tardé à ronronner et il s'était vite retrouvé débordé, obligé de trouver deux collaborateurs dans l'urgence. Michel et Jean-Luc, deux briscards sur le retour, qui avaient travaillé dans le secteur bancaire et des RH, mais qui avaient perdu un peu la main. Oui, s'il perdait le dossier Rexel parce que ce con de Michel n'avait pas su faire fonctionner le fax, il le crucifierait.

Habits

I am a man of habits I got to this conclusion because I flash-realised that I am hoping that someone, someday will see the patterns the rou...