Mon weekend parisien, mis à part l'exposition "L'or des Incas" à la
Pinacothèque, une petite expo sur Théodore Monod au
Jardin des Plantes, celle plus grande du "Trésor des Médicis" au
musée Maillol et le Ballet de Hambourg qui interprétait Parzifal - Episodes et Echo (John Neumeier) à l'Opéra Garnier, fut relativement calme.
J'ai sciemment omis d'inclure dans la liste des choses faites la
Halle Saint Pierre (18ème) qui abrite jusqu'au 2 janvier une exposition sur l'art brut japonais ma foi fort intéressante, voire
captivante, dans le sens maladif du terme.
Tout le monde connaît l'art brut, donc je n'ai pas besoin d'écrire qu'il a été abondamment décrit par Mister Dubuffet the painter, qui en a inventé le terme, soit dit en passant. Il regroupe tous les gens qui n'ont aucune formation artistique mais qui font quand même de l'art, pour faire simple(iste?). Comme dirait Brassens : les besogneux, les gueux, les réprouvés. Et autres malades mentaux, prisonniers, déficients intellectuels, psychotiques, délirants, internés etc. Tout une ribambelle de personnes qui n'ont pas ou plus trop mis les pieds dans
notre réalité depuis un certain temps.
La première fois que j'ai mis un pied (mouillé) dans un musée dédié à l'art brut, c'était à
Lausanne. Grosse claque dans ma figure pleine de gouttes de pluie. Dehors, il tombait des trombes d'eau mais il faisait beau comparé à la tempête qui soufflait (souffle encore pour la plupart) dans la tête de ces pauvres âmes.
Celui qui m'a accueilli était ce cher Wölfli, déjà croisé à Vienne alors que je n'y connaissais goutte à l'art brut de décoffrage.
Remarquez qu'il y a de quoi être titillé de la glande esthétique. Surtout par cette figure récurrente (on peut l'apercevoir au centre de ce tableau, et sur les côtés du tableau précédent) qui se retrouve dans
tous ses tableaux, dessins etc.
Mais pas de Wölfli à Paris, que des japonais, dont un certain Yuji Tsuji (pas du tout noyé dans la masse des plus de soixante artistes exposés dans la Halle). Ce type, visiblement dérangé, dessine au crayon ou au marker des quartiers entiers d'une ville non pas imaginaire, mais qui se trouve être dans sa tête, en vue aérienne. En voici un exemple :
(Source)
Et un autre exemple :
(Source)
Malheureusement, aucun de ces deux formats ne rend justice à l'incomparable minutie du détail, à l'impression quasi-hypnotique que cette ville existe, que nous avons sous nos yeux le polaroïd d'une ville japonaise
lambda à un moment donné de son existence, à cette volonté pathologique de montrer un monde particulier, d'ouvrir une porte sur une âme torturée. J'en ai eu le souffle coupé. Surtout lorsque je me suis penché littéralement sur le troisième ou quatrième tableau de cette série intitulée "Ma ville vue de mon cœur" : il faut voir la précision du geste, le rendu des voies de chemin de fer. Le tout paraît inextricable, mais ce n'est pas comme ces jeux où il faut amener la petite fille avec son panier plein de gâteaux à la maison de sa mère-grand en la faisant passer par le bon chemin, perdu au milieu d'une pelote de fils - non, ici il y a ordre, méthode, perspective, et surtout rien n'est mélangé, comme dirait Thom Yorke : "Everything in its right place".
Je vous conseille, si vous avez un peu de temps et de curiosité (maladive ou pas, il n'y a bien qu'en anglais où la curiosité a tué quelqu'un ou quelque chose - le chat en l'occurrence), d'aller visiter cette exposition troublante (si vous passez par Lausanne également, le musée d'art brut est un
must du genre, si ce n'est le
best) et pas trop mal présentée. Je regrette qu'il n'y ait pas, à l'instar de Lausanne, de résumé (quasi-clinique parfois) du parcours des artistes accompagnant les œuvres. Toujours est-il que quand on ressort de ce genre de musée, on se dit que ceux qui nous trouvent bizarres ou excentriques ou timbrés feraient bien d'y aller à leur tour. On se dit au final qu'on n'est pas malheureux, qu'on est bien portants et pas fous - et que quelque part c'est dommage parce que du coup on est
banals.
Je ne pourrais conclure ce billet sans vous enjoindre, une fois le pied posé dans notre belle capitale encrassée et anonyme, d'aller voir les autres expositions (même celle sur Théodore Monod, car aussi courte soit-elle, elle est située au Jardin des Plantes), surtout celle sur "L'or des Incas" qui vaut son pesant de cacahuètes. Du grand or, en somme. Tout comme le Trésor des Médicis, très bien faite, très fournie en tableaux de maîtres (Botticelli (dont l'Adoration des mages), Fra Angelico, Michel-Ange etc), très détaillée (parfois un peu trop...). Beaucoup de pièces uniques à admirer sous tous les angles, surtout dans le cabinet de curiosité.
Pour finir ce long billet, je vous laisse avec les mots de Baudelaire : "J’aime passionnément le mystère, parce que j’ai toujours l’espoir de le débrouiller."
Le Spleen de Paris (1862).