Wednesday, 26 January 2011

Malaisie - Semaine 6 (en retard, je sais)

 
Malaisie, Semaine 6.

Une année de grâce oubliée de tous et emmurée par les lierres du temps, les Devas, excédés et soucieux de perdre de trop nombreuses batailles contre les Asuras, décidèrent de plaider leur cause auprès de Shiva. La guerre avait duré depuis bien trop longtemps, il leur fallait un champion pour y mettre un terme. Ainsi naquit Murugan (ou Skanda) à qui Shiva donna une lance, colosse d'airain aux pieds pas du tout d'argile. Il n'y avait plus qu'un pas vers la victoire – et pas besoin de bottes de sept lieues pour faire un pas de géant – le géant lui-même n'eut qu'à mettre un pied devant l'autre pour abattre la fourmillière.

Le Murugan le plus haut du monde (42.7 mètres), soit dit en passant.
C'est cette victoire que commémore Thaipusam, célébrée tous les mois Thai du calendrier lunaire hindou, lorsque l'étoile Pusam est au plus haut dans le ciel. Notre imparfait calendrier grégorien l'a décrété ce jeudi 20 janvier 2011.

Levé avant l'aube – repère commun à tous – à savoir 3h30 heure locale, je suis arrivé sur les lieux – Batu Caves, à environ quinze kilomètres au nord de Kuala Lumpur, à 5 heures pétantes. Petit aperçu photographique et vidéo de l'accueil à la sortie du train.



Dans les faits, Thaipusam est fêté trois jours durant – seul celui du milieu est férié pour les non-hindous de Malaisie, car c'est aussi le plus important. Il n'y a pas qu'en Malaisie que les hindous (et plus précisément la communauté tamoule) célèbrent Thaipusam (aussi en Inde, au Sri Lanka, sur l'île Maurice, à Singapour) mais il n'y a qu'ici qu'on le fête de cette manière. Vous allez comprendre (c'est beaucoup moins drôle si je vous sers tout sur un plateau sans vous faire poireauter un peu avant).

Ce culte, vieux sans aucun doute mais célébré aux Batu Caves depuis 1892, est très important pour les hindous et aucun d'eux n'imaginerait pas ne pas y participer. Il s'agit, de manière générale, de se purifier. Les fidèles observent un jeûne qui peut aller jusqu'à 48 jours pour les plus dévots.
La façon la plus simple reste encore de venir. Batu Caves, formation géologique de calcaire d'un peu plus de quatre cent million d'années, abrite de nombreux temples, dont un dédié à Sri Shiva, que j'ai visité en février – cf. Shiva – offrandes, prières, rituels, il y a de quoi faire. On peut aussi affronter les deux cent soixante-douze marches qui amènent aux grottes et aux temples abrités en leur sein en psalmodiant des « Vei ! Vei ! » et en portant sur le sommet du crâne un Pal Kavadi rempli de lait.
Il y a parfois des regards qui percent plus que des lances.
C'est ce que font la plupart des gens – et des gens, il y en a beaucoup, voire plus. Petit aperçu à 5h20.
Plus de deux millions de visiteurs, pèlerins et touristes confondus, auront assisté aux célébrations ce jeudi. Et encore, il n'y avait pas trop de monde : j'ai bien fait de venir à cette heure supra-matinale et de repartir avant le grand rush de l'après-midi. Je n'avais pas prévu celui de 10 heures, mais on ne peut pas être parfait à tous les coups, surtout les premiers. Ce que je voyais depuis le début, c'est ce soleil qui se révèle en quelques minutes, mine de rien, de derrière les nuages matinaux, et qui crame tout.

Mais à 5 heures, point de soleil. Seule une pleine lune placide qui jette un œil froid aux échoppes de confiseries, de statuettes votives, de vêtements, de nourriture épicée, à la grande roue et autres attractions – la jeunesse et la globalisation a pris le pas sur une partie de la tradition – il en va de même pour ses inévitables conséquences : après deux jours les poubelles sont pleines, les détritus jonchent les ruelles, ça sent mauvais – autant dire que parfois ça pue, c'est gras, c'est répugnant. Mais quelque part, ça passe. Bref.






Une autre façon de faire durant Thaipusam, bien plus curieuse, controversée – bannie en Inde, et un peu partout, sauf en Malaisie – est de faire ça. 

On expie ses péchés avec la dévotion la plus extrême. Certains se font raser le crâne, qui sera recouvert ensuite d'une couche de tanaka, mais cela reste non pas mineur ou isolé, bien au contraire, mais bien en-deçà de ce que font ces hommes et ces femmes. Porter un Vel Kavadi de plusieurs dizaines de kilogrammes sur les épaules, ceinturé, est une chose. Porter un Pal Kavadi sur la tête, parfois très grand parce que surmonté de fruits et de fleurs, est une autre chose. Ces personnes-là sont toujours entourées, aidées, soutenues, on leur apporte à boire et l'escalier du milieu leur est en générale réservé, même s'ils peuvent emprunter celui de gauche (descente à droite). Cela reste néanmoins une épreuve pour toutes et tous. Certain(e)s ont déjà un certain âge.

