Thursday, 16 May 2013

Petrichor



L'harmattan arrive, entend-on chuchoter au village.
Voilà de longs mois qu'on attend de lui
Qu'il souffle cette interminable pluie.
Le ciel, jusqu'à peu, était ridé de mauvais présages.
Il y a eu des bêtes emportées dans des coulées de boue
Et des maisons que la crue a entraînées encore debout.
On ne compte plus les salines embourbées par les trombes
Ni les corps flottants comme des troncs d'arbre dans le courant,
Et il pleut, il pleut des mois durant.
Dans quelques jours, on verra les vallées érigées en catacombes,
On retrouvera les brebis égarées, la laine et le ventre gonflés d'eau,
On retrouvera ceux qui s'étaient offerts pour faire cesser le supplice
Et ceux qui avaient abandonné l'espoir d'un armistice.
Déjà on sent la décrue et on grave le nouvel étiage sur un poteau.



Voilà trois saisons de lune que le vent souffle sans discontinu.
Une femme devenue folle a plongé hier dans un précipice,
Et le vacarme ininterrompu pèle les pensées à nu :
Pourtant personne n'avouera avoir vu les insensés abysses.
Les gorges se dessèchent, les peaux se crevassent,
Le soleil brûle autant que le vent érode et efface.
Les récoltes sont tout juste bonnes : on remercie les dieux.
On mange à sa faim, puis on devient parcimonieux,
Car le vent s'abat d'un coup plus fort et étouffe la liesse.
On trace des signes sur le sable, on descend au fond des puits,
On crie face aux bourrasques pour qu'elles cessent –
On en vient à sacrifier des vierges pour faire venir la pluie.
Les bêtes errent ça et là, tournaillent, rôdent le museau en l'air,
Et au loin on voit déjà les coups de griffes du tonnerre.
 

Wednesday, 15 May 2013

Opprobre



Enterre toi-même ton âme, mécréant immonde !
Creuse ta propre fosse et rabat la glaise sur toi,
Car personne ne viendra te porter ni terre, ni deuil,
Et j'interdirai à quiconque de porter ton cercueil.
Que même tes os blanchis ne reparaissent à la face du monde !

Je ruinerai ta famille et j'abrogerai tes lois.
Il n'y aura point d'épitaphe, point d'arbre
pour signifier là où tu gis.
Je ferai effacer ton nom des stèles de marbre.
On oubliera ce que tu fis.

Je brûlerai les cartes de ton royaume,
J'en raserai les villes, les tours et les châteaux :
N'y régneront donc plus que les fantômes,
N'y respirera donc plus que le sirocco.

Je prierai pour que ton cœur soit emmortaisé
Pour que les diables criblent ton corps de sarcomes.
Alors, peut-être, alors mon ire sera apaisée.

You-niqueness


"At bottom, every man knows perfectly well that he is a unique being, only once on this earth; and by no extraordinary chance will such a marvelously picturesque piece of diversity in unity as he is, ever be put together a second time."

Friedrich Nietzsche, philosopher (1844-1900)

Tuesday, 14 May 2013

Les papillons



Je marche contre le vent des papillons des plaines.
Quelque chose naît. Je le sens dans mes vieux os.

Pour l'instant rien ne bouge, si ce n'est l'aurore.

Un jour comme aujourd'hui, j'ai soif et je n'ai pas d'eau.
La chaleur grésille et les ailes courroucées fulminent.

Mais d'ici je ne les vois pas encore.

Un jour, on m'a dit de me reposer quand je serai fatigué.
Cela voulait dire « Cours ! » non pas sans s'arrêter,
Car il y a aussi un paysage à contempler,
Car il y a aussi des visages à qui parler.

On sent comme une pulsation dans l'air du Nord.

Je marche contre le grondement des ailes furieuses,
J'avance lentement dans les heures laborieuses.

Au loin, c'est comme une pluie de météores.

Il n'y a plus qu'à attendre les lépidoptères,
et les secousses des images des ocelles
parviennent jusqu'à moi avec un raffut de tonnerre.
Je perçois enfin le roulement de leurs ailes.

Je tremble, moi qui ai affronté la manticore.

Je m'arrête au sommet de la plus haute dune.
De là je contemple les hordes de l'horizon blêmi.
Et les reflets des soies brillantent la lune.
Du haut de mon mirador de sable, je frémis.

La nuée immense avance, cumulus chromophore.

Un jour, ma mère m'a dit : « On récolte ceux que l'on aime. »
Je ne l'ai pas compris alors. Mais aujourd'hui je sème.

Bientôt, il n'y aura plus qu'un monde versicolore.

Ainsi qu'un shamal bigarré, la cohorte obscurcit les cieux
de milles teintes, comme une fresque démesurée recouverte avec soin.
Voilà les papillons qui soufflètent mon corps, mes mains, mes yeux.
Demain, j'aurai oublié l'ouragan diapré de satin. Mais demain, c'est loin.

