Tuesday 20 July 2010

Le coffre - inspiré d'une illustration de Chab


 
Cette nuit-là, il faisait chaud et la lune baignait la ville dans une lumière blanche, détachant chaque angle du palais du Sultan, coupant les maisons du souk comme avec un cimeterre, affinant les silhouettes des minarets et allongeant les ombres. Notamment celle qui se dirigeait hors de la ville, alors qu'elle passait sous la petite arche à l'Ouest. Les gardes, assoupis, n'ayant pas même songé à allumer un feu pour y mieux voir, n'entendirent rien. L'ombre, capée de rouge, marcha rapidement jusqu'à la palmeraie où une autre ombre l'attendait en faisant les cents pas. On sentait l'impatience dans chacun de ses mouvements. Lorsque la deuxième ombre vit la première, elle stoppa net ses déambulations. Elle vint à sa rencontre.

« Mon frère! Tu l'as? Tu l'as trouvé?
_ Oui, mon seigneur. Je l'ai.
_ Je ne suis pas ton seigneur, je suis ton frère. Lorsque j'aurai récupéré mon trône, je saurai te le montrer. Où est-il? Dis-moi, je n'ai plus d'ongles à me ronger les sangs.
_ Le voici. »

Il sortit de sous sa cape rouge un petit coffre de la taille d'un poing. En fait, la lune cisela précisément chaque détail du coffre. Il était visiblement vieux, bosselé par endroits, mais la robustesse des attaches semblaient avoir défié les siècles de confinement.
« Où l'as-tu trouvé? Comment as-tu fait? Je n'arrive pas à y croire.
_ Il m'a fallu du temps, le vieux targui était réticent à me dire où se trouvait l'entrée du temple caché. J'ai dû marcher trois jours et trois nuits dans le désert pour arriver là où les dunes chantent.
_ Là où les dunes chantent? Où est-ce?
_ Je ne saurai vous dire, mon seigneur. Le vieux m'a dit de suivre l'ombre des dunes, ce que j'ai fait durant toute ma traversée, la lune et le soleil pour guides et pour témoins. Entendre le chant des dunes à des lieues à la ronde n'est pas un spectacle donné à tout le monde, et c'est une chose effrayante au noir de la nuit, car mille djinns ne ferait pas autant de bruit, cent mille chameaux en plein galop ne feraient pas autant trembler le sol et un million de niras ne pourraient égaler sa sonorité. Je suis longtemps resté pétrifié, mon sang glacé dans mes veines. Le vieillard m'avait prévenu, et il m'avait dit de penser à mon but, et votre pensée m'a réchauffé le corps et je suis allé au cœur des dunes, là où le chant se faisait le plus fort.
_ Je suis content d'avoir pu t'aider par la pensée, car je ne pouvais t'accompagner dans cette quête. L'endroit que tu décris est effrayant et fascinant à la fois.
_ Oui, mon seigneur, car tout dans mon corps vibrait à l'unisson des dunes, et il me semblait que le désert tout entier entonnait une chanson dont les paroles me semblaient dures et douces à la fois. Entouré par les plus hautes dunes, dans les plus fins replis du sable au fond de ce vallon, j'ai pu déterrer, après plusieurs heures, la petite porte en marbre du temple. Si vous aviez pu voir la finesse des arabesques sculptées à même la porte, mon seigneur, vous en auriez été ravi! Un long moment je contemplais chaque détail, les acanthes, les roses, les lignes entrelacées comme la vigne. Là encore, le vieillard m'avait mis en garde contre le charme du temple, car tout en cet endroit allait me mettre à l'épreuve. Une fois de plus, j'ai pensé à la noblesse de votre quête, mon seigneur, et j'ai pu alors pousser la porte, de toutes mes forces rassemblées dans votre but, et pénétrer dans le temple.
_ Tu as du courage, mon frère, comme peu en ont dans cette cité endormie.
_ J'ai longé un couloir obscur et étroit, et la lumière de la lune n'y pouvait pénétrer que de quelques pieds. Ma lampe à huile faisait danser mille et une inscriptions sur les parois, et je sentais une humidité qui me faisait froid dans le dos. Chaque bruit était amplifié et mes sens aux aguets percevaient les minuscules détails, un scarabée dérangé dans son sommeil, des toiles d'araignées embrasées par le feu de ma lampe, les pierres jonchant le sol inégal. Je dois dire que si je n'avais eu votre visage au devant de moi pour me guider, j'aurais pris peur et aurais quitté cet endroit maudit.
_ Tu as eu la bravoure d'Aladdin, mon frère.
_ C'est alors qu'au bout de ce couloir, dans une pièce plus haute que tous les palais que j'ai vus jusqu'alors, surmonté d'un dôme grand comme la voûte du ciel, je vis entassé des milliers de joyaux, de pièces d'or, d'armures flamboyantes, de somptueux vases, de lampes splendides et incrustés de pierres précieuses, en désordre, comme si quelqu'un était venu ici et avait déposé au fur et à mesure le butin de centaines de pillages de riches cités. Je n'en croyais pas mes yeux, et la simple lueur de ma lampe à huile suffit à éclairer cette salle immense, tant il y avait de bijoux et d'or amoncelés. Je savais du vieil homme qu'il ne fallait pas que je touche à une seule de ces pièces ou à un seul de ces bijoux, car aussitôt détourné de mon but la porte se serait refermée sur moi, me condamnant à une éternité au sein du temple.