Mais ce que font ces hommes-là (pas de femmes), défie le sens commun.


Pour avoir suivi un homme du bas jusqu'en haut, du moment où on lui accrochait les “hameçons” au bout desquels on a fixé au préalable un citron, une prune, une pomme, une clochette, jusqu'au moment où on les lui enlevait, je peux vous dire que c'est une épreuve hors du commun. Pour être resté pas loin de deux heures dans les grottes, je n'en ai vu qu'un saigner alors qu'on lui enlevait un crochet. Après les avoir délesté de ce pieux fardeau, une cérémonie s'ensuit. Les dévots sont déjà dans un état de transe, mais ils le sont plus encore après ça. Vidéo. Beaucoup s'évanouissent – et je tiens à préciser que ce n'est pas pendant qu'on les “décrochent”, mais après, pendant la cérémonie. Ils sont certes en transe, mais parlent, communiquent avec le prêtre, les renseignent sur leur état de fatigue avant de continuer. Certains prennent un petit temps d'arrêt. Mais j'en ai vu la bave aux lèvres, les yeux révulsés, tremblant de la tête aux pieds. J'en ai vu fumer une sorte de cigarette et tailler une bavette tandis qu'un à un les crochets leur étaient ôtés, puis déposés dans une grande pièce d'étoffe colorée, tenue par deux fidèles.

Se faire transpercer la langue ou les joues par un Vel, ou lance, rappelle Murugan. Chaque Vel Kavadi rappelle Murugan à cause d'une vieille légende que je vous conterais un jour, mais elle est longue. Les plumes de Paon rappelle Murugan car elles sont le véhicule du champion. La pureté est de mise, comme le cœur de Murugan, d'où le jeûne, le lait, l'abstinence, les prières. La douleur qui purifie, qui absout, qui libère, qui sauve.
Mais il y a “mieux” encore. Certains ont ce type de crochets plantés dans le dos. Chaque corde est ensuite reliée à une espèce de char qu'ils devront tirer depuis l'entrée du site. Et ça fait froid dans le dos. Vous avez déjà tous tiré sur la peau de votre bras ou de votre ventre pour voir jusqu'où elle pouvait aller. Eh bien là, imaginez qu'elle va beaucoup plus loin que là où la douleur vous a permis d'aller. La peau se tend, se distend à chaque traction – et vue la foule, ils ne peuvent tirer le char d'une seule traite : il faut avancer de quelques pas, s'arrêter, recommencer à tracter le char, s'arrêter, reprendre, tout cela un nombre incalculable de fois. Sous le soleil, dès huit heures trente.
Et puis occasionnellement il y a celui qui en transe cavale comme un dératé et monte les deux cent soixante-douze marches en courant, les yeux révulsés, en hurlant. En général, les gens font place.

Il y a eu aussi cet énergumène, shaman de son état, complètement en transe, les joues gonflées en permanence, comme retenant sa respiration, distribuant des prunes ou des clochettes aux gens qui venaient lui baiser les pieds. Il leur apposait délicatement une main sur le front, sans mot dire, puis leur donnait tel ou tel, selon son envie semble-t-il. Certains étaient mécontents de n'avoir obtenu qu'une prune : il leur tournait le dos. A certains, il donnait une clochette sans raison apparente. Je fus de ceux-ci. Il s'est approché de moi et a délicatement ôté une clochette accrochées sur un de ses flancs. Je la garde précieusement. Elle vaut chair.



Je suis retourné dire merci à Shiva. La dernière fois que je me suis tenu devant cet autel, j'étais tout penaud et maladroit. Ce jeudi j'étais confiant, là où je devais être à faire ce que je faisais. Mon, cette fois-ci, était légitime. Ça, c'était jeudi. Thaipusam reste pour moi une fête inoubliable. Une atmosphère particulière. Une autre façon d'appréhender le monde, une autre facette dans le prisme humain. Un sentiment de communion étrangement mêlé d'un sentiment de voyeurisme, la sensation de ne pas être à sa place mais d'être là où il faut. Pour être honnête, il m'a fallu une bonne heure avant de comprendre comment la foule bougeait, vivait, avant de pouvoir m'y intégrer, me déplacer sans bousculer les pèlerins, sans avoir la sensation de gêner. Prendre des photos est devenu “normal” lorsque j'ai vu des hindous en faire de même. même si j'ai dû essuyer quelques regards en coin. En fin de compte, on en apprend autant sur soi que sur les autres.

