Friday, 17 May 2013
La rivière
La rivière coulait en
contrebas.
Le soleil, l'usure des
jours,
le village des hommes,
l'ont rendue sèche comme
le cou des vieilles
femmes,
celles qui ont perdu
l'amour,
celles qui ont un regard
las.
Elle coulait là,
pourtant,
depuis bien longtemps.
Seuls le soleil et le vent
savaient depuis quand.
Mais maintenant elle n'est
plus
qu'un tas de rochers
blancs et nus.
Les hommes ont, depuis,
disparu,
leurs chaumières et leurs
rebuts
seuls attestent de leurs
vies vécues.
Les arbres ont dépéri,
flétri dans leur essence,
On ne sent plus le
pétrichor quand la pluie danse.
Il n'y a ici plus aucune
vie. Plus aucune chance
de voir paître la biche
ou tournoyer le vautour,
plus rien ici ne rôde que
le silence
que seul l'éboulis brise
en échos sourds.
Pourtant plus haut, bien
plus haut dans la montagne,
on entend un mugissement
plein de hargne,
une fureur dont l'orage
raffermit la poigne.
Là-haut, on sent que la
source n'a point tari.
Et le marcheur, que
soudain l'espoir gagne,
redouble d'effort et
devient plus hardi.
Ce n'est point le destin
qui l'accompagne,
il le sait, c'est le
chemin qui l'a aguerri.
Lorsque, après une ultime
journée de marche,
Il se trouve face à la
source glacée,
Il sourit, joint les mains
en coupe et se penche
pour étancher cette gorge
taraudée.
La tête lui tourne
soudain.
En un instant, il se
ressouvient.
Il regarde ses mains –
rien n'est pourtant
anodin :
cette rivière est, bel et
bien,
malgré toutes les
rivières,
malgré tous les chemins,
celle qui répond aux
prières
que l'on fait quand on
erre.
Il n'y en a qu'une, il le
sait bien.
Elle a dédaigné son
ancien lit,
elle a empreinté une
autre vallée –
ce pour une obscure
raison.
Mais là n'est point la
question.
Toute son amertume
ravalée,
il contemple l'horizon
et en souriant il saisit
qu'il connaît chacun des
replis,
chacune des ondulations
de cette onde qui ne peut
changer.
Un soupir passe ses
lèvres.
Tout ceci n'est peut-être
qu'un rêve.
Mais il n'a aucune
hésitation :
cette fois-ci, c'est pour
de bon.
Il part alors se mêler
aux méandres et à leur éclat –
en contrebas, on distingue
les lourds thyrses des lilas.
Thursday, 16 May 2013
Petrichor
L'harmattan arrive,
entend-on chuchoter au village.
Voilà de longs mois qu'on
attend de lui
Qu'il souffle cette
interminable pluie.
Le ciel, jusqu'à peu,
était ridé de mauvais présages.
Il y a eu des bêtes
emportées dans des coulées de boue
Et des maisons que la crue
a entraînées encore debout.
On ne compte plus les
salines embourbées par les trombes
Ni les corps flottants
comme des troncs d'arbre dans le courant,
Et il pleut, il pleut des
mois durant.
Dans quelques jours, on
verra les vallées érigées en catacombes,
On retrouvera les brebis
égarées, la laine et le ventre gonflés d'eau,
On retrouvera ceux qui
s'étaient offerts pour faire cesser le supplice
Et ceux qui avaient
abandonné l'espoir d'un armistice.
Déjà on sent la décrue
et on grave le nouvel étiage sur un poteau.
Voilà trois saisons de
lune que le vent souffle sans discontinu.
Une femme devenue folle a
plongé hier dans un précipice,
Et le vacarme ininterrompu
pèle les pensées à nu :
Pourtant personne
n'avouera avoir vu les insensés abysses.
Les gorges se dessèchent,
les peaux se crevassent,
Le soleil brûle autant
que le vent érode et efface.
Les récoltes sont tout
juste bonnes : on remercie les dieux.
On mange à sa faim, puis
on devient parcimonieux,
Car le vent s'abat d'un
coup plus fort et étouffe la liesse.
On trace des signes sur le
sable, on descend au fond des puits,
On crie face aux
bourrasques pour qu'elles cessent –
On en vient à sacrifier
des vierges pour faire venir la pluie.
Les bêtes errent ça et
là, tournaillent, rôdent le
museau en l'air,
Et au loin on voit déjà
les coups de griffes du tonnerre.