Monday, 13 May 2013

Slumber



Today saw a newfound state:
Half-asleep, half-prostrate,
Shivering from an inner cold
Thirst that no water could sate
Unperturbed by music old
Unmoved by story told
Waiting till all took the hue of slate.

Today I passed like a wraith
For I have lost the object of my faith.
Yet I have no sense of hate
For her who dealt me death.
My heart slumbers to a drowsy gait
My obscured words none could translate
Holding – god knows how long – my breath.

Today I want but can't forget
Having made no mistake, having no regret.
I shan't forget this dreadful date
Until a thousand suns I have seen set.
And if my life carries any weight
She will come see me at the gate
And take my hand like when we first met.
 

Les Nocturnes



Le jour passe avec une lenteur d'été. Les heures s'allongent. Les secondes s'éternisent à tel point que mon cœur pourrait battre deux fois entre chacune d'elle si seulement il ne s'était lui aussi mis à battre comme une cloche d'église. Et à chaque instant cette impression de glisser tout doucement dans un semblant de mort, de sentir mon pouls défaillir ou tomber dans l'incertitude. Battre ou ne pas battre. Il y a des fois où je le lui interdis, mais il persiste. Comme s'il savait mieux que moi. Comme s'il savait qu'on ne meurt pas d'être amoureux, mais uniquement de jalousie.

Toujours est-il que je me consume dans l'attente d'un amour qui ne vient pas, qui ne peut venir et qui ne viendra pas. Et quand je pense à elle, je sens les nuées de papillons dans mon bas-ventre qui s'éveillent, comme s'ils sentaient une bête ou un nectar parfumé.

Dormir devient absurde parce qu'il n'empêche pas de penser. Le manger et le boire sont relégués au rang des besoins que seul le désert invoque. Regarder devient obsolète parce qu'il ne peut empêcher l'esprit de se figurer sa silhouette. Sentir trompe autant qu'entendre et je me laisse berner par mes sens qui me font croire qu'elle est là alors que je suis seul.

Je sais que je devrais passer cette colonie de papillons par le feu, que je n'aurais jamais du les laisser s'installer, mais j'avais l'envie de les retrouver chevillé au corps. Et tant qu'elle ne la déracinera pas d'un sublime coup d'estoc en plein cœur, elle sera là, cette stupide envie. Lorsque ce coup sera porté, je fanerais, lentement, comme une kitanka. Non avec le panache du combat, non avec la gloriole de l'amoureux déçu, et encore moins avec l'absurde fierté d'avoir aimé. Non, je mourrai avec le cuisant échec de n'avoir su lui montrer le bonheur.

Parfois, je me dis qu'il vaudrait mieux continuer ma route avant qu'il ne soit trop tard. Mais à quoi bon ? J'ai cette sinistre impression que les choses suivent leur cours, que chaque seconde plantant sa fourbe lame se doit de la planter, que chaque mot de détachement n'a vu le jour que pour cet instant où il me transperce. Comme si l'Attente elle-même avait couvé des siècles durant pour n'enfanter que dans cette ridicule attente-ci.

Alors j'attends, et j'étouffe. J'ai des bouffées de froideur qui enserrent mes poumons dans une gangue de glace. Je fais parce que je dois faire, je marche parce que mes jambes impriment le mouvement, je respire parce que je n'y pense pas. J'ai beau essayer de mettre un terme à tout cela, je n'y arrive pas. J'ai les pieds en plomb, le sang comme de la mélasse et l'esprit englué comme une mouche sur ces papiers jaunes tombant en spirale du plafond.

Juste là, maintenant, alors que j'écris, assis en tailleur sur mon lit, je viens de mourir. En donner la raison n'aurait pas grand intérêt, car dans ces cas-là, seul le résultat est pris en compte – et il n'y a pas de petite case pour des cas comme le mien.

Donc demain, qui est déjà là depuis quelques heures encore sombres, sera difficile. Il ne faudra pas me demander de sourire ou de chercher le moindre rayon de soleil. Les morts ne sourient pas et se réfugient dans l'obscurité, à ce que je sais. Je ne parlerai pas plus que nécessaire, je ferai la sourde oreille et je longerai les murs. Les morts font ça aussi. C'est absurde de mourir pour ça, j'en conviens fort aisément, mais qu'y puis-je ? Tout ça parce que j'ai cru pouvoir partager de ces moments qui, dans un pied-de-vent, semblent posséder une aura hors du commun. Quel benêt je fais. Heureusement que l'on n'en arrive pas tous là...sinon le monde se serait vite dépeuplé.

Et ensuite, après cette petite mort qui prépare à la grande, il y aura beaucoup de bruit et de fureur et des intervalles de calme comme quand on flotte après un haut plongeon dans la piscine, en attendant le long silence des nocturnes.