_ Beaucoup aurait délaissé leur dessein et aurait succombé à la tentation de l'or, mon frère. Tu as su mettre dans la balance ce qui avait le plus de poids, ton amitié.
_ J'ai continué mon chemin par un couloir large comme une route et bordé de flambeaux brillant d'une lumière magique. Je savais ce qui m'attendait au bout de ce couloir, dans une partie du temple aux allures d'une grotte où pendaient de monstrueuses stalactites, aussi je dégainais mon cimeterre, celui-là même que mon seigneur a bien daigné m'offrir.
_ Il a appartenu, comme tu le sais, à Antar, noble héros qui tua un lion de ses seules mains.
_ Et sa force se transmit sans aucun doute à ma main, car je dus affronter des hordes de squelettes que la magie du lieu mettait en mouvement, leurs horribles os s'entrechoquant, leurs poings de mort serrant des cimeterres au fil brisé, des poignards vils et des sabres rouillés. Dans leurs orbites brillait une lueur rougeâtre, maléfique, démoniaque, qui baignait aussi ce lieu damné. Je réussis non sans mal, grâce à votre souvenir et à la force du sabre d'Antar, à me tailler un chemin parmi les cohortes de ces carcasses sans vie et à atteindre l'antichambre où reposait le but de ma quête. Je refermais la lourde porte de bois derrière moi et la bloquait d'un lourd basting. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Dans cet endroit, où aucun son ne filtrait plus, m'attendait l'épreuve ultime, celle qui allait tester ma foi et ma dévotion.
_ Tu as plus de courage que n'en a eu Saladin alors qu'il conquérait avec son maître la ville de Damas! Mais quelle est donc cette épreuve qui me donne la chair de poule malgré l'étouffante chaleur de cette nuit? As-tu eu à affronter pire qu'une horde de squelettes venus des enfers? Quel monstre horrible issu du malin te fallut-il pourfendre?
_ Rien de cela. Celui qui se tenait en face de moi, voûté par les ans, était ce même vieillard qui m'avait accompagné, par ses précieux indices, jusqu'ici. Il sourit et je ne pus m'empêcher de sourire à la vue d'un visage familier. Il me dit alors que ce que je cherchais se trouvait dans un coffre pas plus gros qu'un poing, une lieue sous mes pieds, au fond d'un puits. Il fit un pas de côté et laissa voir une entrée dans le sol, comme une gueule noire et avide. Je me penchais mais ne pus rien voir. Il me dit que les mots ici n'avait plus beaucoup de valeur, que les énigmes et les grands discours prenaient tout leur sens dans l'acte. Il me dit encore une chose, terrible celle-ci. Alors je pensais à vous, à ce que vous vouliez faire de cette cité et de ses hommes, quel grand homme plein de bonté vous étiez, et je sautais. Vous dire combien de temps dura ma chute, je ne saurai avec précision. Toujours est-il que les ténèbres s'emparèrent de mon corps à la seconde où mes pieds quittèrent l'antichambre. Il faisait froid, et le vent sifflait à mes oreilles, empoignait les pans de mon habit, faisait chuinter la lame de mon cimeterre. Je vis alors, après un temps où je crus bien fermer les yeux pour de bon, une lumière grandissante. Mes sens perçurent bientôt des fils comme des lianes le long des parois, et je pus distinguer alors un plan pour ne point me rompre la nuque. Je saisis du mieux que je pus des poignées de lianes, de-ci de-là, et mes muscles et mes membres criaient de souffrance mais je serrais les dents et réussis enfin à freiner cette descente infernale qui aurait eu raison de moi s'il n'y avait eu ces lianes providentielles.
_ Tu as volé tel Abbas Ibn Firnas, mon frère, mais tu as su négocié ta chute! Je n'en reviens pas que tu aies fait tout cela pour moi. Dis-moi la suite, comment as-tu réussi à obtenir ce coffre? Une énigme s'est-elle présentée à toi, sous quelle forme?
_ Non, mon seigneur, il se trouvait simplement à même le sol. J'eus peur de le ramasser, mais je repris confiance en vous et après l'avoir caché sous ma cape, j'empruntais un boyau qui me ramena, après des heures et des heures de marche dans l'obscurité la plus totale, à la surface. Et me voilà devant vous, et je vous donne ce coffre que vous m'avez mandé de chercher. J'espère que vous y trouverez tout ce dont vous avez besoin.
_ Viens que je te serre dans mes bras, mon frère, et sache que je te récompenserais au centuple pour ta bravoure et ton dévouement. Mais dis-moi, que le vieillard t'a-t-il dit, avant que tu ne sautes?
_ Oh, mon seigneur! Il a dit que je devrais venir prendre sa place dans l'antichambre.
_ Mais, mon frère!
_ Il a dit qu'il reviendrait chercher le coffre lorsque vous n'en aurez plus l'utilité, et qu'il me le ramènerait pour que j'en sois le gardien. »