Wednesday, 15 May 2013
Opprobre
Enterre toi-même ton âme,
mécréant immonde !
Creuse ta propre fosse et
rabat la glaise sur toi,
Car personne ne viendra te
porter ni terre, ni deuil,
Et j'interdirai à
quiconque de porter ton cercueil.
Que même tes os blanchis
ne reparaissent à la face du monde !
Je ruinerai ta famille et
j'abrogerai tes lois.
Il n'y aura point
d'épitaphe, point d'arbre
pour signifier là où tu
gis.
Je ferai effacer ton nom
des stèles de marbre.
On oubliera ce que tu fis.
Je brûlerai les cartes de
ton royaume,
J'en raserai les villes,
les tours et les châteaux :
N'y régneront donc plus
que les fantômes,
N'y respirera donc plus
que le sirocco.
Je prierai pour que ton
cœur soit emmortaisé
Pour que les diables
criblent ton corps de sarcomes.
Alors, peut-être, alors
mon ire sera apaisée.
You-niqueness
"At bottom, every man knows perfectly well that he is a unique being, only once on this earth; and by no extraordinary chance will such a marvelously picturesque piece of diversity in unity as he is, ever be put together a second time."
Friedrich Nietzsche, philosopher (1844-1900)
Tuesday, 14 May 2013
Les papillons
Je marche contre le vent des papillons
des plaines.
Quelque chose naît. Je le sens dans
mes vieux os.
Pour l'instant rien ne bouge, si ce
n'est l'aurore.
Un jour comme aujourd'hui, j'ai soif et
je n'ai pas d'eau.
La chaleur grésille et les ailes
courroucées fulminent.
Mais d'ici je ne les vois pas encore.
Un jour, on m'a dit de me reposer quand
je serai fatigué.
Cela voulait dire « Cours ! »
non pas sans s'arrêter,
Car il y a aussi un paysage à
contempler,
Car il y a aussi des visages à qui
parler.
On sent comme une pulsation dans l'air
du Nord.
Je marche contre le grondement des
ailes furieuses,
J'avance lentement dans les heures
laborieuses.
Au loin, c'est comme une pluie de
météores.
Il n'y a plus qu'à attendre les
lépidoptères,
et les secousses des images des ocelles
parviennent jusqu'à moi avec un raffut
de tonnerre.
Je perçois enfin le roulement de leurs
ailes.
Je tremble, moi qui ai affronté la
manticore.
Je m'arrête au sommet de la plus haute
dune.
De là je contemple les hordes de
l'horizon blêmi.
Et les reflets des soies brillantent la
lune.
Du haut de mon mirador de sable, je
frémis.
La nuée immense avance, cumulus
chromophore.
Un jour, ma mère m'a dit : « On
récolte ceux que l'on aime. »
Je ne l'ai pas compris alors. Mais
aujourd'hui je sème.
Bientôt, il n'y aura plus qu'un monde
versicolore.
Ainsi qu'un shamal bigarré, la cohorte
obscurcit les cieux
de milles teintes, comme une fresque
démesurée recouverte avec soin.
Voilà les papillons qui soufflètent
mon corps, mes mains, mes yeux.
Demain, j'aurai oublié l'ouragan
diapré de satin. Mais demain, c'est loin.
Monday, 13 May 2013
Slumber
Today
saw a newfound state:
Half-asleep,
half-prostrate,
Shivering
from an inner cold
Thirst
that no water could sate
Unperturbed
by music old
Unmoved
by story told
Waiting
till all took the hue of slate.
Today
I passed like a wraith
For
I have lost the object of my faith.
Yet
I have no sense of hate
For
her who dealt me death.
My
heart slumbers to a drowsy gait
My
obscured words none could translate
Holding
– god knows how long – my breath.
Today
I want but can't forget
Having
made no mistake, having no regret.
I
shan't forget this dreadful date
Until
a thousand suns I have seen set.
And
if my life carries any weight
She
will come see me at the gate
And
take my hand like when we first met.
Les Nocturnes
Le jour passe avec une
lenteur d'été. Les heures s'allongent. Les secondes s'éternisent à
tel point que mon cœur pourrait battre deux fois entre chacune
d'elle si seulement il ne s'était lui aussi mis à battre comme une
cloche d'église. Et à chaque instant cette impression de glisser
tout doucement dans un semblant de mort, de sentir mon pouls
défaillir ou tomber dans l'incertitude. Battre ou ne pas battre. Il
y a des fois où je le lui interdis, mais il persiste. Comme s'il
savait mieux que moi. Comme s'il savait qu'on ne meurt pas d'être
amoureux, mais uniquement de jalousie.