Voici l'album complet de Thaipusam.

Samedi et dimanche furent passés sur une île à quatre heures de route et une demi-heure de ferry de Kuala Lumpur : Pulau Pangkor. Séjour éclair de moins de vingt-quatre heures pour rejoindre trois des petits français qui y étaient depuis le vendredi après-midi. Au programme : balade autour de l'île en voiture de luxe, déjeuner dans un des plus beaux « resort », visite d'un vieux temple chinois, baignade dans des eaux turquoises, farniente sur une plage de sable fin bordée de cocotiers. Le rêve...oui, un rêve. Enfin, en partie.

La voiture de luxe ressemblait à ça. Jamais je n'ai eu à conduire une guimbarde pareille. Étranges bruits de tôle froissée, un couinement trop métallique à mon goût dans les virages, des sièges défoncés, des vitres qui furent électriques (j'ai quand même réussi à les « réparer » en rebranchant les fils dénudés, pour pouvoir les fermer), des vitesses qui craquaient toutes sans faute, un embrayage qui patinait...ah oui, j'oubliais les feux de croisement inexistants et le fait que quand on poussait trop les rapports le voyant de la batterie s'allumait et le moteur s'arrêtait. Obligé donc de redémarrer la voiture...en pleine côte (l'île est typique pour cela : montagneuse au centre, bordée quasiment par une plage, et une route en montagne russe avec des côtes et des descentes entre quinze et vingt pour cent) avec très peu de freins. Quand je dis très peu, on aurait freiné plus efficacement en passant un pied par la portière et en écrasant la semelle sur le bitume.
Voilà la bête: 
 
Le fameux hôtel tout le tralala j'ai plus d'étoiles que le ciel j'ai une plage privée blablablablabla, on a réussi à ramasser des déchets (pas en pagaille, mais assez pour mettre en doute au moins deux ou trois étoiles), une pile, des poissons morts. Certes l'eau est transparente, le sable fin, mais bon les prix vont jusqu'au firmament et au-delà et Yeow Wei et une petite française ont trouvé le moyen de se taillader (l'un le pied, l'autre le genou) sur les rochers. Résultats des courses : deux points de suture sur la balle du pied, un bel hématome sûrement sur le genou. Mais on a enfin pu découvrir les urgences d'une clinique locale. Pas trop mal. Pour une fois que ce n'est pas moi qui y suis.

La baignade était plutôt agréable, même s'il est certain que la côte est est moins propre que la côte ouest, et l'eau plus trouble. Néanmoins le sable fin était là, les cocotiers aussi, mais pas en nombre suffisant pour mériter le nom de bordure.

Juste une petite photo pour la route.
Je finirai avec ce superbe temple chinois d'une dizaine d'année tout au plus, qui compte quelques pièces d'eau et des poissons d'Amazonie – des  paiches ou pirarucu (Arapaima gigas), énormes – une réplique miniature de le Grande (!) muraille de Chine, un panorama, des statues de cow-boys en papier-mâché, des cages avec un babouin, des écureuils et des pigeons. Un vrai parc d'attraction, gratuit et insolite.
Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés visiter Kellie's Castle, extravagance inachevée d'un magnat écossais qui voulut construire un château tout en stuc et arabesque pour les beaux yeux de sa femme qui succombera d'une étrange maladie – qui emportera également l'ensemble des ouvriers indiens qui participaient à la construction – sans avoir vu l'achèvement du rêve, tout cela à la fin du XIXème siècle. Kellie ne le verra pas non plus, emporté par une pneumonie alors qu'il était au Portugal. Je ne l'ai pas vu non plus, et personne ne le verra jamais, les plans et les secrets de l'édifice étant dans la tombe de ce cher Highlander. La vue du haut de la tour est assez surprenante néanmoins. On peut voir la plantation d'hévéas qui fit la richesse du seigneur local, et des formations de calcaire, comme celle de Batu Caves. Il y a d'ailleurs des grottes abritant des temples non pas hindous, mais chinois. À voir donc.

Et ici vous trouverez l'album complet du voyage à Pulau Pangkor.

Difficile de croire que lundi matin il faut aller au travail. Sauf que ce lundi-là, on arrive au boulot avec la banane en pensant que si Claude François avait vécu un peu en Malaisie, il n'aurait pas dit que le soleil le lundi, c'est pas possible. D'ailleurs, je commence à l'avoir un petit peu sur la peau, le soleil.

PS. Je vais m'atteler à la traduction des posts sur la Malaisie, à la demande de certaines personnes ici...
PS. I am going to translate the post on Malaysia guys, so hang on!

PS2 Je vais charger d'autres vidéos de Thaipusam dans la semaine...Patience !

1 comment:

Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question

Silly little details

  You said it was the way I looked at you played with your fingertips drowned in your eyes starving your skin you felt happiness again your ...