Wednesday 9 June 2010

L'empreinte de l'eau


j’ai besoin de toi comme de l’eau
comme un errant au mitan du désert

ta pensée me sert la gorge
tu es la brise sur mon visage
le bruissement des arbres le soir
la pluie sur mon paletot
la bruine en haute mer
le cri des mouettes sur la jetée
le soleil froid du matin d’hiver
le silence quand il neige
le silence quand vient l’été,
cet escalier de Jacob
qui claire-voise et englobe
ce tranquille pied-de-vent
qui transperce les nuages
ce vol furieux de crambe
cette immense nuit d’étoiles
qui résiste au sommeil et au vent
cet orage enclume qui tonne
ces larges feuilles d’automne
qui mosaïquent les allées
des bigarrures de leurs voiles
cet arc-en-ciel qui s’achève au regard
sur le bord d’une colline
cette giboulée sans aucun égard
aux voyageurs qui lambinent
ce lavoir isolé maintenant
ces balades de florions dans le souffle
ces pattes de chat sur l’étang
ce clydesdale qui à la charrue s’essouffle
ce vol d’hirondelles au soir
clamant des vêpres d’ivoire
ce héron immobile en les eaux
altier confondu en les roseaux
cette aurore qui n’en finit pas
cette nuit calme et triste et là
ces lents nuages diaphanés de soleil
qui passent sur l’horizon
ce crépuscule fasciné de vermeils
diaprant toutes les maisons,
les éclats de voix des autans
le premier bourgeon de printemps
les larmes de Tristesses
l’assoupissement las, intranquille

et parfois lorsqu’aux soirs de grésil
l’ennui étreint la poitrine et empèse
les vestiges des pensées qui me furent
voilent le regard d’un fin brouillard
et pourtant lorsqu’aux soirs adoucis
il n’y a plus qu’un seul ennemi
sur le champ de bataille déserté
on ne voit pas non plus la fin de la nuit
on ne sait à quoi l’on a résisté
on ne voit pas non plus que l’on vit
et que l’on reçoit tous les jours
de ces dons qui apparaissent vains
et qui sont comme une pluie d’été
sur nos bistres photos de faubourg
et souvent il y a quelque chose de doux
et de secret à regarder la lune
sombrer derrière une montagne
de nuages sombres et luisants comme l’encre
semblables à des navires dépourvus d’ancres
oui, souvent, il y a quelque chose de doux
et souvent l’on croit avoir été seul
et l’on brode tristement un linceul
dans la musicalité des jours
et des nuits de veille ininterrompue
l’on croit n’avoir besoin que d’amour

alors que l’eau vient à manquer
et l’eau, lorsqu’on n’en a plus,
le vertige grésille les oreilles
et l’on voit les labyrinthes de l’âme
dans les remous d’un barrage
et jamais dans nos reflets
et sinistrement nous comptons nos âges
et ainsi nous passons nos temps
à rêvasser de vies consumées
aux heures bleues présumées
à ne vivre que des bouts d’instants
à ne rien vouloir d’autre que soi-même
un reflet si noir et parfois si blême
et l’on ne voit pas l’eau, l’eau
qui est présente, partout,
à chacun de nos pas lourdauds
dont nous ne sentons plus le pouls
qui s’offre à nos sens émoussés
par tant d’errance évincés
par tant d’oisiveté hebdomadaire
plantés là avec tout et rien à faire
et ainsi nous ne faisons rien qui en vaille la peine

et ainsi saumâtrent l’envie et la haine
et pourtant nous vivons
dans la froideur de nos maisons
où de dégoût le soleil s’absente
et d’où ennuyés et tristes et faux
nous croyons contempler un monde
qui n’a pas été fait pour nous
qui donne et prend à coups de faux
qui nous ampute et nous émonde
et qui, finalement, s’en fout ;
ce qui nous fait défaut – c’est un but;
nous pleurons misérables et incompris
nous mourons dans le dénuement
parce que l’eau a et n’a pas de prix
et souvent l’eau coule autre part
sourd d’un autre continent
abonde en lacs phréatiques épars,
il faut prendre la peine de l’écouter s’écouler,
nos corps assoiffés crient grâce
la miséricorde des jours ne vient pas
ne peut venir tant qu’on ne pleure pas
il ne faut pas que jeunesse se passe
il faut pourtant aller là où tout arrive
et où tout vit et rit et jaillit
comme une fontaine sous le lierre

il y a toujours une autre rive
une autre passe pour voguer en vie
pourquoi attendre alors qu’un monde est à portée
de main crispée en une lente agonie indolore
l’hésitation plus que l’inaction calcifie
nos articulations effarouchées
fragilisées par l’appréhension de la mort,
nous subissons cette soif intarissable
et le silence autour de nous cultivé
comme si de rien n’était
nous ne le voyons plus
nous le laissons contraindre
nous qui lui avons donné naissance
et l’ennui accable et cesse de surprendre
il faudrait ouvrir les portes de son être
en grand
pour laisser entrer les papillons
et les rayons de soleil
et la pluie souvent
mouiller le carrelage de nos aîtres
prendre le temps de regarder
dans l’iris de nos yeux les couleurs
les mondes qui couvent silencieux
et les si lents cieux
ne seraient plus
comme par enchantement
couverts d’épais nuages annonciateurs
d’hécatombes
de sacrifices inutiles
et desquels on ne connaît rien
pas même les motifs

