Saturday 18 May 2013

Regard(s)



Je viens d'user mon deuxième plafond
à force de le fixer. Pas d'œillades,
Non. Un long regard de typhon
qui laisse de grandes estafilades
larges comme le poing, et profondes.

C'est quand même fou de haïr à ce point –
haïr le temps avec une férocité, une hargne
qui nous fait serrer les dents et les poings.
Le jour devient torture, la nuit un bagne.
Le calme seul quand la première étoile point.

J'ai aussi usé trois amis avec la lecture
de messages d'amour et d'indifférence.
Ils m'ont conseillé l'ingestion de picrate pure,
de dormir, de m'occuper en permanence,
de travailler assidûment ma musculature.

Et j'ai perdu mon charme – quand on n'a pas de chance,
Rien ne va plus et on se sent foncer droit dans le mur –
tout ça pour dire qu'avant j'étais plein d'insouciance.
Je n'ai jamais clamé être un optimiste pur et dur,
mais là j'avoue être à deux doigts de la déchéance.

Je sens que ce plafond ne fera pas long feu –
Pourquoi diable suis-je tombé amoureux ?

Janus-faced love


"The folly that man does
Or must suffer, if he woos
A proud woman not kindred of his soul."

W.B. Yeats, A Dialogue of Self and Soul, in The Winding Stairs and Other Poems (1933).



True indeed, but far worse are those woes, madder are the throes and the folly that one does, if the proud woman is kindred of one's soul.

Friday 17 May 2013

Achever ce que l'on a commencé


"No hay que lamentar que yo no pueda terminar el templo. Yo me haré viejo, pero otros vendrán detrás de mí. Lo que hay que conservar siempre es el espíritu de la obra, pero su vida tiene que depender de las generaciones que se la transmiten y con las que vive y se encarna".

En parlant des éclats de céramique (trencadís) : "A puñados hay que ponerlos... si no, no terminaremos nunca."

Antoni Gaudí i Cornet, architecte (1852-1926)

Renversé par un tramway alors qu'il se rendait dans une chapelle pour y prier, on le prit pour un mendiant par ses vêtements usés et son allure dépenaillée. Aussi ne l'emmena-t-on pas tout de suite à l'hôpital. Il mourut trois jours plus tard, le 10 juin 1926.

Juste magnifique


La rivière



La rivière coulait en contrebas.
Le soleil, l'usure des jours,
le village des hommes,
l'ont rendue sèche comme
le cou des vieilles femmes,
celles qui ont perdu l'amour,
celles qui ont un regard las.

Elle coulait là, pourtant,
depuis bien longtemps.
Seuls le soleil et le vent
savaient depuis quand.

Mais maintenant elle n'est plus
qu'un tas de rochers blancs et nus.

Les hommes ont, depuis, disparu,
leurs chaumières et leurs rebuts
seuls attestent de leurs vies vécues.

Les arbres ont dépéri, flétri dans leur essence,
On ne sent plus le pétrichor quand la pluie danse.
Il n'y a ici plus aucune vie. Plus aucune chance
de voir paître la biche ou tournoyer le vautour,
plus rien ici ne rôde que le silence
que seul l'éboulis brise en échos sourds.

Pourtant plus haut, bien plus haut dans la montagne,
on entend un mugissement plein de hargne,
une fureur dont l'orage raffermit la poigne.
Là-haut, on sent que la source n'a point tari.

Et le marcheur, que soudain l'espoir gagne,
redouble d'effort et devient plus hardi.
Ce n'est point le destin qui l'accompagne,
il le sait, c'est le chemin qui l'a aguerri.

Lorsque, après une ultime journée de marche,
Il se trouve face à la source glacée,
Il sourit, joint les mains en coupe et se penche
pour étancher cette gorge taraudée.

La tête lui tourne soudain.
En un instant, il se ressouvient.
Il regarde ses mains –
rien n'est pourtant anodin :
cette rivière est, bel et bien,
malgré toutes les rivières,
malgré tous les chemins,
celle qui répond aux prières
que l'on fait quand on erre.
Il n'y en a qu'une, il le sait bien.
Elle a dédaigné son ancien lit,
elle a empreinté une autre vallée –
ce pour une obscure raison.
Mais là n'est point la question.
Toute son amertume ravalée,
il contemple l'horizon
et en souriant il saisit
qu'il connaît chacun des replis,
chacune des ondulations
de cette onde qui ne peut changer.

Un soupir passe ses lèvres.
Tout ceci n'est peut-être qu'un rêve.
Mais il n'a aucune hésitation :
cette fois-ci, c'est pour de bon.

Il part alors se mêler aux méandres et à leur éclat –
en contrebas, on distingue les lourds thyrses des lilas.

