Selamat petang,
Khabar baik, comme on dit ici.
Quatrième semaine un brin terne, grisée par la mousson.
La pluie.
Tombe.
Presque tous les jours.
La nuit, elle accompagne le demi-sommeil.
Le jour, elle presse le pas des passants – journal de businessman en mince protection au dessus d'un visage aux yeux plissés – parapluie prévu de longue date – saut de carpe par-dessus les flaques ou les rivières d'une heure.
Pluie chaude, chantante sur les toits des maisons, des voitures, pluie qui fait déchanter, pluie qui détrempe, pluie rigoureuse, abondante, généreuse et totale.
Pluie qui ne s'arrête que pour laisser une vaporeuse torpeur, pluie qui rafraîchit pour mieux attiser ensuite.
Ici, à trois cent cinquante-trois kilomètres de l'équateur, on n'est jamais bien loin de la chaleur. Du soleil qui brûlerait la peau et durcirait le sol s'il n'y avait cette humidité permanente, perméant tout, des herbes spongiaires jusqu'à l'écorce des hévéas.
Gouttes grosses comme des grains de maïs, tièdes parfois comme l'eau d'un verre laissée la veille près de l'évier, chaudes parfois comme une douche tiède en été.
Gouttes qui frappent plus qu'elles ne tombent, comme défiant la gravité en se projetant vers elle.
La chemise collant à la peau, révélant le corps pudique en dessous. On ne se gêne pas pour ne pas regarder, pudeur oblige, religion oblige, décence oblige.
Peut-être aussi parce que quand on est en sueur, le vêtement colle tout autant. Et la transpiration, c'est moins « propre » que la pluie. Ça passe le dimanche quand on fait son jogging, ou de la marche rapide, ou même les auréoles sous les aisselles à la fin de la journée, ça passe même très bien quand on est dans la jungle. Parce que dans la jungle, on est tous logés à la même enseigne. La terre brune et ocre sous les chaussures, la moiteur qui s'insinue partout, les branches et les lianes et les feuilles grandes comme des mappemondes qui couvrent tout ce que l'œil peut voir. Tout cela chacun doit faire avec, parce qu'en fin de compte il n'y a que cela, parce que la nature force les sens, bon gré, mal gré. Les moustiques sont pour tout le monde et ne font pas de différence. D'ailleurs, il ne viendrait à l'idée d'aucun être vivant dans la jungle d'en faire. Pas de piédestal, pas de hiérarchie comme chez les humains. Seule chose à faire ici : passer le flambeau avant que votre voisin, qui a plus de doigts, plus d'ailes, plus d'écorce, plus d'épines, plus de dents ou d'yeux que vous, ne veuillent en faire de même, juste pour assurer un avenir à sa progéniture. On se sent pourtant dans son élément, ou peut-être ne dois-je parler que pour moi.
Je sais que je ne fais que parler de jungle, mais une fois n'est pas coutume, j'y suis retourné. Juste pour entendre, une fois de plus, sa musique, sentir ses odeurs.
Dimanche, réveil avant l'aurore et ses doigts de rose, récupération des petits français (cf. la semaine dernière), arrivée au FRIM : Forest Research Institute of Malaysia. Fondé en 1926 par les anglais alors « résidents » qui ont reconstitué tout un écosystème à partir de rien, l'institut est maintenant un immense parc (à 20 minutes de KL) couvrant plus de 600 hectares et au sein duquel beaucoup tout le monde peut y trouver son compte: VTT, randonnée, arboretum, herbarium, bambusetum, accro-branches. Bien différent du parc Hutan Lipur Kanching en ce sens où il y a beaucoup plus de monde, et où la nature y est observée régulièrement – et donc préservée. Je dois dire que j'ai été un peu déçu de ne pas rencontrer plus de papillons (aucune photo), et seulement une petite araignée :
...l'entomologie attendra. En revanche, beaucoup de lézards, de plantes et d'arbres. Des moustiques aussi, mais ils font tellement partie du décor que j'en viens à les oublier (et là, je sais que je parle uniquement pour moi !).