et nous restons oisifs
devant les trombes
sans oser mouiller ces mains
désormais si futiles
que des occasions de chute
alors qu’elles équarrissent le brut
assouplissent le grain
et jointes prient et saluent
et l’on ne se tient plus par la main
comme le font les amoureux qui ne sont plus,

tu es le chant de l’averse au carreau
ce plissement d’yeux en plein soleil,
il nous faut prendre le large
appareiller nos maigres esquifs
et braver l’inconnu
l’inconnu
grand nom de ceux qui n’ouvrent pas les yeux
alors autant cesser de battre
cœur et paupières
tout cela reste superflu
et nous emmène intouchables dans le secret des tombes
qui elles ne parlent pas plus,
il faut apprendre à respirer avec le ventre
l’odeur du terreau fraîchement arrosé
les senteurs d’herbe coupée au bord des chemins
le parfum de la terre imbibée d’orage
de l’encens enivrant presque trop
malgré cela le cœur flétrit et c’est le pire
mieux vaut une cicatrice
qu’une flétrissure car c’est la preuve
que l’on a vécu pour quelqu’un
ou quelque chose
qui nous dépassait tellement
qu’on n’a pas eu peur de se brûler les doigts
à son contact

une cicatrice recueille les mémoires
et mille blessures font un guerrier
et une blessure fait un assoiffé
ce voir, cet observer, ce contempler
que nous n’usons plus
que pour feuilleter sans voir
les pages de nos existences
insipides et incolores et inodores
la liquidité nous fait défaut
nous étions semblables à l’eau
et corrompus par le chagrin
l’ennui, le sommeil, le fantasme de faire
nous n’avons pas le faire
impotents et hagards
créer nous ne savons plus
le vivre avons oublié
l’observer un frein
le boire une mauvaise habitude passée

et parfois d’un matin paisible
on retire une joie qu’on feint d’ignorer
jusqu’à ce qu’elle perce
la croûte de l’indifférence
épaissie par accrétion
d'incuriosité et de carnets de chèque
et de nous il ne reste rien qu’un champ de ruines
invisitable parce qu’insalubre
nous devenons invisibles
et nous perdons nos reflets
et au fur de nos jours moribonds
tout vient flétrir le cœur
et les poèmes pourrissent dans les placards
se périment sans sépulture
ni même de cénotaphe anonymé ou biffé
alors qu’un poème est une échelle
pour se dé-tacher de l’ennui
et aide l’œil à voir
le corps à se modeler
accoutume l’oreille au bruit oublié de l’eau
sur les toits gris des capitales

les poèmes vivent de nous-mêmes
fantoches paresseux et atrabilaires
esprits frappeurs des relations humaines
liquéfient ce sang qui coagule
et bouche nos artères
pourtant les poèmes hantent les tiroirs
ou brûlent dans les fours ;

nous faisons état des jours
nous les comptons
histoire d’être sûrs
répertoriés bien au chaud dans nos mémoires
et les années passent sans heurts
évitant au mieux la peur
l’insécurité de demain
de l’autre son voisin
et pourtant la torture du quotidien
tiraille nos esprits amuïs tête baissée
nous nous sommes changés en statues de sel
redoutant la première ondée
alors que c’est au milieu de l’océan que l’on vit vraiment
que l’on est vraiment
les abysses par-dessous nous
les empyrées, quels qu’ils soient,
par-dessus et l’eau desquamant
nettoyant les dartres du reclure qu’on s’inflige
il n’y a que là, à cet instant
au beau milieu de l’océan
que l’on est en sécurité
et la soif étanchée malgré le sel marin
qui a brûlé maints visages mais jamais un cœur
un vol d’albatros roulant avec les vagues
et la promesse de la terre à l’horizon
malgré les buffets et les horions
des aquilons
un cap à garder sans autre boussole
que celle du cœur
là où voudra bien nous mener la soif
vers un pégase frappant le sol
le cœur une musique jouée en boucle
pour concentrer l’attention
sur les pulsations des mains et des pieds
et parfois s’abandonner à l’élément
scruter l’intérieur de sa poitrine
et compter l’intervalle des battements
et soigner sa respiration pour ne pas s’étourdir
et puis dans l’océan on ne parvient plus
à distinguer ni les larmes ni la sueur
des embruns alors on finit
par ne plus en avoir rien à faire

et l’impasse nous guette d’un coin de rue
choisi par l’éteigneur de lampadaire
la tristesse semble parfois la seule issue, oui,
rechercher la tristesse si nécessaire
pendant un temps
voire le désespoir, oui,
car le désespoir fait avancer là où l’apathie traîne
le désespoir libère là où la peur lie
et permet aussi d’aller
là où un navire s’est déhalé
mille verstes plus loin plus près du tout
rien qu’avec l’erre
et au bout :
la terre.