A ces mots, la deuxième ombre laissa tomber le coffre à terre et prit son ami dans ses bras. Ils savaient tous deux qu'il n'y avait qu'une parole, et que le destin ne souffrait pas que l'on traçât une autre ligne que la sienne. Ils durent se séparer, chacun pleurant la perte de l'autre, alors que la lune était encore haute dans la chaleur de la nuit. La première ombre reprit le chemin du désert, et la deuxième se laissa tomber à genoux, le coffre reposant près de sa main.

Celui qui allait devenir Sultan et mener sa cité, puis son pays, vers la paix et la prospérité, ouvrit ce coffre pas plus gros qu'un poing et aussi léger qu'une plume de paon, et ne trouva à l'intérieur rien d'autre qu'un morceau de parchemin. Sur ce fragment rongé par les âges, il lut un mot qui lui donna la force d'affronter son destin, et chaque jour il honora celui qui fut plus qu'un frère, qui fit plus qu'un ami pour lui.
Des années passèrent lorsqu'un vieillard se présenta à sa cour, demandant audience. Il sut d'un coup d'œil que c'était l'ancien gardien du coffre. Il l'amena, sans un mot, jusqu'à sa chambre où le coffre trônait sur un meuble haut près de son lit.

« Comment va mon ami, vieil homme?
_ Je ne sais. Je te rapporterai de ses nouvelles lorsque je le verrai.
_ Jusqu'à quand devra-t-il garder le coffre?
_ J'ai attendu cinquante ans avant que ton ami ne vienne. Le destin seul sait quand un autre cherchera ce que tu as trouvé.
_ Je suis triste, vieillard, d'avoir perdu mon ami. Ici personne n'a sa bravoure, personne ne l'égale en amitié, personne ne sait trouver les mots comme il le faisait.
_ Au contraire, Sultan, tu as gagné l'amitié la plus sincère qui soit, celle qui traverse les âges sans se soucier de ce qui arrive. Pour ma part, je m'en vais de ce pas rejoindre celui qui m'a reconnu, malgré les ans, comme son ami. Toi aussi, je l'espère, tu reverras celui qui fit don de lui à ta personne. Et sois assuré qu'il sera fier de toi lorsque je lui conterais tes exploits. A bientôt, Sultan.
_ Reviens vite me voir, vieil homme, car je languis de son retour. Dis-lui bien que je l'aime.
_ Sois assuré qu'il le sait déjà. »

Ainsi se termine l'histoire de deux ombres qui, par une nuit d'été, scellèrent leur amitié, alors que la lune embrasait tout, alors que le monde autour d'eux dormait.