Sunday, 12 May 2013

We owned the night

My heart pounded so hard it made my body rock.
Her breathing clawed at my lips.
The glitter in her eyes I saw through the curtain of her hair.
My gaze rested on her hips.
Her fingers were butterflies, were the butterflies inside.
Her smell was clinging to my hands.
I was her blood, her impetus, her awakening.
She was my pulse, my heart and veins.
We had no care for dark of night or light of day.
We owned each and every star and commanded over the elements.
We were neither here, nor there.
We were impermanent and everlasting.
We were both made of some unknown matter.
And only Time held sway over us, though we resisted.
Nothing mattered for we owned life.
Nothing mattered for we owned the night till it lasted.

Senses




Most of the time, people are faces for me. Sometimes they're just eyes. Or lips. Or some conspicuous facial feature. Some I recognise by their gait or the sound of their heels striking the pavement, or their back - specially their back, as I continue watching someone long after we've parted ways. Some people are chomping noises, or gurgling noises. Some are rasping voices. Whatever they are to me, I don't see or remember anything else of them.

Apart from her. If only I could draw what's in my mind, I could limn her down to the last beauty spot or to the last scar. If only I could detail her smell, you would know. You would fall in love like I did. If only I could describe the grain of her skin, or make you hear her laugh, you would, no doubt, fall for her, like I did. Three days ago, she was still but a murmur in my mind. Now she is so meticulously, incredibly loud and painstakingly vivid my senses hurt to remember, and not to feel.

Saturday, 11 May 2013

Mordoré



Il y eut, pendant un instant, un rayon de soleil accroché dans tes cheveux, sur les remparts, puis un filament de nuage enroulé dans ton sourire, un peu plus tard. Lumière éteinte, j'ai vu un éclat de nuit en suspens dans tes yeux et un grain de plage qui s'étendait dans ton soupir. Le noir passa, le jour se fit. Tu étais bien là.

et moi, que la solitude guettait aux abords des fenêtres, des chemins de ronde, des mondes sans monde qu'un seul de tes gestes a rendu immondes, j'attendais, j'attendais et je souhaitais.

et dans le mordoré de ton regard j'ai vu cent mille batailles et le chamarré des grisailles que laissent les oaristys blafards, j'ai vu les assauts du temps et les arrhes que la vie prend à ceux qui ferraillent

et j'attends, j'attends, je ne sais que faire d'autre, je n'ai rien envie d'autre que d'affronter le temps et l'on ne sait ce qu'est le temps tant qu'on ne s'est pas mesuré à l'attente d'une femme, tant que l'on ne s'est impatienté de longues heures durant dans l'espoir d'un télégramme, des mots de quelques grammes, qui anodins, qui inconséquents, font pourtant retrouver la gaieté, et resoulignent le charme de celle qu'on entend

et je me prends à sourire en ré-entendant ton rire qui engloutît l'huître sur la plage et hésita un instant avant de rejeter sur le rivage la coquille vide – tu venais d'avaler un souvenir – et de ces quelques jours nous fîmes des ressouvenirs, et en ces instants nous n'avions plus d'âge

et en quelques jours tu m'as fait retrouver le goût des huîtres, le goût du cidre et du sel sur les lèvres, le goût du vent et des cheveux aux doigts emmêlés, le goût de l'amour, du sable et des pantalons retroussés, le goût de l'horizon et de la mer sur les pieds, le goût du risque d'un baiser, celui de l'inquiétude et d'une main qui caresse, celui de la quiétude et de la tendresse – ils étaient pourtant morts, ces goûts-là, je les ai vus de mes yeux las, inertes et tors, un couteau fiché dans le corps, terrassés sans pugilat

et toi, d'un coup, tu as redonné vie à tout ça.


à elle.

Wednesday, 8 May 2013

The Pilgrim



The pilgrim, that's what they call me.
For I wander from home to home,
from vale to vale, from country to country.
People know that I do nothing but roam
and that I have no home, no home
and that I am sad, unable to be free.

I, the pilgrim, often wonder about love
as I see the people tearing apart,
and I cannot stop the thinking so I rove,
glimpsing into men's heart, into men's heart
and I go where there's no chart
for there is the trove in the cove.

Often they see me trudge up in the snow,
bent against the winds, with a rosewood cane,
my red cloak flapping high and low,
sometimes walking silently among the slain,
tutting and cursing that dreadful bane
which makes men suffer such tales of woe.

Long my steps have haunted the darkness
for men have, in their folly, turned me into a pilgrim.
I have oft beheld vast expanses of emptiness
but nowhere have I found them so grim
than in men's mind, none so dim
than in men's eyes. And none so lightless.

The pilgrim, this is now how I am called.
I walk and I count each step and each breath.
I tread on a path leading from cold to cold,
always seeking that which is most uneath,
and I seek solitude and I court death
for I have grown weary of men, and much too old

to continue living among the dead.
And too many think that I can bless
because the world I have seen and read,
while I solely pursue my grim progress
with the only things about me that I possess:
my cloak, my cane and a heart that bled.

Middles

  Someone once wrote that all beginnings and all endings of the things we do are untidy Vast understatement if you ask me as all the middles...