chasser les réduves de nos aîtres
secourir la matité sereine des peut-êtres
en la nacrant de maintenants
empreinter la route de nos poèmes de nos doigts
croiser nos mots en un long chant
qui aurait toutes les nuances de bleu
et le toucher froid d’une bille de terre
façonnée on ne sait comment.

pourtant tu es là
et pour te voir, il me faut ouvrir les yeux
et m’apercevoir que tu es shamayim
que tu es ewig, spiritum meum
tu es la main du lapithe combattant le centaure
le Shā, le Bereshit des histoires
le pschent de Mout la Grande, Dame de l’Achérou
la draperie pour une figure assise
le regard de l’indicible fils de Roger
la ville cachée sur le plastron de Saint Michel
le rêve de Rôsei
le yokote mince mais décisif
le ciel des prières du soir
la riche tristesse du violon
tout à la fois clément et violent
le chéneau et la pluie et l’impétus
le besoin de parler au noir de la nuit
de dire les maux de l’âme
ce qui fait traverser les steppes de l’abattement
qui nous fait habitants perclus du schwa
et pourtant on sait ce qui est nécessaire
et pourtant on ne sait pas ce que l’on veut
et pourtant on ne fait pas ce qu’il faut
on hésite on tergiverse
en attendant l’averse
qui ne vient pas du ciel mais de nous
incongrus faiseurs de pluie
dansant sur des échardes

et l’attente nous surit
et si l’on n’y prend garde
rien ne survit
l’ennui sclérose
rend stérile et résèque ces parties
convoitées de notre humanité
que seuls possèdent les fous
la spontanéité
l’imagination
le calme
et nous faisons et nous faisons tout
en désordre sans arriver à bien
faire ce qui est bien pour soi
ne pas perdre son temps
tout en le prenant
car parfois le repos est préférable
à la course à perdre haleine
car parfois
on la perd

achopper nous souvenirs à nos rêves
ébaucher l’impensable sur les prémonitions

tu es ce rire au sortir d’une sieste
ce grincement lancinant de balançoire
cette eau tiédie au soleil d’été
se gorger d’eau jusqu’à étouffer
et ne rien regretter qu’un
dernier regard à la hâte
en arrière
et toi, tu es le souffle
le shamal des nautoniers
l’harmattan des nations
le souffle qui vient à nous manquer
lorsque l’on a désappris à respirer
lorsque la tête tourne et que le cœur est gros
le vent rabattant les sentiments en place
le soupir des incompris
le soupir d’un demi-ton d’un violon
le dernier soupir ondin de Martin Eden ;
tu es le construire un rêve ensemble
la bâtisseuse de songes
la grande géomètre à son grand œuvre

regarde autour de toi et tu verras mon cœur
perdu dans les combes de milles imaginaires
renverser les mappemondes de Sesshu
regarde autour de toi et tu verras cents desseins
venir s’esquisser en les sinueux chemins
et pourtant aucune route aboutir
aucun dessin prendre consistance
toutes chimères miragées sans substances
cents espoirs avortés sous le sombre dôme
d’un geste en instance de devenir
claustré dans les halliers impénétrables
d’une volition hors d’atteinte
derrière les ramées du possible
un geste de la main clouée au tolet
d’une yole livide qui suffirait
à imprimer une erre et un temps
un but aoratique cherché dès lors
avec l’énergie du désespoir,
accueilli auparavant comme un étranger
rompant le pain silent du soir.

regarde autour de toi et contemple
et voit cent mille exemples
et amarre ta main à la mienne
et toue mon existence à travers l’étiage
à travers les restes de naufrages
et si cela commande trop de peine
alors sois le soleil et luit
alors sois le sommeil
alors sois la pluie
car cela ne te demande pas d’autre effort
que d’être et inonde ce port bréhaigne
pour qu’enfin de mes mains je puisse ramer.
ai-je de la vie plus peur que de la mort
plus frileux et soudain plus casanier
parce que le voyage d’esprit est plus sûr
que ses rivages sont plus aisément fréquentables ?
il me faudra répondre à cette question
tôt ou tard.
n’ai-je pas d’autre dictame que ton cœur ?
d’autre réceptacle à ce qui fomente
en mon esprit abêti de souffrance ?
d’autre moyen d’apaiser ma peur ?
d’autre issue que de sinistres sentes ?
d’autre poison que l’absence ?

j’ai besoin de toi comme de l’aube
j’ai besoin de toi comme de la nuit
comme du pain, comme du froid,
comme de la peur, comme de l’espoir,
comme de la tristesse, comme des cauchemars
comme des rêves
j’ai besoin de toi comme des questions
j’ai besoin de toi comme de l’été
j’ai besoin de toi comme du soleil
j’ai besoin de toi comme de l’eau
j’ai besoin d’eau
j’ai soif

1 comment:

  1. C'est magnifique, bouleversant... Je suis touchée en plein coeur...

    ReplyDelete

Avis sur la chose en question
Feedback on the thing in question

thirty thousand people

The day was torn and grim birds yet began to sing as if they knew nothing’s eternal and old gives way to new that man, one day, will fall t...