***
L'illustration en question est ici. Je remercie Chab de l'avoir dessinée (même si c'était il y a longtemps, il faut revenir parfois en arrière pour trouver l'inspiration), et je m'excuse auprès d'elle dès à présent si ce qu'elle m'a inspiré ne reflète pas le dixième de son talent. Merci ma Chab.
***

9 comments:

  1. Un grand merci à toi mon Roudor ! Ton texte est magnifique, et quel beau thème, "l'amitié"... Qu'aurais-je pu souhaiter de plus pour mon illu ?! Inspirer les autres, c'est la meilleure chose qui puisse arriver à un "artiste" !
    Merci !

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  2. A quand la résidence ???
    Deux artistes pour le prix d'un. Un rêve éveillé...
    Merci à vous deux !!

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  3. La résidence? Chaaaaaaaaaaaab?? On nous d'mande! Ya Monsieur Machin à finiiiiiir!

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  4. Nom de Diou ! Artiste en résidence, le rêve...
    Bah tu sais que c'est bien motivant tout ça Roudor ^^ On va titiller les éditeurs (va falloir me fournir en chocolat et en binouzes pour que je fasse les illus) ?

    Merci Caro ! :D

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  5. T'inquiètes pour le chocolat et les binouzes, je fournis ^^ Si tu as besoin du texte, crie un bon coup! On se prépare à titiller dès la rentrée ou un peu avant?? Piottes

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  6. Cool ! Ok, donc je crie : "LE TEXTEU PLIIIIIIIZE !!!" (Je l'ai toujours mais tu l'as peut-être modifié ?)
    Choco : OK
    Binouzes : OK
    Peinturlure : OK
    Papier : OK
    Motivation : OK !!!

    Alors, connaissant ma mise en route très lente, je propose de s'y mettre à la rentrée... Brom. Passkeu j'ai du boulot à abattre (pendant que môssieur jouera les globe-trotters ^^ Je l'espère !) !
    Biiiiiiiiiises !

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  7. De rien, chère Chabada que je ne connais qu'à travers son talent, ce qui, en soit, est un premier point de vue des plus agréables sur la personne...

    Vu que vous semblez avoir besoin d'un agent... qui n'aura rien de secret, je vous propose mes services !
    Pour ce qui est des binouzes et du chocolat, je crois que je ferai fort bien l'affaire, ma réputation n'est (malheureusement!) plus à faire... Pour ce qui est du coaching, je n'ai pas mon pareil pour le coup-de-pied-aux-fesses-des-rêveurs-de-ce-monde.
    Une première question donc : Cher Roudor, avez-vous accédé à la requête de cette si gente dame qui n'attend que votre parchemin pour enluminer votre prose ???
    Ne m'obligez pas à me fâcher. Vous savez à quel point nos ados récalcitrants sont terrorisés à l'idée de se prendre le "savon carolingien et hugolien" bien connu et tant craint, à fort juste titre. Pour les """adultes""" comme vous, ce serait bien pire, sachez-le !
    J'attend donc avec impatience une confirmation de votre part, sans quoi je me verrai dans l'obligation de mettre en oeuvre ces menaces avisées.
    Bien à vous, chers artistes.

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  8. Oulalaaaaaa déstresse poulette! Avec la Chab on a assuré à fond les ballons. J'lui ai r'filé l'bébé no problemo, pas d'embrouille. On gèèère wesh! Allez yo baby j'te kiss j'vais zoner.

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  9. Tu parles le djeunsse toi maintenant ?
    Comme quoi, vieillir, ça n'a pas que du bon...!
    Ce n'était que par pure solidarité féminine que je m'enquérais du sort de dame Chabada. Me voilà rassurée.
    Bon zonage, cher vieux crouton

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