Il y a pourtant un insecte – que j'affublerai du sobriquet légèrement péjoratif de « bestiole » - une bestiole donc, qui se rappelle à votre bon souvenir en se faisant toute petite, indolore, pernicieuse – en un mot comme en cent, en vous collant aux basques tout en se faisant oublier. Le moustique est parfois reconnaissable au vol bourdonnant près des oreilles (et la gifle un rien crispée de celui qui croit pouvoir le tuer par ce geste), et souvent par ce petit gonflement très irritant qui signifie « trop tard ». Il faut bien, encore une fois, sacrifier au grand cycle de la nature : les petits ont faim. Notre bestiole, quant à elle, ne bourdonne pas, ne vrombit pas, n'irrite pas – même si la tâche de sang sur la chaussette ou la jambe stipule bien « trop tard » en lettres écarlates. A l'instar du moustique, notre bestiole se trouve sur l'ensemble du globe (mais elle préfère les lieux humides ou hyper-humides) se nourrit de sang frais qu'elle va puiser directement à la source, injecte un puissant anti-coagulant analgésique afin de se gorger jusqu'à la lie sans que le donneur involontaire puisse empêcher la transaction, et une fois sa besogne achevée, prend la poudre d'escampette sans demander son reste. Contrairement à l'autre moustique, elle est parfois utilisée dans certaines branches de la médecine (l'hirudothérapie). Plate comme une limande, sournoise comme un , grosse comme un grain de maïs une fois gonflée à bloc, et collante comme une...sangsue. Mesdames et messieurs, tant que vous n'avez pas essayé d'éponger la plaie d'une de ces satanés bestioles pendant un quart d'heure en vous demandant quand cela va s'arrêter, vous ne savez pas ce que cette expression signifie. Elle se faufile partout, préférant généralement la touffeur de vos chaussettes, mais au besoin fera montre d'un sens de l'initiative et de l'originalité non dénué d'intérêt scientifique (surtout si vous êtes en short), se mettant à plat, dos au sol, attendant que vous la piétiniez pour se coller à votre semelle, puis remonter tranquillou, ni vu ni connu je t'embrouille, votre chaussure, chaussette – et le tour est joué : elle déclare le banquet ouvert. C'est généralement lorsque vous regardez par terre et que vos yeux sont attirés par une tache rouge sur la jambe ou sur la chaussette blanche du voisin, que vous vous mettez à inspecter vous-même vos pieds. Ainsi va la jungle.
Affaire classée sangsue-ite une fois revenu dans les pénates urbaines.
Voici deux spécimens de lézard rencontrés en chemin.
"Mountain Horned Dragon" ou Dragon des montagnes (Acanthosaura crucigera), que certains capturent pour les loger dans des vivariums... |
Des arbres, dont le fameux Eucalyptus. J'adore cet arbre, que l'on dirait bariolé à grands coups de pots de peintures. Les couleurs sont à ce point vives que l'on se demande si c'est bien vrai, si ce n'est pas un élément de décoration un peu kitsch pour un film tout aussi kitsch.
Notez bien la tête du jeune homme à gauche du tronc, cela vous donnera une petite échelle de grandeur |
J'aurai encore beaucoup de choses à vous montrer, mais le temps me manque. Aussi je vous mets en lien l'album photo que je commenterai aussi rapidement que possible...Très beau parc, même si très fréquenté et pas toujours très propre. Dommage également que le canopy walk (système de ponts suspendus) soient fermé...mais il rouvre en mars !
Je vous quitte sur une note sympathique, tout en poésie, avec Mimosa pudica, ou sensitive.
IIIIIIIIIIIIIIIRRRRRRRRRRRR ! Des sangsues ! Jusque-là tout était charmant, les nuages, le soleil, Arnaud le gecko, les papillons, les pitits singes, la bouffe, la nature, tout ça... Mais les sangsues John !
ReplyDeleteJe m'accroche au superbe tronc de l'eucalyptus pour effacer les images de bestioles dégueu.
Pis merci pour les vidéos qui nous mettent dans l'ambiance ! :D