Toujours est-il que je me
consume dans l'attente d'un amour qui ne vient pas, qui ne peut venir
et qui ne viendra pas. Et quand je pense à elle, je sens les nuées
de papillons dans mon bas-ventre qui s'éveillent, comme s'ils
sentaient une bête ou un nectar parfumé.
Dormir devient absurde
parce qu'il n'empêche pas de penser. Le manger et le boire sont
relégués au rang des besoins que seul le désert invoque. Regarder
devient obsolète parce qu'il ne peut empêcher l'esprit de se
figurer sa silhouette. Sentir trompe autant qu'entendre et je me
laisse berner par mes sens qui me font croire qu'elle est là alors
que je suis seul.
Je sais que je devrais
passer cette colonie de papillons par le feu, que je n'aurais jamais
du les laisser s'installer, mais j'avais l'envie de les retrouver
chevillé au corps. Et tant qu'elle ne la déracinera pas d'un
sublime coup d'estoc en plein cœur, elle sera là, cette stupide
envie. Lorsque ce coup sera porté, je fanerais, lentement, comme une
kitanka. Non avec le panache du combat, non avec la gloriole de
l'amoureux déçu, et encore moins avec l'absurde fierté d'avoir
aimé. Non, je mourrai avec le cuisant échec de n'avoir su lui
montrer le bonheur.
Parfois, je me dis qu'il
vaudrait mieux continuer ma route avant qu'il ne soit trop tard. Mais
à quoi bon ? J'ai cette sinistre impression que les choses
suivent leur cours, que chaque seconde plantant sa fourbe lame se
doit de la planter, que chaque mot de détachement n'a vu le jour que
pour cet instant où il me transperce. Comme si l'Attente elle-même
avait couvé des siècles durant pour n'enfanter que dans cette
ridicule attente-ci.
Alors j'attends, et
j'étouffe. J'ai des bouffées de froideur qui enserrent mes poumons
dans une gangue de glace. Je fais parce que je dois faire, je marche
parce que mes jambes impriment le mouvement, je respire parce que je
n'y pense pas. J'ai beau essayer de mettre un terme à tout cela, je
n'y arrive pas. J'ai les pieds en plomb, le sang comme de la mélasse
et l'esprit englué comme une mouche sur ces papiers jaunes tombant
en spirale du plafond.
Juste là, maintenant,
alors que j'écris, assis en tailleur sur mon lit, je viens de
mourir. En donner la raison n'aurait pas grand intérêt, car dans
ces cas-là, seul le résultat est pris en compte – et il n'y a pas
de petite case pour des cas comme le mien.
Donc demain, qui est déjà
là depuis quelques heures encore sombres, sera difficile. Il ne
faudra pas me demander de sourire ou de chercher le moindre rayon de
soleil. Les morts ne sourient pas et se réfugient dans l'obscurité,
à ce que je sais. Je ne parlerai pas plus que nécessaire, je ferai
la sourde oreille et je longerai les murs. Les morts font ça aussi.
C'est absurde de mourir pour ça, j'en conviens fort aisément, mais
qu'y puis-je ? Tout ça parce que j'ai cru pouvoir partager de
ces moments qui, dans un pied-de-vent, semblent posséder une aura
hors du commun. Quel benêt je fais. Heureusement que l'on n'en
arrive pas tous là...sinon le monde se serait vite dépeuplé.
Et ensuite, après cette
petite mort qui prépare à la grande, il y aura beaucoup de bruit et
de fureur et des intervalles de calme comme quand on flotte après un
haut plongeon dans la piscine, en attendant le long silence des
nocturnes.
Sunday, 12 May 2013
We owned the night
Her breathing clawed at my lips.
The glitter in her eyes I saw through the curtain of her hair.
My gaze rested on her hips.
Her fingers were butterflies, were the butterflies inside.
Her smell was clinging to my hands.
I was her blood, her impetus, her awakening.
She was my pulse, my heart and veins.
We had no care for dark of night or light of day.
We owned each and every star and commanded over the elements.
We were neither here, nor there.
We were impermanent and everlasting.
We were both made of some unknown matter.
And only Time held sway over us, though we resisted.
Nothing mattered for we owned life.
Nothing mattered for we owned the night till it lasted.
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