Beirut - Mount Wroclai (Idle Days)

Thursday 16 May 2013

Petrichor



L'harmattan arrive, entend-on chuchoter au village.
Voilà de longs mois qu'on attend de lui
Qu'il souffle cette interminable pluie.
Le ciel, jusqu'à peu, était ridé de mauvais présages.
Il y a eu des bêtes emportées dans des coulées de boue
Et des maisons que la crue a entraînées encore debout.
On ne compte plus les salines embourbées par les trombes
Ni les corps flottants comme des troncs d'arbre dans le courant,
Et il pleut, il pleut des mois durant.
Dans quelques jours, on verra les vallées érigées en catacombes,
On retrouvera les brebis égarées, la laine et le ventre gonflés d'eau,
On retrouvera ceux qui s'étaient offerts pour faire cesser le supplice
Et ceux qui avaient abandonné l'espoir d'un armistice.
Déjà on sent la décrue et on grave le nouvel étiage sur un poteau.



Voilà trois saisons de lune que le vent souffle sans discontinu.
Une femme devenue folle a plongé hier dans un précipice,
Et le vacarme ininterrompu pèle les pensées à nu :
Pourtant personne n'avouera avoir vu les insensés abysses.
Les gorges se dessèchent, les peaux se crevassent,
Le soleil brûle autant que le vent érode et efface.
Les récoltes sont tout juste bonnes : on remercie les dieux.
On mange à sa faim, puis on devient parcimonieux,
Car le vent s'abat d'un coup plus fort et étouffe la liesse.
On trace des signes sur le sable, on descend au fond des puits,
On crie face aux bourrasques pour qu'elles cessent –
On en vient à sacrifier des vierges pour faire venir la pluie.
Les bêtes errent ça et là, tournaillent, rôdent le museau en l'air,
Et au loin on voit déjà les coups de griffes du tonnerre.
 

Wednesday 15 May 2013

Opprobre



Enterre toi-même ton âme, mécréant immonde !
Creuse ta propre fosse et rabat la glaise sur toi,
Car personne ne viendra te porter ni terre, ni deuil,
Et j'interdirai à quiconque de porter ton cercueil.
Que même tes os blanchis ne reparaissent à la face du monde !

Je ruinerai ta famille et j'abrogerai tes lois.
Il n'y aura point d'épitaphe, point d'arbre
pour signifier là où tu gis.
Je ferai effacer ton nom des stèles de marbre.
On oubliera ce que tu fis.

Je brûlerai les cartes de ton royaume,
J'en raserai les villes, les tours et les châteaux :
N'y régneront donc plus que les fantômes,
N'y respirera donc plus que le sirocco.

Je prierai pour que ton cœur soit emmortaisé
Pour que les diables criblent ton corps de sarcomes.
Alors, peut-être, alors mon ire sera apaisée.

You-niqueness


"At bottom, every man knows perfectly well that he is a unique being, only once on this earth; and by no extraordinary chance will such a marvelously picturesque piece of diversity in unity as he is, ever be put together a second time."

Friedrich Nietzsche, philosopher (1844-1900)

Tuesday 14 May 2013

Les papillons



Je marche contre le vent des papillons des plaines.
Quelque chose naît. Je le sens dans mes vieux os.

Pour l'instant rien ne bouge, si ce n'est l'aurore.

Un jour comme aujourd'hui, j'ai soif et je n'ai pas d'eau.
La chaleur grésille et les ailes courroucées fulminent.

Mais d'ici je ne les vois pas encore.

Un jour, on m'a dit de me reposer quand je serai fatigué.
Cela voulait dire « Cours ! » non pas sans s'arrêter,
Car il y a aussi un paysage à contempler,
Car il y a aussi des visages à qui parler.

On sent comme une pulsation dans l'air du Nord.

Je marche contre le grondement des ailes furieuses,
J'avance lentement dans les heures laborieuses.

Au loin, c'est comme une pluie de météores.

Il n'y a plus qu'à attendre les lépidoptères,
et les secousses des images des ocelles
parviennent jusqu'à moi avec un raffut de tonnerre.
Je perçois enfin le roulement de leurs ailes.

Je tremble, moi qui ai affronté la manticore.

Je m'arrête au sommet de la plus haute dune.
De là je contemple les hordes de l'horizon blêmi.
Et les reflets des soies brillantent la lune.
Du haut de mon mirador de sable, je frémis.

La nuée immense avance, cumulus chromophore.

Un jour, ma mère m'a dit : « On récolte ceux que l'on aime. »
Je ne l'ai pas compris alors. Mais aujourd'hui je sème.

Bientôt, il n'y aura plus qu'un monde versicolore.

Ainsi qu'un shamal bigarré, la cohorte obscurcit les cieux
de milles teintes, comme une fresque démesurée recouverte avec soin.
Voilà les papillons qui soufflètent mon corps, mes mains, mes yeux.
Demain, j'aurai oublié l'ouragan diapré de satin. Mais demain, c'est loin.

thirty thousand people

The day was torn and grim birds yet began to sing as if they knew nothing’s eternal and old gives way to new that man, one day, will fall t...